EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mardi 16 décembre 1997 sous la
présidence de M. Jean François-Poncet, Président, et
de M. Jean Huchon, vice-président, la commission a
procédé à l'examen du
rapport
sur les
propositions de loi n° 346 rectifié
(1996-1997) de M.
Roland du Luart et plusieurs de ses collègues, et
n° 359
(1996-1997) de M. Michel Charasse, relatives aux
dates
d'ouverture anticipée
et de
clôture
de
la
chasse des oiseaux migrateurs et sur la proposition de loi
n° 135
(1997-1998)
de M. Pierre Lefebvre et plusieurs
de ses collègues, relative aux
dates d'ouverture anticipée
et de
clôture
de la
chasse des oiseaux migrateurs
ainsi que
de la réglementation de la chasse les concernant.
Mme Anne Heinis, rapporteur,
a indiqué que ces trois textes
tendaient à résoudre un contentieux juridique qui n'avait fait
que s'aggraver depuis plusieurs années, concernant l'application des
dispositions de la directive du Conseil du 2 avril 1979 sur la
conservation des oiseaux sauvages (79/409/CEE), relatives à la pratique
de la chasse, notamment au gibier d'eau et aux oiseaux de passage.
Elle a précisé que ces propositions de loi fixaient par voie
législative les dates d'ouverture anticipée de la chasse au
gibier d'eau -jusque là décidées par arrêté
ministériel en vertu de l'article R-224-6 du code rural- et
modifiaient, s'agissant de la clôture de la chasse aux oiseaux
migrateurs, l'article L.224-2 du code rural issu de la loi
n° 94-591 du 15 juillet 1994.
Le rapporteur a rappelé que cette loi, issue de plusieurs propositions
de loi identiques, avait eu pour but de lever les incertitudes juridiques qui
pesaient sur la détermination des périodes de chasse des oiseaux
migrateurs en se fondant sur les données scientifiques et sur la
méthode proposée par le comité d'adaptation de la
directive précitée, et qu'elle fixait un calendrier
échelonné de clôture de la période de chasse selon
les espèces, tenant compte tout à la fois de la période du
début des migrations de chacune des espèces et de leur
état de conservation. De plus, pour assurer la souplesse du dispositif
juridique ainsi proposé, il était prévu -a-t-elle
précisé- que l'autorité administrative puisse avancer les
dates de clôture de la chasse.
Mme Anne Heinis, rapporteur,
a fait remarquer que le contentieux
s'était alors déplacé sur l'interprétation du
pouvoir dérogatoire reconnu au préfet, ce qui conduisait les
auteurs des propositions de loi à proposer de nouvelles modifications
à ce texte.
Elle a souhaité alors faire le point sur les contentieux juridiques en
cours, en insistant sur la difficulté d'appréhender des
phénomènes naturels complexes.
Rappelant que la directive du 2 avril 1979 sur la conservation des
oiseaux sauvages avait pour objectif la conservation de tous les oiseaux vivant
naturellement à l'état sauvage en Europe, soit plus de
400 espèces, mais que cet objectif devait tenir compte d'exigences
économiques et récréationnelles, elle a ajouté que
conformément au principe de subsidiarité, les mesures
d'application devaient être définies par les Etats membres et
tenir compte des différents facteurs pouvant agir sur le niveau des
populations d'oiseaux, à savoir l'interdiction de la destruction des
nids et des oeufs, la protection des habitats et la réglementation de la
pratique de la chasse, celle-ci ne constituant un facteur parmi d'autres.
Elle a fait valoir que la chasse, selon la directive, constituait une
activité " admissible ", qui contribuait à la
régulation des espèces et avait des effets secondaires positifs
à travers les actions des chasseurs sur la préservation des
milieux, et que l'architecture même de la directive reposait sur la
distinction entre espèces protégées et espèces
chassables répertoriées à l'annexe II de la directive.
Le rapporteur a ensuite rappelé que l'encadrement de la pratique de la
chasse découlait du paragraphe 4 de l'article 7 de la
directive, qui interdisait de chasser les espèces reconnues comme gibier
pendant la période nidicole, les différents stades de
reproduction et de dépendance, et, pour les espèces migratrices,
que l'interdiction s'appliquait en particulier à la période de
reproduction et aux trajets de retour vers les lieux de nidification.
Elle a ensuite évoqué l'arrêt du 14 janvier 1994
de la cour de justice des Communautés européennes qui explicite
le principe de protection complète des espèces sans interdire le
principe de fermeture échelonnée des périodes de chasse,
pour autant que l'Etat membre apporte la preuve que cet échelonnement
n'empêche pas la protection complète des espèces
concernées.
A propos de la trentaine de contentieux ayant trait à
l'interprétation de la loi du 15 juillet 1994, elle a
relevé que les conclusions des tribunaux administratifs divergeaient sur
la nature du pouvoir d'appréciation laissé au préfet pour
décider de " recopier " ou non le calendrier
échelonné intégré dans l'article L.224-1 du
code rural par la loi.
Mme Anne Heinis, rapporteur,
a mis l'accent sur la volonté de la
commission de proposer une modification de la directive pour intégrer le
principe d'un calendrier échelonné de fermeture de la chasse
selon les espèces et en fonction de la précocité de leur
migration et de leur état de conservation.
Elle a fait observer que, malgré la position restrictive du Parlement
européen, qui s'était prononcé en faveur d'une date unique
de fermeture de la chasse au 31 janvier, la commission européenne
ne souhaitait pas aller dans ce sens, et pourrait prochainement proposer
d'instituer un régime dérogatoire de chasse sur quatre semaines
au-delà du 31 janvier, à la condition de mettre en place des
plans de gestion pour les espèces concernées et qu'en attendant,
elle recommandait d'appliquer la méthode de la fermeture
échelonnée.
Face à cette opportunité encore ouverte au niveau européen
et qui était à saisir,
Mme Anne Heinis, rapporteur,
a mis
l'accent sur la position du Gouvernement français qui semblait
s'être laissé entraîner dans la voie d'une condamnation par
la cour de justice des Communautés européennes, sur la base d'un
recours en manquement introduit par la Commission sur la base des
articles 169 et 171 du Traité CEE.
Elle a indiqué que lors d'une réunion sur les
précontentieux environnementaux tenue à Paris en mai 1997,
les services de la commission, s'agissant de la directive du
2 avril 1979, avaient demandé communication du rapport au
Parlement prévu par la loi du 15 juillet 1994 et des rapports
scientifiques servant de base à ce rapport. A propos de ce rapport, elle
a reconnu -en le regrettant- que faute d'avoir été
rédigé en temps voulu, il n'avait pu être transmis. Mais
elle a souligné que les deux rapports, respectivement établis par
l'Office national de la chasse en décembre 1996 et par le
Muséum national d'histoire nationale en mars 1997, d'une grande valeur
scientifique et technique, auraient pu constituer de très bons
éléments de négociation vis-à-vis de Bruxelles.
Elle a jugé incompréhensible et très dangereux que le
Gouvernement français ne les ait pas transmis en mai dernier, se
demandant si le Gouvernement français n'avait pas renoncé
à se défendre afin d'imposer, ensuite, en droit interne une date
unique pour la fermeture de la chasse, ce qui serait inacceptable pour les
chasseurs français, et terriblement réducteur eu égard
à la diversité du phénomène des migrations.
Rappelant à ce sujet que la chasse au gibier d'eau et aux oiseaux
migrateurs intéressant la plupart des 1,6 million de chasseurs
répertoriés en France et répartis sur tout le territoire
national, le rapporteur a rappelé qu'il fallait tenir compte de la
variabilité des phénomènes biologiques concernant les
oiseaux migrateurs pour s'intéresser aux mouvements d'une espèce
ou d'une population et non de quelques individus, en raisonnant sur des
moyennes, et ne pas oublier que pour la plupart des migrateurs, le territoire
français offrait une large zone de recouvrement entre les zones
d'hivernages et les zones de reproduction, ce qui rendait très complexe
l'identification des mouvements. Elle a jouté qu'on ne pouvait pas, pour
autant, imposer une date unique de fermeture en arguant du risque de confusion
en février entre espèces encore chassables ou déjà
" fermées " puisque ce risque existait toute l'année
à une plus grande échelle et qu'il avait été
accepté dès l'origine par la directive du 2 avril 1979.
Rappelant que les chasseurs étaient bien formés et qu'en cas de
doute, un bon chasseur ne tirait pas, elle a souligné, en outre, que le
code pénal sanctionnait les erreurs de tir.
Le rapporteur a ensuite proposé de reprendre le contenu des deux
propositions de loi n° 346 rectifiée et 359 en y ajoutant un
dispositif qui rende obligatoire les plans de gestion pour certaines des
espèces chassées entre le 31 janvier et le dernier jour du
mois de février, en précisant que le principe des plans de
gestion était développé dans l'exposé des motifs de
la proposition de loi n° 135, et qu'il s'agissait ainsi de mettre en
oeuvre une exploitation dynamique des espèces.
Mme Anne Heinis, rapporteur,
a ensuite présenté le texte
de ses conclusions.
S'agissant des dates d'ouverture anticipée de la chasse, elle a
proposé d'adopter le tableau inscrit à
l'article L. 224-2 du code rural par les propositions de loi
n° 346 rectifié et 359, qui se fonde sur la date moyenne
des derniers envols constatés sur les cinq années
précédentes.
En ce qui concerne l'échelonnement des dates de fermeture du gibier
d'eau et des oiseaux de passage, elle a rappelé que le dispositif mis en
place par la loi du 15 juillet 1994 et repris par les deux
propositions de lois précitées proposait quatre dates de
fermeture échelonnées, à savoir le 31 janvier, le
10 février, le 20 février et le dernier jour du mois de
février, en suivant très exactement les propositions du
comité scientifique Ornis.
A propos du choix des dates de fermeture pour les différentes
espèces, elle a indiqué qu'il était conforme aux
recommandations scientifiques et techniques les plus récentes, sauf en
ce qui concerne la sarcelle d'été, dont la date de fermeture
devait rester fixée au 20 février, car il s'agissait de la
seule espèce d'oiseau migrateur dont la zone d'hivernage se trouve
exclusivement en Afrique.
Mme Anne Heinis, rapporteur,
a alors proposé d'assortir ce
mécanisme de fermeture échelonnée de la chasse de
l'obligation de mettre en place des plans de gestion pour les espèces ne
bénéficiant pas d'un statut de conservation favorable et
chassées entre le 31 janvier et le 28 février, en
faisant valoir que cette proposition s'inspirait très directement de
l'amendement proposé par la commission de l'agriculture du Parlement
européen en mars 1996, et qu'elle pourrait être reprise à
son compte par la Commission européenne.
Soulignant les analogies du dispositif ainsi proposé avec celui des
plans de chasse qui sont de droit sur tout le territoire national pour le grand
gibier, le rapporteur a souligné que certains départements
l'expérimentaient déjà pour le petit gibier, tels le
département de la Manche où les plans de chasse concernaient la
perdrix grise, le lièvre, la bécasse et le gibier d'eau.
Elle a conclu que les plans de gestion devaient, en se fondant sur les
meilleures données scientifiques et techniques disponibles, permettre
une exploitation dynamique des espèces afin qu'elles retrouvent un
statut de conservation satisfaisant.
Au-delà des mesures réglementant la pratique de la chasse ou les
prélèvements autorisés, le rapporteur a relevé que
ces plans de gestion permettraient de développer des mesures
préventives pour la restauration des milieux en développant les
réserves de chasse ou en décidant des mesures de sauvegarde des
biotopes.
Mme Anne Heinis, rapporteur,
a ensuite exposé les raisons pour
lesquelles certaines des mesures de la proposition de loi n° 153 ne
pouvaient être reprises.
Elle a fait valoir que la proposition de tableau d'ouverture anticipée
de la chasse était satisfaite par sa propre proposition, sauf en ce qui
concerne le département du Calvados pour lequel elle a jugé que
les dates suggérées par la proposition de loi n° 153 ne
semblaient pas coïncider avec les dernières observations
statistiques connues.
Elle a indiqué que le dispositif simplifié d'échelonnement
des fermetures de chasse autour du 31 janvier et du dernier jour de
février ne lui paraissait pas non plus correspondre aux données
scientifiques et techniques les plus récentes.
En ce qui concerne la reconnaissance des modes de chasse traditionnels
proposés par le dernier alinéa de l'article 2 et l'article
3, elle a préféré maintenir la compétence du
ministre chargé de la chasse pour fixer les conditions dans lesquelles
les chasses traditionnelles pouvaient être pratiquées dans
certains départements.
A propos de l'article 4, qui modifie les règles relatives au transport
et à la vente de gibier d'eau, le rapporteur a indiqué qu'une
réflexion était en cours au ministère de l'environnement
sur l'utilisation des appeaux et appelants vivants, et qu'il convenait d'en
attendre les conclusions avant de légaliser sans restriction le
transport des appelants.
Elle a observé, de plus, que la rédaction proposée par
l'article 4 pour l'article L.224-6 du code rural interdisait, de
fait, la commercialisation -autorisée jusqu'à présent- du
canard colvert et du pigeon ramier.
Enfin, s'agissant de la légalisation de la liste des espèces
chassables par l'article 5, le rapporteur a dit souhaiter s'en tenir au
dispositif de l'arrêté du 26 juin 1987 modifié,
qui présentait l'avantage de pouvoir être plus aisément mis
à jour en fonction des dernières données scientifiques
disponibles. Plus précisément, il ne lui a pas semblé
opportun d'autoriser la chasse de la bernache cravant, alors qu'au regard de
l'annexe II de la directive du 2 avril 1979, il ne s'agissait
pas d'une espèce reconnue comme chassable en France, et elle a
rappelé que le bruant ortolan, le pinson du nord et le pinson des arbres
n'étaient pas classés comme gibier au niveau européen.
Au cours de la discussion générale,
M. Philippe
François
est intervenu pour se déclarer peu optimiste sur la
volonté de la Commission européenne de proposer des modifications
à la directive du 2 avril 1979 sur la conservation des oiseaux
sauvages ; il s'est déclaré favorable à un
système qui redonnerait plus de pouvoirs aux préfets pour ce qui
concerne le calendrier d'ouverture et de fermeture de la chasse.
Il a jugé, enfin, très grave le refus du Gouvernement
français de communiquer à la Commission européenne les
rapports scientifiques demandés et disponibles et a
considéré que le ministère de l'environnement jouait un
jeu extrêmement dangereux en laissant courir le risque d'une condamnation
par la cour de justice des Communautés européennes, -qui aurait
pu être évitée- pour imposer aux chasseurs une date de
fermeture unique de la chasse.
M. Jean François-Poncet, président,
est intervenu pour
déplorer l'attitude négative du Gouvernement français face
aux demandes d'explications de la Commission européenne, qui
s'était traduite par une mise en demeure et a déclaré ne
pas comprendre, sur ce sujet, la position du ministre chargé de
l'environnement.
Mme Anne Heinis
, répondant à
M. Philippe
François
, a fait valoir que pour répondre aux objectifs de la
directive du 2 avril 1979 sur la conservation des oiseaux sauvages,
il fallait maintenir au niveau législatif les règles d'ouverture
anticipée et de fermeture échelonnée de la chasse, mais
que l'instauration des plans de gestion redonnait un pouvoir réel au
préfet pour organiser au niveau local une exploitation dynamique des
espèces chassables concernées.
M. Michel Souplet
a déclaré partager l'analyse et les
propositions de Mme Anne Heinis, en particulier sur les plans de gestion. Il a
fait valoir que, bien souvent, les tentatives de gestion dynamique des
espèces étaient contrecarrées par les actions
destructrices des prédateurs, type cormorans, ou buses, qui avaient, en
droit européen, le statut d'espèces protégées, ce
qui illustrait les incohérences de la directive du
2 avril 1979. Il a souhaité que, face à cet
excès de réglementation, on puisse redonner plus d'autonomie aux
autorités locales pour réguler de façon
équilibrée les espèces chassables ou
protégées.
Après les interventions de
MM. Jacques de Menou, Gérard
César
et
William Chervy
, la commission a
adopté
à l'unanimité la proposition de loi
dans la rédaction
préconisée par le rapporteur.
I.