B. L'ESSENTIEL DU DÉBAT PORTE DÉSORMAIS SUR LA DÉFINITION DE LA DURÉE DU TRAVAIL EFFECTIF
La chronique de l'article 4 bis du projet de loi laisse
penser
que le Gouvernement a ouvert une " boîte de Pandore " : le
projet de loi conjugue désormais deux démarches : la
réduction de la durée légale (art. 1
er
) et
l'extension des activités ou des périodes
considérées comme temps de travail, c'est-à-dire une
réduction supplémentaire de la durée du travail productif
(art. 4 bis).
Le Gouvernement a été désavoué par
l'Assemblée nationale sur la définition du travail effectif et
sur le champ d'application des dispositions de la directive 93/104/CE du
conseil du 23 novembre 1993 concernant certains aspects de l'aménagement
du temps de travail qui sont reprises dans le projet de loi.
L'article 4 bis qui complète la définition de la durée du
travail effectif de l'article L. 212-4 du code du travail a été
au coeur du débat de la seconde lecture du projet de loi à
l'Assemblée nationale. Cet article est la conséquence de
l'adoption d'un amendement de M. Yves Cochet en première lecture qui
visait à légaliser les dernières avancées de la
jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de Cassation sur cette question.
Comme nous le remarquions dans notre rapport de première lecture, cet
article pose un véritable problème car il reprend une
définition très extensive de la durée du travail effectif
et, qui plus est, une définition qui est encore susceptible
d'évoluer étant donné son caractère
général :
"
la durée du travail effectif est le
temps pendant lequel le salarié est à la disposition de
l'employeur
".
Cette rédaction est une source considérable
d'
insécurité juridique
, elle constitue une menace pour
l'emploi et pourrait fragiliser les contrats de travail. C'est d'ailleurs, peu
ou prou, l'avis du Gouvernement. Lors du débat à
l'Assemblée nationale, le ministre, M. Bernard Kouchner, a
déclaré :
" Un débat s'est développé à la suite de la
rédaction adoptée en première lecture, qui a
suscité des contestations et des interprétations diverses.
Cette rédaction me semble de ce fait même porteuse de flou et
d'incertitudes juridiques susceptibles de perturber les usages et les pratiques
conventionnelles,
tels qu'ils découlent de la prise en compte,
très fine, de la nature de chacune des activités par les
partenaires sociaux.
Nous ne devons pas laisser se développer de tels
facteurs d'insécurité juridique, qui peuvent créer des
difficultés aux acteurs de la négociation sur le temps de
travail. "
" A l'inverse, la rédaction proposée dans l'amendement
n° 7 de votre commission, qui précise que le temps de travail
effectif est le temps où le salarié est en permanence à la
disposition de l'employeur, me paraît tout à fait satisfaisante.
Elle lève cette incertitude tout en traduisant clairement et
complètement dans la loi l'ensemble des avancées liées
à la jurisprudence. Notre responsabilité nous commande la plus
grande clarté sur un sujet de cette importance ; je souhaite que cette
clarification soit apportée dès ce soir en retenant la
rédaction issue des travaux de votre commission et non celle
votée en première lecture.
J'en appelle, non à votre
" sagesse ", mais à votre clairvoyance (...)
pour ne pas
aller dans un sens opposé à celui que nous recherchons du fait
d'une rédaction qui introduirait le flou et l'absence de clarté.
Le Gouvernement est donc défavorable à l'amendement n°
149 de la commission
. "
1(
*
)
Force est de constater que le Gouvernement qui avait donné un avis
favorable, en première lecture, à l'amendement de M. Yves
Cochet
2(
*
)
s'est
déclaré défavorable à son rétablissement en
deuxième lecture.
Force est de constater également que l'appel à la clairvoyance de
M. Bernard Kouchner n'a pas été entendu puisque la
majorité de l'Assemblée nationale a voté, contre l'avis du
Gouvernement, l'amendement déposé par M. Jean Le Garrec et
les membres du groupe socialiste de préférence à celui de
la commission.
Pourtant, certains membres de la majorité ont fait part de leur
réserve. M. Gérard Gouzes a fait part de son trouble et a
déclaré qu'adopter l'amendement n° 149 porterait atteinte
à l'emploi en zone rurale et irait à l'encontre de la politique
de la majorité. Il a notamment déclaré
3(
*
)
que "
la façon dont on
décomptera les trajets, dans le secteur du bâtiment notamment,
provoquera tôt ou tard (...) la délocalisation de telle ou telle
entreprise vers le lieu de travail, au détriment de l'aménagement
du territoire et de la lutte contre la désertification rurale.
"
M. Claude Bartolone, président de la commission des Affaires
culturelles, familiales et sociales, a déclaré quant à lui
qu'après avoir entendu les interventions sur chacun des amendements,
" il ne savait plus lequel des amendements apportait la meilleure
solution
4(
*
)
"
et
qu'il
se demandait si après avoir entendu les différents orateurs,
l'Assemblée nationale ne devait pas mettre à profit le temps qui
la séparait de la troisième lecture pour obtenir plus de
précisions.
C'est donc dans la plus grande confusion qu'a été
adopté l'amendement n° 149 qui revient à la
définition adoptée en première lecture, sans que le
Gouvernement n'ait pu précisément expliquer la portée
d'une telle rédaction.
Votre commission s'étonne que sur un sujet aussi important, au coeur du
code du travail et des garanties que sont en droit d'attendre les
salariés comme les employeurs, Assemblée nationale et
Gouvernement fassent preuve de tant d'indécision ne cessant de renvoyer,
depuis le 10 février, la réflexion à une lecture
ultérieure. Il importe sur un sujet aussi grave de faire preuve de
prudence. Par ailleurs, l'ajout du terme " en permanence ",
proposé par le Gouvernement, ne semble pas une garantie suffisante
contre des interprétations jurisprudentielles imprévues. C'est
pourquoi votre commission propose de rétablir sa propre rédaction
de l'article 4 bis qui reprend
littéralement
la
définition de l'article 2 de la directive européenne du
23 novembre 1993 :
"
la durée du travail effectif est le
temps pendant lequel le salarié est au travail, à la disposition
de l'employeur et dans l'exercice de son activité ou de ses
fonctions
".
Par ailleurs, M. Jean Le Garrec, rapporteur de l'Assemblée nationale,
avait fait adopter en commission un article additionnel après le 4 (4
quater) qui limitait le champ d'application des articles 4 bis et 4 ter
à celui de la directive européenne du 23 novembre 1993. Cet
excellent amendement avait "
simplement pour objet de transposer la
directive dans le droit national (...) une négociation sur le temps de
travail dans le secteur des transports (étant) actuellement en cours
entre les partenaires sociaux au niveau européen
"
5(
*
)
.
Force est de constater que cet amendement n'a pas été
appelé en séance publique et que l'Assemblée nationale n'a
pu se prononcer sur cet apport important. Pour réparer cet
" oubli ", votre commission vous proposera un amendement
identique
à celui fort opportun de la commission des Affaires culturelles,
familiales et sociales de l'Assemblée nationale.