RAPPORT N° 337 - PROJET DE LOI, ADOPTE PAR L'ASSEMBLEE NATIONALE, INSTITUANT UNE COMMISSION CONSULTATIVE DU SECRET DE LA DEFENSE NATIONALE
M. Nicolas ABOUT, Sénateur
COMMISSION DES AFFAIRES ETRANGERES, DE LA DEFENSE ET DES FORCES ARMEES - RAPPORT N° 337 - 1997/1998
Table des matières
-
INTRODUCTION
- I. LA LÉGISLATION FRANÇAISE ET LE SECRET DE LA DÉFENSE NATIONALE
- II. LE JUGE ET LE SECRET DE LA DÉFENSE NATIONALE
-
III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ETRANGÈRES, DE LA DÉFENSE ET
DES FORCES ARMÉES ET L'EXAMEN DES ARTICLES DU PROJET DE LOI
- A. LA POSITION GÉNÉRALE DE VOTRE COMMISSION
-
B. L'EXAMEN DES ARTICLES DU PROJET DE LOI
-
Article premier -
La création d'une nouvelle autorité administrative indépendante :
la Commission consultative du secret de la défense nationale -
Article 2 -
La composition de la Commission -
Article 3 -
Les moyens de fonctionnement de la Commission -
Article 4 -
Saisine de la Commission -
Article 5 -
Les pouvoirs des membres de la Commission -
Article 6 -
Les garanties à l'action de la Commission -
Article 7 -
L'avis de la Commission -
Article 8 -
La décision de l'autorité administrative -
Article 9 -
Dispositions provisoires concernant les premiers membres de la Commission -
Article 10 -
Application de la loi aux Territoires d'outre-mer et à Mayotte
-
Article premier -
- EXAMEN EN COMMISSION
-
ANNEXE 1
LE SECRET DE LA DEFENSE NATIONALE
DEVANT LE JUGE :
LA SITUATION AUX ETATS-UNIS ET LES EXEMPLES ALLEMAND, ESPAGNOL, ITALIEN ET BRITANNIQUE 1313 Source Sénat : Service des Affaires européennes, Division des Etudes de législation comparée. -
ANNEXE 2
AUDITIONS DE LA COMMISSION -
ANNEXE 3
DÉCRET N° 81-514 DU 12 MAI 1981
RELATIF A L'ORGANISATION DE LA PROTECTION DES SECRETS ET DES INFORMATIONS CONCERNANT LA DÉFENSE NATIONALE ET LA SÛRETÉ DE L'ÉTAT
N° 337
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 5 mars 1998
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE , instituant une commission consultative du secret de la défense nationale ,
Par M. Nicolas ABOUT,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Yvon Bourges, Guy Penne, François Abadie, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jacques Genton, vice-présidents ; Michel Alloncle, Jean-Luc Mélenchon, Serge Vinçon, Bertrand Delanoë, secrétaires ; Nicolas About, Jean Arthuis, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Jacques Bellanger, Daniel Bernardet, Pierre Biarnès, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Charles-Henri de Cossé-Brissac, Marcel Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, André Gaspard, Philippe de Gaulle, Daniel Goulet , Jacques Habert, Marcel Henry, Roger Husson, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait, André Rouvière, André Vallet.
Voir les numéros
:
Assemblée nationale (11
ème législ.) :
593
,
679
, et T.A.
84
.
Sénat
:
297, 327
(1997-1998).
|
Défense. |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Dans la société contemporaine où une large place est faite
à la communication, à l'échange d'informations et à
leur accessibilité rapide à un public toujours plus large, la
notion de secret entourant certaines affaires publiques a parfois mauvaise
presse.
Dans l'esprit de certains, l'invocation du secret par le pouvoir politique
constituerait, dans une démocratie pourtant achevée, le dernier
rempart de l'arbitraire et un obstacle incontournable à la connaissance,
par tous les citoyens, par leurs représentants, ou par ceux qui exercent
la justice, d'informations essentielles.
Tel est le cas du secret de la défense nationale que de rares affaires,
par ailleurs largement médiatisées, ont contribué à
rendre suspect alors même qu'il répond à une exigence
essentielle pour la sécurité et la crédibilité de
notre outil de défense.
Il revient aujourd'hui au législateur de tenter de concilier les deux
impératifs également légitimes que sont, d'une part, la
recherche de la vérité par le juge et, d'autre part, le secret de
la défense nationale qui peut lui être opposé en cours de
procédure.
Le dispositif proposé par le gouvernement, loin de révolutionner
le principe et la mise en oeuvre du secret de la défense nationale, ce
dont on se félicitera, propose la création d'une instance
consultative d'intermédiation et de conciliation entre l'exécutif
d'une part et le juge d'autre part.
La future commission consultative, nouvelle autorité administrative
indépendante, sera composée de trois magistrats et de deux
parlementaires. Par son avis, elle proposera au ministre compétent une
solution aux intérêts parfois contradictoires entre la
nécessaire confidentialité qui doit couvrir le champ de la
défense et l'exigence de transparence à laquelle tout Etat de
droit se doit d'être en mesure de répondre.
I. LA LÉGISLATION FRANÇAISE ET LE SECRET DE LA DÉFENSE NATIONALE
A. L'INDÉFINISSABLE SECRET DE LA DÉFENSE NATIONALE
1. Une législation abondante et ancienne
Le principe selon lequel certaines informations, de par leur
incidence particulière sur les intérêts majeurs de l'Etat
et de la nation, doivent faire l'objet d'une protection particulière,
n'est pas nouveau. Ainsi de la divulgation de secrets liés à la
défense du pays. Un
décret du 16 juin 1793
de la
Convention punissait déjà de la peine de mort
"tout
Français ou étranger convaincu d'espionnage dans les places
fortes et dans les armées."
Plus tard,
en 1810, le code
pénal
réprimait de la même peine en temps de guerre le
crime d'
"intelligence avec les puissances étrangères".
La
loi du 18 avril 1886
élargit l'infraction aux
"plans
écrits ou documents secrets intéressant la défense du
territoire ou la sûreté extérieure de l'Etat".
De
même, la
loi du 26 janvier 1934
a précisé cette
extension en visant explicitement les
"renseignements secrets d'ordre
militaire, diplomatique ou économique intéressant la
défense ou la mobilisation économique du territoire
français".
Cette loi entendait également cerner les supports
possibles d'informations secrètes liées à la
défense en énumérant les
"objets, matériels
militaires ou maritimes, plans, cartes, écrits, documents ou
renseignements (...)".
C'est à la veille de la guerre que le
décret-loi du
29 juillet
1939
osa une audacieuse novation en se proposant de
définir
des
"secrets de la défense nationale".
Ce
texte avait classé les renseignements à protéger en quatre
catégories, la première d'entre elles comportant ainsi
"les
renseignements d'ordre militaire, diplomatique, économique ou industriel
qui, par leur nature, ne doivent être connus que des personnes
qualifiées pour les détenir et doivent, dans
l'intérêt de la défense nationale, être tenus secrets
à toute autre personne".
Malheureusement, l'énumération contenue dans ce texte, qui se
voulait la plus exhaustive possible présentait, inévitablement,
des lacunes. Certaines divulgations d'informations sensibles
échappèrent ainsi à la répression, alors que dans
le même temps certaines révélations, en fait anodines,
étaient susceptibles d'entraîner de graves sanctions.
Enfin, la diversification des informations à protéger et leur
complexité croissante compte tenu des évolutions technologiques
rendaient en fait impossible toute définition correcte du champ relevant
du secret de la défense nationale.
C'est ainsi que
l'ordonnance du 4 juin 1960
relative aux crimes et
délits contre la sûreté de l'Etat, en abrogeant le
décret-loi du 24 juillet 1939, rompit avec toute tentative tendant
à donner une définition matérielle du secret de
défense nationale, pour en privilégier la seule
définition formelle
. Cette ordonnance protégeait
désormais, par les articles 74 et suivants du code pénal, tout
"renseignement, objet, document ou procédé qui doit être
tenu secret dans l'intérêt de la défense nationale".
Ainsi revenait-il, dans les faits, aux autorités de l'Etat
d'apprécier le caractère secret d'une information et d'en tirer
les conséquences.
2. Le secret de la défense nationale dans l'actuel code pénal
La rédaction du
nouveau code pénal
a
été l'occasion de redéfinir et d'élargir la notion
de secret de la défense nationale. Ainsi, deux innovations importantes
furent opérées à cette occasion.
En premier lieu, les enjeux à protéger ont été
élargis
: à la notion de
"crimes et de délits
contre la sûreté de l'Etat"
a été
substituée celle
"d'atteinte aux intérêts fondamentaux
de la nation".
Le secret de la défense nationale -en tout cas la
sanction de sa transgression- ne devient qu'un élément parmi
d'autres, concourant à la préservation de ces
intérêts fondamentaux. Certains analystes ont vu là une
"véritable révolution copernicienne" puisque
"le secret de
défense, cessant d'être le pivot du système de
sécurité de l'Etat, n'est plus qu'un moyen satellite, parmi
d'autres, de la protection des intérêts de la nation"
1(
*
)
De fait, la diversification des menaces contre ces
intérêts fait sortir celles-ci du strict domaine militaire.
Dans le même temps, et c'est la
seconde innovation
, le nouveau
code pénal, en son
article 413-9
, premier alinéa,
renonçant définitivement à toute définition
matérielle du secret, établit désormais un lien entre ce
qui est secret et les mesures de protection destinées à
protéger ces secrets. Ne sont donc considérés comme
relevant du secret de la défense nationale que les
"renseignements,
procédés, objets, documents, données informatisées
ou fichiers intéressant la défense nationale qui ont fait l'objet
de mesures de protection destinées à restreindre leur
diffusion"
(art. 413-9).
Cette classification, opérée par l'administration, peut-elle
être faite par celle-ci sans discrimination ? Non, car le second
alinéa de l'article 413-9 précise que
"peuvent faire l'objet
de telles mesures"
-de protection -
"les renseignements,
procédés (...) dont la divulgation est de nature à nuire
à la défense nationale ou pourrait conduire à la
découverte d'un secret de la défense nationale".
Ainsi
revient-il au juge, le cas échéant, d'apprécier la
validité d'une procédure de protection au regard de ce
critère général.
B. LA PROCÉDURE ADMINISTRATIVE DE PROTECTION D'INFORMATIONS SENSIBLES
La mise en oeuvre pratique, par l'administration, des mesures
de protection d'informations sensibles relève de nombreux textes,
fondés essentiellement sur
l'ordonnance du 7 janvier 1959
portant
organisation générale de la défense. Plus
particulièrement, c'est encore le
décret du 12 mai
1981
, auquel renvoie
l'article R 413-6 du Nouveau code pénal
,
pris en application de l'article L. 413-9 qui constitue le socle
réglementaire en ce qui concerne la fixation des règles de
protection des informations intéressant la Défense nationale et
la sûreté de l'Etat.
Le décret du 12 mai 1981 a formalisé pour la première fois
les conditions de classification d'informations relatives à la
défense nationale qui, jusqu'alors, ne reposaient sur aucun support
écrit. Ce texte a ainsi fixé les principes fondamentaux en la
matière en instituant tout d'abord
trois niveaux de protection :
Très Secret Défense, Secret Défense
et
Confidentiel
Défense,
ensuite en définissant les
règles
d'utilisation
de chaque niveau de protection et les responsabilités
respectives du Premier Ministre et des ministres en la matière.
1. Les niveaux de classification
La mention
Très Secret Défense
est
réservée aux informations
"dont la divulgation est de nature
à nuire à la défense nationale et à la
sûreté de l'Etat et qui concernent les priorités
gouvernementales en matière de défense"
(article 4 du
décret).
La mention
Secret Défense
est réservée aux
informations
"dont la divulgation est de nature à nuire à la
défense nationale et à la sûreté de l'Etat,
notamment, à la capacité des moyens de défense".
La mention
Confidentiel Défense
est réservée aux
"informations qui ne présentent pas en elles-mêmes un
caractère secret mais dont la connaissance, la réunion ou
l'exploitation peuvent conduire à la divulgation d'un secret
intéressant la défense nationale et la sûreté de
l'Etat"
(article 5).
Si les deux premiers niveaux de classification correspondent à des
secrets "par nature", le confidentiel défense relève davantage du
secret "par extension".
Deux conditions doivent être réunies pour toute personne
souhaitant accéder à des informations classifiées à
l'un quelconque de ces trois niveaux : être reconnu comme ayant
"besoin d'en connaître"
dans l'exercice de ses fonctions ou de
sa
mission ; bénéficier d'une décision
d'agrément
ou
d'admission
2(
*
)
délivrée à l'issue d'une
procédure d'habilitation
fixée par le Premier Ministre. Les
fonctionnaires titulaires de l'Etat, sous réserve de leur "besoin d'en
connaître", sont dispensés de la procédure d'habilitation
pour accéder aux information "confidentiel défense",
réserve faite notamment des fonctionnaires du ministère de la
Défense et des militaires de carrière.
Pour être complet, il convient de préciser qu'existe un
quatrième niveau de protection pour des informations qui doivent faire
l'objet d'une
diffusion restreinte
parce que, sans être
secrètes, elles ne doivent cependant pas être rendues publiques,
notamment lorsqu'elles sont confiées à la France par les Etats
étrangers dans le cadre d'accords de sécurité (art. 2 et 6
du décret du 12 mai 1981).
2. Les autorités administratives responsables
C'est au
Premier Ministre
-responsable de la
défense nationale en application de l'article 9 de l'Ordonnance du
7 janvier 1959, qu'il revient de prescrire et de coordonner au niveau
interministériel, les mesures propres à assurer la protection des
secrets et des informations sensibles. Pour seconder le Premier Ministre dans
cette responsabilité, le Secrétaire général de la
Défense nationale (SGDN) a pour mission de proposer, de diffuser, de
faire appliquer et de contrôler les mesures nécessaires à
la protection du secret de la défense nationale. Le SGDN dispose pour ce
faire d'un service de sécurité et de défense. Un membre de
ce service est en outre désigné par le SGDN pour chacune des
classifications spéciales des informations Très Secret
Défense.
Chaque ministre
assure par ailleurs, en vertu de l'article 15 de
l'Ordonnance du 7 janvier 1959, les responsabilités de
défense incombant au département dont il a la charge. Il revient
ainsi à chaque ministre dans le cadre des directives du Premier Ministre
:
- de donner les directives nécessaires concernant les informations
classifiées Secret Défense et Confidentiel Défense,
- d'organiser la protection des informations devant faire l'objet d'une
diffusion restreinte.
A l'exception du Ministre de la Défense, chaque ministre est
assisté par un
haut fonctionnaire de défense
(HFD).
Celui-ci relève directement du Ministre et est notamment responsable de
l'application des dispositions relatives à la sécurité de
défense et à la protection du secret et dispose des moyens en
personnel qui lui sont nécessaires. Le ministre dont il relève
peut lui adjoindre un ou plusieurs fonctionnaires de sécurité de
défense qui lui sont rattachés et qui l'assistent dans ses
missions de sécurité.
Pour sa part, en tant qu'autorité sur l'ensemble des forces et services
des armées et responsable de leur sécurité, le
Ministre
de la Défense
désigne un membre de son cabinet comme
fonctionnaire de sécurité et de défense. Il a par ailleurs
à sa disposition la
Direction de la protection et de la
sécurité de la défense
(DPSD) dont les attributions
concernent notamment la protection du secret.
La compétence et la responsabilité administratives en
matière de secret de la défense nationale ne se limitent pas aux
autorités centrales. Les
autorités civiles et militaires
à tous les niveaux
, dont l'échelon territorial, ayant
reçu délégation du ministre dont elles relèvent,
assurent dans le cadre de leurs attributions, la responsabilité des
mesures de sécurité. Pour ce qui concerne les armées, dans
chaque état-major, corps, établissement ou service, un officier
est désigné comme officier de sécurité.
Enfin, outre la
Délégation générale pour
l'Armement
, qui dispose d'une structure de sécurité qui lui
est propre, en particulier pour les directions contractant pour des
marchés classés, les
entreprises publiques ou privées
titulaires de marchés classés
de défense nationale
doivent désigner, avec l'agrément de l'autorité
contractante, un agent central de sécurité chargé
d'assurer le contrôle permanent des informations couvertes par le secret
de Défense nationale.
C. LES LÉGISLATIONS SPÉCIFIQUES ET LE SECRET DE LA DÉFENSE NATIONALE
Le problème du secret réservé à des informations sensibles susceptibles de relever de la défense nationale irrigue de nombreux domaines de notre législation. Celle-ci se partage à cet égard en deux tendances principales : d'une part une législation de la transparence administrative et des droits du citoyen-usager, d'autre part une législation de la protection particulière offerte à certains secteurs d'activités. De même, à travers la législation relative à l'organisation des pouvoirs publics, le Parlement peut se voir confronté au secret de la défense nationale dans le cadre de ses pouvoirs de contrôle.
1. Les législations de la transparence et des droits du citoyen
Il y a vingt ans, le Parlement a voté les
premières lois de transparence destinées à transformer,
auprès de l'opinion publique, l'image d'une administration opaque et
à promouvoir un véritable droit d'accès des citoyens
à diverses informations qu'une réglementation et une tendance
administrative anciennes entendaient protéger de toute publicité.
Ces législations de la transparence et des droits du citoyen ont permis
des progrès substantiels, concourant ainsi à accroître
l'Etat de droit. Toutes ces législations trouvent cependant, selon des
modalités diverses, une limite dès qu'il s'agit d'informations
relevant du secret de la défense nationale.
-
L'accès aux documents administratifs et le secret de la
défense nationale
La
loi du 17 juillet 1978
"portant diverses mesures
d'amélioration des relations entre l'administration et le public et
diverses dispositions d'ordre administratif"
précise que
"les
documents administratifs sont de plein droit communicables aux personnes qui en
font la demande",
à cette réserve toutefois que
"les
administrations peuvent refuser de laisser consulter ou de communiquer un
document administratif dont la consultation ou la communication porterait
atteinte (...) au secret de la défense nationale".
La même loi a créé la
Commission d'accès aux
documents administratifs
(CADA), autorité administrative
indépendante chargée de veiller au respect de la liberté
d'accès aux documents administratifs. Cette commission joue un double
rôle : elle
émet un avis
sur les demandes de particuliers
confrontés à un refus par l'administration, de communication d'un
document ; elle
conseille les administrations
qui la saisissent sur
telle ou telle disposition de la loi et ces mêmes administrations lui
soumettent des projets d'arrêtés concernant les documents qui, du
fait de leur nature ou de leur objet, ne peuvent être légalement
communiqués au public.
La commission n'a été que rarement confrontée à des
refus de communication de documents sur la base du secret de la défense
nationale. Lorsqu'elle l'a été -quelque 6 fois en 15 ans- la
Commission a toujours considéré que le secret avait
été valablement opposé par l'administration au demandeur
et a, à chaque fois, rendu elle-même un avis défavorable
à la communication du document en question. Il est par ailleurs
intéressant de relever que la loi n'a pas donné aux membres de la
CADA les mêmes possibilités d'accès au secret
défense que celles qui ont été reconnues à certains
membres de la CNIL ou à ceux de la Commission Nationale de
Contrôle des Interceptions de Sécurité (CNCIS).
- L'accès aux fichiers informatiques
La
loi du 6 janvier 1978
"relative à l'informatique, aux
fichiers et aux libertés", est destinée à protéger
l'inscription et l'utilisation des informations nominatives figurant dans des
fichiers informatisés. La loi a également créé,
pour assurer son application, une
Commission Nationale de l'Informatique et
des Libertés
(CNIL), "autorité administrative
indépendante" dont les compétences sont considérables.
Compte tenu de sa mission, la Commission dispose notamment de larges pouvoirs
d'investigation sur les conditions dans lesquelles sont collectées et
utilisées certaines informations et sur le contenu de ces
dernières. S'agissant des éventuelles limites liées au
secret de la Défense nationale, l'article 39 de la loi dispose qu'
"en
ce qui concerne les traitements intéressant la sûreté de
l'Etat, la défense et la sécurité publique, la demande est
adressée à la CNIL qui désigne l'un de ses membres
appartenant ou ayant appartenu au Conseil d'Etat, à la Cour de Cassation
ou à la Cour des Comptes pour mener à bien toutes investigations
utiles et faire procéder aux modifications nécessaires".
Ainsi, contrairement à ce qui est prévu pour la CADA, un membre
de la CNIL se voit reconnaître la
possibilité d'accéder
directement aux informations classifiées
nécessaires à
l'accomplissement des missions de la CNIL. Une procédure comparable est
appliquée à la Commission Nationale de Contrôle des
Interceptions de Sécurité (CNCIS).
- Les écoutes téléphoniques et le secret de la
défense nationale
La
loi du 10 juillet 1991
relative au
Secret des correspondances
émises par la voie des télécommunications
a
réglementé les écoutes téléphoniques. Elle a
créé une
Commission nationale de contrôle des
interceptions de sécurité
pour veiller à sa bonne
application (CNCIS). Ces écoutes téléphoniques, distinctes
des interceptions décidées par l'autorité judiciaire et
placées sous son contrôle, peuvent être autorisées
par le Premier Ministre en vue de
"rechercher des renseignements
intéressant la sécurité nationale, la sauvegarde des
éléments essentiels du potentiel scientifique et
économique de la France, ou la prévention du terrorisme, de la
criminalité et de la délinquance organisées et de la
reconstitution ou du maintien de groupements dissous"
. La loi donne
à la CNCIS le pouvoir de procéder au contrôle des
interceptions, de sa propre initiative ou sur réclamation de toute
personne y ayant un intérêt direct et personnel. Le cas
échéant, il peut revenir à cette commission d'adresser au
Premier Ministre une
"recommandation tendant à ce que
(une
interception)
soit interrompue",
si sa mise en place ne réunit
pas les conditions posées par le législateur.
Les membres de cette Commission, qui de par la loi est conduite à
recevoir communication de toutes les demandes d'interception -par
hypothèse classifiées-, peuvent donc
accéder
directement à de telles informations
nécessaires à
l'accomplissement de leur mission. La loi (article 13) les soumet d'ailleurs en
conséquence au respect du secret de la défense nationale.
Le projet de loi qui nous est soumis entend établir un lien personnel
-par l'intermédiaire d'une présidence commune- entre cette
Commission et celle du secret de la défense nationale. Votre rapporteur
évoquera cette question dans le cadre de l'examen des articles du projet
de loi.
- L'accès aux archives publiques
L'accès aux archives publiques a été organisé par
la
loi du 3 janvier 1979
. Celle-ci prévoit un
délai de 30 ans
à l'expiration duquel les archives
peuvent être consultées librement. Toutefois, le
délai
est de 60 ans
pour
"les documents qui contiennent des informations
mettant en cause la vie privée ou intéressant la
sûreté de l'Etat ou la défense nationale (...)".
- La motivation des actes administratifs
La
loi du 11 juillet 1979
obligeant l'administration à
motiver certaines décisions administratives défavorables a
été modifiée par la loi du 17 janvier 1986 afin de
préciser que
"doivent être motivées les décisions
qui (...) refusent une autorisation sauf lorsque la communication des motifs
pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des
secrets ou intérêts protégés par les dispositions
(...) de la loi du 17 juillet 1978"
(accès aux documents
administratifs) portant diverses mesures d'amélioration des relations
entre l'administration et le public.
2. Les compétences du Parlement face au secret de la Défense nationale
La création par chacune des deux assemblées de
commissions d'enquête
est l'occasion pour les parlementaires de
"recueillir des éléments d'information, soit sur des faits
déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des
entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à
l'assemblée qui les a créés"
3(
*
)
.
Les
rapporteurs de telles commissions exercent
leur contrôle sur pièces et sur place, et tous les renseignements
nécessaires à leur mission doivent leur être fournis, de
même qu'ils peuvent se faire communiquer tous documents de service :
"à l'exception de ceux revêtant un caractère secret et
concernant la défense nationale, les affaires étrangères,
la sécurité intérieure ou extérieure de l'Etat
(...)
".
Ces pouvoirs d'investigation particuliers, limités cependant pour le
secret défense, reconnus par l'article 6 de l'ordonnance du
17 novembre 1958, ont été récemment étendus
aux
commissions permanentes et commissions spéciales
dans le
cadre des auditions qu'elles peuvent mener et dans les enquêtes qu'elles
peuvent conduire
"pour une mission déterminée et une
durée n'excédant pas 6 mois"
4(
*
)
.
Ce même pouvoir est également reconnu, pour une durée
n'excédant pas six mois, à la délégation
parlementaire, commune à l'Assemblée Nationale et au
Sénat, dénommée
Office parlementaire
d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
. De
même,
l'Office parlementaire d'évaluation des politiques
publiques
5(
*
)
, commun à
l'Assemblée nationale et au Sénat, bénéficie des
pouvoirs reconnus aux commissions d'enquête avec les mêmes limites
:
"l'office reçoit communication de tous renseignements d'ordre
administratif et financier
(...)
, est habilité à se faire
communiquer tous documents de service
(...)
réserve faite
(...)
des sujets de caractère secret concernant la défense
nationale, les affaires étrangères, la sécurité
intérieure ou extérieure de l'Etat
(...)
Enfin,
les rapporteurs du budget
d'un département
ministériel doivent pouvoir recevoir
"tous les renseignements d'ordre
financier et administratif de nature à faciliter leur mission, ainsi que
tous documents de service",
mais
"réserve faite
(...)
des
sujets de caractère secret concernant la défense nationale, les
affaires étrangères, la sécurité intérieure
ou extérieure de l'Etat
(...)
6(
*
)
.
3. Les législations spécifiques de protection du secret défense
Celles-ci concernent trois secteurs particuliers : la
construction, l'urbanisme et l'environnement.
Nombreuses sont en effet les opérations immobilières ou
d'urbanisme qui doivent, de par la loi, faire l'objet d'une enquête
publique préalable. La législation a cependant prévu des
limites à cette publicité lorsqu'il s'agit d'opérations
liées à des
installations de défense
.
Ainsi, le
code de l'expropriation
prescrit-il normalement une
enquête avant la déclaration préalable d'utilité
publique. Cependant, son article L. 11-3 dispose que
"par dérogation
(...), les opérations secrètes intéressant la
défense nationale peuvent être déclarées
d'utilité publique par décret, sans enquête
préalable, sur avis conforme d'une commission."
Cette
Commission
d'examen des opérations immobilières présentant un
caractère secret
7(
*
)
,
créée en 1987 auprès du Premier ministre, a donc pour
mission d'examiner l'intérêt public de
"l'opération
secrète".
De même, la loi du 12 juillet 1983 relative à la
démocratisation des enquêtes publiques et à la
protection de l'environnement
impose une enquête publique
préalable à la réalisation d'ouvrages et de travaux. Son
article 2 dispose cependant que "
le déroulement de
l'enquête doit s'effectuer dans le respect du secret de la défense
nationale, du secret industriel et de tout secret protégé par la
loi."
Ainsi sont exemptés d'enquête publique, en application du
décret du 5 juillet 1985 :
· les aménagements, ouvrages ou travaux portant sur les centres
de transmission et de fabrication de matériels militaires et de
munitions, les entrepôts de réserve générale, les
dépôts de munitions, les bases de fusées, les stations
radiogoniométriques et les centres radioélectriques de
surveillance ;
· les aménagements, ouvrages ou travaux qui doivent être
exécutés à l'intérieur des arsenaux de la marine,
des aérodromes militaires et des grands camps ;
· les aménagements, ouvrages ou travaux dont le caractère
secret a été reconnu par décision de portée
générale ou particulière du Premier ministre ou du
ministre compétent ;
· l'approbation, la modification ou la révision d'un document
d'urbanisme, lorsque cette approbation, cette modification ou cette
révision a pour objet exclusif de permettre la réalisation d'une
opération entrant dans le champ d'application des trois paragraphes
ci-dessus.
Sont par ailleurs exemptés du
permis de construire
les
constructions ou travaux couverts par le secret de la défense nationale,
de même que
"certaines constructions ou travaux relatifs à la
défense nationale"
(article L. 422-1 du code de l'urbanisme).
Enfin, les procédures de contrôle a priori, effectuées
par les polices administratives spéciales du
droit de
l'environnement
sur les sources potentielles de pollution prennent en
compte le risque de divulgation éventuelle d'informations
classifiées -ainsi des installations relevant du Ministre de la
défense et inscrites sur une liste limitative, où les
procédures normales de contrôle ne peuvent être conduites
que par des inspecteurs relevant du ministère et habilités secret
défense.
Les
marchés publics
concernant la défense font par
ailleurs l'objet de procédures particulières. Le recours à
un "marché négocié, qui n'est possible que dans un nombre
limité de cas, comprend notamment
"les travaux, fournitures ou
services décidés comme étant secrets ou dont
l'exécution doit s'accompagner de mesures particulières de
sécurité lorsque la protection de l'intérêt
supérieur de l'Etat l'exige."
(article 104 du code des
marchés publics). La transparence des procédures de marché
est par ailleurs atténuée pour les opérations liées
à la défense : dans ces hypothèses, les obligations de
publicité et de mise en concurrence ne sont pas applicables.
II. LE JUGE ET LE SECRET DE LA DÉFENSE NATIONALE
A. UN CONTRÔLE GLOBALEMENT TRÈS ENCADRÉ
1. Les confrontations du juge au secret défense : des occasions rares mais à fort retentissement médiatique
La
juridiction administrative
a rarement l'occasion
d'être confrontée au secret de la défense nationale dans le
cadre d'un recours pour excès de pouvoir exercé contre une
décision administrative. L'Etat l'invoque cependant parfois dans un tel
contexte, ce qui a permis au Conseil d'Etat d'élaborer une jurisprudence
d'équilibre entre le nécessaire pouvoir d'appréciation du
juge d'une part et l'inaccessibilité à l'information
classifiée d'autre part. Cette jurisprudence a été
formalisée dans un arrêt du Conseil d'Etat,
Secrétaire
d'Etat à la guerre C/Coulon (CE1955)
où le commissaire du
gouvernement estimait que
"le juge administratif a la faculté de
convier l'autorité responsable à lui fournir toutes indications
susceptibles de lui permettre, sans porter aucune atteinte directe ou
indirecte, aux secrets garantis par la loi, de se prononcer en pleine
connaissance de cause ; qu'il lui appartient, dans le cas où un refus
serait opposé à une telle demande, de joindre cet
élément de décision, en vue du jugement à rendre,
à l'ensemble des pièces fournies par le dossier".
Cette position de principe, précisée ultérieurement par
deux avis du Conseil d'Etat tend ainsi à établir un
équilibre entre le contrôle indispensable à la formation de
la conviction du juge d'une part, et le principe de préservation du
caractère secret du document ou de l'information protégée
d'autre part.
C'est d'ailleurs cette position médiane que le Conseil d'Etat adopte
lorsqu'il est appelé, par delà la CADA, à se prononcer
dans le cadre d'un recours lié au refus de communication par
l'administration d'un document administratif.
Mais ce sont les cas de confrontation entre le
juge judiciaire
d'une
part et l'opposition qui lui est parfois faite, en cours d'instruction, du
secret de la Défense Nationale par l'autorité administrative
d'autre part qui sont le plus présents dans les esprits. De fait, chaque
affaire de cette nature se voit accorder une place médiatique
importante, alors même que ce type d'événement, sur une
longue durée, est finalement relativement rare. Ainsi est-il aujourd'hui
possible de recenser, sur quelque 30 ans, les principales affaires suivantes :
celle des micros du Canard Enchaîné en 1975, du "vrai-faux
passeport" de M. Chalier, des ventes d'armes de la société
Luchaire, l'arrestation des "Irlandais de Vincennes" et les écoutes de
la cellule anti-terroriste de l'Elysée.
Ce type d'affaires est cependant loin de résumer les rapports du juge
judiciaire avec le Secret de la Défense nationale. Le
premier
rôle du juge judiciaire à cet égard est de sanctionner les
éventuels manquements à sa protection
. L'absence de
définition matérielle du secret de la défense a d'ailleurs
permis au juge de se donner les moyens d'apprécier la validité
d'une classification dans les affaires -espionnage en particulier- où un
secret était divulgué ou faisait l'objet d'une tentative de
divulgation. Avant de décider, le juge demande ainsi à
l'administration de lui donner son avis sur le caractère secret ou non
des renseignements ou des informations en cause. Cet avis ne lie d'ailleurs pas
le juge qui peut apprécier librement -sur la base de l'article 413-9 du
nouveau code pénal- le caractère secret ou non du document ou de
l'information en question sans pour autant pouvoir y accéder
directement. Si le tribunal estime qu'il y a eu divulgation d'un secret, la
condamnation qu'il prononce n'a pas à être motivée
autrement que par la seule appréciation du caractère secret du
document divulgué.
En réalité, le pouvoir réel d'appréciation du juge
(administratif ou judiciaire) sur la validité d'une classification d'un
document en secret défense est l'objet d'un équilibre subtil.
Le pouvoir du juge s'appuie en particulier sur une jurisprudence
théorisée par le
Conseil d'Etat dans deux avis des
19 juillet et 29 août 1974
, d'où il ressort que :
- quiconque est détenteur d'un secret-défense ne peut le
divulguer. Cette obligation doit être opposée même à
une juridiction (administrative ou d'ailleurs judiciaire) ;
- c'est à l'autorité responsable qu'il appartient de
décider des communications à faire et de désigner, le cas
échéant, les personnes qui répondent aux convocations en
justice ;
- quand la juridiction se trouve placée devant un refus de communication
ou de témoignage, elle peut s'assurer auprès du ministre
compétent, de la légitimité de ce refus. Dans le cas
où ledit refus est confirmé, elle en prend acte et statue ce que
de droit.
2. Un contrôle limité
Ce principe général connaît cependant deux
applications différentes selon que le juge -judiciaire- a à
connaître d'une
violation et d'une divulgation du secret
, ou que
ce même juge se voit
opposer au cours de son instruction le secret
défense par l'autorité
responsable pour lui refuser la
production d'une pièce ou la communication d'une information, cas des
diverses affaires largement médiatisées.
Dans le premier cas
, la jurisprudence reconnaît au juge une
liberté d'appréciation sur le caractère secret du
document, dans la suite logique de l'arrêt
Secrétaire d'Etat
à la guerre c/Coulon (CE 1955)
. Le juge, pour fonder son
appréciation, requiert l'avis de l'autorité responsable de la
classification qui lui présente les arguments qui justifient la
classification. Le juge peut suivre ou ne pas suivre cet avis, estimer
éventuellement que le caractère secret n'était pas
justifié et fonder sa décision finale sur cette
appréciation. La rédaction de l'article 413-9 du nouveau code
pénal invite au demeurant le juge à vérifier si la
divulgation de l'information couverte par le secret
"est de nature à
nuire à la défense nationale ou pourrait conduire à la
découverte d'un secret de la défense nationale".
Dans la deuxième hypothèse
où un juge peut se voir
opposer le secret de la défense nationale dans le cours de son
instruction par l'autorité responsable, le pouvoir d'appréciation
du juge est singulièrement réduit, voire inexistant, puisqu'il ne
lui est guère possible que de pendre acte du refus qui lui est
opposé.
C'est notamment cette contradiction entre les pouvoirs d'appréciation du
juge et son éventuelle capacité à accéder,
même indirectement, au secret selon qu'il s'agit d'un cas de violation du
secret ou d'une demande par le juge de la communication d'une information
classifiée, qu'entend résoudre le présent projet de loi,
en investissant une autorité administrative indépendante du soin
de donner un avis sur la déclassification éventuelle d'un
document,
quelle que soit la nature de l'affaire faisant l'objet de la
procédure judiciaire
.
B. LES JURIDICTIONS INTERNATIONALES RECONNAISSENT LE PRINCIPE DU SECRET DE LA DÉFENSE NATIONALE
Les principales juridictions internationales : Cour européenne des droits de l'Homme, Cour de justice des Communautés européennes, Cour internationale de Justice, prévoient, dans leur statut, les hypothèses où elles seraient appelées à juger des affaires impliquant la mise en oeuvre, par un Etat partie à un litige, du secret défense. Chacune de ces juridictions reconnaît le droit, pour tout Etat, d'exercer une protection particulière pour certaines informations liées à sa sécurité et la possibilité de se voir opposer par ledit Etat la règle du secret, opposition dont la juridiction se bornerait alors à "prendre acte".
1. La Cour européenne des droits de l'homme
L'article 10 de la Convention européenne des droits de
l'homme du 4 novembre 1950 prévoit la possibilité de
restreindre la liberté de recevoir ou de communiquer des informations
"
qui constituent des mesures nécessaires, dans une
société démocratique, à la sécurité
nationale
(...)
pour empêcher la divulgation d'informations
confidentielles."
Dans sa jurisprudence, la Cour n'a jamais sanctionné ou contesté
la validité de tels dispositifs de protection, ni
considéré qu'ils constituaient une entrave à la
liberté de communication.
2. La Cour de justice des Communautés européennes
L'article 223 du Traité de Rome prévoit,
à ses deuxième et troisième alinéas, que :
"a) aucun Etat membre n'est tenu de fournir des renseignements dont il
estimerait la divulgation contraire aux intérêts essentiels de sa
sécurité".
Il laisse par ailleurs, dans ce contexte, toute latitude à chaque Etat
pour adopter, en la matière, le dispositif qu'il estime le plus
approprié :
"b) Tout Etat membre peut prendre les mesures qu'il estime
nécessaires à la protection des intérêts essentiels
de sa sécurité et qui se rapportent à la production ou au
commerce d'armes, de munitions et de matériel de guerre"
(...).
L'article 21 du statut de la CJCE tire les conséquences de l'article 223
du Traité en stipulant que "
La Cour peut demander aux parties de
produire tous documents et de fournir toutes informations qu'elle estime
désirables. En cas de refus, elle en prend acte."
Cela étant, compte tenu de la rareté de la jurisprudence de la
Cour en ce domaine, la Cour n'a pas eu l'occasion de développer une
théorie sur le secret défense ni sur la notion
"d'intérêts essentiels de sécurité
, qui
puisse donner une indication sur l'appréciation, large ou restrictive,
qu'elle porte sur ce thème.
3. La Cour internationale de Justice
L'article 49 du statut de la Cour internationale de justice
prévoit que
"La Cour peut, même avant tout débat,
demander aux agents de produire tout document et de fournir toutes
explications. En cas de refus, elle en prend acte."
La jurisprudence de la Cour a consisté à faire une stricte
application de ce principe, dans le cas de différends complexes entre
deux Etats ; affaire du détroit de Corfou entre la Grande-Bretagne et
l'Albanie (1949) ou, plus récemment, litige opposant les Etats-Unis au
Nicaragua (1986). Dans ces deux cas, la Cour se borna en effet à prendre
acte du refus qui lui était opposé de communiquer certains
documents.
C. L'OBJET DU PROJET DE LOI : LA CRÉATION D'UNE COMMISSION DU SECRET DE LA DÉFENSE NATIONALE ENTRE LE JUGE ET L'AUTORITÉ RESPONSABLE DU SECRET
1. L'autorité administrative indépendante : un outil administratif privilégié de régulation des pouvoirs
Les autorités administratives indépendantes se
sont multipliées depuis la fin des années 1970, lorsque furent
créées les plus connues d'entre elles, en particulier la CNIL et
la CADA en 1978. La CNCIS, créée en 1991, tient, pour sa part,
une place particulière dans le dispositif du présent projet de
loi.
Les autorités administratives indépendantes, qualifiées ou
non comme telles dans leur texte fondateur, interviennent aujourd'hui dans
trois domaines principaux : la lutte contre une certaine rigidité
bureaucratique la défense du citoyen-usager ; la régulation de
l'économie de marché, enfin l'information et la communication.
Ces instances tiennent aujourd'hui une place importante dans la vie
administrative. Comme le relève Mme Marie-José Guédon
8(
*
)
, elles incarnent
"un Etat arbitre,
subtil
composé de "gendarme" et de conciliateur incitateur,
dont
l'intervention
"a pour but de favoriser l'instauration d'un équilibre
dans l'exercice des activités et des libertés, sans un recours
systématique à l'encadrement rigide par la norme
contraignante."
Nombreux sont les juristes qui se sont essayés à définir
succinctement ce que pouvait être une autorité administrative
indépendante. Exercice difficile, la conjonction même de ces trois
mots posant problème : comment démontrer
l'indépendance
lorsque le pouvoir politique selon diverses
modalités, joue un rôle plus ou moins marqué dans le
processus de nomination des membres de ces autorités ? Peut-on par
ailleurs qualifier
d'autorité
certaines de ces instances
auxquelles -comme pour la Commission dont la création est
proposée par le présent projet de loi- n'est reconnu qu'un
pouvoir consultatif ? Comme le préconise M. Michel Gentot
9(
*
)
,
"c'est (...) une définition large de
l'"autorité" qu'il convient de retenir, intégrant des organismes
qui ont des responsabilités dans un processus administratif de
décision ou de contrôle, en exerçant un pouvoir d'influence
ou une magistrature morale,
(...)". Enfin c'est essentiellement par
défaut qu'elles se voient qualifiées
"d'administrative
",
n'étant
"ni un démembrement
du pouvoir législatif ni un mode d'expression de l'autorité
judiciaire"
10(
*
)
.
Votre rapporteur s'en remettra au même auteur pour ce qui est de la
définition, à son avis la plus appropriée et la plus
claire, de ce type d'autorité : ce sont
"des organismes publics non
juridictionnels et dépourvus de la personnalité morale qui ont
reçu de la loi la mission d'assurer la régulation de secteurs
sensibles, de veiller au respect de certains droits des administrés et
sont dotés de garanties statutaires et de pouvoirs leur permettant
d'exercer leurs fonctions sans être soumis à l'emprise du
gouvernement"
11(
*
)
.
Enfin le Conseil d'Etat
12(
*
)
a
précisé la
"quadruple capacité"
de ces
"magistratures d'influence",
appelées à jouer un
"rôle de médiation aux frontières de la transparence et
du secret pour que soit rendu à l'une et à l'autre ce qui leur
reviennent" :
- intervenir à titre consultatif préalablement à des
décisions de l'autorité administrative ou pour élucider,
à la demande de celle-ci ou d'autres parties, des questions
formulées en termes généraux ;
- instruire les plaintes des usagers ;
- s'interposer entre les usagers et l'autorité compétente dans le
cas où certaines exigences (secret défense, secret de la
sécurité publique, secret de la vie et des activités
privées) conduisent à limiter le droit d'accès à
certaines informations ;
- présenter enfin des rapports qui, rendus publics, permettent à
l'opinion de prendre la mesure de l'évolution des pratiques dans les
domaines où elles sont compétentes.
2. Une instance chargée de préserver l'équilibre de la transparence et du secret
Si, comme il vient d'être rappelé, les
autorités administratives indépendantes, notamment la CADA ou la
CNIL, incarnent principalement le souci de transparence, en s'efforçant
de lui concilier le respect d'intérêts publics essentiels, aucune
instance de cette nature n'avait jusqu'alors reçu la
responsabilité principale du secret de la défense nationale.
Celle-ci reste étroitement cantonnée à la sphère
administrative et protégée par elle -y compris à
l'égard du juge. C'est donc précisément l'objet du
présent projet de loi d'instituer une instance nouvelle destinée
à exercer cette
"fonction d'expertise et de veille
spécialisée"
dans ce domaine sensible du secret de la
défense nationale.
Cette proposition n'est pas complètement nouvelle. Dans son rapport
précité, pour l'année 1995, le Conseil d'Etat, concluant
une analyse approfondie sur la transparence et le secret, préconisait le
"recours à une autorité indépendante
médiatrice",
singulièrement s'agissant du secret de la
défense nationale
"où toutes sortes de considérations
(...) militent en faveur d'une innovation propre à attester et de la
confiance de la République dans la légitimité des
pratiques généralement suivies en la matière, et de la
détermination de ses choix démocratiques".
Plus
précisément encore, le Conseil d'Etat préconisait la
création d'une Commission
"comportant un nombre très
limité de membres (3 à 5) et jouant le rôle que joue le
membre de la CNIL désigné à titre personnel pour
satisfaire à la règle d'accès indirect aux données
couvertes par le secret défense".
Ce rôle, poursuivait alors
un Conseil d'Etat fort ambitieux, s'exercerait
"quelles que soient les
circonstances où se trouve posé un problème touchant
au secret défense,
y compris en cas de litige devant la
juridiction administrative ou judiciaire.
Le Conseil concluait qu'une telle
innovation
"constituerait un pas décisif vers l'élimination
d'un "angle mort" des dispositifs de régulation des institutions et
vers
la suppression d'un des derniers bastions de l'autocontrôle de
l'Administration par elle-même".
III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ETRANGÈRES, DE LA DÉFENSE ET DES FORCES ARMÉES ET L'EXAMEN DES ARTICLES DU PROJET DE LOI
A. LA POSITION GÉNÉRALE DE VOTRE COMMISSION
La création d'une instance consultative chargée
d'apprécier le bien-fondé de la classification d'une information
au regard de la demande d'une juridiction peut être un
élément utile de clarification dans le débat qui met
parfois aux prises deux impératifs également légitimes :
celui du secret de la défense d'une part, celui de la recherche de la
vérité par le juge d'autre part.
Dans cette logique, la création de la nouvelle instance de
médiation, qui sera exclusivement chargée d'apprécier et
de donner un avis sur la validité d'une classification d'information au
titre du secret de la défense nationale est une solution satisfaisante.
La création de cette nouvelle autorité administrative
indépendante, comme celle des autres instances de même nature
créées dans les années récentes dans d'autres
secteurs de la vie publique, procède cependant d'une double
démarche de défiance : défiance à l'égard de
l'autorité politique d'une part, défiance à l'égard
de l'appareil administratif traditionnel d'autre part.
Ceci posé, on reconnaîtra que le fonctionnement de ces
"magistratures morales", leur composition, permettent, grâce à la
rigueur et à l'indépendance de ceux qui les animent, de
répondre dans de bonnes conditions aux missions dont le
législateur les a investies.
Votre commission souhaite cependant apporter au texte, tel qu'il a
été modifié par l'Assemblée nationale, les
principales modifications suivantes :
-
Première modification
:
permettre à une commission
d'enquête parlementaire
à l'instar d'une juridiction
française, de bénéficier de la procédure d'avis de
la commission consultative du secret de la défense nationale.
Pour votre commission, il est opportun de saisir l'occasion du présent
projet de loi pour adapter une des modalités d'exercice du pouvoir de
contrôle du Parlement. Celui-ci peut se heurter, notamment dans le cadre
d'une commission d'enquête, au secret de la défense nationale, ce
qui empêche bien évidemment le Parlement de recueillir tous les
éléments d'information nécessaires à ses
investigations. Cette disposition présenterait plusieurs avantages. Tout
en participant au renforcement du rôle du Parlement, son incidence n'en
bouleverserait pas pour autant l'équilibre institutionnel : l'opposition
par l'exécutif du secret de la défense nationale restera
évidemment toujours possible. Mais cette opposition se fera après
une prise en compte argumentée et équilibrée des
intérêts et des enjeux en présence, tant par la commission
consultative que par l'autorité administrative à laquelle il
appartiendra de trancher.
-
La deuxième modification
préconisée par votre
commission concernera le
principe de la présidence de la future
commission
dont le projet de loi prévoit qu'elle sera commune "de
droit" à celle de la commission nationale de contrôle des
interceptions de sécurité (CNCIS).
Toute loi ayant pour objectif de s'inscrire dans la durée, il ne
paraît
pas opportun de prévoir dans le texte un tel principe.
En effet, ces deux instances
, bien qu'évoluant chacune dans le cadre
du secret de la défense nationale, ont des compétences et un
rôle distincts, ce qui justifie d'ailleurs la création de la
nouvelle commission. Cela étant, la possibilité d'une
présidence commune ne serait pas exclue s'il apparaissait opportun,
notamment pour le démarrage de la future commission, de recourir
à une personnalité ayant acquis une expérience
particulière dans le domaine de secret de la défense nationale.
- La
troisième modification
a pour objet de
simplifier le
dispositif de saisine
, tout en confortant la logique de transparence qu'il
permet : au principe d'une saisine automatique de la commission consultative
à la suite de la demande d'un juge ou du rapporteur d'une commission
d'enquête, votre commission a préféré
limiter la
saisine -qui demeurerait obligatoire dans ce cas- à l'hypothèse
où l'autorité de classification, ayant un doute sur la conduite
à tenir, ne serait pas en mesure de déclassifier
immédiatement l'information demandée
. A contrario, la
possibilité pour l'autorité administrative de déclassifier
directement l'information demandée sans passer par la procédure
consultative permettra tout à la fois de répondre au besoin du
juge et d'accélérer sensiblement la procédure qu'il
conduit.
- Une autre
modification
préconisée par votre commission
concerne les
conditions dans lesquelles le sens de l'avis de la commission
sera rendu public
.
Dans sa rédaction actuelle, le projet de loi prévoit que le sens
de cet avis, favorable ou non à une déclassification, serait
publié
au moment où la commission remet son avis
à
l'autorité en charge de la classification,
soit quelque quinze jours
avant la décision finale de ladite autorité
.
Il n'est pas de bonne procédure, aux yeux de votre commission, de
laisser une autorité, en fait un ministre, en situation de prendre une
décision par hypothèse sensible dans un contexte en quelque sorte
"pré-dramatisé" par la publication de l'avis.
Votre commission préconisera donc d'attendre que la décision
administrative soit prise et notifiée au demandeur (juge ou commission
parlementaire) pour publier, simultanément, le sens de l'avis.
B. L'EXAMEN DES ARTICLES DU PROJET DE LOI
Article premier -
La création d'une nouvelle
autorité administrative indépendante :
la Commission
consultative du secret de la défense nationale
1. Le dispositif proposé
Comme votre rapporteur l'a déjà indiqué, l'objet du projet
de loi est la création d'une instance d'intermédiation entre
d'une part une
juridiction française
désireuse
d'accéder à un document classifié et d'autre part
l'
autorité administrative
qui a procédé à la
classification du document ou de l'information au titre du secret de la
défense nationale.
Cette commission, qualifiée explicitement d'
autorité
administrative
indépendante,
verra son rôle
limité à une seule
compétence consultative
: elle
donnera un avis à l'autorité administrative qui l'aura saisie
à la suite de la demande d'une juridiction française, sur
l'opportunité, ou non, de déclassifier une information.
L'autorité administrative restera libre de suivre, ou non, cet avis.
- Les juridictions qui pourront être -via l'autorité
administrative de classification- à l'origine de la saisine de la
commission seront celles de l'ordre judiciaire et administratif, y compris la
Cour des comptes, puisque en tant qu'instance d'appel des jugements des
chambres régionales des comptes, ses propres jugements peuvent relever
du Conseil d'Etat en cassation.
- Sont exclues les juridictions étrangères pour lesquelles la
voie de la coopération judiciaire bilatérale reste
privilégiée, ainsi que les juridictions internationales (CJCE,
CIJ, CEDH, ...).
Au delà des informations dont le support est matériel, il y a
celles dont une personne est détentrice du fait par exemple de sa
participation à une opération ou de ses activités dans le
domaine de la défense. La déclassification conduit donc dans ce
cas l'autorité responsable de la classification à lever, pour
cette personne, l'obligation de secret à laquelle elle est soumise. Il
semble également clair que toute décision de
déclassification -et de communication- s'appliquera
erga omnes
et non à la seule juridiction à l'origine de la demande.
L'avis de la commission portera sur la déclassification et la
communication du document, celle-ci supposant celle-là. Le dispositif
proposé
exclut en effet la possibilité
pour la Commission
de considérer que
sans être déclassifié
-et
dès lors accessible à tout public- le document ou l'information
en question pourrait néanmoins faire l'objet d'une
communication au
seul juge
demandeur, dans l'intérêt du bon déroulement
de la procédure en cours.
Une telle possibilité se voit opposer principalement les arguments
suivants :
- la règle du débat contradictoire imposerait que toutes les
parties à la procédure bénéficient, elles aussi, de
la communication de l'information, qui ne pourrait plus, dès lors,
être connue du seul juge ;
- l'accès direct du juge à l'information nécessiterait une
procédure d'habilitation particulière et une décision
d'agrément, son "besoin d'en connaître" ne faisant en
l'espèce guère de doute.
L'absence de "troisième voie" entre déclassification d'une part
et maintien de la classification d'autre part, bien qu'atténuée
par la possibilité d'une déclassification partielle, est
néanmoins regrettable dans la mesure où elle peut
inciter la
commission à ne pas déclassifier ni donc communiquer à
quiconque une information dont le juge seul aurait pourtant pu avoir
connaissance, facilitant ainsi pour lui la recherche de la
vérité
.
Cette possibilité de déclassification de l'information, et de sa
communication, qui en est le corollaire, sera par ailleurs limitée aux
informations dont la classification relève des
seules
autorités nationales françaises compétentes.
En effet,
certaines informations peuvent intéresser d'autres pays dans le cadre,
notamment, d'organisations telles que l' OTAN, l'UEO ou Euratom. C'est
pourquoi, afin de renforcer l'assise réglementaire de ces
classifications conjointes, un arrêté du 25 février 1994
établit une correspondance entre les catégories de
classifications françaises d'une part et les mentions
équivalentes de l'OTAN, de l'UEO et d'Euratom d'autre part.
Il ressort clairement de cette assimilation que tout document classifié
relevant d'une de ces organisations est automatiquement considéré
comme faisant partie des secrets de défense protégés par
les articles 413-9 et suivants du code pénal.
Le tableau ci-dessous schématise ces correspondances.
Organisations
France |
OTAN |
UEO |
EURATOM |
Très Secret-Défense |
Très Secret Cosmic
|
Très Secret Focal
|
Très Secret Atomal
|
Secret -Défense |
Secret OTAN
|
Secret UEO
|
Secret Atomal
|
Confidentiel Defense |
Confidentiel OTAN |
Confidentiel UEO |
Confidentiel Atomal |
Diffusion restreinte |
Diffusion restreinte OTAN - Nato Restrict ed |
Diffusion restreinte UEO Wev Restricted |
Diffusion restreinte Atomal Atomal Resctricted |
Article 2 -
La composition de la Commission
Cet article précise la composition de la Commission qui
comprend 5 membres :
- Son président est "de droit" celui de la CNCIS ; ce dernier est
actuellement M. Dieudonné Mandelkern, Conseiller d'Etat, nommé
par le Président de la République pour une durée de
6 ans à la tête de la CNCIS en octobre 1997 ;
- Deux autres "personnalités qualifiées" sont nommées par
le Président de la République sur une liste de 6 membres du
Conseil d'Etat, de la Cour de Cassation et de la Cour des Comptes,
établie conjointement par le Vice-Président du Conseil d'Etat, le
premier président de la Cour de Cassation et celui de la Cour des
Comptes ;
- Enfin, l'Assemblée Nationale a opportunément prévu la
présence de deux parlementaires dans cette commission : un
député désigné pour la durée de la
législature par le président de l'Assemblée nationale et
un sénateur désigné par le président du
Sénat après chaque renouvellement partiel.
Pour votre rapporteur, la présence de parlementaires au sein de la
Commission du secret de la défense nationale, aux côtés de
magistrats, loin de priver cette nouvelle instance de son autorité ou de
son indépendance, symbolisera au contraire un équilibre entre les
trois pouvoirs impliqués dans le fonctionnement de cette commission :
d'une part l'exécutif qu'elle conseille, d'autre part le judiciaire et
le législatif qui peuvent être tous deux -conformément
à la proposition de votre rapporteur- à l'origine de sa saisine,
dans le cadre du bon exercice soit des missions de la justice, soit du pouvoir
de contrôle du Parlement. Au surplus il semble légitime que des
représentants élus de la nation soient présents dans une
telle instance, qui aura à débattre de ses intérêts
fondamentaux.
Le
premier amendement proposé par votre commission à cet
article
concerne la
présidence commune
à la future
commission consultative du Secret et à l'actuelle CNCIS.
Il ne paraît pas souhaitable d'inscrire formellement un tel principe dans
une loi qui par nature s'inscrit dans la durée. En effet, même si
les deux commissions exercent toutes deux leurs compétences dans le
champ du secret de la défense nationale, leurs domaines respectifs et
leurs missions ne se recouvrent que partiellement, c'est d'ailleurs
précisément ce qui justifie la création d'une instance
nouvelle.
La rédaction de l'amendement permet également de remplacer le
terme de "personnalités qualifiées" par celui de "membres".
L'expression de personnalités qualifiées utilisée dans les
dispositions légales concernant la composition d'autres autorités
administratives indépendantes est en effet généralement
liée à des compétences techniques particulières :
informaticiens à la CNIL, experts financiers à la COB, etc...
Un
deuxième amendement
à cet article 2, à
caractère rédactionnel, tend à supprimer le membre de
phrase "
la commission comprend au surplus
". L'énumération
des différentes catégories de membres de la Commission y gagnera
en clarté.
Enfin, un
troisième amendement rédactionnel
tend à
substituer l'expression "
membres non parlementaires
", à celle
de
"
personnalités qualifiées
", en cohérence avec la
nouvelle rédaction du deuxième alinéa de l'article.
Les autres dispositions du projet de loi concernant les
spécificités du mandat des membres de la Commission sont
traditionnelles et tendent notamment à garantir leur indépendance
et leur impartialité :
- mandat non renouvelable,
- durée de 6 ans du mandat des magistrats de la commission ;
- le mandat d'un membre de la Commission ne peut être interrompu que dans
deux cas : démission, ou empêchement constaté par la
Commission ;
- enfin, par dérogation à la règle du non-renouvellement,
le remplaçant d'un membre dont le mandat a été
interrompu
moins de deux ans
avant son terme normal peut être
renouvelé comme membre de la commission. Symétriquement, si le
remplacement intervient
plus de deux ans
avant le terme normal du mandat
du membre démissionnaire ou empêché, le remplaçant
n'est nommé que pour la durée du mandat restant à courir.
Article 3 -
Les moyens de fonctionnement de la
Commission
A l'instar de ce qui est prévu pour la
quasi-totalité des autres autorités administratives
indépendantes, cet article prévoit l'inscription, au budget des
services du Premier ministre, des crédits nécessaires au
fonctionnement de la nouvelle instance, et précise que son
président sera, comme il est de tradition, ordonnateur des
dépenses de la Commission. De même lui reviendra-t-il de nommer
les agents de la Commission.
En réalité, il semble que tant les crédits que l'effectif
des personnels nécessaires au bon fonctionnement de la Commission seront
modestes. Sans doute les membres de la Commission seront-ils assistés de
quelques agents publics -magistrats-, détachés de leur
administration d'origine. Cela étant, il ne faut pas sous-estimer la
quantité des dossiers qu'elle aura à traiter. On peut penser que
les affaires "médiatiques" seront rares. Plus sûrement en revanche
lui seront soumis les contentieux individuels liés à la
contestation, devant les juridictions, de décisions refusant une
habilitation au secret de la défense nationale et dont le juge, saisi
par l'intéressé, souhaitera connaître les motivations
administratives, toujours classifiées.
Article 4 -
Saisine de la Commission
Cet article précise la procédure conduisant
à la saisine de la Commission du Secret de la défense nationale.
Il en ressort que :
- toute
"demande d'accès à des informations
classifiées",
formulée par une juridiction française,
entraînera
automatiquement saisine de la Commission par
l'autorité administrative responsable de la classification
.
C'est notamment le sens de l'expression
"sans délai",
qui
au-delà de la notion de promptitude qu'elle contient, signifie bien que
l'autorité responsable de la classification aura
"compétence
liée"
pour saisir la Commission du secret de la défense ;
- la juridiction française ne pourra formuler sa demande que dans le
cadre d'une procédure engagée devant elle et devra motiver sa
demande. Cela étant, nulle appréciation de la validité des
motifs ne pourra être portée par l'autorité administrative
puisque, comme votre rapporteur vient de l'indiquer, celle-ci
devra
en
tout état de cause saisir la commission.
Votre commission propose un
amendement
tendant à une
nouvelle
rédaction de l'article
et destinée à préciser
les éléments suivants :
- Il s'agit tout d'abord de remplacer l'expression
"accès à
des informations classifiées"
par la notion de
"déclassification"
laquelle entraînerait bien sûr la
"communication"
de cette information, expression qui est
d'ailleurs
conforme à l'article premier du projet. En effet, il est exclu pour le
juge, dans l'économie du projet de loi,
de pouvoir accéder
à des informations classifiées
. Le juge demandera et tentera
d'obtenir une déclassification d'informations et donc leur
communication. Tel qu'il est rédigé et votre rapporteur a
d'ailleurs évoqué ce point en commentant l'article premier, le
juge obtiendra, ou non, la déclassification, mais
ne pourra en tout
état de cause avoir accès à des informations qui
resteraient classifiées.
- La nouvelle rédaction proposée permet également, par
cohérence avec la disposition votée précédemment,
d'intégrer la possibilité d'une demande émanant d'une
commission parlementaire
.
- En troisième lieu et surtout, votre commission souhaite
apporter
plus de souplesse au dispositif proposé
: le projet, en instituant
une saisine automatique, exclut en effet l'hypothèse où
l'autorité en charge de la classification pourrait considérer,
après avoir examiné attentivement la demande motivée,
qu'elle est
en mesure de répondre d'emblée favorablement
à la demande
du juge ou d'une commission parlementaire -notamment si
la classification relève du niveau confidentiel défense-, sans
passer par la longue procédure de consultation de la commission. C'est
pourquoi la nouvelle rédaction ne réserve la saisine de la
commission par l'autorité administrative que dans le cas où
celle-ci a un
doute sur l'opportunité de la
déclassification
, ce qui justifierait alors pleinement -et sans
délai-, le recours à la commission.
Il en résultera tout à la fois un
gain de temps
, toujours
précieux dans une procédure judiciaire, et une
simplification
de la procédure de déclassification.
Article 5 -
Les pouvoirs des membres de la
Commission
Comme le souligne l'exposé des motifs du projet de loi,
cet article entend accorder au
seul président de la Commission des
pouvoirs spécifiques d'investigation
, précisant que les
autres membres de cette instance sont "
autorisés à
connaître de toute information classifiée dans le cadre de leur
mission
". Par ailleurs, tous les membres de la Commission étant
ainsi habilités "de plein droit", ils sont astreints au respect du
secret de la défense nationale. De même seront-ils,
ipso jure,
soumis aux dispositions de l'article 226-13 du code pénal concernant
le secret professionnel.
Il peut apparaître a priori paradoxal d'établir un distinguo entre
les prérogatives du Président de la Commission d'une part et les
pouvoirs de ses autres membres d'autre part, sachant que tous sont
appelés à décider, collégialement, du sens de
l'avis qu'ils auront à émettre. Cela étant, le dispositif
retenu apparaît
adapté à la nature particulière
de la mission
impartie à la Commission. Le président pourra,
seul, accéder à certaines informations -nominatives par exemple-
ou rencontrer certaines personnes. Ces investigations peuvent le conduire au
coeur d'un dispositif secret, il est donc sage et prudent de ne le
dévoiler qu'à une seule personne plutôt qu'à cinq.
C'est précisément parce que votre commission s'inscrit dans cette
logique qu'elle propose, par un
amendement
à cet article, de
supprimer l'ajout effectué par l'Assemblée nationale
prévoyant que le Président pourrait, dans ses investigations,
se faire assister par un membre de la Commission
. Au demeurant, le choix
du membre par le Président pour l'assister pourrait s'avérer
complexe : magistrat ou parlementaire ? Et lequel parmi chacune de ces
catégories et sur quels critères ? Le retour à la
rédaction originelle de l'article paraît donc plus
approprié.
Il va de soi par ailleurs que les éléments pertinents recueillis
par le président au cours de ses démarches seront soumis par
celui-ci aux autres membres de la Commission afin que celle-ci forge sa
conviction collégiale.
Article 6 -
Les garanties à l'action de la
Commission
Cet article, transposition exacte d'une disposition analogue figurant dans la loi sur les interceptions de sécurité, a pour objet de garantir à la nouvelle autorité administrative indépendante les moyens d'exercer sa mission sans qu'elle risque de se heurter au mauvais vouloir ou à la réticence de quiconque. Aucune sanction n'est explicitement prévue si ce principe venait à être transgressé. Il reste que la commission consultative aurait toute latitude pour évoquer de tels incidents dans le dispositif de son avis.
Article 7 -
L'avis de la Commission
Cet article 7 précise les conditions dans lesquelles la
Commission émet son avis et précise les éléments de
fond que ses membres doivent prendre en compte pour l'élaborer.
- La Commission consultative dispose d'un
délai de deux mois
pour
effectuer les investigations nécessaires et recueillir les informations
de nature à l'aider à élaborer son avis. Par un
premier
amendement
à cet article, votre commission propose de ramener ce
délai à un mois, ce qui devrait néanmoins permettre
à la Commission d'effectuer sérieusement son travail, tout en
réduisant la durée globale de la procédure.
- Pour décider du sens de son avis qui pourra être
favorable,
défavorable ou favorable à une déclassification
partielle
, c'est-à-dire, dans ce dernier cas, préconiser
certaines
occultations de l'information
avant sa
déclassification, la Commission est invitée à prendre en
compte plusieurs éléments de fond :
-
En premier lieu,
l'exercice des missions du service public de la
justice
, puisque son intervention se fait dans le cadre d'une
procédure judiciaire. L'Assemblée nationale a ajouté
à ces missions le respect de la présomption d'innocence et des
droits de la défense.
A ce premier critère que la Commission devra prendre en
considération -le bon fonctionnement de la justice-, un
deuxième amendement
proposé à cet article par votre
commission ajoute, par cohérence avec les modifications proposées
auparavant,
l'exercice du pouvoir de contrôle du Parlement
. Ce
critère, en effet, guidera la réflexion des membres de la
commission lorsqu'elle aura été saisie sur la base de la demande
d'une commission parlementaire.
-
En second lieu
, le projet de loi vise le
"respect des
engagements
internationaux de la France ainsi que la nécessité de
préserver les capacités de défense et la
sécurité des personnels".
Sur ce dernier point, votre commission propose par
ce même
amendement
une
nouvelle rédaction
. Il s'agit de remplacer
l'expression
"respect des engagements internationaux de la France ainsi
que
la nécessité de préserver les capacités de
défense"
(...) par une référence à l'expression
"intérêts fondamentaux de la nation"
consacrés et
définis légalement à l'
article
410-1 du Titre
premier du code pénal
, dans lequel figurent d'ailleurs les
dispositions légales relatives au secret de la défense nationale.
Cette définition prend en compte la notion de respect des engagements
internationaux et de préservation des capacités de
défense, même si la formulation en est différente puisque
l'article 410-1 précise que ces intérêts fondamentaux
s'entendent notamment de sa
"sécurité
(...),
des moyens
de sa défense et de sa diplomatie"
(...).
La référence est également plus large puisqu'elle inclut
des
notions qui ne sont pas exclusivement diplomatiques ou militaires
.
Toutefois, ces intérêts élargis participent
également, dans le contexte d'une défense affrontée
à des menaces multiformes, d'une conception moderne de la
sécurité du pays, entendue globalement.
En revanche, l'amendement préserve la
spécificité du
critère lié à la sécurité des personnels qui
doit en effet faire l'objet, par la Commission, d'une attention
particulière et vigilante
.
Un troisième
amendement
à cet article 7 tend enfin
à en supprimer le dernier alinéa afin de transférer
à l'article 8 les
conditions de la publication du sens de l'avis
émis par la Commission
.
Article 8 -
La décision de l'autorité
administrative
Cet article décrit la dernière étape de
la procédure. Forte de l'avis de la Commission consultative,
l'
autorité administrative prend sa décision
, qui suit ou
ne suit pas le sens de l'avis reçu. L'Assemblée nationale a
opportunément réduit de un mois à quinze jours francs le
délai de réflexion laissé à l'autorité
administrative pour préparer cette décision.
L'
amendement
proposé par votre commission tend à une
nouvelle rédaction de l'article qui permet de définir une
nouvelle procédure de publication du sens de l'avis de la
Commission
.
En effet, le projet de loi prévoit à son article 7, dernier
alinéa, la publication du sens de l'avis au moment où celui-ci
est transmis à l'autorité administrative, soit 15 jours maximum
avant
que celle-ci prenne sa décision finale. Cela signifie que,
compte tenu de la médiatisation presque certaine qui sera faite de
l'avis dans certaines affaires, il est clair que
le ministre ne pourra pas
préparer sa décision dans les conditions de
sérénité pourtant indispensables compte tenu des enjeux en
cause
. C'est pourquoi,
sans revenir sur le principe de la
publication
de l'avis qui constitue un progrès dans la transparence,
l'amendement prévoit :
- d'
assortir du sens de l'avis de la Commission consultative la
décision de l'autorité administrative notifiée au juge
;
- de
publier, une fois cette notification faite, le sens de l'avis au
journal officiel
.
Article 9 -
Dispositions provisoires concernant les
premiers membres de la Commission
Tel que modifié par l'Assemblée nationale,
l'article 9 prévoit un étalement des échéances des
mandats pour les premiers membres de la Commission, ceci afin d'assurer une
continuité dans sa "jurisprudence" qu'une nomination simultanée
et donc un renouvellement global tous les six ans ne permettraient pas.
Bien que le texte de l'article 9 du texte issu de l'Assemblée nationale
ne le précise pas, il ressort du principe de la présidence
commune à la CNCIS et à la Commission consultative -que notre
commission n'a pas retenu- que le mandat de son président prendrait fin
le 30 septembre 2003, l'actuel président de la CNCIS ayant
été nommé le 30 septembre 1997.
- les deux autres premiers membres non parlementaires de la Commission verront
leurs mandats s'achever l'un le 30 septembre 2001, l'autre le 30 septembre
2005, le choix de l'échéance pour chacun d'entre eux s'effectuant
par tirage au sort.
- S'agissant des deux parlementaires, leur mandat est lié
.
pour le député, à la durée de la
législature. Son mandat s'achèverait à la fin du mois de
juin 2002 ;
.
pour le sénateur, au renouvellement partiel de 2001, soit une
échéance à la fin du mois de septembre 2001.
Votre commission n'ayant pas retenu le principe de la présidence commune
de droit
, la rédaction de l'article 9, telle qu'issue des
travaux de l'Assemblée nationale, sous-entend désormais que le
mandat du président aura la durée normale de six ans et que,
nommé lors de la mise en oeuvre de la loi -en tout état de cause
en 1998-, son mandat viendra à échéance en 2004.
Au total l'échelonnement des échéances des mandats des
premiers membres se présentera de la manière suivante :
- deux échéances en 2001 (un membre non parlementaire et le
sénateur)
- une échéance en 2002 (le député)
- une échéance en 2004 (le président)
- une échéance en 2005 (un membre non parlementaire).
Article 10 -
Application de la loi aux Territoires
d'outre-mer et à Mayotte
Cet article prévoit l'applicabilité de la loi aux territoires d'outre-mer et à la collectivité territoriale de Mayotte.
EXAMEN EN COMMISSION
La commission des affaires étrangères, de la
défense et des forces armées du Sénat a
procédé à l'examen du présent rapport au cours de
sa séance du jeudi 5 mars 1998.
A l'issue de l'exposé du rapporteur,
M. Bertrand Delanoë
,
après avoir approuvé la philosophie générale du
rapport présenté par M. Nicolas About, a fait état, pour
le regretter, du vote intervenu au sein de la commission des lois du
Sénat, saisie pour avis sur le projet de loi, et tendant à
supprimer la présence de parlementaires dans la commission consultative
du secret de la défense nationale.
M. Christian de La Malène
, pour sa part, a fait part de son
hostilité au principe même des dispositions contenues dans le
projet de loi, soulignant son opposition à de tels démembrements
de l'autorité de l'Etat.
Puis, la commission a procédé à l'examen des articles du
projet de loi.
A
l'article premier
, portant création de la commission
consultative de la défense nationale, la commission, après un
débat auquel ont participé le rapporteur et
M. Bertrand
Delanoë
, a adopté deux amendements du rapporteur : le premier
ajoute un nouvel alinéa à l'article et tend à permettre
à une commission parlementaire d'enquête, à une commission
permanente ou à une commission spéciale dans le cadre
respectivement des articles 6, 5 bis et 5 ter de l'ordonnance du
17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées
parlementaires, de bénéficier, au même titre qu'une
juridiction française, de la procédure de saisine de la
commission consultative ; le second amendement tire les conséquences de
cet amendement sur la rédaction du premier alinéa de l'article.
La commission a alors adopté
l'article premier
ainsi
modifié.
A
l'article 2
concernant la composition de la commission consultative du
secret de la défense nationale, le rapporteur a tout d'abord
rappelé, pour s'en féliciter, que l'Assemblée nationale
avait rajouté à la composition originelle de trois membres issus
des trois plus hautes juridictions (Conseil d'Etat, Cour de Cassation, Cour des
Comptes) la présence de deux parlementaires, un député et
un sénateur. Puis la commission a examiné un amendement du
rapporteur tendant à ne pas faire figurer dans la loi le principe d'une
présidence commune de droit à la nouvelle commission et à
la commission nationale de contrôle des interceptions de
sécurité.
M. Bertrand Delanoë
s'est
déclaré en accord avec la proposition du rapporteur,
considérant toutefois qu'il devait rester possible de désigner
dans les faits ,le cas échéant, un président commun.
Après que le rapporteur eut précisé que l'amendement
n'empêcherait pas un tel cas de figure, la commission a adopté
l'amendement proposé.
La commission a ensuite adopté deux amendements rédactionnels :
l'un supprimant le troisième alinéa de l'article et l'autre
substituant l'expression "membres non parlementaires" à celle de
"personnalités qualifiées".
La commission a alors adopté
l'article 2
ainsi modifié.
Après avoir adopté
l'article 3
, la commission a
examiné
l'article 4
concernant la procédure de saisine de
la commission consultative. La commission a examiné un amendement du
rapporteur proposant une nouvelle rédaction de l'article 4 qui
permettrait :
- de substituer l'expression "déclassification et communication"
à celle d'"accès à des informations classifiées",
non conforme à l'esprit du texte,
- d'adjoindre, par cohérence avec la modification adoptée
à l'article premier, la référence à une "commission
parlementaire",
- et de prévoir un assouplissement de la procédure en permettant
à l'autorité administrative, si elle le juge pertinent, de
répondre d'emblée favorablement à la demande du juge ou
d'une commission parlementaire ; à défaut d'une telle
réponse, l'autorité administrative saisirait sans délai la
commission consultative.
M. Bertrand Delanoë
a estimé que cette dernière
proposition, si elle présentait un intérêt pratique,
risquerait d'amoindrir le rôle de la commission consultative.
Après que le rapporteur eût fait observer que la procédure
proposée permettrait de gagner du temps et d'éviter de saisir la
commission consultative des dossiers qui ne le justifieraient pas, la
commission a adopté l'amendement puis a adopté
l'article 4
ainsi modifié.
A
l'article 5
qui définit les pouvoirs des membres de la
commission consultative, la commission a adopté un amendement du
rapporteur, approuvé par
M. Bertrand Delanoë
, tendant
à supprimer la disposition introduite par l'Assemblée nationale
prévoyant que le président de la commission consultative pourrait
se faire assister, dans le cadre de ses investigations, d'un membre de la
commission.
La commission a alors adopté
l'article 5
ainsi modifié
ainsi que
l'article 6
relatif aux garanties apportées à
l'action de la commission.
La commission a examiné, à
l'article 7
concernant les
conditions dans lesquelles la commission rendra son avis, trois amendements du
rapporteur :
- la commission a adopté un premier amendement tendant à
réduire de deux à un mois le délai laissé à
la commission pour conduire ses travaux.
M. Bertrand Delanoë
a
toutefois estimé que le délai de deux mois pourrait, dans
certains cas, être nécessaire à la commission pour
effectuer un travail sérieux ;
- un deuxième amendement a été adopté, introduisant
d'une part, par coordination, la référence au pouvoir de
contrôle du Parlement dans les critères à prendre en compte
par la commission consultative, d'autre part une référence
légale aux "intérêts fondamentaux de la nation" tels que
définis à l'article 410-1 du code pénal ;
- un troisième amendement a été adopté, supprimant
le dernier alinéa de l'article, afin de transférer à
l'article 8 les dispositions relatives à la publication du sens de
l'avis de la commission consultative du secret de la défense nationale.
La commission a alors adopté
l'article 7
ainsi modifié.
A
l'article 8
détaillant la procédure de décision
de l'autorité administrative, la commission a adopté un
amendement tendant à ce que la publication du sens de l'avis de la
commission consultative ne soit pas antérieur mais concomitant à
la décision de l'autorité administrative, afin de lui laisser la
sérénité nécessaire.
La commission a adopté
l'article 8
ainsi modifié, ainsi
que les
articles 9 et 10
du projet de loi.
Après que
M. Christian de La Malène
eut
réitéré, à titre personnel, son opposition au
principe même de ce texte, au motif qu'il traduisait une crainte des
responsabilités et le souhait de s'en remettre à des organismes
ad hoc, la commission a alors
adopté l'ensemble du projet de loi
ainsi modifié
.
ANNEXE 1
LE SECRET DE LA DEFENSE NATIONALE
DEVANT LE
JUGE :
LA SITUATION AUX ETATS-UNIS ET LES EXEMPLES ALLEMAND, ESPAGNOL,
ITALIEN ET BRITANNIQUE 13(
*
)
Le projet de loi instituant une
commission du secret de la
défense nationale
, déposé à l'Assemblée
nationale le 17 décembre 1997, prévoit la création
d'une
autorité administrative indépendante
, amenée
à se prononcer, à la demande des tribunaux, lorsque le secret de
la défense nationale est invoqué dans une procédure
judiciaire.
L'exposé des motifs du projet indique que : "
La création
d'une autorité administrative indépendante apportera la garantie
publique aux justiciables et aux juges, et plus généralement aux
citoyens, que le secret-défense est invoqué à bon
escient.
"
D'après l'article premier du projet de loi, la commission sera en effet
"
chargée de donner un avis sur la déclassification et la
communication, à la demande d'une juridiction française,
d'informations ayant fait l'objet d'une classification en application des
dispositions de l'article 413-9 du code pénal relatives au secret de la
défense nationale, à l'exclusion des informations dont les
règles de classification ne relèvent pas des seules
autorités françaises
".
Un tel projet amène naturellement à s'interroger sur l'existence
de procédures analogues chez nos principaux voisins européens,
l'
Allemagne
, l'
Espagne
, l'
Italie
et le
Royaume-Uni
,
ainsi qu'aux
Etats-Unis
.
Pour chacun des pays étudiés, on a donc cherché à
savoir s'il existait une notion équivalente au " secret de la
défense nationale " français, comment ce secret était
défini, et dans quelle mesure il pouvait être invoqué
devant les tribunaux.
Si le caractère secret de certaines informations est explicitement
reconnu dans tous les pays étudiés,
le bien-fondé du
refus de communication de ces informations à l'occasion de
procédures judiciaires est généralement
contrôlé par les tribunaux
. C'est en effet le cas dans tous
les pays étudiés sauf l'Italie, où il appartient au
Président du conseil de confirmer le secret et d'en informer le
Parlement.
Plus précisément, il apparaît que :
- les juges anglais et américains reconnaissent à
l'administration un large privilège de rétention, mais ils en
contrôlent l'utilisation ;
- le Tribunal suprême espagnol a fait prévaloir en 1997
l'intérêt de la justice sur la sécurité de l'Etat,
et l'avant-projet de loi sur les secrets officiels reprend ce principe ;
- en Allemagne et en Italie, la loi prévoit le mode de résolution
des conflits relatifs à l'invocation du secret devant les juridictions.
1) Tout en reconnaissant à l'administration un certain privilège
de rétention, les juges anglais et américains en contrôlent
l'application
.
a) La justification du privilège
Au Royaume-Uni, ce privilège trouve son origine dans la doctrine de
"
l'intérêt public
", dérivée d'une
prérogative initialement réservée à la Couronne.
Cette règle permet à l'une des parties à un procès
de renoncer à produire des éléments si
" l'intérêt public " l'exige. Un ministre peut donc
signer un " certificat d'immunité au nom de l'intérêt
public " lorsqu'il ne souhaite pas que certaines informations soient
rendues publiques à l'occasion d'une procédure judiciaire.
Aux Etats-Unis, le droit à la rétention de certaines informations
se fonde, d'une part, sur le
privilège de l'exécutif
et,
d'autre part, sur la
coutume du secret d'Etat
.
Le privilège de l'exécutif est une prérogative
présidentielle issue du principe de séparation des pouvoirs. Il a
été reconnu par la Cour suprême en 1974 à l'occasion
du
Watergate.
Il justifie que, dans des domaines qui relèvent de
la compétence exclusive de l'exécutif, la protection des
informations confidentielles n'appartienne qu'au Président. La coutume
du secret d'Etat, dégagée par la jurisprudence, permet à
l'administration fédérale de refuser de communiquer un document
relatif à une affaire en cours au nom de l'intérêt de la
défense nationale et de la politique étrangère.
Le domaine couvert par la coutume du secret d'Etat apparaît dans
l'ensemble identique à celui du privilège de l'exécutif.
Le premier peut cependant être plus facilement invoqué par les
principaux responsables de l'exécutif car il ne requiert pas
l'intervention directe du Président.
b) Le contrôle des tribunaux
Au Royaume-Uni comme aux Etats-Unis, lorsque le secret est invoqué,
il revient aux juges du fond d'arbitrer entre deux types d'intérêt
public, la raison d'Etat et la justice.
Au Royaume-Uni, la jurisprudence estime depuis 1968 que les ministres ne sont
plus les seuls juges de l'intérêt public et qu'il appartient au
tribunal d'arbitrer entre l'intérêt public mis en avant par le
ministre et celui de la justice. Depuis quelques années, il est admis
que le second l'emporte, sauf dans les cas où la diffusion de
l'information peut causer un " tort substantiel ", ce qui,
selon les
tribunaux, est évidemment le cas en matière de défense, de
sécurité nationale ou de secrets diplomatiques. Dans la logique
de cette jurisprudence, le gouvernement a, à la suite de l'affaire
Matrix Churchill relative à l'exportation illégale d'armes vers
l'Irak, modifié sa position sur les " certificats d'immunité
au nom de l'intérêt public ". Il a annoncé à la
fin de l'année 1996 que les ministres ne pouvaient demander
l'immunité que lorsque la diffusion des documents confidentiels risquait
de causer un " réel tort ".
Aux Etats-Unis, la jurisprudence reconnaît à la coutume du secret
d'Etat et au privilège de l'exécutif une portée absolue
dans les matières touchant à la sécurité de l'Etat,
ce qui empêche le juge d'apprécier la validité de
l'invocation du privilège. En revanche, dans les autres domaines, le
juge s'autorise à examiner les documents et à apprécier le
bien-fondé de l'invocation du secret. Ainsi, dans l'affaire du
Watergate
, le refus présidentiel de communiquer certaines
informations n'a pas été considéré comme
justifié par les intérêts de la sécurité
nationale, et les nécessités de la justice pénale l'ont
emporté.
2) Le Tribunal suprême espagnol a affirmé en 1997 la
supériorité du droit à la protection de la justice sur le
principe de sécurité de l'Etat, et l'avant-projet de loi sur les
secrets officiels reprend ce principe
.
En Espagne, le Tribunal suprême a eu l'occasion pour la première
fois en 1997 de se prononcer sur le contrôle judiciaire des documents
secrets.
Lors de l'instruction de plusieurs procès impliquant l'activité
des groupes anti-terroristes de libération (GAL), la résolution
d'une question préjudicielle l'a en effet amené à se
prononcer sur le refus du conseil des ministres de déclassifier certains
documents secrets. Il a alors affirmé la supériorité du
droit à la protection réelle de la justice, que la constitution
reconnaît à tout citoyen, sur le principe de
sécurité de l'Etat.
L'avant-projet de loi sur les secrets officiels prévoit d'introduire ce
principe dans la législation. En effet, les juges auraient la
possibilité de demander au conseil des ministres la
déclassification de certaines informations. De plus, les juges et les
parties au procès pourraient soumettre la décision du conseil des
ministres à la juridiction administrative suprême sans que la
décision de cette dernière soit susceptible de recours.
3) En Allemagne et en Italie, la loi prévoit le mode de
résolution des conflits relatifs à l'invocation du secret devant
les juridictions
.
Le
code allemand des juridictions administratives
prévoit
explicitement que certaines informations puissent ne pas être
communiquées lorsque ceci risque de nuire au "
bien de la
Fédération
ou d'un Land ".
Il énonce par
ailleurs que le tribunal du fond se prononce, à la demande de l'une des
parties, sur le refus opposé par l'administration.
En
matière pénale
, la solution retenue est comparable. En
effet, comme le tribunal a l'obligation d'étendre l'instruction à
tous les éléments décisifs pour la recherche de la
vérité, il peut contrôler les décisions
ministérielles de refus de communication de certaines informations.
Lorsque ces décisions lui semblent arbitraires ou dénuées
de tout fondement, il peut passer outre et réquisitionner les documents
dont il a besoin. Dans les autres cas, il est lié par la décision
de l'administration, mais la partie à qui l'opposition du secret porte
préjudice peut saisir la juridiction administrative.
En
Italie
, c'est le
nouveau code de procédure
pénale
, entré en vigueur en 1989, qui indique comment
résoudre les conflits entre les nécessités du secret et
celles de la justice. Tout juge qui se voit opposer le " secret
d'Etat " peut en informer le Président du conseil et lui demander
la confirmation du secret. Lorsque le Président du conseil confirme le
secret, il doit en informer le Parlement.
En Italie cependant, le " secret d'Etat " continue
d'entraver le
déroulement de plusieurs procédures auxquelles l'ancien code de
procédure pénale s'applique parce qu'elles ont commencé
avant l'entrée en vigueur du nouveau code.
* *
*
Parmi les pays étudiés, l'Italie est le seul qui
n'ait pas confié aux tribunaux le soin de contrôler le
bien-fondé de la rétention de certaines informations
secrètes à l'occasion de procédures judiciaires.
L'Espagne, confrontée peu ou prou en même temps au même
problème que la France, a choisi, comme la France, de
légiférer. Toutefois, elle semble avoir choisi, comme la plupart
des autres pays, le contrôle judiciaire. La commission française
du secret de la défense nationale constituera donc une institution
originale.
ANNEXE 2
AUDITIONS DE LA COMMISSION
La commission des affaires étrangères, de la
défense et des forces armées a procédé, le mercredi
11 février 1998, à des auditions sur le projet de loi instituant
une commission du secret de la défense nationale.
Elle a d'abord entendu Mme Isabelle Renouard, secrétaire
générale de la défense nationale (SGDN),
accompagnée de M. Jean-Michel Roulet, préfet, et de
M. Emmanuel Glaser, maître des requêtes au Conseil d'Etat.
Mme Isabelle Renouard, a exposé le rôle et les compétences
du secrétariat général de la défense nationale
concernant le secret de la défense nationale. Sur la base de l'article
413-9 du nouveau code pénal, qui fixe le cadre légal de
protection du secret de la défense nationale, c'est encore, a
précisé Mme Isabelle Renouard, le décret du 12 mai 1981
qui précise les conditions de l'organisation et de la protection des
secrets et des informations concernant la défense nationale et la
sûreté de l'Etat. Ce texte détermine trois niveaux de
classification : "très secret défense" dont la
responsabilité incombe au Premier ministre, "secret défense" et
"confidentiel défense" dont la responsabilité relève de
chaque ministre et de ses services. Ce même décret de 1981
précise également les modalités d'habilitation de
certaines personnes à accéder à des informations
protégées en fonction notamment du "besoin d'en connaître"
qui leur est reconnu pour l'exercice de leurs missions. Une instruction
générale a en outre été élaborée en
1982 par le secrétariat général de la défense
nationale pour assurer la mise en oeuvre de la législation et de la
réglementation relatives au secret de la défense nationale.
Mme Isabelle Renouard a également précisé que le
secrétariat général de la défense nationale, dans
les relations avec les Etats étrangers, assurait un double rôle :
l'organisation des mesures de sécurité concernant les
échanges d'informations classifiées avec notamment l'Union de
l'Europe Occidentale (UEO) et l'Organisation du traité de l'Atlantique
Nord (OTAN), et la participation aux négociations d'accords
bilatéraux concernant des échanges de documentation
protégée.
Un débat s'est ensuite engagé avec les commissaires.
M. Nicolas About, rapporteur, a interrogé la secrétaire
générale de la défense nationale sur les points suivants :
l'éventuelle modification des textes réglementant le secret de la
défense nationale, les conditions dans lesquelles l'autorité
administrative pourrait présenter ses arguments à la commission
consultative saisie, à la demande d'une juridiction, en vue de la
déclassification éventuelle d'une information ; les raisons
justifiant le choix d'un délai de deux mois laissé à la
commission pour élaborer son avis ; le nombre d'affaires judiciaires
susceptibles d'entrer dans le champ d'application du nouveau projet de loi.
M. Xavier de Villepin, président, s'est interrogé sur
l'éventuel excès de classification, notamment dans le domaine du
"confidentiel défense".
M. Michel Caldaguès s'est dit intéressé par une
définition précise de la notion d'"autorité administrative
indépendante", qui constituait à ses yeux, pour l'administration
traditionnelle, une façon de se défausser de ses
responsabilités.
M. Jacques Habert a souhaité obtenir des précisions sur le
rôle de la commission nationale de contrôle des interceptions de
sécurité (CNCIS), ainsi que sur la notion d' "autorité
administrative indépendante" et sur la composition de la future
commission du secret de la défense nationale.
Mme Isabelle Renouard et MM. Jean-Michel Roulet et Emmanuel Glaser ont alors
apporté aux commissaires les précisions suivantes :
- il n'est pas prévu de modifier les règles de classification
existantes concernant le secret de la défense nationale. En revanche, il
est envisagé de préciser les conditions d'échanges
d'informations classées "très secrètes" avec nos
partenaires de l'Alliance atlantique ;
- la pratique permettra de préciser les conditions dans lesquelles
l'administration présentera ses propres arguments dans le cadre des
travaux de la future commission ; les modalités évoquées
par le sénateur About seraient sans doute toutes deux utilisées :
rédaction d'un mémoire explicatif, ou argumentation soumise au
président de la commission dans le cadre de ses pouvoirs d'investigation
;
- le délai de deux mois retenu pour laisser à la commission le
temps d'élaborer son avis peut être considéré comme
un délai raisonnable, compte tenu des investigations à conduire
et des échanges d'informations sans doute nécessaires ;
- les affaires susceptibles d'entrer dans le champ de la future
procédure ne sont pas très nombreuses ; sans doute l'existence de
la nouvelle législation pourrait-elle être l'occasion de les voir
se développer ;
- s'il est possible d'identifier, ici et là, une certaine
surclassification dans le domaine du "confidentiel défense", on ne
peut
pas véritablement parler de dysfonctionnement des modalités de
classification ;
- malgré l'existence de la nouvelle autorité administrative
indépendante, la responsabilité de la déclassification de
documents protégés continuera naturellement d'être
exercée par l'autorité qui en est aujourd'hui chargée ;
- si la multiplication des autorités administratives
indépendantes a pu faire l'objet, même de la part du Conseil
d'Etat, de certaines critiques, en ce qu'elles peuvent constituer des
démembrements administratifs, ces nouvelles instances n'en tiennent pas
moins aujourd'hui un rôle important, particulièrement dans le
domaine des libertés publiques ;
- c'est une loi de juillet 1991 qui a créé la commission
nationale de contrôle des interceptions de sécurité
(CNCIS), chargée de surveiller et de régir leur utilisation.
Après avoir indiqué à MM. Nicolas About, rapporteur, et
M. Xavier de Villepin, président, que la présence ou non de
parlementaires au sein de la future commission relevait de
l'appréciation du pouvoir politique, Mme Isabelle Renouard a alors
apporté à MM. Jean Clouet et Jacques Habert les
précisions suivantes :
- la voix prépondérante reconnue au président de la
commission évite qu'en cas de partage égal des voix, notamment en
cas d'absence d'un de ses membres, aucune décision ne puisse être
prise ;
- le projet de loi prévoit la nomination, par le seul Président
de la République, des trois magistrats membres de la commission ; cette
disposition, préparée par le Gouvernement, a reçu, lors de
sa présentation en Conseil des ministres, l'agrément du
Président et du Premier ministre.
Enfin, la commission a procédé à l'audition de M. Bertrand
Warusfel, maître de conférences à l'Université Paris
V-René Descartes, secrétaire général du centre de
recherches "Droit et défense".
M. Bertrand Warusfel a tout d'abord commenté la notion de secret de la
défense, qui a été substantiellement modifiée dans
le nouveau code pénal entré en vigueur en 1994. Il a notamment
remarqué qu'en vertu du premier alinéa de l'article 413-9 du code
pénal, un lien a été pour la première fois
établi entre la notion de secret et les classifications
opérées par l'autorité administrative, un document n'ayant
pas été classifié ne pouvant relever du secret de la
défense. Il a estimé que, dans ces conditions, la pratique de
l'administration, qui a recours ou non à la classification, est
déterminante pour la définition du secret de la défense.
Il a cependant précisé que dans son second alinéa,
l'article 413-9 du code pénal ouvrait la voie à un certain
contrôle juridictionnel de l'opportunité de la classification,
dans la mesure où cet alinéa lie la classification d'une
information au risque que sa divulgation ferait courir à la
défense nationale.
S'agissant du contrôle par les juridictions de la pertinence du secret de
la défense, M. Bertrand Warusfel a distingué le cas dans lequel
le juge doit statuer sur une violation du secret de la défense et le cas
dans lequel il se voit opposer ce secret par l'administration, notamment au
cours d'une instruction. Il a précisé que, dans le premier cas,
c'est-à-dire lorsque le litige porte sur une violation du secret, bien
que le juge ait -en principe- un pouvoir souverain d'appréciation du
secret, l'administration ne s'estime pas obligée de fournir
l'information classifiée au juge et se contente de lui faire
connaître son avis sur l'opportunité de la classification. Dans le
second cas, en ce qui concerne l'opposition du secret de la défense
à un juge, par exemple lors d'une instruction, M. Bertrand Warusfel a
cité une décision de la Cour de cassation de 1956, ainsi que des
décisions de la chambre d'accusation de Paris, qui reconnaissent
à l'administration le droit d'opposer le secret de la défense ;
mais ces décisions, à l'exception de celle de la chambre
d'accusation de Paris du 27 mai 1987 (affaire Chalier) laissent au juge la
faculté d'apprécier, indépendamment de la position du
Gouvernement, si la mesure d'instruction qu'il envisage serait susceptible ou
non de porter atteinte au secret de la défense. Il a toutefois
considéré que ces décisions laissaient en pratique peu de
marge au contrôle du juge qui s'avérait en conséquence
difficile.
M. Bertrand Warusfel a ensuite évoqué le projet de loi instituant
une commission du secret de la défense nationale qui, selon lui,
comporte de nombreux éléments positifs permettant de renforcer la
légitimité de l'utilisation du secret de la défense, tels
que la création d'un organe de contrôle spécifique, le
caractère obligatoire de la saisine de la commission dès lors
qu'une juridiction a saisi l'autorité adminisrative, et la
publicité donnée au sens des avis qu'elle émettra. Il a
rappelé que la Cour européenne des droits de l'homme avait
légitimé l'usage d'un système de classification tout en
estimant que ce système devait être contrôlé, soit
par un organisme indépendant, soit par un organisme parlementaire.
M. Bertrand Warusfel a ensuite constaté que le projet de loi contient
un certain nombre d'imprécisions qui soulèvent plusieurs
questions : la commission émettant un avis sur la
déclassification et la communication des documents, doit-on
considérer qu'elle ne peut proposer que la communication d'un document
après déclassification, ce qui serait restrictif ? Quelles
sanctions seront appliquées aux autorités ou agents publics qui
s'opposeraient à l'action de la commission ? Les juridictions se
verront-elles notifier l'intégralité de l'avis de la commission
ou seulement le sens de ce dernier ?
Il a par ailleurs considéré que le projet de loi pouvait appeler
des critiques sur plusieurs points importants :
- la composition de la commission, dont on comprend mal pourquoi elle se limite
à des magistrats et n'est pas ouverte soit à des parlementaires,
soit à des experts extérieurs ou à des
représentants de corps de contrôle de l'administration,
- la présidence de la commission, qui est confiée au
président de la commission nationale de contrôle des interceptions
de sécurité, ce qui pourrait conduire à un conflit
d'intérêts évident lorsqu'une juridiction se heurte au
secret opposé par cette dernière,
- le mode de saisine complexe, qui pourrait être remplacé par une
saisine directe de la commission par les juridictions,
- l'absence de possibilité de saisine pour avis de la commission, hors
de toute action contentieuse, par exemple préalablement à la
publication de documents susceptibles de concerner le secret de la
défense,
- le risque de voir la saisine de la commission se limiter aux cas dans
lesquels le secret sera opposé à une juridiction, au cours d'une
instruction par exemple, ce qui exclurait les litiges portant sur la violation
du secret de la défense.
En conclusion, M. Bertand Warusfel a estimé que le dispositif
prévu par le projet de loi constituerait vraisemblablement une
étape transitoire, en l'attente de l'instauration d'un véritable
droit d'accès juridictionnel au secret de la défense.
M. Nicolas About, rapporteur, a déclaré partager certaines des
appréciations de M. Bertrand Warusfel, notamment en ce qui concerne la
composition de la commission et sa présidence. Il s'est
déclaré réservé sur l'extension de la saisine de la
commission. Il a souhaité obtenir des précisions sur les demandes
d'accès à des documents classifiés formulées par
des juridictions internationales ou européennes et sur la notion de
secret des affaires étrangères.
M. Michel Caldaguès s'est déclaré totalement opposé
à l'instauration d'un contrôle juridictionnel du secret de la
défense qui ne pourrait, à ses yeux, qu'accentuer la tentation
d'un "gouvernement des juges".
M. Xavier de Villepin, président, s'est demandé si la
publicité donnée au sens de l'avis de la commission ne
constituerait pas une pression excessive sur l'autorité politique. Il a
demandé des précisions sur la notion d'avis "favorable sous
certaines réserves", figurant dans le projet de loi.
En réponse à ces différentes interventions, M. Bertrand
Warusfel a apporté les précisions suivantes :
- il est important que la commission puisse intervenir aussi bien lorsque le
secret est opposé au juge au cours d'une instruction que lorsque le
litige porte sur une violation du secret de la défense,
- les gouvernements peuvent opposer le secret de la défense et, plus
généralement, les intérêts supérieurs de
l'Etat, aux juridictions internationales ou européennes,
- le secret des affaires étrangères est traditionnellement inclus
en France dans la notion de secret de la défense nationale,
- il serait possible d'envisager des mécanismes permettant devant les
juridictions de n'apporter qu'une atteinte limitée au principe du
débat contradictoire, tout en évitant la divulgation d'un secret
de la défense, dans le cadre d'une procédure confidentielle,
- la publicité donnée au sens de l'avis émis par la
commission constitue un élément central du dispositif du projet
de loi,
- enfin, les réserves accompagnant un avis favorable pourraient, par
exemple, porter sur la nécessité de ne déclassifier que
partiellement le document concerné ou de prendre les mesures de
sécurité appropriées pour transmettre ce document à
une juridiction sans en compromettre la confidentialité.
ANNEXE 3
DÉCRET N° 81-514 DU 12 MAI
1981
RELATIF A L'ORGANISATION DE LA PROTECTION DES SECRETS ET DES
INFORMATIONS CONCERNANT LA DÉFENSE NATIONALE ET LA SÛRETÉ
DE L'ÉTAT
LE PREMIER MINISTRE,
Vu l'ordonnance du 7 janvier 1959 portant organisation générale
de la défense ;
Vu le code pénal ;
Après avis du Conseil d'Etat (section des finances),
DÉCRÈTE :
Art. 1er. La protection des renseignements, objets, documents ou
procédés intéressant la défense nationale et la
sûreté de l'Etat, dont la divulgation à des personnes non
qualifiées est de nature à nuire à la défense
nationale et à la sûreté de l'Etat ou pourrait conduire
à la découverte d'un secret intéressant la défense
nationale et la sûreté de l'Etat, est organisée dans les
conditions définies ci-après.
Art. 2. Les renseignements, objets, documents, procédés
intéressant la défense nationale et la sûreté de
l'Etat qui doivent être tenus secrets font l'objet d'une classification
comprenant trois niveaux de protection :
Très secret-défense.
Secret-défense.
Confidentiel-défense.
Art. 3. Les renseignements, objets, documents, procédés
intéressant la défense nationale et la sûreté de
l'Etat qui doivent être protégés portent la mention qui
leur est attribuée.
Les modifications ou les suppressions des mentions sont décidées
par les autorités qui ont procédé à la
classification.
Art. 4. La mention très secret-défense est réservée
aux informations dont la divulgation est de nature à nuire à la
défense nationale et à la sûreté de l'Etat et qui
concernent les priorités gouverne-mentales en matière de
défense.
Le premier ministre définit les critères et les modalités
de la protection des informations très secret-défense,
réparties en plusieurs catégories de classifications
spéciales correspondant aux diverses priorités gouvernementales.
Il désigne les autorités chargées de la mise en oeuvre des
mesures afférentes à ce niveau de protection.
Art. 5. La mention secret-défense est réservée aux
informations dont la divulgation est de nature à nuire à la
défense nationale et à la sûreté de l'Etat.
La mention confidentiel-défense est réservée aux
informations qui ne présentent pas en elles-mêmes un
caractère secret mais dont la connaissance, la réunion ou
l'exploitation peuvent conduire à la divulgation d'un secret
intéressant la défense nationale et la sûreté de
l'Etat.
Dans les conditions fixées par le Premier ministre, chaque ministre
définit, pour le département dont il a la charge, les
critères et les modalités de la protection des informations
secret-défense et confidentiel-défense.
Art. 6. Il appartient à chaque ministre d'organiser suivant les
nécessités de son département la protection des
informations qui doivent faire l'objet d'une diffusion restreinte.
Art. 7. Nul n'est qualifié pour connaître des informations
protégées s'il n'a reçu une autorisation préalable
et s'il n'a été reconnu comme ayant besoin de les connaître
pour l'accomplissement de sa fonction ou de sa mission.
Les décisions d'admission sont prises par le Premier ministre pour les
informations très secret-défense et par chaque ministre pour les
informations secret-défense et confidentiel-défense.
Art. 8. L'autorisation préalable précise le niveau d'informations
protégées que le titulaire est autorisé à
connaître : très secret-défense, dans une ou plusieurs
catégories correspondant aux priorités gouvernementales,
secret-défense et confidentiel-défense. Elle est donnée,
à la suite d'une procédure d'habilitation définie par le
Premier ministre, aux personnes qui, sans risque pour la défense
nationale, la sûreté de l'Etat ou leur propre
sécurité, peuvent connaître ces informations.
Art. 9. Les dispositions du présent décret sont applicables aux
territoires d'outre-mer et à la collectivité territoriale de
Mayotte.
Art. 10. Le ministre de l'intérieur, le ministre de la défense et
le secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'intérieur
(départements et territoires d'Oute-mer) sont chargés, chacun en
ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret, qui
sera publié au Journal officiel de la République française.
1
Bertrand Warusfel, Forum défense,
juin 1995.
2
La décision d'"agrément" permet à certains
personnels, dans le cadre de leurs fonctions, de prendre, occasionnellement
seulement, connaissance d'informations très secret défense ou
secret défense.
3
Article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958
relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
4
Article 5 bis et 5 ter de l'ordonnance n° 58-1100 du 17
novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires
5
Article 6 quinquiès de l'ordonnance n° 58-1100 du
17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées
parlementaires.
6
Art. 164, IV, dernier alinéa, de l'ordonnance n°
58-1374 du 30 décembre 1958 portant loi de finances pour 1959
7
. Elle est composée de quatre membres : un Conseiller
d'Etat, président ; le SGDN ; un représentant du ministère
de la défense ; le Directeur général des impôts ;
tous sont soumis aux obligations du secret.
8
Marie-José Guédon, "Les autorités
administratives indépendantes", LGDJ 1991.
9
Michel Gentot, "Les autorités administratatives
indépendantes, Montchrétien 1991.
10
Ibid.
11
Ibid
12
Rapport public 1995, p. 144.
13
Source Sénat : Service des Affaires européennes,
Division des Etudes de législation comparée.