EXAMEN DES ARTICLES
TITRE PREMIER
DISPOSITIONS RELATIVES AU DROIT
D'AUTEUR
Article premier
(L. 112-3 du code de la
propriété intellectuelle)
Objet de la protection
L'article premier du projet de loi tend à modifier
l'article L.112-3 du code de la propriété intellectuelle.
Dans sa rédaction actuelle, cet article prévoit :
"
Les auteurs de traductions, d'adaptations, transformations ou
arrangements des oeuvres de l'esprit jouissent de la protection
instituée par le présent code sans préjudice des droits de
l'auteur de l'oeuvre originale. Il en est de même des auteurs
d'anthologies ou de recueils d'oeuvres ou de données diverses qui, par
le choix ou la disposition des matières, constituent des
créations intellectuelles
".
Ce texte a été modifié en 1996 pour tenir compte de
l'accord intervenu en matière de propriété intellectuelle
(APDIC) dans le cadre de l'OMC : la mention "
ou de
données
" qui fait directement référence aux
bases de données a été ajoutée à cette
occasion.
Afin de transposer le texte de la directive communautaire sur la protection
juridique des bases de données,
le projet de loi tend à
mentionner explicitement les bases de données parmi les objets dont les
auteurs peuvent jouir d'une protection
. Il tend en outre à
insérer dans l'article L.112-3 la définition de la base de
données inscrite dans la directive, à savoir "
un recueil
d'oeuvres, de données ou d'autres éléments
indépendants, disposés de manière systématique ou
méthodique, et individuellement accessibles par des moyens
électroniques ou par tout autre moyen
".
Le projet de loi ne prévoit pas de modification du critère
d'originalité (le choix ou la disposition des matières)
permettant à une base de données de faire l'objet d'une
protection par le droit d'auteur. Ce critère a été
assoupli en 1996 (l'article L.112-3 du code de la propriété
intellectuelle mentionnait auparavant le choix
et
la disposition des
matières) pour tenir compte de l'accord intervenu dans le cadre de l'OMC
en matière de propriété intellectuelle. La directive
communautaire comme la Convention de Berne prévoient l'application de ce
critère alternatif du choix ou de la disposition des matières.
Il convient de noter que cette modification de l'article L. 112-3
ne fait que rendre plus précis le droit positif, les bases de
données étant déjà manifestement
protégées, lorsqu'elles constituent une création
originale, par le dispositif actuel
.
Les juridictions françaises ont ainsi déjà
été conduites à se prononcer sur la possibilité de
protéger par le droit d'auteur certains recueils de données ou
certains catalogues. Ainsi, en 1991, la Cour d'appel de Paris a estimé
qu'une carte des millésimes des vins de France était susceptible
d'une protection au titre des droits d'auteur
9(
*
)
.
En revanche, dans un arrêt de 1989, la Cour de cassation a cassé
un arrêt de la Cour d'appel de Paris qui reconnaissait le
caractère de création originale à un organigramme des
principales entreprises mondiales de construction automobile, en faisant valoir
en particulier "
que l'arrêt ne précise pas en quoi le
texte ou la forme graphique de cette publication comporterait un apport
intellectuel de l'auteur caractérisant une création
originale
"
10(
*
)
.
Par ailleurs, ces juridictions ont dû prendre position sur les conditions
qui permettent à une personne de revendiquer la qualité d'auteur
d'un recueil ou d'une anthologie. En 1997, dans un arrêt concernant le
catalogue raisonné de l'oeuvre du peintre Wilfredo Lam, la cour d'appel
de Paris a ainsi estimé "
que le seul travail de
récolement, de recensement, de compilation et de classement dans un
ordre chronologique des informations, aussi long, important et primordial
soit-il pour la réalisation du catalogue raisonné de l'oeuvre
peint de Wilfredo Lam sans la preuve rapportée d'une création
intellectuelle personnelle qui dénote l'existence d'une activité
créative ne peut conférer (...) la qualité d'auteur
(...)
"
11(
*
)
.
*
* *
La protection des créateurs de bases de données
par le droit d'auteur soulève la question du titulaire des droits
patrimoniaux liés à la création des bases de
données. Le projet de loi ne contient aucune disposition
particulière à cet égard, de sorte qu'en cas de
création salariée, le titulaire des droits sera en principe, sauf
disposition contractuelle contraire, le salarié lui-même.
La directive communautaire laisse une totale liberté aux États
membres en ce qui concerne cette question. Le considérant 29 de la
directive précise en effet "
que le régime applicable
à la création salariée est laissé à la
discrétion des États membres ; que, dès lors, rien, dans
la présente directive, n'empêche les États membres de
préciser dans leur législation que, lorsqu'une base de
données est créée par un employé dans l'exercice de
ses fonctions ou d'après les instructions de son employeur, seul
l'employeur est habilité à exercer tous les droits patrimoniaux
afférents à la base ainsi créée, sauf dispositions
contractuelles contraires
"
Il convient donc de s'interroger sur la nécessité
éventuelle de prévoir un régime spécifique en
matière de création salariée, la plupart des bases de
données étant élaborées dans le cadre d'entreprises
ou d'administrations.
En matière de logiciels, c'est-à-dire de programmes
d'ordinateurs, le législateur a choisi en 1985 de prévoir des
dispositions spécifiques à l'égard de la création
salariée. L'article L.113-9 du code de la propriété
intellectuelle dispose en effet que "
sauf dispositions
statutaires ou
stipulations contraires, les droits patrimoniaux sur les logiciels et leur
documentation créés par un ou plusieurs employés dans
l'exercice de leurs fonctions ou d'après les instructions de leur
employeur sont dévolus à l'employeur qui est seul habilité
à les exercer
".
Il existe donc, en matière de
logiciels, une présomption de cession des droits à
l'employeur.
La commission spéciale constituée en 1985 au sein du Sénat
pour examiner le projet de loi relatif aux droits d'auteur et aux droits des
artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de
vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle avait
estimé que "
les règles du droit de la
propriété littéraire ne sont pas toujours très
appropriées aux réalités du monde de l'informatique "
et que
" le principe selon lequel c'est l'auteur, personne
physique
qui est titulaire des droits patrimoniaux et moraux sur l'oeuvre, n'est
guère adapté pour des logiciels créés en
entreprise "
12(
*
)
.
La question qui se pose aujourd'hui est de savoir si les bases de
données, qui sont elles aussi, dans la plupart des cas, des produits
informatiques fabriqués en entreprise, ne doivent pas se voir
appliqué le même régime.
Quelques éléments paraissent militer en ce sens. En premier lieu,
en l'absence d'une telle disposition, certaines entreprises pourraient
être tentées de faire créer des bases de données
dans les pays anglo-saxons où prévaut un régime plus
favorable à l'employeur. En second lieu, les entreprises ne pourraient
pas inscrire les bases de données au titre de leurs actifs. En
troisième lieu, la différence de traitement entre une base de
données et le logiciel qui la fait fonctionner pourrait créer des
difficultés juridiques.
Votre commission a cependant choisi de ne pas introduire dans le code de la
propriété intellectuelle une disposition dérogatoire
relative à la création salariée des bases de
données
. Si elle n'a pas été convaincue par le risque
de paupérisation des créateurs de bases parfois
évoqué à l'encontre d'une cession de droits à
l'employeur (dans la mesure notamment où l'on n'a guère entendu
parler d'une paupérisation des créateurs de logiciels), votre
commission a estimé souhaitable de ne déroger aux principes
français du droit de la propriété intellectuelle que
lorsqu'une telle dérogation est indispensable. Employeurs et
salariés demeurent libres de conclure des contrats prévoyant la
cession des droits patrimoniaux afférents aux bases de données.
Par ailleurs, il convient de rappeler que le projet de loi, conformément
à la directive, tend à créer une protection
spécifique pour les producteurs de bases de données. Il n'existe
pas de système équivalent en matière de logiciels.
Surtout, la base de données se verra vraisemblablement
reconnaître, dans un grand nombre de cas, la qualité d'oeuvre
collective. L'article L.113-2 du code de la propriété
intellectuelle définit l'oeuvre collective comme "
l'oeuvre
créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui
l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans
laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à
son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est
conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un
droit distinct sur l'ensemble réalisé
".
Conformément à l'article L. 113-5 du code de la
propriété intellectuelle, l'oeuvre collective est, sauf preuve
contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le
nom de laquelle elle a été divulguée. Ce régime est
donc à même d'éviter les inconvénients que poserait
ainsi pour les entreprises l'absence de cession des droits.
D'ores et déjà, la qualité d'oeuvre collective a
été reconnue par certaines juridictions à des bases de
données. Ainsi, en 1996, le Conseil d'État a été
appelé à trancher un litige relatif au répertoire Sirene
(Système national d'identification et du répertoire des
entreprises et de leurs établissements) de l'INSEE. Le Conseil
d'État a estimé "
que le répertoire Sirene (...)
constitue non une simple collection de données mais un ensemble
organisé et structuré d'informations relatives à
l'identité et à l'activité des entreprises ; qu'en outre,
l'INSEE ajoute aux données brutes qui lui sont fournies par les
entreprises des informations qu'il élabore, relatives notamment au
chiffre d'affaires, au taux d'exportation et à l'implantation
géographique de ces entreprises ; que l'ensemble ainsi susceptible
d'être cédé par l'INSEE aux sociétés
requérantes en vue de sa rediffusion par celles-ci constitue une base de
données qui doit être regardée comme une oeuvre collective
pouvant légalement inclure des droits relevant de la
propriété intellectuelle au profit de l'INSEE, donc de
l'Etat
"
13(
*
)
.
La directive communautaire elle-même fait référence au
régime de l'oeuvre collective en prévoyant dans son
article 4 que "
lorsque les oeuvres collectives sont
reconnues par
la législation d'un État membre, les droits patrimoniaux sont
détenus par la personne investie du droit d'auteur
".
On pourrait certes envisager d'inscrire explicitement dans la loi une
présomption de qualification de la base de données comme oeuvre
collective. Il paraît cependant préférable de
ménager la possibilité que certaines bases de données
puissent recevoir une autre qualification.
En tout état de cause, il convient de garder à l'esprit que cette
question pourrait se reposer dans un avenir assez proche, compte tenu du
développement rapide des produits multimédia, dont la
définition est encore imprécise. Dans cette matière, il
paraît souhaitable de rechercher constamment les moyens de concilier la
conception française du droit de la propriété
intellectuelle -protectrice des créateurs- et la nécessité
de ne pas handicaper nos entreprises dans la compétition internationale.
Votre commission vous propose d'adopter l'article premier
sans
modification.