B. LA DÉCISION DE RÉDUIRE LE TEMPS DE TRAVAIL DE MANIÈRE AUTORITAIRE N'EST PAS COMPATIBLE AVEC L'EURO ET LE MARCHÉ UNIQUE
La logique des 35 heures pourrait empêcher
l'économie française de bénéficier des avantages de
l'euro et du marché unique.
L'unification monétaire du continent européen peut constituer un
formidable atout pour l'économie française, mais elle peut
également constituer le révélateur de ses faiblesses. A
partir de 1999, la mise en place de l'euro devrait exacerber
l'intégration économique, la spécialisation, la
concurrence et la recherche d'économies d'échelle. Les
entreprises devront redoubler d'efforts pour poursuivre leur
internationalisation et atteindre la taille critique. Les PME ressentiront
certainement cet événement avec plus d'acuité que les
grosses entreprises, déjà habituées à traiter le
risque de change ; elles seront confrontées à la concurrence
radicale de leurs consoeurs européennes, notamment transalpines.
La commission de l'emploi et des affaires sociales du
Parlement européen estime que la réduction du temps de travail
est une question qui relève strictement
du domaine des partenaires
sociaux.
La commission de l'emploi et des affaires sociales a
été amenée à examiner le Livre vert de la
Commission intitulé " Partenariat pour une nouvelle organisation du
travail " dans un rapport
(1)
publié le 10 octobre
1997.
On peut rappeler que le Livre vert avait pour objectif de stimuler un
débat sur de nouvelles formes d'organisation du travail dans la
perspective du Conseil européen d'Essen où des modifications de
l'organisation du travail ont été évoquées en
liaison avec la compétitivité et l'emploi.
A propos du temps de travail, le rapporteur de la commission, M. Jan
Anderson, a estimé que "
les possibilités de modification
du temps de travail étaient étroitement liées à la
situation dans les différentes branches et dans les secteurs public et
privé, si bien qu'elles ne pouvaient être appliquées de
manière uniforme sur l'ensemble du marché du travail
".
Dans cette perspective, il a précisé que "
les questions
de temps de travail plus souples et de réduction de la durée du
temps de travail devaient avant tout être réglées par les
partenaires sociaux sous forme d'accords collectifs
. ".
On peut également préciser que le Livre vert de la commission
mentionne un certain nombre de modèles à même
d'accroître la flexibilité du temps de travail : changement de la
durée de la semaine de travail, annualisation du temps de travail,
travail à temps partiel et dispositions flexibles en matière de
congé durant la vie professionnelle.
(1)
Rapport sur le Livre vert de la commission
intitulé " Partenariat pour une nouvelle organisation du
travail ". Commission de l'emploi et des affaires sociales - PE
224.080/déf.II.
La commission des Affaires sociales considère que la monnaie unique
constitue le prolongement nécessaire du marché unique car seule
l'unification monétaire permet au marché unique de produire tous
ses effets mais cette avancée à un coût : le renoncement
à l'outil du taux de charges comme instrument de politique
économique nationale. Elle est à ce titre indispensable.
Or, il existe nécessairement un lien étroit entre le
régime de change et le fonctionnement du marché du travail ; plus
précisément, les deux variables doivent être en
cohérence. Par exemple, la flexibilité des changes dans les
années 1970 permettait de pallier la rigidité du marché du
travail. Cependant, comme l'ont montré plusieurs études sur
l'économie française, la sensibilité des salaires
réels à une détérioration des termes de
l'échange et au niveau du chômage reste modeste. Ceci signifie que
la France est aujourd'hui contrainte de s'assurer que les conditions du
fonctionnement de son marché du travail sont compatibles avec la monnaie
unique. A défaut, la monnaie unique ne sera pas viable ou des chocs
régionaux se traduiront inévitablement par une forte augmentation
du chômage.
Dans cet esprit, Gavyn Davies, économiste chez Goldman Sachs, a pu
déclarer récemment
43(
*
)
que
"
ou l'existence de l'euro
forcera l'Europe à faire des réformes libérales, ou il
échouera
".
Poursuivant dans cet ordre d'idées, Wim Duisenberg, président de
l'Institut monétaire européen (IME) a déclaré :
"
il faudra que le marché du travail et la politique salariale
soient plus flexibles pour absorber les chocs régionaux
". A
défaut de quoi, il a prévenu que si l'évolution des
salaires engendrait des tensions inflationnistes, "
le système
européen de banques centrales (SEBC), pourrait être amené
à durcir sa politique monétaire, ce qui risquerait
d'entraîner un recul momentané de l'activité
économique et de l'emploi
".
On peut dès lors s'interroger sur la compatibilité du projet de
loi avec l'unification monétaire. L'abaissement de la durée
légale du travail constitue une énorme contrainte -notamment
salariale-, par ailleurs le recours aux heures supplémentaires et au
temps partiel est rendu plus difficile. Ces décisions ne sont-elles pas
à rebours de l'intérêt des entreprises et des
salariés ? Que doit-on penser du fait que ces dispositions ont
été, soit initiées, soit ardemment défendues par
les franges de la " majorité plurielle ", les plus
vigoureusement hostiles à l'euro ?
Conclusions de la Présidence, Conseil européen
extraordinaire sur l'emploi -
Luxembourg, 20 et 21 novembre 1997
Le Conseil a considéré comme essentiel pour
l'Union de " poursuivre une politique de croissance axée sur la
stabilité, l'assainissement des finances publiques, la modération
salariale et les réformes structurelles ". Il a appelé les
Etats membres à continuer à mettre en oeuvre des réformes
structurelles nécessaires dans tous les domaines.
Le Conseil préconise une convergence des politiques de l'emploi et a
déterminé dans cette perspective quatre " lignes
directrices " pour 1998 : " améliorer la capacité
d'insertion professionnelle, développer l'esprit d'entreprise,
encourager la capacité d'adaptation des travailleurs et des entreprises
pour permettre au marché du travail de réagir aux mutations
économiques et renforcer la politique d'égalité des
chances ".
" Le Conseil européen demande aussi bien au législateur
européen qu'aux législateurs nationaux de poursuivre activement
les efforts entrepris pour simplifier l'environnement réglementaire et
administratif des entreprises et en particulier des PME. "
Concernant la modernisation de l'organisation du travail, le Conseil a
déclaré que :
" Afin de promouvoir la modernisation
de l'organisation du travail et des formes de travail, les partenaires sociaux
sont invités à négocier, aux niveaux appropriés,
notamment au niveau sectoriel et au niveau des entreprises, des accords visant
à moderniser l'organisation du travail, y compris les formules souples
de travail, afin de rendre les entreprises productives et compétitives
et d'atteindre l'équilibre nécessaire entre souplesse et
sécurité. Ces accords peuvent porter par exemple sur
l'annualisation du temps de travail, la réduction du temps de travail,
la réduction des heures supplémentaires, le développement
du travail à temps partiel, la formation " tout au long de la
vie " et les interruptions de carrière. "
On peut observer que le sommet de Luxembourg n'a pas conclu à la
nécessité d'une réduction de la durée du travail
par la voie de la baisse de la durée légale pour réduire
le chômage. Il n'a pas cru même devoir évoquer
l'utilité de ce dispositif pour réduire le travail. Par contre,
il a insisté sur le rôle des partenaires sociaux, la
nécessité de réduire les prélèvements
obligatoires, de limiter les réglementations...
Loin de promouvoir une convergence des politiques de l'emploi, les choix du
Gouvernement français renforcent le choix de l'insularité en
matière de politiques économiques et sociales.