2. Le projet de loi ne semble pas devoir durablement réduire le chômage
Les origines du chômage français ne sont pas
fondamentalement à rechercher dans la durée du travail.
Plus précisément, une étude récente
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)
a montré que le niveau relatif
des salaires pouvait être une cause significative du surcroît de
chômage français. Lorsque les salaires sont flexibles à la
baisse comme aux Etats-Unis, il existe plus d'emplois pour les personnes les
moins qualifiées. Les auteurs de l'étude considèrent que
le salaire minimum porte une responsabilité importante à cet
état de fait, alors qu'il a baissé en termes réels dans
les années 1980 aux Etats-Unis, il a augmenté plus vite que
l'inflation en France sur la même période. Ils estiment qu'une
hausse de 1 % du salaire minimum en termes réels réduit de 2
à 2,5 % la probabilité de trouver un emploi pour les jeunes
habituellement employés à ce niveau de
rémunération. Dans ces conditions, on pourrait estimer que la
hausse du SMIC de 4 % au printemps dernier devrait réduire la
probabilité des jeunes de trouver un emploi de près de 6 %.
On peut rappeler que 15 % des travailleurs américains sont
payés en-dessous du niveau du SMIC, la plupart étant des jeunes
et des femmes âgées, deux catégories qui sont durement
frappées par le chômage en France.
On peut s'interroger sur les conséquences qu'aurait une augmentation du
SMIC de plus de 11 % dans les entreprises qui réduiraient leur
durée du travail quant à l'emploi des jeunes. A moins de
considérer que le plan emploi-jeunes a été initié
pour régler ce problème, on peut nourrir quelques
inquiétudes pour l'avenir de ces futurs salariés, en particulier
pour les jeunes.
Une autre étude
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*
)
complète cette analyse en considérant que le droit du
licenciement est particulièrement défavorable à l'emploi
en France. Il dissuaderait les entrepreneurs d'embaucher. Les auteurs mettent
en évidence qu'un salarié français a moins de risques
d'être licencié qu'un salarié américain, mais qu'une
fois qu'il est au chômage, il y reste beaucoup plus longtemps que son
vis-à-vis d'outre-Atlantique. Ils estiment que le nombre d'embauches
rapporté au nombre de salariés est six fois supérieur aux
Etats-Unis qu'en France. Cette analyse renvoie aux rigidités du
marché du travail maintes fois évoquées pour
caractériser les origines du chômage français. Dans cette
optique, il conviendrait de réduire le coût des licenciements pour
augmenter par là même le nombre des embauches.
Ces études sont très utiles pour expliquer la paralysie de la
société française. Les entreprises sont dissuadées
d'embaucher par des contraintes et des réglementations coûteuses,
des salaires trop peu flexibles ou trop élevés. En
conséquence, les salariés sont inquiets à l'idée de
perdre leur emploi. Une enquête réalisée par l'IFOP et
publiée par Libération le 19 janvier 1997 révèle
que 62 % des actifs occupés pensent que, s'ils perdaient leur emploi,
ils n'en trouveraient un autre que difficilement, voire très
difficilement. Ce sentiment pèse sur la consommation et donc sur la
croissance, ce qui renforce un peu plus la tendance. Une enquête
récente de la SOFRES estime que 43 % des personnes qui craignent pour
leur emploi s'attendent à une détérioration de
l'économie française toute entière, contre 30 % parmi
ceux qui n'éprouvent pas de crainte particulière.
Le projet de loi du Gouvernement sur la réduction du temps de travail ne
s'attaque pas vraiment au chômage structurel. On a même du mal
à envisager quelle catégorie de chômage il devrait
permettre de réduire. Peut-être le chômage conjoncturel
devrait baisser, mais on a déjà expliqué qu'à
terme, cette baisse du chômage conjoncturel pourrait se traduire par une
hausse du chômage structurel, lequel est beaucoup plus dur à
réduire car persistant.
En tout état de cause, on peut raisonnablement douter que le
chômage français puisse baisser en dessous des 10 % d'ici
2002, date d'application de la baisse de la durée légale compte
tenu de la politique qui nous est proposée. Or, tel est pourtant
l'enjeu. La réduction du temps de travail apparaît comme un moyen
insuffisant pour réduire les causes du chômage ; il est même
probable qu'elle ne réponde pas vraiment au problème du
chômage tel qu'il se présente à nous.