C. UNE DIMENSION EUROPÉENNE FONDAMENTALE DONT IL FAUDRA ÉVALUER LES CONSÉQUENCES

La maîtrise des flux migratoires et la lutte contre l'immigration irrégulière qui est liée à cet objectif s'inscrivent de plus en plus dans le cadre d'une coopération européenne dans laquelle la France doit jouer pleinement son rôle.

Un début de coopération fonctionne d'ores et déjà dans le cadre de l'Accord de Schengen ou de conventions bilatérales : il se traduit par les mécanismes de réadmission prévus à l'article 33 de l'ordonnance de 1945.

En outre, des commissariats communs ont été établis avec l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie. Le Système d'Information Schengen (SIS) est accessible aux services chargés des contrôles aux frontières ou à l'intérieur du territoire.

Cette dimension européenne de la politique d'immigration est soulignée davantage encore par le traité sur l'Union européenne signé le 2 octobre 1997 à Amsterdam qui comporte un protocole intégrant l'acquis de Schengen dans le cadre de l'Union européenne.

Votre rapporteur ne peut sur ce point que renvoyer au rapport qu'il a lui-même établi, au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne (" L'intégration de Schengen dans l'Union européenne ", les rapports du Sénat, n° 53, 1997-1998).

Pour l'essentiel, il convient de relever que, si le traité était ratifié, le Conseil de l'Union européenne, dans sa formation " Justice et affaires intérieures (JAI) " se substituerait au comité exécutif de Schengen à compter de l'entrée en vigueur du protocole, c'est-à-dire au moment de l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam lui-même. Le Conseil continuerait de se prononcer à l'unanimité pendant les cinq premières années. Pour les matières intégrées dans le pilier communautaire (premier pilier), le Conseil pourrait, au terme de ces cinq années, décider à l'unanimité que les décisions seront dorénavant prises à la majorité qualifiée.

Par ailleurs, à l'issue du délai maximum de cinq ans à compter de la mise en vigueur du traité, la Commission aurait alors le monopole de l'initiative pour la politique des visas, de l'asile, de l'immigration et de la libre circulation des personnes, même si le Conseil ne décide pas de passer à la majorité qualifiée. En revanche, pour les matières transférées dans le pilier intergouvernemental, c'est-à-dire la coopération policière, judiciaire, pénale, l'initiative resterait partagée entre la Commission et les Etats membres.

Le suivi des accords de Schengen actuellement dévolu au ministère des affaires étrangères reviendrait au ministère de l'intérieur dès l'entrée en vigueur du traité sur l'Union européenne signé à Amsterdam.

Par sa décision n° 97-394 du 31 décembre 1997 , le conseil constitutionnel a jugé contraires à la Constitution plusieurs dispositions du Traité d'Amsterdam qui prévoient des transferts de compétences au profit de la Communauté dans les domaines de l'asile, de l'immigration et du franchissement des frontières et qui, intéressant l'exercice de la souveraineté nationale, n'entrent pas dans le champ prévu par l'article 88-2 de la Constitution.

Le Conseil constitutionnel a considéré que les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ne seraient pas affectées pendant la période transitoire de cinq ans prévue par le Traité pendant laquelle les décisions du Conseil seront prises à l'unanimité , les Etats membres conservant leur pouvoir d'initiative .

En revanche, au terme de cette période transitoire, le Conseil statuera sur proposition de la seule Commission , les Etats membres perdant leur pouvoir d'initiative.

En outre et surtout, sur simple décision du Conseil prise à l'unanimité, l'ensemble des mesures intervenant dans ces domaines ou certaines d'entre elles pourront être prises à la majorité qualifiée selon la procédure de codécision. Dans ces conditions, considérant que les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale pourraient se trouver affectées, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions prévoyant cette procédure étaient contraires à la Constitution.

Cette décision souligne que les matières relatives à l'immigration feront bien, en application du traité d'Amsterdam, l'objet de véritables transferts de compétences , transferts qui impliqueront pour les Etats membres l'obligation de mettre leur législation en conformité avec les normes communautaires prises sur le fondement des dispositions issues du Traité.

Le Conseil constitutionnel a tenu à souliger que, s'agissant de domaines ne relevant pas de la compétence exclusive de la Communauté, le respect du principe de subsidiarité " implique que la Communauté n'intervienne que si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être réalisées de manière suffisante par les Etats membres ". Les conditions de mise en oeuvre du principe de subsidiarité sont précisées par un protocole annexé au Traité d'Amsterdam.

Mais la décision du Conseil constitutionnel constate que " la seule mise en oeuvre (du principe de subsidiarité) pourrait ne pas faire obstacle à ce que les transferts de compétences autorisées par le Traité (...) revêtent une ampleur et interviennent selon des modalités telles que puissent être affectées les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ".

Votre commission des Lois renouvellera plusieurs remarques déjà formulées par votre rapporteur lors de l'examen pour avis des crédits de la police pour 1998 (avis n° 90, tome II, 1997-1998):

- des conventions bilatérales doivent pouvoir être conclues entre Etats souverains, leur mise en oeuvre étant l'un des corollaires essentiels de la libre circulation des personnes aux frontières intérieures de l'espace Schengen ;

- le recours à la clause de sauvegarde (article 2, paragraphe 2 de la convention de Schengen) doit permettre le maintien des contrôles temporaires aux frontières intérieures, afin de préserver les intérêts fondamentaux de notre pays, qu'ils concernent la lutte contre la drogue, par exemple, la lutte contre l'immigration irrégulière ou tout autre domaine où l'intérêt national pourrait commander de maintenir de tels contrôles ;

- une période transitoire suffisamment longue doit être ménagée pour consolider l'expérience menée dans le cadre de la coopération policière européenne et les pratiques de contrôle aux frontières extérieures.

Consciente de ces enjeux essentiels, la commission des Lois a d'ailleurs décidé de créer en son sein une mission d'information sur le suivi du processus de coopération policière européenne, dotée par le Sénat des pouvoirs des commissions d'enquête dans les conditions prévues par l'article 5 ter de l'ordonnance du 17 novembre 1958.

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