B. EDF DOIT EXERCER LA CONCURRENCE DANS DES CONDITIONS ÉQUITABLES ET TRANSPARENTES
Il
convient de concilier l'existence d'un acteur public dominant devant allier
efficacité industrielle et service rendu au public, avec le
développement d'une concurrence réelle et loyale à
l'échelle européenne, assortie de garanties envers l'ensemble des
acteurs du marché.
Ces garanties concernent l'équilibre des droits et obligations des
producteurs, la régulation des prix pratiqués par EDF, les
règles applicables au gestionnaire de réseau et l'accès
aux infrastructures de transport et de distribution.
1. L'organisation de la production
a) Autorisations ou appels d'offres ?
L'ouverture à la concurrence d'une partie de la production
d'électricité implique que des procédures clairement
définies encadrent les conditions de lancement des nouveaux moyens de
production.
Pour ce faire, la directive " électricité " laisse aux
Etats membres le
choix entre la procédure d'autorisations et celle
des appels d'offres pour développer le parc de production.
Ces deux types de procédures se distinguent sur les deux points
suivants :
- l'initiative
: pour l'autorisation, elle appartient au producteur
lui-même ; pour l'appel d'offres, elle relève des pouvoirs
publics ;
-
la plus ou moins grande lourdeur du processus
: dans le cadre
assez souple de l'autorisation, le producteur doit seulement satisfaire un
certain nombre de critères fixés par les pouvoirs publics, mais
sa demande peut être encadrée par le jeu d'une programmation
à long terme incluant, par exemple, le choix d'un équilibre
déterminé entre les énergies primaires ; la
procédure de l'appel d'offres, beaucoup plus lourde et complexe, est
entièrement gérée par les pouvoirs publics.
Le
Gouvernement
semble envisager d'appliquer le système des
appels d'offres à EDF et de soumettre au système des
autorisations : les auto-producteurs et les producteurs
indépendants qui souhaiteront vendre leur électricité
à des clients éligibles (ou à EDF dans le cadre de
l'obligation d'achat).
Ce choix semble contestable pour les principales raisons suivantes :
- le recours aux appels d'offres apparaît nécessaire à
une mise en concurrence des producteurs quand le marché aval
(c'est-à-dire celui des clients finaux) n'est pas ouvert, dans la mesure
où il est naturellement associé à la planification
à long terme des moyens de production ainsi qu'au contrôle des
coûts. Mais, l'introduction de la liberté de choix du fournisseur
-dont disposeront les clients éligibles- introduira une composante
d'incertitudes et de volatilité qui pourrait remettre en cause le lien
entre planification des besoins, planification énergétique et
appels d'offres. Ce point apparaît d'autant plus important que les seuils
d'éligibilité ne seront sans doute pas intangibles
97(
*
)
dans le temps ;
- à l'inverse, avec l'ouverture à la concurrence, les
électriciens devront assurer le risque de marché et pouvoir
disposer de toute la responsabilité industrielle nécessaire
à sa maîtrise. Dans ce contexte,
est-il souhaitable que
l'Etat
impose à EDF à la fois le moment et la nature des
investissements à réaliser, au risque de la mettre en situation
d'inégalité avec ses concurrents ?
Ces arguments conduisent votre commission d'enquête à
considérer qu'il conviendrait d'appliquer également à EDF
le régime de l'autorisation,
qui permet en tout état de cause
à l'Etat d'imposer le respect de certains critères.
Un
système mixte
, qui limiterait les appels d'offres aux clients
captifs d'EDF lui semble tout à fait
inadapté
, dans la
mesure où il entraînerait une séparation du marché
de l'électricité en deux marchés distincts (l'un pour les
clients éligibles, l'autre pour les clients non éligibles) et,
par conséquent, un découplage des prix entre ces deux
marchés. EDF risquerait alors de ne plus pouvoir gérer de
manière intégrée les différents moyens de
production de son parc, dans la mesure où le fait de substituer un moyen
de production issu de la procédure d'appel d'offres par un moyen issu de
celle de l'autorisation, serait considéré comme une subvention
croisée entre catégories de clientèle, ce qu'interdit bien
sûr la directive.
Dès lors, se pose
le problème de la fourniture de
l'électricité au moindre coût à tous les
consommateurs.
La concurrence devra alors jouer pleinement son rôle en obligeant EDF
à recourir à des moyens de production compétitifs. En
outre, l'autorité de régulation contrôlera ses tarifs et
devra s'assurer que l'entreprise assure bien la fourniture de ses clients au
moindre coût, sans subventions croisées au détriment des
clients non-éligibles, et assure la rentabilité de ses
investissements.
En revanche, les pouvoirs publics pourraient recourir au système
des
appels d'offres en cas de carence de l'initiative des
producteurs
.
Telle est d'ailleurs la position défendue par le Conseil de la
concurrence.
Si, en application du régime de l'autorisation à l'ensemble des
opérateurs, les pouvoirs publics estiment que les objectifs
définis dans le cadre de la planification à long terme des moyens
de production n'ont pas été atteints -s'agissant, par exemple de
la proportion d'énergie nucléaire ou d'électricité
produite par des éoliennes, des installations solaires ou de la
biomasse-, ils auront la possibilité de lancer des appels d'offres pour
y remédier.
Encore faut-il que le système n'ait pas été biaisé
par d'autres mécanismes, tel que celui de l'obligation d'achat par EDF
de l'électricité de certains producteurs
indépendants.
b) La nécessité de restreindre l'obligation d'achat par EDF de l'électricité de certains producteurs indépendants
QU'EST-CE QUE L'OBLIGATION D'ACHAT ?
La loi
de nationalisation de l'électricité et du gaz du
8 avril 1946 a laissé la possibilité d'un
développement de moyens de production d'électricité par
des producteurs indépendants, notamment lorsque la puissance de l'outil
de production est inférieure à 8 MW.
Dans ce cadre, le décret du 20 mai 1955 prévoit
l'obligation pour EDF de passer des contrats d'achat pour
l'électricité produite par les producteurs autonomes. Une
modification a été apportée à ce décret en
décembre 1994 pour que cette obligation :
- soit dorénavant permanente pour les installations utilisant des
techniques de cogénération ou celles utilisant des
énergies renouvelables ou des déchets,
- et puisse, pour les autres installations, être suspendue par
arrêté du Ministre chargé de l'énergie, lorsqu'il
est constaté que les moyens de production existants sont suffisants pour
faire face à la demande dans des conditions économiques
satisfaisantes de production, transport et distribution.
C'est dans ce contexte que le Ministre de l'industrie a levé, le
23 janvier 1995, l'obligation pour EDF de passer de nouveaux contrats
(hors donc le cas des installations qui utilisent des énergies
renouvelables -petite hydroélectricité, énergie
éolienne, solaire...- des déchets ou des techniques de
cogénération).
Un tel dispositif n'est pas sans entraîner certains effets pervers
.
Il impose en fait à l'établissement public d'acheter une
électricité dont le pays n'a en réalité pas besoin,
mais pouvant présenter un intérêt en termes de
diversification des sources de production, d'environnement, d'efficacité
énergétique ou de décentralisation des modes de
production. Cependant, il emporte comme inconvénient majeur la
création de rentes de situation, dans la mesure où
il revient
à faire subventionner par EDF des installations, le cas
échéant, non rentables.
Les enjeux financiers de ce dispositif ne sont pas négligeables, puisque
cette obligation d'achat coûterait environ 2 milliards de francs
par an à EDF.
Cette obligation d'achat a, de plus, été étendue par les
pouvoirs publics à des installations de cogénération de
plus de 8 MW, dans des conditions très avantageuses pour le
producteur. L'opérateur public achète cette
électricité à un prix supérieur d'environ un tiers
au prix du marché.
Or, on ne voit plus ce qui justifierait son maintien alors que les centrales
de cogénération de taille grande ou moyenne sont devenues
aujourd'hui rentables, grâce à l'amélioration des
technologies concernées. Cela n'a plus de sens de les subventionner,
dès lors que les producteurs n'auront bientôt plus à passer
sous les " fourches caudines " du monopole.
Des pays, tels que les Etats-Unis ou l'Italie, qui avaient mis en place une
obligation d'achat du même type ont d'ailleurs décidé de la
lever.
Votre commission d'enquête propose, par conséquent, que
l'obligation d'achat soit levée lorsque les technologies arrivent
à maturité et s'avèrent compétitives. Tel semble
être aujourd'hui le cas pour la cogénération de grande
taille. Tel pourrait être le cas demain pour certains types
d'énergies renouvelables.