N° 337
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 5 mars 1998
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE , instituant une commission consultative du secret de la défense nationale ,
Par M. Nicolas ABOUT,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Yvon Bourges, Guy Penne, François Abadie, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jacques Genton, vice-présidents ; Michel Alloncle, Jean-Luc Mélenchon, Serge Vinçon, Bertrand Delanoë, secrétaires ; Nicolas About, Jean Arthuis, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Jacques Bellanger, Daniel Bernardet, Pierre Biarnès, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Charles-Henri de Cossé-Brissac, Marcel Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, André Gaspard, Philippe de Gaulle, Daniel Goulet , Jacques Habert, Marcel Henry, Roger Husson, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait, André Rouvière, André Vallet.
Voir les numéros
:
Assemblée nationale (11
ème législ.) :
593
,
679
, et T.A.
84
.
Sénat
:
297, 327
(1997-1998).
|
Défense. |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Dans la société contemporaine où une large place est faite
à la communication, à l'échange d'informations et à
leur accessibilité rapide à un public toujours plus large, la
notion de secret entourant certaines affaires publiques a parfois mauvaise
presse.
Dans l'esprit de certains, l'invocation du secret par le pouvoir politique
constituerait, dans une démocratie pourtant achevée, le dernier
rempart de l'arbitraire et un obstacle incontournable à la connaissance,
par tous les citoyens, par leurs représentants, ou par ceux qui exercent
la justice, d'informations essentielles.
Tel est le cas du secret de la défense nationale que de rares affaires,
par ailleurs largement médiatisées, ont contribué à
rendre suspect alors même qu'il répond à une exigence
essentielle pour la sécurité et la crédibilité de
notre outil de défense.
Il revient aujourd'hui au législateur de tenter de concilier les deux
impératifs également légitimes que sont, d'une part, la
recherche de la vérité par le juge et, d'autre part, le secret de
la défense nationale qui peut lui être opposé en cours de
procédure.
Le dispositif proposé par le gouvernement, loin de révolutionner
le principe et la mise en oeuvre du secret de la défense nationale, ce
dont on se félicitera, propose la création d'une instance
consultative d'intermédiation et de conciliation entre l'exécutif
d'une part et le juge d'autre part.
La future commission consultative, nouvelle autorité administrative
indépendante, sera composée de trois magistrats et de deux
parlementaires. Par son avis, elle proposera au ministre compétent une
solution aux intérêts parfois contradictoires entre la
nécessaire confidentialité qui doit couvrir le champ de la
défense et l'exigence de transparence à laquelle tout Etat de
droit se doit d'être en mesure de répondre.
I. LA LÉGISLATION FRANÇAISE ET LE SECRET DE LA DÉFENSE NATIONALE
A. L'INDÉFINISSABLE SECRET DE LA DÉFENSE NATIONALE
1. Une législation abondante et ancienne
Le principe selon lequel certaines informations, de par leur
incidence particulière sur les intérêts majeurs de l'Etat
et de la nation, doivent faire l'objet d'une protection particulière,
n'est pas nouveau. Ainsi de la divulgation de secrets liés à la
défense du pays. Un
décret du 16 juin 1793
de la
Convention punissait déjà de la peine de mort
"tout
Français ou étranger convaincu d'espionnage dans les places
fortes et dans les armées."
Plus tard,
en 1810, le code
pénal
réprimait de la même peine en temps de guerre le
crime d'
"intelligence avec les puissances étrangères".
La
loi du 18 avril 1886
élargit l'infraction aux
"plans
écrits ou documents secrets intéressant la défense du
territoire ou la sûreté extérieure de l'Etat".
De
même, la
loi du 26 janvier 1934
a précisé cette
extension en visant explicitement les
"renseignements secrets d'ordre
militaire, diplomatique ou économique intéressant la
défense ou la mobilisation économique du territoire
français".
Cette loi entendait également cerner les supports
possibles d'informations secrètes liées à la
défense en énumérant les
"objets, matériels
militaires ou maritimes, plans, cartes, écrits, documents ou
renseignements (...)".
C'est à la veille de la guerre que le
décret-loi du
29 juillet
1939
osa une audacieuse novation en se proposant de
définir
des
"secrets de la défense nationale".
Ce
texte avait classé les renseignements à protéger en quatre
catégories, la première d'entre elles comportant ainsi
"les
renseignements d'ordre militaire, diplomatique, économique ou industriel
qui, par leur nature, ne doivent être connus que des personnes
qualifiées pour les détenir et doivent, dans
l'intérêt de la défense nationale, être tenus secrets
à toute autre personne".
Malheureusement, l'énumération contenue dans ce texte, qui se
voulait la plus exhaustive possible présentait, inévitablement,
des lacunes. Certaines divulgations d'informations sensibles
échappèrent ainsi à la répression, alors que dans
le même temps certaines révélations, en fait anodines,
étaient susceptibles d'entraîner de graves sanctions.
Enfin, la diversification des informations à protéger et leur
complexité croissante compte tenu des évolutions technologiques
rendaient en fait impossible toute définition correcte du champ relevant
du secret de la défense nationale.
C'est ainsi que
l'ordonnance du 4 juin 1960
relative aux crimes et
délits contre la sûreté de l'Etat, en abrogeant le
décret-loi du 24 juillet 1939, rompit avec toute tentative tendant
à donner une définition matérielle du secret de
défense nationale, pour en privilégier la seule
définition formelle
. Cette ordonnance protégeait
désormais, par les articles 74 et suivants du code pénal, tout
"renseignement, objet, document ou procédé qui doit être
tenu secret dans l'intérêt de la défense nationale".
Ainsi revenait-il, dans les faits, aux autorités de l'Etat
d'apprécier le caractère secret d'une information et d'en tirer
les conséquences.
2. Le secret de la défense nationale dans l'actuel code pénal
La rédaction du
nouveau code pénal
a
été l'occasion de redéfinir et d'élargir la notion
de secret de la défense nationale. Ainsi, deux innovations importantes
furent opérées à cette occasion.
En premier lieu, les enjeux à protéger ont été
élargis
: à la notion de
"crimes et de délits
contre la sûreté de l'Etat"
a été
substituée celle
"d'atteinte aux intérêts fondamentaux
de la nation".
Le secret de la défense nationale -en tout cas la
sanction de sa transgression- ne devient qu'un élément parmi
d'autres, concourant à la préservation de ces
intérêts fondamentaux. Certains analystes ont vu là une
"véritable révolution copernicienne" puisque
"le secret de
défense, cessant d'être le pivot du système de
sécurité de l'Etat, n'est plus qu'un moyen satellite, parmi
d'autres, de la protection des intérêts de la nation"
1(
*
)
De fait, la diversification des
menaces contre ces intérêts fait sortir celles-ci du strict
domaine militaire.
Dans le même temps, et c'est la
seconde innovation
, le nouveau
code pénal, en son
article 413-9
, premier alinéa,
renonçant définitivement à toute définition
matérielle du secret, établit désormais un lien entre ce
qui est secret et les mesures de protection destinées à
protéger ces secrets. Ne sont donc considérés comme
relevant du secret de la défense nationale que les
"renseignements,
procédés, objets, documents, données informatisées
ou fichiers intéressant la défense nationale qui ont fait l'objet
de mesures de protection destinées à restreindre leur
diffusion"
(art. 413-9).
Cette classification, opérée par l'administration, peut-elle
être faite par celle-ci sans discrimination ? Non, car le second
alinéa de l'article 413-9 précise que
"peuvent faire l'objet
de telles mesures"
-de protection -
"les renseignements,
procédés (...) dont la divulgation est de nature à nuire
à la défense nationale ou pourrait conduire à la
découverte d'un secret de la défense nationale".
Ainsi
revient-il au juge, le cas échéant, d'apprécier la
validité d'une procédure de protection au regard de ce
critère général.