II. EXAMEN DE L'AVIS
Réunie le jeudi 20 novembre 1997, sous la
présidence de
M. Jean-Pierre Fourcade, président,
la
commission a examiné les
rapports pour avis de MM. Louis Souvet
et Jean Madelain sur le projet de loi de finances pour 1998 (emploi et
solidarité : travail et emploi, formation professionnelle)
.
Après avoir rappelé que le budget de l'emploi pour 1998
était caractérisé par deux grandes orientations, les
emplois-jeunes et l'abaissement de la durée du travail à 35
heures,
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis (travail et emploi),
a précisé le contexte dans lequel s'inscrivait ce budget.
Il a indiqué que le taux de chômage se situait à
12,5 % de la population active, que le nombre de chômeurs de longue
durée atteignait 36,4 % du total des demandeurs d'emplois et que le
taux de chômage des jeunes actifs était de 24,7 %. Il a
précisé que le nombre des demandeurs d'emploi était de
3.115.400 en septembre 1997, et de 3.487.800 si l'on incluait les personnes
ayant travaillé plus de 78 heures dans le mois.
Il a ajouté que cette dégradation de l'emploi avait
entraîné un déficit du régime de l'assurance
chômage évalué à 1,4 milliard de francs pour 1997 et
1,8 milliard de francs pour 1998 ; il en a alors détaillé les
principales causes : la faible progression de la masse salariale, le
succès coûteux de l'allocation de financement pour l'emploi
(ARPE), l'allocation pour chômeur âgé et le
désengagement de l'Etat de l'allocation de formation reclassement (AFR).
Il a cependant observé que l'emploi salarié avait augmenté
de 98.900 en un an (+ 0,7 %) pour s'établir désormais
à 13.296.200.
Mais il a relevé que le secteur tertiaire, seul créateur
d'emploi, ne pouvait compenser les secteurs perdant des emplois, l'industrie et
la construction, d'autant que la population active s'accroissait naturellement
de 150.000 personnes par an. Il a ajouté que l'augmentation du
chômage pouvait aussi s'expliquer par une diminution du nombre des
entrées dans les dispositifs " emploi " et par
l'arrivée sur le marché du travail de personnes désireuses
de profiter d'une certaine amélioration de la conjoncture.
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis
, a alors souligné les
principaux signes de reprise de l'activité économique et
d'amélioration de la situation de marché de travail, et a
rappelé les prévisions plutôt optimistes du Gouvernement et
des principaux organismes de conjoncture.
Puis, après avoir observé que les dispositifs spécifiques
de l'emploi avaient un impact réduit sur la création d'emplois,
il a considéré que les améliorations du marché du
travail reposaient en grande partie sur l'allégement des charges
sociales sur les bas salaires et sur le développement du travail
à temps partiel qui concernait désormais 16,6 % des actifs.
Il en a conclu que les orientations retenues par le Gouvernement, les 35 heures
et les emplois-jeunes, financés par des redéploiements portant
sur les allégements de charges sociales, risquaient de remettre en cause
ces améliorations encore très fragiles.
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis
, a alors présenté
les grandes lignes du budget de l'emploi, 155,8 milliards de francs, en
progression de 3,6 %, répartis en 112,6 milliards de francs
sur le budget emploi et 43,23 milliards de francs sur les charges
communes. Il a cependant précisé que 8,25 milliards de francs
étaient affectés aux emplois-jeunes et 3 milliards de francs
aux 35 heures.
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis
, a alors présenté le
projet gouvernemental de réduction à 35 heures de la durée
du travail.
Il a souligné que, contrairement à la loi de " Robien "
qui reposait sur un mécanisme conventionnel, le projet du Gouvernement
visait à abaisser autoritairement la durée du travail au 1er
janvier 2000. Après avoir résumé le dispositif
d'exonération de charges sociales destiné à inciter,
dès maintenant, les entreprises à passer aux 35 heures, le
rapporteur pour avis s'est inquiété des conséquences
négatives de ce projet ; il a notamment cité l'augmentation
du coût horaire du travail, l'alourdissement des charges ou la remise en
cause du chômage partiel, qui mettront les entreprises en
difficulté et les obligeront à licencier.
Il a, en outre, considéré que ces perspectives créaient
déjà un climat d'incertitude et d'inquiétude chez les
chefs d'entreprise, qui les conduisait à retarder leurs embauches et
leurs investissements. Il a précisé que le Gouvernement attendait
de ce dispositif 42.000 emplois en 1998.
Puis,
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis,
a abordé les
incidences budgétaires et économiques de la création des
emplois-jeunes. Il a rappelé que cette mesure d'insertion avait
été dès l'origine détournée de son objectif,
puisqu'il était très vite apparu qu'elle servirait à
financer des emplois de fonctionnaires, notamment dans l'éducation
nationale.
Il a indiqué que, sur 150.000 emplois prévus à la fin de
1998, 48.250, intégrés aux ministères de
l'éducation nationale et de l'intérieur, étaient des
emplois de fonctionnaires rémunérés, pour 80 %, sur les 8
milliards de francs inscrits au budget de l'emploi, et pour le reste, sur les
crédits des heures supplémentaires des enseignants et sur 117
millions inscrits au titre III du budget du ministère de
l'intérieur.
Il a alors constaté que les inquiétudes exprimées par la
commission des affaires sociales et par le Sénat trouvaient ici leur
pleine justification, car ces créations d'emploi entraîneraient un
accroissement des prélèvements obligatoires qui pèserait
sur la croissance et l'emploi, puisqu'ils n'avaient pas vocation à
être pérennisés dans le secteur privé.
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis,
a alors détaillé
les redéploiements auxquels le Gouvernement avait procédé
pour financer les 35 heures et les emplois-jeunes. Il s'est
déclaré favorable au principe des redéploiements, mais a
considéré que certains lui paraissaient particulièrement
contestables. Il a notamment cité la réduction de
l'allégement de charges sociales sur les bas salaires et celle des
crédits consacrés aux formations en alternance.
Abordant la première, il a indiqué que l'article 65 du projet de
loi de finances, tout en pérennisant la ristourne dégressive,
abaissait son seuil de 1,33 à 1,30 salaire minimum interprofessionnel de
croissance (SMIC) ; il a alors déploré que cette économie
de 2,5 milliards de francs soit mise à la charge des charges des
entreprises.
Puis, après avoir énuméré d'autres
redéploiements, concernant par exemple les zones prioritaires, à
ses yeux justifiés,
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis,
a
présenté les projets du Gouvernement visant à
réformer les incitations au temps partiel. Il a indiqué que la
ristourne dégressive appliquée depuis deux ans
indépendamment du nombre d'heures travaillées serait
désormais proratisée. Précisant que le Gouvernement en
attendait 4 milliards de francs d'économie, il s'est de nouveau
inquiété du surcroît de charges que cela entraînait
pour les entreprises.
Il a alors souligné que ces deux mesures, dont le total s'élevait
à 6,5 milliards de francs, allaient, pour 4 milliards de
francs, servir à financer les nouveaux emplois de fonctionnaires dans
l'éducation nationale et au ministère de l'intérieur et
avaient permis au Gouvernement d'inscrire au chapitre des exonérations
de charges sociales 41,7 milliards de francs au lieu de 47 milliards
de francs qui auraient été nécessaires à
législation inchangée.
Puis, le rapporteur pour avis a présenté rapidement le nouveau
dispositif d'exonération de charges sociales pour les petites
entreprises du secteur textile évalué à 500 millions
de francs et financé sur les crédits de formation en alternance
dans des conditions plus claires. Il a aussi rappelé l'institution d'un
crédit d'impôt pour création d'emploi, qui pourra
être imputé sur la contribution exceptionnelle de 10 % sur
les bénéfices des sociétés votée
l'été dernier, ainsi que le transfert massif des cotisations
maladie sur la contribution sociale généralisée (CSG), qui
risque de pénaliser l'épargne et donc l'investissement.
Le rapporteur pour avis a encore présenté deux autres mesures
susceptibles d'avoir des conséquences négatives en termes
d'emplois : l'abaissement de la réduction d'impôt au titre
des emplois familiaux et la suppression de l'exonération de charges
sociales en faveur des travailleurs indépendants créant ou
reprenant une entreprise. Il a notamment rappelé que la baisse de
50 % de leur coût avait entraîné une augmentation des
emplois familiaux de 65 %. La réduction de l'aide fiscale aurait
donc un effet inverse.
Puis,
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis,
a présenté
les autres grands dispositifs de la politique de l'emploi. Il a indiqué
que les crédits consacrés aux contrats initiative emploi
baissaient de 4,8 milliards de francs et que les emplois-ville
étaient supprimés.
Il a également précisé que les contrats
emplois-solidarité restaient au niveau de 1997 avec 500.000
entrées nouvelles, alors que les emplois consolidés augmentaient
de 10.000 avec 30.000 entrées nouvelles.
Le rapporteur pour avis a alors observé que le Gouvernement
privilégiait une fois encore le secteur non marchand au détriment
du secteur marchand, et que, si les effets négatifs des 35 heures
et des emplois-jeunes se manifestaient très rapidement, le Gouvernement
ne disposerait pas des moyens de combattre l'augmentation du chômage.
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis,
a ensuite indiqué que la
participation de l'Etat aux retraits d'activité et aux revenus de
remplacement diminuait de 5,6 %, passant de 22,6 milliards de francs
à 21,4 milliards de francs, l'économie provenant
essentiellement des préretraites. Sans vouloir critiquer cette
orientation qui visait à corriger certains excès, le rapporteur
pour avis a cependant noté qu'elle intervenait au moment où
l'allocation de remplacement pour l'emploi, financée par l'UNEDIC, se
trouvait en situation difficile puisque l'assurance chômage redevenait
déficitaire et que les négociations sur la reconduction du
dispositif étaient bloquées. Aussi, à défaut de
pouvoir faire appel aux préretraites, les entreprises pourraient
recourir à des licenciements " secs ".
Le rapporteur pour avis a ensuite indiqué que la plupart des autres
actions s'inscrivaient dans la continuité, avec quelques augmentations
de crédits substantielles, notamment pour l'allocation de
solidarité spécifique ou le dispositif de réduction
négociée du temps de travail de la loi " de Robien ".
Il a également dressé un rapide bilan, qu'il a jugé
positif, de la mise en oeuvre du contrat de progrès et de
l'activité de l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE).
En conclusion,
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis,
considérant
que les 35 heures et les emplois-jeunes auraient des conséquences
négatives sur l'économie et l'emploi et que leur financement
conduisait à réduire les crédits d'actions jugées
prioritaires, a proposé à la commission de donner un avis
défavorable à l'adoption des crédits destinés
à l'emploi et au travail dans le projet de loi de finances pour 1998.
M. Jean Madelain, rapporteur pour avis (formation professionnelle)
, a
tout d'abord indiqué que ce budget se présentait comme un budget
de continuité, très proche de celui voté l'année
dernière, et encourait, dans ses grandes lignes, les mêmes
approbations et les mêmes critiques. Il a cependant nuancé son
propos en soulignant que certains infléchissements, s'ils
s'avéraient annonciateurs de réformes plus en profondeur,
seraient particulièrement inquiétants.
Il a indiqué que les crédits consacrés à la
formation professionnelle s'élevaient à 25,4 milliards de
francs pour les actions directes et à 34 milliards de francs si
l'on y ajoutait l'Association nationale pour la formation professionnelle des
adultes (AFPA) et la formation des demandeurs d'emploi.
Le rapporteur pour avis a alors examiné les moyens consacrés
à l'insertion professionnelle des jeunes. Il a constaté que leur
progression, de 42,8 % (25,2 milliards de francs), provenait
essentiellement des 8 milliards de francs consacrés aux
emplois-jeunes. Il a souligné que, hors emplois-jeunes, ces
crédits s'élevaient à 17,16 milliards de francs, en
diminution de 4,1 %. Il a ainsi observé un effet de vase
communiquant entre les emplois-jeunes, sur lesquels il était
réservé, et les dispositifs de formation, qu'il jugeait
prioritaires.
Il a indiqué que cette baisse concernait d'abord les exonérations
de charges sociales et les contrats de qualification dont le nombre
était ramené de 130.000 à 100.000 (2.155 millions de
francs), et reflétait une réduction de 7,5 % des
crédits destinés aux indemnités forfaitaires
versées aux entreprises qui embauchent des apprentis
(4.274 millions de francs). Il a précisé que
400 millions de francs seraient prélevés sur les fonds de
l'Association de gestion du fonds des formations en alternance (AGEFAL) pour
compenser cette diminution.
Le rapporteur pour avis a ensuite observé que seuls les crédits
consacrés à l'exonération de charges sociales en faveur
des contrats d'apprentissage augmentaient (+ 16,3 %), passant
à 4.945 millions de francs, afin de financer 240.000 contrats
nouveaux, soit 20.000 de plus que l'année dernière.
Le rapporteur pour avis a toutefois observé que les crédits
destinés aux versements des indemnités forfaitaires, qui auraient
dû progresser dans les mêmes proportions, restaient, uniquement
grâce au prélèvement sur l'AGEFAL, à leur niveau de
l'année dernière.
M. Jean Madelain, rapporteur pour avis,
s'est alors
inquiété de ce qui pourrait être interprété
comme un premier pas vers un abandon d'une politique de fond au profit de
mesures relevant du traitement social du chômage, ce que seraient les
emplois-jeunes s'ils n'étaient pas accompagnés d'une
véritable politique de formation et de consolidation d'activité.
Il a ensuite indiqué que tous les autres postes concernant la formation
des jeunes augmentaient légèrement, de 1,38 %, lorsque ces
crédits étaient décentralisés, ou un peu moins, par
exemple de 1,1 % pour le réseau d'accueil des jeunes.
Il a aussi rappelé que ces crédits ne correspondaient qu'à
une partie de l'effort national en faveur des jeunes puisque les régions
et les entreprises intervenaient largement : en 1996, pour 740.000 jeunes,
les régions avaient consacré près de 7,5 milliards de
francs, l'Etat un peu plus de 10 milliards de francs et les entreprises,
au titre de l'alternance, environ 8,16 milliards de francs.
M. Jean Madelain, rapporteur pour avis,
a ensuite présenté
les actions de formation consacrées aux demandeurs d'emploi. Il a
cité le programme chômeur de longue durée, qui augmentait
de 14,9 %, passant de 3.478 milliards de francs à
3.996 milliards de francs afin, notamment, d'augmenter le nombre de stages
d'insertion et de formation à l'emploi (SIFE) (30.000 SIFE
supplémentaires sur un total de 160.000), ainsi que l'allocation de
formation reclassement (AFR), qui augmentait de 10,1 %. Il a
rappelé que la participation de l'Etat au versement de cette allocation
avait été réduite de 51,8 % l'année
dernière. Il a précisé que ce désengagement avait
poussé l'Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce
(UNEDIC) à réformer le versement de l'AFR, notamment en
proratisant l'allocation à la durée de cotisation à
l'assurance chômage. Cette réforme, appliquée à
titre rétroactif, avait suscité de nombreuses protestations des
allocataires auxquels on demandait le remboursement de trop perçus.
Aussi, l'UNEDIC, dans l'attente d'une décision des partenaires sociaux,
avait supprimé le caractère rétroactif et avait
fixé un seuil en deçà duquel la proratisation ne jouait
plus. Le rapporteur pour avis a toutefois indiqué que la hausse des
crédits n'était pas la conséquence de ces
difficultés, mais tenait essentiellement à l'augmentation du
nombre des bénéficiaires en 1997.
Abordant le chapitre de la participation de l'Etat à la formation et
à l'adaptation de la main d'oeuvre, le rapporteur pour avis a
observé que ces crédits, en augmentation de 1 %,
s'inscrivaient dans la continuité.
Puis, il a présenté les crédits consacrés à
l'AFPA qui s'élevaient à 4.298 millions de francs, en
augmentation de 1,5 %. Il s'est félicité de voir que le
Gouvernement, en privilégiant les investissements, avait reconnu leur
importance pour moderniser ou maintenir en état les outils
pédagogiques et de formation. Il a précisé que les
objectifs fixés dans le contrat de progrès avaient
été atteints, ce qui témoignait de l'efficacité de
la réforme entreprise depuis plusieurs années, l'AFPA constituant
désormais un pôle de référence dans le domaine de la
formation.
En conclusion de sa présentation du budget,
M. Jean Madelain,
rapporteur pour avis,
est revenu sur la baisse des crédits
consacrés à la formation en alternance des jeunes, qui risquait
d'introduire un grave dysfonctionnement de notre système d'insertion. Il
a également rappelé la baisse du nombre de contrats de
qualification et l'insuffisance des crédits nécessaires au
financement des indemnités forfaitaires versées aux employeurs
d'apprentis.
M. Jean Madelain, rapporteur pour avis,
a alors formulé plusieurs
observations. Il a rappelé que l'AGEFAL allait subir un nouveau
prélèvement de 400 millions de francs dans des conditions
juridiques qui n'étaient pas encore clairement précisées
et que ce prélèvement s'ajoutait à ceux de 1996 sur le
Comité paritaire du congé individuel de formation (COPACIF) et de
1997 sur l'AGEFAL.
Il a observé que les excédents invoqués pour justifier ces
prélèvements s'expliquaient en grande partie par l'application de
règles comptables conduisant à un gonflement momentané de
la trésorerie. Il a rappelé que les excédents des
années précédentes avaient aussi pour origine la
réforme de la collecte qui avait freiné considérablement
la dépense, et la réduction de nombre des contrats de
qualification.
Il a considéré que ces prélèvements
périodiques sur les fonds de l'alternance n'étaient pas sains. Il
a ajouté que la trésorerie de l'AGEFAL était maintenant
inférieure aux prévisions de dépenses, du moins si la
reprise récente des contrats de qualification se confirmait.
Il a alors rappelé que la baisse du nombre des contrats de
qualification, sans doute victimes de la concurrence du contrat
d'apprentissage, s'expliquait essentiellement par les incertitudes entourant le
versement à l'employeur de la prime de 5.000 ou de 7.000 francs. Il a
rappelé que cette prime, éteinte au 31 décembre 1996,
n'avait été reconduite que le 26 mars 1997 et qu'aucune
décision n'était prise pour 1998.
D'une façon générale, le rapporteur pour avis a
observé que le système de formation en alternance restait
plongé dans l'opacité la plus totale et que l'élan de
réforme impulsé par la loi quinquennale marquait aujourd'hui le
pas.
Il a en conséquence formulé plusieurs suggestions. Il a notamment
souhaité qu'un bilan approfondi soit établi de la réforme
de la collecte des fonds de l'alternance, des grandes orientations
définies par les organismes collecteurs agréés (OPCA), des
conditions d'utilisation des sommes réservées à
l'échelon inter-régional et de la mise en oeuvre des formations
inter-branches. Pour lui, ce bilan devait être autant qualitatif que
quantitatif.
Il a proposé que soit repensé le congé individuel de
formation, qui datait de 1982, afin de l'adapter aux nouveaux besoins de
formation. Il a également suggéré d'étudier une
réforme des conditions de collecte de la taxe d'apprentissage afin de
poursuivre la réforme du financement de l'apprentissage entreprise par
la loi n° 96-376 du 6 mai 1996.
Plus généralement, il a souhaité que soit
réexaminée la complémentarité des différents
contrats en alternance, comme des différents intervenants, afin que les
besoins des entreprises et des jeunes en matière de formation soient
mieux pris en compte.
Pour le rapporteur pour avis, c'est l'ensemble du système de formation
professionnelle initiale et continue qu'il faudrait revoir en tenant compte des
réflexions actuelles sur les nouvelles conditions et modalités de
travail.
Il a rappelé que le rapport de M. Michel de Virville contenait des
réflexions et des analyses intéressantes sur une
éventuelle réforme de la formation professionnelle dont les
textes fondateurs dataient de 1971. Il a remarqué que cette
réforme serait aussi l'occasion de simplifier les dispositifs devenus
pratiquement incompréhensibles (par exemple, le crédit
d'impôt formation), ou de revoir les règles comptables de l'AGEFAL.
Il a également appelé de ses voeux un examen attentif des
conditions dans lesquelles s'était effectuée la
décentralisation des formations pré-qualifiantes et qualifiantes,
le comité de coordination des programmes régionaux
d'apprentissage et de formation professionnelle ayant mis en évidence de
nombreuses incertitudes sur les objectifs, les moyens mis en oeuvre et la
réalisation des politiques.
En conclusion, en souhaitant qu'une véritable impulsion nouvelle soit
donnée à la formation en alternance,
M. Jean Madelain,
rapporteur pour avis,
a constaté que, sous une présentation
budgétaire peu différente de celle de l'année
dernière, on constatait des infléchissements négatifs et
surtout des incertitudes portant principalement sur le domaine prioritaire des
formations en alternance. Aussi, il a suggéré à la
commission, pour marquer son inquiétude et souligner sa volonté
d'impulser ce nouvel élan dont a besoin la formation professionnelle, de
donner un avis négatif, comme l'avait fait M. Louis Souvet,
rapporteur pour avis, à l'adoption des crédits de la formation
professionnelle.
Au cours de la discussion qui a suivi l'exposé des rapporteurs pour
avis,
M. André Jourdain
a déclaré partager les
analyses de M. Louis Souvet, rapporteur pour avis, notamment sur la remise en
cause de l'allégement du coût du travail et des avantages
consentis au temps partiel. Pour lui, cette politique ira à l'encontre
des améliorations de la conjoncture économique et de l'emploi
constatées aujourd'hui.
Il a souligné que la remise en cause du temps partiel aurait des
conséquences très négatives pour les petites entreprises
ainsi que pour les associations d'aides ménagères. Enfin, il a
observé que l'allocation de remplacement pour l'emploi n'était
qu'une mesure défensive car, bien que coûteuse (16 milliards
de francs), elle n'avait aucun effet sur l'emploi.
S'adressant à M. Jean Madelain, rapporteur pour avis,
M. André
Jourdain
s'est déclaré particulièrement inquiet des
choix opérés par le Gouvernement en matière de formation
et d'insertion des jeunes qui ne s'inscrivaient en aucune manière dans
la continuité des politiques menées ces dernières
années.
En conséquence, il s'est prononcé en faveur d'un avis
négatif sur ces deux budgets.
M. Pierre Lagourgue
s'est longuement interrogé sur les
conséquences désastreuses d'un abaissement de la durée du
travail à 35 heures. Il a notamment mis en évidence les
distorsions de concurrence que le seuil de 10 ou 20 salariés
introduirait entre des entreprises dont l'activité était
très proche mais qui se situeraient de part et d'autre de ce seuil.
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis,
a précisé que la
ristourne dégressive pour le temps partiel ne concernait que de
façon marginale les aides ménagères. Il est revenu sur les
conséquences des redéploiements qui faisaient payer une part
importante des emplois-jeunes par les entreprises.
Il a déclaré partager les inquiétudes de M. Pierre
Lagourgue sur les effets de seuils que ne manqueraient pas de provoquer les 35
heures, tout en soulignant que cette durée du travail s'appliquerait aux
entreprises de moins de 20 salariés deux ans après s'être
appliquée aux entreprises d'effectifs supérieurs.
M. Jean Madelain, rapporteur pour avis,
a reconnu que sa critique
portait moins sur le niveau des crédits consacrés à la
formation professionnelle que sur l'avenir des formations en alternance qui lui
paraissait menacé par la baisse de crédits, par des engagements
non financés et par le recours à des dispositifs juridiques peu
clairs. Il a rappelé que le rapport de M. Michel de Virville,
commandé par M. Jacques Barrot, avait été mis de
côté alors qu'il contenait des propositions très
intéressantes, notamment en matière de validation d'acquis
professionnels.
Le rapporteur pour avis a rappelé que lorsqu'il avait interrogé
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, sur
une éventuelle réforme de l'alternance, elle avait
déclaré que cette réforme dépendait d'abord des
partenaires sociaux.
Mme Dinah Derycke
a observé que M. Jean Madelain, rapporteur pour
avis, avait adopté une position nuancée qui aurait dû le
conduire, contrairement à M. Louis Souvet, rapporteur pour avis,
à se prononcer en faveur de la sagesse, car ses critiques et ses
suggestions avaient déjà été formulées dans
le passé.
M. Jean Madelain, rapporteur pour avis,
a observé que ces
réformes nécessaires prenaient chaque année un peu plus de
retard et qu'il convenait de ne pas s'en désintéresser. Il a
rappelé que la commission devait se prononcer globalement sur les
crédits de l'emploi et de la solidarité car elle n'était
saisie que d'un seul budget, la nomination de deux rapporteurs pour avis
différents datant de la création, du temps où
M. Pierre Mauroy était Premier ministre, d'un ministère
autonome chargé de la formation professionnelle.
La commission a alors émis un
avis défavorable à
l'adoption des crédits consacrés à l'emploi et à la
formation professionnelle
dans le projet de loi de finances pour 1998.
Mesdames, Messieurs,
Le projet de budget consacré à l'emploi figure parmi les rares
budgets qui augmenteront sensiblement en 1998 : alors que le budget
général ne devrait augmenter que de 1,4 %, celui de l'emploi
(ministère et charges communes) augmenterait de 3,6 %. Deux autres
budgets devraient croître dans des proportions identiques :
l'éducation nationale (3 %) et la justice (4 %).
Ce budget affiche les orientations suivantes :
· priorité absolue pour l'emploi des jeunes ;
· non remise en cause des dispositifs d'insertion existants ;
· poursuite de l'effort de rationalisation des aides à
l'emploi.
Ces trois orientations sont mises au service de deux dispositifs
prioritaires : les emplois-jeunes et l'abaissement du temps de travail
à 35 heures.
Toutefois, si ces orientations, ainsi énoncées, peuvent
apparaître particulièrement opportunes, leurs modalités de
mise en oeuvre sont contestables et le résultat, sur le moyen terme,
risque d'être pire que le mal.
En effet, le financement de ces mesures prioritaires, en pesant sur les
entreprises et le niveau des prélèvements obligatoires, laisse
craindre que le Gouvernement ne se soit engagé dans une politique
à courte vue, permettant d'engranger en un court laps de temps des
bénéfices immédiats, en termes statistiques et politiques,
mais particulièrement risquée à long terme pour les
finances publiques, la compétitivité des entreprises, la
croissance et l'emploi.
III. UN BUDGET PRIVILÉGIÉ
Les crédits consacrés au travail, à
l'emploi et à la formation professionnelle sont, comme les années
précédentes, répartis en deux grandes masses. Toutefois,
certains transferts sont intervenus, qui minorent les charges communes et
augmentent le budget de l'emploi
2(
*
)
.
· Le budget du ministère de l'emploi (section emploi)
s'élève à 112,582 milliards, contre
103,015 milliards en loi de finances initiale pour 1997, en augmentation
de 9,3 % ; toutefois, à structure constante (cf. note 1), les
crédits du ministère s'élèvent à
107,5 milliards, ce qui correspond à une hausse de 4,4 %.
· Les chapitres 44-75 et 44-76 (mesures exceptionnelles en faveur
de l'emploi, de la formation professionnelle et de la cohésion sociale)
du budget des charges communes s'élèvent au total à
43,230 milliards, contre 47,365 milliards en 1997, ce qui correspond
à une baisse de 8,7 %, ou, à structure constante, une
augmentation de 2,05 %.
Au total, les crédits consacrés au travail, à l'emploi et
à la formation professionnelle, sont de 155,812 milliards contre
150,381 milliards en 1997, soit une hausse globale de 3,6 %
correspondant à 5,43 milliards.
On notera cependant que cette augmentation provient essentiellement du
financement des emplois-jeunes, dotés de 8,35 milliards (auxquels
il faut ajouter les 2 milliards ouverts par le décret d'avance du 9
juillet 1997). On constate en effet que les mesures en faveur de l'insertion
professionnelle des jeunes voient leurs crédits augmenter de
42,8 %, ce qui correspond à un abondement de 7,552 milliards.
La ministre de l'emploi et de la solidarité a dit, en commission, que
cette mesure avait été financée par la solidarité
interministérielle (correspondant à des économies sur
d'autres budgets, notamment celui de la défense) et par des
redéploiements internes.
Toutefois, si l'enveloppe des crédits en faveur des jeunes est
préservée, les évolutions internes sont très
contrastées : on constate en effet une augmentation sensible des
crédits consacrés à l'apprentissage, mais aussi une
amputation sévère des crédits consacrés aux
contrats de qualification, et plus globalement une baisse des crédits
consacrés à la formation en alternance.
Par ailleurs, au titre des redéploiements, de nombreuses actions voient
leurs crédits sérieusement amputés soit par rapport au
budget 1997, soit par rapport à ce que ces crédits auraient
dû être si certains dispositifs n'étaient pas
modifiés : pour les premiers on citera le financement du retrait
d'activité et des revenus de remplacement qui diminuent de 5,6 %
(avec notamment une baisse de 16,6 % pour le financement du retrait
d'activité), les actions de l'Etat en faveur des publics prioritaires
avec une baisse de 7,9 % des crédits en faveur des demandeurs
d'emploi, et pour les seconds, on citera la ristourne dégressive sur les
cotisations sociales qui, après modifications législatives et
réglementaires, devrait faire l'objet d'une économie
évaluée à 6,5 milliards. Cette économie
absorbe, et même au-delà, l'effet de l'augmentation du SMIC de
juillet dernier. En conséquence, l'enveloppe globale des crédits
consacrés à la ristourne dégressive devrait restée
inchangée. On notera d'ailleurs que le Gouvernement, sur les
43,230 milliards inscrits au budget des charges communes (il s'agit de
crédits à répartir, donc non encore affectés),
compte économiser 3 milliards qui seront consacrés au
dispositif d'encouragement au passage aux 35 heures.
Les schémas ci-dessous, par agrégats et grands types d'action,
illustrent d'une part la faible modification structurelle apparente des
crédits entre 1997 et 1998 et d'autre part le glissement en faveur des
publics prioritaires (où figurent les emplois-jeunes) au
détriment de l'indemnisation du chômage et du retrait
d'activité ; les changements structurels de la politique de l'emploi,
qui portent sur la réduction de l'allégement du coût du
travail (alors que le dispositif législatif actuel aurait dû
conduire à une importante progression), sont masqués par
l'incorporation à cet agrégat des crédits affectés
à l'incitation du passage à 35 heures.
Ces crédits doivent être resitués dans
l'ensemble des dépenses consacrées à l'emploi.
La dépense pour l'emploi est estimée pour 1995, dernière
année connue, à 291 milliards, soit une baisse de 2,7 %
en francs constants par rapport à 1994, année qui accusait
déjà une baisse de 1,8 %. Il convient toutefois de noter que
la dépense pour l'emploi ne prend pas en compte la baisse de charges
sociales sur les bas salaires considérée comme une mesure
macro-économique. Si les exonérations de charges étaient
prises en compte, la dépense pour l'emploi serait de
311,8 milliards, en hausse de 0,2 % par rapport à 1994.
La répartition, en 1995, de la dépense pour l'emploi a
été la suivante :
Etat |
40,0 % |
Collectivités territoriales |
2,0 % |
Entreprises |
17,0 % |
UNEDIC |
36,0 % |
ACOSS |
3,6 % |
Autres régimes |
1,4 % |
100,0 % |
La dépense pour l'emploi comparée à quelques grandeurs significatives
1973 |
1980 |
1986 |
1987 |
1988 |
1989 |
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
||||||||||||||
Dépense pour l'emploi |
10,2 |
64,8 |
183,3 |
192,2 |
201,1 |
202,2 |
219,3 |
242,0 |
265,2 |
294,5 |
294,1 |
291,1 |
|||||||||||||
(milliards F. courants) |
298,4 |
305,8 |
311,8 |
||||||||||||||||||||||
Variation annuelle |
- |
+ 4,9 |
+ 5,0 |
+ 1,7 |
+ 1,8 |
- 2,9 |
+ 4,9 |
+ 6,9 |
+ 7,1 |
+ 8,7 |
- 1,8 |
- 2,7 |
|||||||||||||
(F. constants, en %) |
+ 10,2 |
+ 0,8 |
+ 0,2 |
||||||||||||||||||||||
DPE/PIB (en %) |
0,90 |
2,31 |
3,62 |
3,60 |
3,51 |
3,28 |
3,37 |
3,57 |
3,79 |
4,16 |
3,98 |
3,79 |
|||||||||||||
4,22 |
4,14 |
4,06 |
|||||||||||||||||||||||
DEFM (moyenne ann.,
|
394 |
1.451 |
2.517 |
2.622 |
2.563 |
2.532 |
2.505 |
2.709 |
2.911 |
3.171 |
3.329 |
3.250 |
|||||||||||||
Variation annuelle |
- |
+ ,75 |
+ 2,4 |
+ 4,2 |
- 2,2 |
- 1,2 |
- 1,1 |
+ 8,2 |
+ 7,5 |
+ 8,9 |
+ 5,0 |
- 2,4 |
En italique, depuis 1993, y compris les baisses
générales de charges sur les bas salaires.
Source : MTAS-DARES (premières synthèses)
Le tableau ci-dessus montre que les efforts considérables consentis en
faveur de l'emploi n'ont qu'une incidence marginale sur la situation de
l'emploi.
Pourtant, les notes de conjoncture de l'INSEE et de la DARES mettent en
évidence une certaine amélioration de la situation.
Malheureusement, cette amélioration, encore très fragile,
pourrait être remise en cause, à moyen terme, par les choix
opérés par le Gouvernement.
IV. UNE AMÉLIORATION DU MARCHÉ DU TRAVAIL ENCORE FRAGILE
L'activité économique est en nette reprise
depuis l'été 1997, tirée par les exportations que
favorisent la demande étrangère et des parités de change
plus favorables que l'année dernière. Dans ces conditions, il est
attendu un redémarrage de la consommation intérieure. Ces
analyses et prévisions, qui semblent assez partagées, expliquent
la légère amélioration de l'emploi observée depuis
le début de l'année, ainsi que la baisse du taux de chômage
escomptée pour 1998.
C'est ainsi
3(
*
)
qu'au cours du
premier trimestre 1997, les effectifs salariés ont progressé de
17.400 (+ 0,1 %) dans les secteurs concurrentiels, puis de 35.800
(+ 0,3 %) au cours du deuxième trimestre, pour un acquis de
croissance de 1,5 % à la mi-1997. Au troisième trimestre,
d'après les résultats encore provisoires de l'enquête
ACEMO, les effectifs salariés auraient augmenté de 32.100
(+ 0,2 %) et de 98.900 sur un an (+ 0,7 %).
Toutefois, cette amélioration de l'emploi ne s'observe que dans le
secteur tertiaire : 32.400 y ont été créés au
premier trimestre, 48.500 au deuxième trimestre et 45.600 au
troisième trimestre, soit 168.700 (+ 2,1 %) sur douze mois, quand
l'industrie et la construction ont continué à en supprimer,
à un rythme plus modéré que l'année
précédente cependant : respectivement 42.200 (- 1 %) et
27.600 (- 2,4 %) sur douze mois.
Evolution de l'emploi salarié à la fin du troisième trimestre 1997
(Données corrigées des variations saisonnières) (En milliers)
1996 |
1997 |
Variation (%) au 30.09.97 sur : |
|||||
Secteurs d'activité
|
30 sept. |
31 déc. |
31 mars |
30 juin |
30 sept. |
3 mois |
12 mois |
Industrie sans construction |
4.096,1 |
4.081,1 |
4.069,8 |
4.060,8 |
4.053,9 |
- 0,2 |
- 1,0 |
Construction |
1.141,5 |
1.130,5 |
1.125,9 |
1.120,5 |
1.113,9 |
- 0,6 |
- 2,4 |
Tertiaire |
8.059,7 |
8.107,2 |
8.137,8 |
8.182,8 |
8.228,4 |
+ 0,6 |
+ 2,1 |
Ensemble des secteurs |
13.297,3 |
13.318,8 |
13.333,5 |
13.364,1 |
13.396,2 |
+ 0,2 |
+ 0,7 |
Champ : ensemble des secteurs hors agriculture,
administration, éducation, santé et action sociale. Ce champ
couvre 13,4 millions de salariés sur un effectif salarié de
19,6 millions. Il ne correspond pas tout à fait à l'ancien
champ des " secteurs marchands, non agricoles "
(14,7 millions
de salariés) : en particulier, il ne comprend pas les salariés de
la santé et de l'action sociale.
Les prévisions gouvernementales portant sur la croissance, comme celles
des principaux organismes de conjoncture (2,2 % en 1997 et environ
3 % en 1998, grâce à une reprise de la consommation
intérieure), permettraient de créer au total sur 1997 135.000
emplois dans les secteurs marchands (avec pour la première fois depuis
1989, une progression de l'emploi industriel de 1 %), puis 210.000 en
1998, hors mesures nouvelles. Pour l'UNEDIC, avec une croissance de 2,2 %
du PIB en 1997 et de 2,9 % en 1998, l'emploi affilié au
régime d'assurance chômage croîtrait de 180.000
salariés cette année puis de 220.000 l'année prochaine.
Quant au chômage, il devrait progresser de 130.000 personnes
(catégories 1 + 6) en 1997, puis diminuer de
50.000 personnes en 1998. A ces projections, pourraient s'ajouter les
emplois-jeunes (150.000 prévus à la fin 1998) et un début
-qui reste hypothétique- de créations d'emplois liées
à la conclusion d'accords pour l'abaissement du temps de travail
à 35 heures.
Néanmoins, l'impact de ces créations d'emplois, en raison de
l'accroissement naturel de la population active de 150.000 personnes par an
(jusqu'en 2001)
4(
*
)
, ne se fera
guère sentir sur le chômage avant la mi-1998 et encore de
façon très réduite. Pour l'OFCE
5(
*
)
, le taux de chômage passerait
ainsi de 12,5 % en 1997 à 12,3 % de la population active à
la fin 1998 (- 20.000 demandeurs d'emploi).
Une autre raison explique que les créations d'emploi n'entraînent
pas de diminution sensible du nombre des demandeurs d'emploi. Il s'agit du
recul des entrées dans les dispositifs spécifiques de la
politique de l'emploi. Alors que 2,4 millions de personnes avaient
bénéficié d'une mesure emploi en 1995, 2,3 millions
en ont bénéficié en 1996. Cette évolution
négative semble se poursuivre en 1997, puisque, par exemple, les
entrées en emploi aidé dans le secteur marchand ont
diminué de 19,2 % entre le premier trimestre 1997 et le premier
trimestre 1996, et de 15,1 % si l'on compare les deuxièmes
trimestres. On constate des mouvements analogues pour les emplois aidés
dans le secteur non marchand (à l'exception des contrats emploi
consolidé, qui augmentent respectivement de 27,9 % et de
20,8 %, mais avec un nombre d'entrées un peu supérieur
à 20.000, qui ne compense pas la baisse du nombre de CES) ou encore pour
les actions d'insertion et de formation, qui diminuent de 20,8 % et de
10,4 %.
Cela tient à la réorientation des mesures sur les publics les
plus défavorisés, entraînant notamment un recul sensible
des embauches sous contrat initiative emploi, ou à la suppression de
dispositifs comme l'aide aux chômeurs créateurs ou repreneur
d'entreprise. L'accent mis sur des dispositifs structurels d'allégement
du coût du travail, notamment sur les bas salaires, par exemple en
favorisant l'emploi à temps partiel, explique aussi la diminution du
nombre des entrées. Malgré tout, les personnes
bénéficiant d'une mesure relevant d'un dispositif
spécifique de la politique de l'emploi représentent, en 1996,
plus de 10 % de la population active occupée (22,4 millions de
personnes).
Toutefois, la DARES estime qu'en 1996, seulement 25.000 emplois (contre 68.000
en 1995) ont été créés grâce à un
dispositif spécifique de l'emploi, mais que 48.000 chômeurs ont
été évités (après une année 1995
neutre).
La légère amélioration du marché du travail
bénéficie certes de reprise de l'activité, dont l'effet
sur l'emploi reste encore peu sensible en raison des gains de
productivité qui l'accompagnent, mais aussi d'une moindre exigence des
chômeurs pour retrouver un emploi salarié ou non salarié et
d'une hausse importante du travail à temps partiel en raison des
exonérations de charges qui y sont attachées. En mars 1997,
31 % des femmes occupaient un emploi à temps partiel et, au total,
16,6 % de la population active.
Fin septembre 1997, les demandes d'emploi de catégorie
1 (CVS) s'élevaient à 3.127.900 en diminution de 0,2 % sur
un mois et en hausse de 0,4 % sur un an. Les demandes d'emploi de
catégories 1 + 6 (activité réduite de plus
de 78 heures dans le mois, dont les fins de contrat à durée
déterminée ou de mission d'intérim) s'élevaient
à 3.561.600, en hausse de 0,7 % sur un mois et de 3,6 % sur un
an. Au sens du BIT, le taux de chômage reste à 12,5 % comme
en août 1997 et comme un an plus tôt, en septembre 1996.
Sur quelques mois, on constate donc une oscillation régulière du
nombre des demandeurs d'emploi entre 3.110.000 et 3.130.000 pour la
catégorie 1, avec un taux de chômage (BIT) de 12,5 % de
la population active.
En revanche, le nombre des demandeurs d'emploi des catégories 1 et 6,
tout en variant d'un mois sur l'autre, augmente toujours plus que la seule
catégorie 1. Cette augmentation peut être
interprétée comme la conséquence d'un recours plus
important aux contrats à durée déterminée et
à l'intérim, signe d'une reprise de l'activité
économique.
L'évolution du différentiel d'augmentation mensuel du nombre des
chômeurs d'une année sur l'autre confirme une baisse tendancielle,
depuis plusieurs mois, des inscriptions comme demandeur d'emploi.
Parmi les autres signes de l'amélioration -encore fragile- du
marché du travail, on citera la diminution du nombre de licenciements
économiques, et l'augmentation des premières entrées
(comme demandeurs d'emploi), la perception de la reprise économique
incitant à rechercher un emploi.
Cependant, l'amélioration ne touche pas de la
même manière les différentes catégories de
chômeurs. D'une façon générale, on observe que les
taux de demandes d'emploi sont plus élevés chez les jeunes (15-24
ans) et chez les femmes. Au-delà de 50 ans, les taux baissent, mais
principalement en raison des départs en préretraite.
On constate également une augmentation constante de la durée
moyenne du chômage qui dépasse désormais les 15 mois,
36,4 % des demandeurs d'emploi de catégorie 1, soit 1.145,6
millions (CVS), ayant une ancienneté dans le chômage
supérieure à un an.
Les chômeurs de longue durée ne bénéficient donc pas
non plus de la reprise.
On observe néanmoins une baisse constante depuis un an du chômage
des jeunes -en partie due sans doute au prolongement des études-,
même si le mois de septembre révèle une hausse
légèrement inférieure à 1 %. Les
emplois-jeunes devraient, du moins dans un premier temps, améliorer
sensiblement le taux d'insertion des jeunes.
Naturellement, le régime d'assurance chômage (RAC) est très
dépendant de cette conjoncture. Or, alors que l'UNEDIC, dans ses
prévisions de l'année dernière, affichait un
résultat positif (11,77 milliards de francs), on constate
aujourd'hui que le régime est déficitaire, de l'ordre de
1,4 milliard de francs en 1997, et, en prévision, de
1,5 milliard de francs en 1998.
Le résultat des comptes du régime d'assurance chômage
(En millions de francs)
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 (p) |
1998 (p) |
|
Recettes RAC |
83.325 |
85.942 |
96.257 |
116.949 |
132.948 |
137.333 |
134.224 |
128.894 |
131.551 |
Dépenses RAC |
79.716 |
94.077 |
111.411 |
125.742 |
124.235 |
114.929 |
123.925 |
130.273 |
133.015 |
Ajustement bilan |
-590 |
-373 |
-326 |
21 |
|||||
Résultat RAC |
3.609 |
-8.725 |
-15.527 |
-9.119 |
8.734 |
22.404 |
10.299 |
-1.379 |
-1.464 |
Situation financière du RAC au 31 décembre |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
p : prévu
Cette situation négative s'explique d'une part par le
succès de l'allocation de remplacement pour l'emploi (ARPE), dont le
cumul des entrées aboutit à un engagement global brut de
dépenses d'environ 16,8 milliards de francs cette année,
soit 1,3 milliard de plus que les chiffrages précédents et
d'autre part, par la progression modérée de la masse salariale
(+ 2,9 % en 1997, + 4,1 % en 1998, contre + 3 %
en 1996) qui procure des recettes inférieures aux années
précédentes. Le surcoût de 0,6 milliard de francs du
dispositif concernant les bénéficiaires de l'allocation
chômeurs âgés (ACA) par rapport à l'allocation unique
dégressive (AUD), et le désengagement de l'Etat du financement de
l'allocation formation reclassement (AFR) de 80 % à 40 %
depuis le début de 1997, limitent les possibilités de
redressement des comptes de l'UNEDIC. Les rapporteurs rappellent d'ailleurs que
l'Etat est toujours redevable de 15 milliards de francs, qui devraient
être versés en 1999 et en 2002, ou plus tôt si la situation
du régime le nécessitait.
Bien qu'insuffisante pour faire sensiblement baisser le chômage, la
reprise économique a cependant déjà permis une reprise des
créations d'emploi, selon un processus qui devrait naturellement
s'accélérer si l'environnement économique mondial reste
stable et si la consommation des ménages peut véritablement
reprendre. Cependant, ces améliorations restent très fragiles,
d'autant que la crise financière en Asie laisse planer une menace sur
les prévisions de reprise en Europe.
PRINCIPALES ACTIONS DE LA POLITIQUE DE L'EMPLOI
France métropolitaine
EMPLOI AIDÉ DANS LE SECTEUR MARCHAND |
Entrées
|
Entrées
|
Cumul de Janv.97
|
Cumul de Janv. 96
|
Effectifs fin
|
Effectifs fin
|
EXONÉRATIONS À L'EMBAUCHE |
||||||
Exonération pour l'embauche d'un 1er salarié : embauches |
6.048 |
4.883 |
54.026 |
51.830 |
125.000 |
130.000 |
Exonération zone de redynamisation urbaine (1er-50ème salarié) |
249 |
- |
1798 |
- |
nd |
- |
Exonération zone de redynamisation rurale (1er-50ème salarié) |
1.158 |
- |
6.419 |
- |
nd |
- |
Exonération zone franche (1er-50ème salarié) |
nd |
- |
nd |
- |
nd |
- |
Abatt. pour l'embauche à temps partiel : nbde personnes concernées |
16.566 |
16.060 |
155.827 |
147.549 |
nd |
nd |
CONTRATS EN ALTERNANCE |
||||||
Contrats d'apprentissage : nouveaux contrats enregistrés |
25.132 |
22.405 |
94.333 |
87.782 |
346.000 |
313.000 |
Contrats de qualification : nouveaux contrats visés |
8.253 |
7.130 |
56.731 |
56.470 |
115.000 |
120.000 |
Contrats d'adaptation : nouveaux contrats visés |
3.539 |
2.804 |
38.881 |
31.998 |
38.000 |
32.000 |
Contrats d'orientation : nouveaux contrats visés |
177 |
130 |
2.453 |
1.820 |
1.700 |
1.200 |
CONTRATS DE RETOUR À L'EMPLOI |
- |
- |
- |
- |
45.000 |
63.000 |
CONTRATS INITIATIVE EMPLOI |
15.261 |
24.750 |
154.643 |
244.570 |
425.000 |
350.000 |
EMPLOI AIDÉ DANS LE SECTEUR MARCHAND |
Entrées
|
Entrées
|
Cumul de Janv.97
|
Cumul de Janv. 96
|
Effectifs fin
|
Effectifs fin
|
INSERTION PAR L'ÉCONOMIQUE |
||||||
Associations intermédiaires : personnes mises à disposition |
68.735 |
65.068 |
585.096 |
540.413 |
42.226 |
40.822 |
Entreprises d'insertion : embauches sous CDD/Aide forfaitaire |
1.401 |
nd |
11.319 |
nd |
nd |
nd |
EMPLOIS FAMILIAUX |
||||||
Nombre de salariés du mois (Régime mandataire) |
117.867 |
90.256 |
862.360 |
700.705 |
nd |
nd |
Nombre de salariés du mois (Association agréées/Régime prestataire) |
104.621 |
41.603 |
639.928 |
309.627 |
nd |
nd |
AIDES À LA CRÉATION D'ENTREPRISE |
Entrées
|
Entrées
|
Cumul de Janv.97
|
Cumul de Janv. 96
|
Effectifs fin
|
Effectifs fin
|
BÉNÉFICIAIRES DES AIDES |
||||||
Aides aux chômeurs créateurs d'entreprises : bénéficiaires |
3.210 |
3.222 |
24.529 |
29.200 |
- |
- |
EMPLOI AIDÉ DANS LE SECTEUR NON MARCHAND |
Entrées
|
Entrées
|
Cumul de Janv.97
|
Cumul de Janv. 96
|
Effectifs fin
|
Effectifs fin
|
CONTRATS EMPLOIS SOLIDARITÉ, CEC, CEV |
||||||
Contrats Emploi-Solidarité : nouveaux contrats et avenants |
43.589 |
47.697 |
382.370 |
407.583 |
291.000 |
341.154 |
Contrats Emplois consolidés : nouveaux contrats et avenants |
8.542 |
7.277 |
67.682 |
55.973 |
87.000 |
70.547 |
Contrats Emplois ville : nouveaux contrats et avenants |
1.278 |
754 |
10.074 |
1.326 |
13.000 |
nd |
STAGES DE FORMATION |
Entrées
|
Entrées
|
Cumul de Janv.97
|
Cumul de Janv. 96
|
Effectifs fin
|
Effectifs fin
|
STAGES DE FORMATION ADULTES |
||||||
Stages d'insert.et de formation à l'emploi (SIFE Collec.) : entrées en stage |
10.568 |
14.730 |
78.093 |
112.063 |
31.000 |
42.500 |
Stages cadres privés d'emploi : entrées en stage |
750 |
790 |
4.255 |
4.217 |
1.400 |
1.500 |
Stages d'accès à l'entreprise : entrées en stage |
3.078 |
2.434 |
26.584 |
24.315 |
6.600 |
6.000 |
SIFE individuels : entrées en stage |
2.535 |
1.832 |
21.081 |
20.130 |
2.500 |
1.800 |
STAGES DE FORMATION JEUNES |
||||||
Total des actions de formation alternées dont : |
8.654 |
10.697 |
108.457 |
111.869 |
nd |
20.633 |
Actions des conseils régionaux (entrées en rémunération) |
8.092 |
9.387 |
98.526 |
90.694 |
nd |
15.018 |
Actions financées par l'Etat (Entrées en rémunération) |
562 |
1.241 |
9.703 |
20.730 |
nd |
5.615 |
MESURES D'ACCOMPAGNEMENT DES RESTRUCTURATIONS ET PRÉRETRAITES |
Entrées
|
Entrées
|
Cumul de Janv.97
|
Cumul de Janv. 96
|
Effectifs fin
|
Effectifs fin
|
MESURES D'ACCOMPAGNEMENT DES RESTRUCTURATIONS |
||||||
Conventions de conversion : premiers paiements (UNEDIC) |
11.288 |
12.036 |
97.850 |
96.855 |
64.500 |
65.800 |
PRÉRETRAITES |
||||||
Allocations spéciales du FNE : premiers paiements (UNEDIC) |
1.617 |
1.603 |
14.499 |
14.329 |
112.460 |
135.429 |
Préretraite progressive : premiers paiements (UNEDIC) |
973 |
1.327 |
13.473 |
15.673 |
54.444 |
52.622 |
Dispensés de recherche d'emploi indemnisés (UNEDIC) |
- |
- |
- |
- |
266.667 |
269.096 |
V. DES ORIENTATIONS HASARDEUSES
Il ressort des considérations exposées ci-dessus
que si les prévisions de croissance et leurs effets sur le marché
du travail sont plutôt bien orientées, autorisant un optimisme
très modéré en ce qui concerne les perspectives de
l'emploi, leur fragilité est telle que peu de choses suffirait à
les faire basculer.
Vos rapporteurs se doivent de rappeler en effet que les
prélèvements obligatoires représentent 45,5 % du PIB,
contre une moyenne européenne de 42 %, et que les
prélèvements sur les entreprises ont représenté en
1995, 19,5 %, le plus haut niveau d'Europe auprès la Suède.
La consolidation de l'amélioration passe donc par un allégement
des prélèvements obligatoires et, pour ce qui concerne plus
directement la politique de l'emploi, par un allégement des charges
pesant sur les entreprises.
Cet allégement de charges a été mis en oeuvre depuis 1993,
de façon structurelle et en y adjoignant une plus grande
flexibilité du travail, par les gouvernements de MM. Balladur et
Juppé, qui préparaient ainsi les améliorations du
marché du travail constatées aujourd'hui.
Un autre facteur d'amélioration du marché du travail a
été la forte augmentation du temps partiel, encouragé par
les exonérations de charges sociales et la simplicité de leur
calcul.
Or, plusieurs mesures du projet de loi de finances vont à l'encontre de
ces facteurs favorables. Il y a tout d'abord les mesures prioritaires que sont
l'abaissement du temps de travail à 35 heures et les
emplois-jeunes. Mais ensuite, le financement de ces dispositifs, coûteux,
ont conduit sur le plan budgétaire, à procéder à
des redéploiements et à adopter des mesures de rationalisation,
politique parfaitement admissible sur le principe, mais qui apparaît ici
soit insuffisante, soit contestable.
A. DES MESURES PRIORITAIRES TROMPEUSES
Nul ne peut nier que le fort taux de chômage
nécessite de rechercher les moyens de le réduire. Personne non
plus ne conteste que la situation des jeunes sur le marché du travail
impose de rechercher des solutions d'insertion efficaces. Cependant, les
réponses apportées ne doivent pas être pires que le mal.
Or, le Gouvernement vient de s'engager dans deux voies qui, à des
degrés divers, tout en répondant à des attentes
-légitimes ou utopiques-, risquent de se retourner contre leurs
bénéficiaires : en cela, elles sont trompeuses.
Il s'agit d'une part des 35 heures, réponse politique aux
difficultés de l'emploi par le partage du travail, et d'autre part des
emplois-jeunes, réponse lourde de problèmes repoussés
à plus tard à une véritable angoisse sociale.
1. Les 35 heures : un pari risqué
La loi de Robien, en réécrivant l'article 39 de
la loi quinquennale du 13 décembre 1993, a ouvert la voie : elle
propose, sous forme d'exonérations des charges patronales de 40 ou
50 % la première année et de 30 ou 40 % les six
années suivantes, une aide à la réduction du temps de
travail (de 10 ou 15 %) en contrepartie d'embauches (de 10 ou 15 %
des effectifs) ; ces emplois nouveaux doivent être maintenus au minimum
pendant deux ans ; dans le cadre de plans sociaux, la contrepartie consiste
à maintenir l'emploi pendant une durée fixée par
convention.
Votre commission, bien que réservée sur certaines
modalités de ce dispositif en raison de son coût pour la
collectivité, s'était prononcée pour l'adoption de la loi,
d'ailleurs résultat d'un compromis entre les deux assemblées.
Elle ne peut donc être suspectée de fortes réticences
à l'égard de l'abaissement de la durée du travail et d'un
certain partage. En outre, elle ne peut que se féliciter de deux
conséquences indirectes de la loi, à savoir, la modernisation et
la réorganisation de l'outil de travail qui ont accompagné la
mise en place du dispositif et la relance du dialogue social au sein de
l'entreprise que cela a entraîné.
Début octobre, 1.000 accords avaient été
signés, témoignant de l'intérêt des entreprises
-essentiellement les petites et moyennes-, pour ce dispositif, pour lequel sont
inscrits en 1998 2.138,92 millions de francs, contre 815,4 en 1997
(Agrégat II - Participation de l'Etat à la formation et à
l'adaptation des ressources en main d'oeuvre des entreprises).
Toutefois, les études
6(
*
)
confiées à des consultants privés ont souligné le
danger potentiel de la sortie du dispositif au bout des sept ans, qui se
traduirait pour les entreprises par un surcoût salarial de 6 %
susceptible d'entraîner un " choc inflationniste ". Il
s'agit
cependant d'un dispositif conventionnel, non obligatoire.
Tout autre, en revanche, est le dispositif d'abaissement à
35 heures de la durée légale du travail annoncé lors
de la conférence nationale sur l'emploi du 10 octobre 1997.
Une loi d'orientation et d'incitation (LOI) fixera l'objectif de la
durée légale à 35 heures au 1er janvier 2000 pour les
entreprises de plus de 10 salariés (peut-être de 20,
après concertation avec les partenaires sociaux).
Une seconde loi, votée au cours du deuxième semestre 1999,
devrait fixer le régime des heures supplémentaires, dont le point
de départ sera la 36ème heure.
La loi d'orientation et d'incitation, présentée en 1998, sera
essentiellement incitative : il s'agira pour les entreprises et les branches de
négocier la réduction du temps de travail de façon
à l'adapter à leur situation, en recourant aux modalités
d'aménagement du temps de travail déjà prévues par
le code du travail et en tenant compte de ses incidences sur l'évolution
des rémunérations ainsi que sur les créations d'emplois
qui pourraient être obtenues.
La loi d'orientation et d'incitation devrait aussi limiter l'usage
systématique et permanent d'heures supplémentaires
pratiqué par certaines entreprises, et revoir la définition des
contrats de travail à temps partiel ouvrant droit à l'abattement
de 30 % (de 16 à 30 heures au lieu de 16 à
32 heures)
7(
*
)
ainsi que
les conditions de recours aux heures complémentaires (une
négociation de branche sera nécessaire au-delà d'un
certain seuil) et aux interruptions de la journée de travail.
Un dispositif financier d'incitation et d'accompagnement
bénéficiera aux entreprises qui anticiperont, sous certaines
conditions, le passage aux 35 heures. L'aide consistera en un abattement
forfaitaire des cotisations sociales employeur et sera accordée aux
entreprises ou établissements qui réduiront leur durée du
travail d'au moins 10 % en accroissant leurs effectifs d'au moins 6 %
dans l'année suivant la réduction d'horaire. Elle aura une
durée de cinq ans et sera dégressive. Le dispositif, qui suppose
un accord d'entreprise et la signature d'une convention avec l'Etat, sera
ouvert pendant deux ans. L'aide sera de 9.000 francs pour les premiers
douze mois, puis diminuera ensuite de 1.000 francs chaque année pour
atteindre 5.000 francs à son terme. Elle concernera les entreprises
qui entreront dans le dispositif en 1998. Pour celles qui y entreront au
premier semestre 1999, elle sera de 8.000 francs pour les douze premiers
mois et décroîtra ensuite pour rester à 5.000 francs
pendant deux ans. L'aide pourra être majorée en cas d'accord
innovant, d'embauches plus nombreuses ou d'embauches de jeunes
(1.000 francs), ou si la réduction d'horaire atteint au moins
15 % et que l'entreprise s'engage à augmenter ses effectifs d'au
moins 9 % (4.000 francs supplémentaires par an et par
salarié).
Un dispositif analogue, mais non automatique, sera mis en place pour les
entreprises engagées dans une procédure collective de
licenciements économiques qui, comme la loi de Robien,
préserveraient des emplois par une réduction du temps de travail.
La loi de Robien serait supprimée, mais les conventions en vigueur
continueraient à s'appliquer jusqu'à leur terme.
Un bilan de l'application de la loi d'orientation et d'incitation serait
dressé à l'automne 1999 en vue de préparer la baisse de la
durée légale et prévoir éventuellement une aide
structurelle pour les entreprises que l'abaissement de la durée du
travail à 35 heures risquerait de mettre en difficulté.
Les aides attribuables aux entreprises qui réduisent
leur durée du travail en 1998
Caractéristiques de la réduction |
Montant de l'aide |
||||
d'horaires |
1ère année |
2ème année |
3ème année |
4ème année |
5ème année |
Système de base |
|||||
Réduction d'au moins 10 % avec 6 % d'augmentation des effectifs |
9.000 F |
8.000 F |
7.000 F |
6.000 F |
5.000 F |
Réduction d'au moins 15 % avec 9 % d'augmentation des effectifs |
13.000 F |
12.000 F |
11.000 F |
10.000 F |
9.000 F |
Système pour entreprises plus innovantes |
|||||
Réduction d'au moins 10 % avec augmentation supérieure des effectifs ou embauche prioritaire de jeunes ou modalités innovantes d'organisation du travail |
10.000 F |
9.000 F |
8.000 F |
7.000 F |
6.000 F |
Réduction d'au moins 15 % avec augmentation supérieure des effectifs ou embauche prioritaire de jeunes ou modalités innovantes d'organisation du travail |
14.000 F |
13.000 F |
12.000 F |
11.000 F |
10.000 F |
Trois millions de francs seraient inscrits au budget des
charges communes, dans le chapitre 44-75 (mesures exceptionnelles en faveur de
l'emploi et de la formation professionnelle), inclus dans les 43 milliards de
francs destinés à compenser les exonérations de charges
sociales sur les bas salaires. Le moins que l'on puisse dire est que cette
affectation de crédits ne saute pas aux yeux à la lecture du seul
" bleu budgétaire ". Les trois milliards devraient
accompagner
le passage aux 35 heures de 1,4 million de salariés. Le chiffre de
42.000 emplois créés a aussi été
avancé, la réduction de la durée du travail se
répartissant en 3 % de gain de productivité et 7 % de
création d'emplois.
Ce dispositif moins ambitieux en terme de création d'emplois et
proportionnellement moins lourd en termes financiers, s'inspire largement de la
loi de Robien. Mais il se démarque sur deux points fondamentaux : il
s'appuie sur une obligation légale
8(
*
)
-les 35 heures- qui place
l'entreprise dans une situation de négocier sous la contrainte, et il
postule que la réduction de la durée du travail se fera sans
perte de salaire
9(
*
)
.
Aussi, même s'il a été dit par le Gouvernement que la
réduction du temps de travail ne sera créatrice d'emploi
qu'à la condition de ne pas porter atteinte à la
compétitivité des entreprises, il paraît évident
qu'un tel mécanisme contraignant -dans un contexte européen et
même mondial qui est loin de partager cette idée de partage du
travail- ne peut qu'alourdir les charges pesant sur les entreprises. Le
Gouvernement en est conscient puisqu'il a prévu que la loi ne
s'appliquera aux entreprises de moins de dix salariés qu'au
1
er
janvier 2002, ce qui, par parenthèse, crée une
discrimination légale entre les salariés. La période
transitoire va en outre créer un climat psychologique d'incertitude et
d'inquiétude chez les chefs d'entreprises qui risque d'avoir très
rapidement des conséquences néfastes en terme d'embauche et
même d'investissement. Les effets négatifs se font d'ailleurs
déjà sentir avec le blocage des négociations par le
patronat, à l'exception de celles qui portent sur l'emploi des jeunes.
D'après une grande branche professionnelle, le surcoût horaire de
l'abaissement du temps de travail à 35 heures serait de 11,4 %
ou cinq semaines de congés payés. Par ailleurs, les effets
indirects de cette nouvelle durée légale sont loin d'avoir tous
été évalués. Ainsi en est-il du chômage
partiel : déjà de nombreuses entreprises ne travaillent que 28
à 30 heures par semaine. Si l'aide au chômage partiel devait
disparaître, la seule variable d'ajustement serait les effectifs et l'on
assisterait alors à de nouvelles vagues de licenciements...
D'une façon générale, les 35 heures obligatoires,
même assorties d'une période de transition aidée,
handicaperont gravement les entreprises au moment où la croissance
repart à la hausse et où le chômage pourrait,
d'après la plupart des instituts de conjoncture, connaître une
baisse qui, même si elle restait limitée, marquerait un
véritable tournant. Or, le contexte international favorable à la
croissance française, car il tire les exportations, reste fragile :
notre excédent commercial avec les Etats-Unis, mal accepté par
eux, et la crise financière asiatique peuvent à tout moment venir
la freiner. Déjà, des instituts de conjoncture révisent
à la baisse leurs prévisons de croissance. Dans ces conditions,
les chefs d'entreprise hésiteront à sauter le pas des
35 heures négociées et pourront préférer jouer
l'attentisme, au détriment de l'emploi.
De plus, aux charges nouvelles ainsi imposées aux entreprises vont
s'ajouter une augmentation des prélèvements obligatoires sur
l'ensemble des acteurs économiques et un début de remise en cause
de la politique d'allégement du coût du travail assorti d'une
menace sur l'investissement des entreprises.
2. Les emplois-jeunes : satisfactions immédiates, lourdes menaces pour l'avenir
L'expression emplois-jeunes par laquelle on désigne
habituellement les nouveaux contrats de travail proposés aux jeunes par
la loi n° 97-940 du 16 octobre 1997 révèle bien
que l'objet de cette mesure est moins de créer des activités
nouvelles que d'offrir aux jeunes des perspectives d'emploi dans l'espoir de
faire baisser le taux de chômage des 16-25 ans au-delà de
l'évolution spontanée constatée depuis un an (depuis
l'automne 1996, le taux de chômage des jeunes est passé de
25,7 % à 24,7 %) ; la mesure a aussi pour objectif d'inciter
les jeunes à s'insérer dans le monde du travail sans s'engager
dans la voie vaine de la surenchère des qualifications et des
diplômes. Tout ceci explique le succès de la mesure, des dizaines
de milliers de jeunes s'étant précipités aux portes de
l'éducation nationale ou des mairies.
Dans ces conditions, il était hors de question de s'opposer à un
tel dispositif. Pour autant, votre commission ne pouvait pas ne pas relever les
incohérences et les dangers du projet, ne serait-ce que pour tenter de
les corriger.
Il n'est pas dans les propos de vos rapporteurs de rouvrir un débat qui
a déjà eu lieu de façon approfondie en commission comme en
séance publique. Néanmoins, la traduction budgétaire de la
mise en oeuvre des emplois-jeunes montre explicitement que les
inquiétudes de notre Haute Assemblée n'étaient pas vaines.
(En millions de francs)
LFI 97 |
PLF 98 |
% |
|
IV - Actions de l'Etat en faveur des publics prioritaires |
63.810,34 |
68.079,38 |
6,7 |
A - Insertion professionnelle des jeunes |
17.663,98 |
25.216,37 |
42,8 |
a/ Insertion des jeunes non qualifiés |
5.053,25 |
5.077,02 |
0,5 |
... |
|||
b/ Formation en alternance |
12.610,73 |
12.089,35 |
- 4,1 |
... |
|||
c/ Nouvelles activités (emplois-jeunes) |
0,00 |
8.050,00 |
0,0 |
B - Actions en faveur des demandeurs d'emploi |
40.319,82 |
37.149,12 |
- 7,9 |
... |
|||
C - Dispositifs spécifiques |
5.826,54 |
5.713,89 |
- 1,9 |
... |
Sur les 350.000 emplois prévus en cinq ans, 50.000
auront été créés en 1997 et 100.000 en 1998.
8.350 millions de francs sont inscrits au budget 1998 dont 300 millions de
francs transférés au budget des DOM-TOM et 250 millions de
francs destinés à financer l'accompagnement des projets.
2 milliards de francs avaient été ouverts par le
décret d'avance du 9 juillet 1997, ce qui fait un total, pour les
150.000 emplois-jeunes créés au cours de ces deux
années, d'un peu plus de 10 milliards de francs. Chaque emploi
bénéficiera donc d'une aide de l'Etat (du ministère de
l'emploi) de 92.000 francs, le solde étant à la charge de
l'employeur (Etat ou collectivités locales, associations,
établissements publics...).
En 1998, ces crédits (8.050 millions de francs) sont inscrits au
chapitre 44-01 du ministère de l'emploi. Il s'agit de crédits
à répartir. Ce qui signifie que les emplois de l'éducation
nationale (40.000 créés en 1997 et
35.000 créés pour la rentrée 1998) et les emplois
d'adjoints de sécurité (20.000 contrats de
droit
public
créés par le ministère de
l'intérieur
10(
*
)
)
émargeront à hauteur de 80 % du SMIC sur ces
8.050 milliards de francs. Autrement dit, si l'on retire des
150.000 emplois prévus à fin 1998 les 95.000 emplois
créés par l'éducation nationale et l'intérieur,
auxquels il faut ajouter les emplois prévus par d'autres
ministères (la justice notamment), il reste à peine
50.000 emplois pour générer des activités
nouvelles
11(
*
)
.
Il apparaît donc à l'évidence que, pour au moins
48.250
12(
*
)
, ces emplois
correspondent à des emplois publics pour lesquels les entorses aux
règles des fonctions publiques et au droit budgétaire
13(
*
)
sont nombreuses. A eux seuls, ils
bénéficient de 4.059 millions de francs sur les
8.050 millions de francs inscrits. Il reste donc moins de 4 milliards
de francs pour les emplois-jeunes classiques, et encore moins pour la
création d'activités nouvelles puisque 35.000 sont des emplois
éducation nationale.
Nous sommes donc loin de la pépinière d'activités
nouvelles annoncée par le ministère de l'emploi et que le
Sénat avait accepté en souhaitant clairement séparer les
emplois susceptibles d'évoluer vers des emplois de service relevant du
secteur privé et les emplois relevant à l'évidence de la
sphère publique.
Or, ces emplois ne peuvent qu'entraîner à terme de graves
difficultés : quant à leur pérennisation d'abord car
il faudra les intégrer par le biais de concours aménagés
ne garantissant pas nécessairement une formation adaptée (par
exemple pour remplacer les nombreux enseignants qui partiront en retraite dans
les années à venir) ; quant à leur financement ensuite,
car, inéluctablement, cela se traduira pas des
prélèvements supplémentaires qui contribueront un peu plus
à asphyxier l'économie. Les mêmes causes produiront les
mêmes effets avec les emplois qui resteront au terme des cinq ans
à la charge des collectivités locales. D'une façon
générale, si ces emplois subventionnés auront un effet
statistique et politique immédiat, à terme, ils ne peuvent que
desservir l'emploi, l'ordre de la file d'attente ayant été
changé pendant cinq ans.
Cette incidence négative sur la croissance et l'emploi va commencer
à se faire sentir dès cette année. Pour subventionner ces
emplois et pour financer l'incitation au passage aux 35 heures, le Gouvernement
a d'ores et déjà dû procéder à des
redéploiements et à des mesures d'économie. Or, les choix
opérés sont contestables en ce qu'ils pénalisent une
nouvelle fois les entreprises et l'emploi en remettant en cause des dispositifs
favorables à l'embauche et à la formation