2. Une décision voyante et inopportune en termes de recherche sur la transmutation : l'arrêt de Superphénix
a) Phénix et Superphénix ne sont pas substituables : ils sont complémentaires
La
technologie des neutrons rapides permet, entre autres, l'incinération
d'éléments radioactifs : l'énergie et le flux des neutrons
produits y sont suffisamment importants pour casser ou transmuter des noyaux
lourds ou des produits de fission, transformant ainsi les
éléments radioactifs à vie longue en
éléments à vie plus courte, voire en
éléments stables. A la clé : moins de déchets
à gérer à long terme...
C'est pourquoi, les recherches utilisant des neutrons rapides se sont
imposées comme pouvant répondre à la loi
précitée du 30 décembre 1991. En vertu de cette
dernière, on l'a dit, la France doit mener d'ici à 2006 toutes
les recherches possibles pour permettre au Parlement de prendre une
décision sur le sort des déchets à vie longue produits par
les réacteurs classiques.
Précurseur du réacteur de taille industrielle Superphénix,
Phénix est désormais le seul réacteur français
à utiliser des neutrons rapides. On attend de ce réacteur la
poursuite, au moins pour partie, de deux programmes en cours :
- CAPRA (consommation accrue de plutonium dans les réacteurs
rapides) qui concerne l'incinération du plutonium, principal
élément radiotoxique à vie longue issu des
réacteurs de type REP actuels ;
- une partie du programme SPIN (séparation, incinération)
qui concerne la transmutation des actinides mineurs et des produits de fission
à vie longue, la séparation étant du ressort de la chimie.
Si Phénix présente certains avantages liés à la
souplesse que permet un instrument de recherche de petite taille, les limites
qu'il imposera aux recherches sont telles qu'il apparaît comme
complémentaire et non substituable à Superphénix en termes
de recherches sur la transmutation.
Il est intéressant, à cet égard, de rappeler quelques
passages du rapport remis au Premier ministre par le ministre de la Recherche,
le 17 décembre 1992 :
" Phénix
est flexible avec ses cycles courts de
trois mois qui permettent un suivi fin des évolutions sous irradiation,
en particulier :
- validation des paramètres neutroniques des actinides,
- comportement métallurgique et mécanique
d'échantillons de combustibles à base d'actinides.
Ce réacteur présente
par contre les
inconvénients suivants :
- il risque d'atteindre sa fin de vie dans quelques années,
- il n'est pas représentatif des conditions d'incinération
d'un réacteur industriel,
- il ne permet pas de qualification du procédé
d'incinération à une échelle significative,
- il ne permet pas d'atteindre des taux d'incinération
élevés.
[...]
Par contre,
Superphénix autorise
:
- la validation globale et à une échelle
préindustrielle de l'incinération d'actinides ;
- la destruction d'une quantité notable d'actinides mineurs (de
l'ordre d'une centaine de kilogrammes par an) ;
- l'expérimentation à une échelle
préindustrielle de l'incinération du
neptunium ".
b) Même " relifté ", rien ne garantit que Phénix pourra fonctionner dans des conditions satisfaisantes
Le
réacteur Phénix a démarré en 1973.
Depuis 1990,
il a connu quelques faiblesses
: des anomalies conduisant à des
baisses rapides de réactivité dans le coeur, toujours
inexpliquées, ou la découverte de fissures sur les tuyauteries
des circuits secondaires de sodium. Durant les huit dernières
années, le réacteur Phénix n'a donc guère
tourné que pour des campagnes très courtes et à
caractère expérimental.
Il a été décidé de faire subir une
cure de
rajeunissement
à ce réacteur déjà ancien. Cette
opération est estimée à
600 millions de
francs
, dont 350 millions ont d'ores et déjà
été engagés. Elle vise à la fois au contrôle
et à la rénovation de Phénix, ainsi qu'à la
création de nouveaux dispositifs, dans le détail desquels il
n'appartient pas au présent rapport de rentrer.
Il faut toutefois préciser que
l'autorisation de reprise du
fonctionnement en puissance de Phénix, accordée par
DSIN
73(
*
)
, est assortie d'un
certain nombre de conditions.
D'abord, le niveau de puissance du réacteur
doit être
limité aux deux-tiers de sa puissance nominale pendant le 50ème
cycle, qui devrait durer entre six et huit mois, puis à une puissance
encore indéterminée pour les éventuels cycles suivants.
Ensuite, s'agissant les modalités et de la durée de
fonctionnement de Phénix,
les expérimentations menées
pendant le 50ème cycle sont destinées à préparer le
programme de recherche à mener d'ici à 2004. Il faut cependant
relever que ce cycle se voit repoussé de quelques semaines en raison
d'une erreur sans gravité.
A l'issue de ce cycle, l'arrêt du réacteur, déjà
prévu pour la visite décennale, devra permettre de
contrôler les structures internes du réacteur ainsi que de
réaliser des travaux de remise à niveau sismique des
bâtiments. Cet arrêt est prévu pour une durée d'un an.
Les cycles de fonctionnement suivants, jusqu'en 2004, pourront avoir lieu soit
à pleine puissance, soit à puissance toujours réduite aux
deux-tiers, suivant la façon dont aura été conduite la
rénovation des circuits secondaires.
Enfin
, deux années sont prévues pour
exploiter les
résultats des recherches
qui auront pu être effectuées,
dans le but de soumettre des conclusions au Parlement pour 2006.
Il faut cependant souligner que les conditions de réalisation de
chacun des prochains cycles de fonctionnement de Phénix seront soumises
à l'accord préalable de la DSIN.
Or, rien ne garantit aujourd'hui que les contrôles et les travaux de
rénovation prévus seront suffisamment concluants pour que ces
autorisations soient accordées en l'an 2000.
c) Revenons sur cette grave erreur tant qu'il en est encore temps
Votre
commission d'enquête ne peut donc que constater, pour le déplorer,
que le Gouvernement:
- abandonne un réacteur pouvant aujourd'hui fonctionner dans des
conditions économiques et de sûreté satisfaisantes ;
- tente de lui substituer un réacteur plus ancien, moins
performant, n'autorisant pas les mêmes recherches et, au demeurant, sans
garantie quant à son fonctionnement supposé jusqu'en 2004.
La décision de fermer Superphénix n'est pas encore
irréversible. Elle le sera d'ici un an environ,
quand les
opérations de mise à l'arrêt auront progressé et que
les équipes compétentes auront été
dispersées.
Dans ce contexte, et en conclusion logique de tous les arguments qu'elle a
avancés, votre commission d'enquête se prononce clairement en
faveur du retrait de cette décision.
A tout le moins, le respect de la démocratie supposerait qu'un
débat -suivi d'un vote- soit organisé au sein des
assemblées parlementaires.
Il apparaît, en effet, normal que
la représentation nationale puisse, en toute connaissance de cause,
juger du sort qu'il convient de réserver à ce puissant outil de
recherche.