EXAMEN PAR LA COMMISSION
Réunie le mercredi 26 novembre 1997 sous la
Présidence de M. Jean François-Poncet, président, la
commission a procédé à l'examen du rapport pour avis de
M. Jean Besson sur les crédits consacrés à
l'énergie dans le projet de loi de finances pour 1998.
Evoquant tout d'abord les dossiers européens, M. Jean Besson,
rapporteur pour avis, a rappelé que la directive sur
l'électricité, adoptée par le Conseil des ministres de
l'Energie le 19 décembre 1996, prenait en compte un certain
nombre de thèses défendues par la France. Il a souligné
qu'elle devrait permettre à notre pays de conserver une programmation
à long terme des investissements, de préserver le coeur du
service public et le caractère intégré
d'Electricité de France (EDF) et qu'elle entraînerait une
ouverture limitée et maîtrisée du marché
électrique.
Rappelant que les négociations concernant la proposition de directive
sur le marché intérieur du gaz naturel s'avéraient
beaucoup plus difficiles, il a précisé que si des avancées
significatives avaient été réalisées lors du
Conseil des ministres de l'Energie du 27 octobre 1997, deux points de
blocage majeurs subsistaient cependant, concernant l'organisation de la
distribution de gaz et le degré d'ouverture du marché gazier. Il
a souhaité que la France continue à défendre fermement ses
positions lors du Conseil du 8 décembre prochain et s'est
félicité de voir celles-ci confortées par l'arrêt du
23 octobre 1997 de la Cour de Justice des Communautés
européennes relatif au monopole d'importation et d'exportation
d'électricité et de gaz.
Le rapporteur pour avis a ensuite souligné les difficultés que
poseraient à la France l'adoption de la proposition de directive
relative à la taxation des produits énergétiques.
Puis, à propos du bilan énergétique français,
M. Jean Besson, rapporteur pour avis, a indiqué que la production
nationale d'énergie avait progressé de 1,7 %, en 1996, et la
consommation totale d'énergie primaire, de 1,8 %, mais que le taux
d'indépendance énergétique avait légèrement
diminué (à 50,1 %) et que la facture
énergétique avait enregistré une hausse de 30,9 %.
Il a alors présenté les axes majeurs de la politique
énergétique française et rappelé que le
Secrétaire d'état à l'Industrie avait récemment
réaffirmé l'engagement nucléaire de la France, qui
s'était traduit par une série de mesures concrétisant la
poursuite de notre programme nucléaire.
Soulignant la nécessité de gérer l'aval du cycle
nucléaire, il a précisé que le Gouvernement souhaitait que
soient développées les recherches sur le stockage en surface et
" sub-surface " et qu'il avait, par ailleurs, décidé
d'abandonner Superphénix pour des raisons économiques, un
médiateur étant chargé de proposer des solutions au plan
local et régional et les modalités de la fermeture devant
être prochainement arrêtées.
Dans ce contexte, il s'est félicité de la rebudgétisation
des crédits destinés aux investissements de recherche du
Commissariat à l'énergie atomique (CEA), à
325 millions de francs.
Le rapporteur pour avis a relevé que, si les préoccupations
environnementales n'étaient pas étrangères à la
politique menée par la France dans le domaine nucléaire, elles se
traduisaient également dans d'autres aspects de sa politique
énergétique, le Gouvernement ayant, en particulier, pour ambition
de refaire de la maîtrise de l'énergie une priorité et
d'encourager la production d'énergies renouvelables.
Après avoir rappelé que l'encouragement de l'utilisation
rationnelle de l'énergie s'inscrivait dans le nouveau cadre juridique de
la loi sur l'air, il a évoqué, en particulier, les mesures
récentes concernant le secteur des transports, notamment le
véhicule électrique, le véhicule au gaz de pétrole
liquéfié et le véhicule au gaz naturel.
Il a souligné que les enjeux concernant la production d'énergies
renouvelables étaient importants, tant sur le plan économique que
sur celui de l'environnement ou de l'indépendance
énergétique. Il a souhaité que la France valorise encore
davantage son potentiel en ce domaine, dans des conditions
économiquement acceptables.
Le rapporteur pour avis a indiqué que les crédits destinés
à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de
l'énergie (ADEME) enregistraient, pour 1998, une augmentation de
5,1 % pour ce qui concernait la subvention de fonctionnement et, pour les
investissements, une stabilisation des autorisations de programmes à
hauteur de 75 millions de francs, les crédits de paiement
étant ajustés en fonction du rythme de réalisation des
opérations.
Evoquant ensuite l'évolution des différents secteurs
énergétiques, M. Jean Besson, rapporteur pour avis, a
indiqué que les résultats d'EDF avaient connu une
évolution favorable en 1996, le résultat net ayant
progressé de 52 %, mais que les perspectives pour 1997
étaient cependant moins favorables, son résultat net pouvant
diminuer de moitié, sous l'effet conjugué de la baisse des tarifs
électriques et de la forte augmentation du prélèvement de
l'Etat résultant de la clarification des relations entre l'Etat et EDF,
organisée par le nouveau contrat d'entreprise pour 1997-2000.
Il a relevé que, si Gaz de France (GDF) avait également connu un
bon exercice 1997, avec un résultat net en progression de 31,6 %,
sa situation se dégradait cependant également cette année,
ses perspectives de développement restant néanmoins très
favorables. Il a, en effet, précisé que le prix du gaz demeurait
attractif, que GDF menait une politique commerciale dynamique et
procédait, en particulier, à la promotion de la
" cogénération ", pour laquelle les conditions d'achat
par EDF avaient été améliorées.
S'agissant du secteur pétrolier, le rapporteur pour avis a
observé qu'il connaissait une certaine embellie, les compagnies
pétrolières françaises affichant des résultats
positifs et ayant vu leur chiffre d'affaires progresser au cours des trois
premiers trimestres de 1997 (+ 14,3 % pour Total et
+ 14 % pour Elf Aquitaine).
Il a souligné que la situation structurelle du raffinage restait
cependant préoccupante et avait amené les compagnies à
réduire sensiblement leur budget dans ce secteur. Il a
précisé que si ce problème se posait à un niveau
européen, il se trouvait aggravé dans notre pays par des
difficultés spécifiques, liées notamment à
l'avantage fiscal donné au gazole et à la concurrence des grandes
surfaces.
M. Jean Besson, rapporteur pour avis, a jugé que le maintien d'une
industrie française du raffinage devait constituer un objectif
prioritaire et qu'il importait que la France ne prenne pas plus que sa part
dans l'inévitable réduction de la capacité
européenne de raffinage.
Après avoir rappelé que le projet de loi de finances pour 1998
prévoyait un relèvement uniforme de la taxe intérieure sur
les produits pétroliers de huit centimes par litre, il a
souhaité, comme l'an dernier, que le Gouvernement ait le courage
politique de réduire cet écart, des solutions devant être
trouvées pour que la compétitivité du secteur du transport
routier et de l'industrie automobile n'en souffrent pas.
Abordant du problème du maintien des petites stations-service, il a
souhaité que le Gouvernement s'engage à doter le fonds
créé à cet effet.
Pour ce qui concerne le secteur du charbon, M. Jean Besson, rapporteur
pour avis, s'est inquiété de la considérable
dégradation des résultats des Charbonnages de France et de
l'accroissement de leur endettement. Il s'est félicité de la
rebudgétisation du Fonds d'industrialisation des bassins miniers. Il a
enfin proposé, d'une part, d'interroger le ministre sur les solutions
qu'il entendait apporter au problème des affaissements miniers, et
d'autre part, d'attirer son attention sur l'urgence qu'il y aurait à
inscrire à l'ordre du jour du Parlement le projet de loi étendant
et adaptant le code minier aux départements d'outre mer.
En conclusion, le rapporteur pour avis a souligné le caractère
prospectif et volontariste de ce budget et a proposé à la
commission de donner un avis favorable à l'adoption des crédits
inscrits à ce titre dans le projet de loi de finances pour 1998.
Un large échange de vues s'est alors instauré.
Après avoir déclaré partager le souhait du rapporteur pour
avis de voir les décisions en matière énergétique
s'inscrire dans le long terme, et son inquiétude devant la baisse du
taux d'indépendance énergétique, M. Dominique Braye a
rappelé que si la France bénéficiait encore d'un taux
d'indépendance élevé, elle le devait à sa politique
électronucléaire. Ce constat l'a amené à poser le
problème de l'abandon de Superphénix et à demander au
rapporteur pour avis de préciser sa position sur ces questions.
En réponse, M. Jean Besson, rapporteur pour avis, a rappelé
que le redémarrage du surgénérateur avait
été contesté et que le décret du
11 juillet 1994 l'ayant autorisé avait été
annulé par le Conseil d'Etat le 28 février 1997. Il a
insisté sur le fait que des raisons économiques, et non de
sûreté, avaient motivé cet abandon. Après avoir
indiqué que ce dossier serait examiné par la commission
d'enquête sur la politique énergétique de la France,
créée par le Sénat, il a fait état du
caractère délicat de sa situation de Sénateur socialiste
du département de la Drôme, dont la culture était
nucléaire et les élus majoritairement favorables à
Superphénix.
M. Michel Barnier a souligné l'importance des problèmes
énergétiques pour l'aménagement du territoire et pour la
vie quotidienne de tous les Français. Il a considéré que
le budget de l'énergie consacrait, sur ce dossier, une décision
que la majorité sénatoriale n'approuvait pas et qui avait
été dictée par le souci de respecter une promesse
électorale, sans que le dossier en cause ait été
réellement étudié. Il a rappelé les conditions dans
lesquelles les décisions du Gouvernement de M. Pierre
Bérégovoy, puis de celui de M. Edouard Balladur, avaient
conduit à la réouverture de Superphénix et à son
fonctionnement comme sous-générateur. Il a déploré
que, faisant fi de ces délibérations gouvernementales, l'actuel
ministre de l'environnement ait obtenu sa fermeture. Il a estimé que
l'on ne pouvait approuver ce budget qui consacrait " la fermeture
désinvolte et électoraliste " de Superphénix. Il a
regretté que le nouveau Gouvernement n'ait pas, plutôt,
procédé à une nouvelle enquête publique et a
qualifié de " politique de gribouille " la politique
menée par le Gouvernement en ce domaine, qu'il a déclarée
non conforme à l'intérêt national.
Pour autant, il a rappelé qu'il ne plaidait pas pour le " tout
nucléaire " et a évoqué le caractère
décentralisé du débat national sur l'énergie qui
s'était déroulé en 1994. Il a souhaité que le
rapporteur pour avis demande au Gouvernement quelles suites il entendait donner
aux conclusions très intéressantes de ce débat. Il a
estimé qu'il convenait de poursuivre la politique d'encouragement aux
économies d'énergie et s'est déclaré choqué
par la récente campagne de promotion lancée par EDF, tendant
à développer la consommation d'électricité.
M. Michel Barnier a regretté que le rapporteur pour avis n'ait pas
évoqué la Conférence qui se déroulera prochainement
à Kyoto sur le problème de l'effet de serre et le
réchauffement de la planète. Il a également
déploré la " timidité " du Gouvernement
français dans les négociations européennes sur ces
questions essentielles.
Il s'est enfin félicité des mesures adoptées le matin
même par le Conseil des ministres en matière de limitation de la
circulation automobile en cas de pics de pollution et tendant à
encourager les véhicules propres, mesures dont il a rappelé
qu'elles résultaient de l'application de la loi sur l'air adoptée
sous le précédent Gouvernement.
M. Jean François-Poncet, président, a remercié et
félicité l'orateur pour l'intérêt et la pertinence
de son intervention.
M. Jean Besson, rapporteur pour avis, a indiqué qu'il
évoquerait la Conférence de Kyoto dans son rapport. Il a
rappelé son souci de tenir compte à la fois de la
solidarité qui le liait au Gouvernement et de la position de la
majorité de la commission.
Mme Anne Heinis a déclaré partager les remarquables propos de
M. Michel Barnier et rendu hommage à la modération du
rapporteur pour avis et à sa recherche de solutions
équilibrées. Elle a cependant jugé qu'elle ne pouvait
suivre sa proposition sans renier ses convictions profondes. Elle a tenu
à marquer son désaccord quant aux décisions
gouvernementales concernant l'aval du cycle nucléaire. Elle a
précisé que, si l'on " cassait " ce dernier, on
laissait aux générations futures le problème fondamental
de la gestion des déchets ultimes, dont il importait de réduire
au maximum la toxicité. Soulignant l'intérêt de
Superphénix dans ce contexte -la transmutation des déchets
constituant le seul espoir en la matière- elle a qualifié la
décision du Gouvernement de fermer le surgénérateur de
" caprice idéologique ". Elle a déploré que la
France se prive ainsi d'un précieux instrument de recherche, cette
dernière pouvant, certes, être poursuivie avec la centrale
Phénix, mais sous réserve d'une importante rénovation.
Mme Anne Heinis a ensuite posé une série de questions auxquelles
il n'avait pas encore été répondu et qui montraient -selon
elle- le caractère idéologique des décisions du
Gouvernement, concernant :
- la mesure du coût du maintien de Superphénix à
l'arrêt ;
- le coût du stockage d'un " coeur " nucléaire actif,
sachant qu'il y en a un et demi en attente et que l'on ne dispose que de
l'expérience du stockage de " coeurs " usés ;
- le coût du démantèlement du surgénérateur,
dont l'évaluation demandera probablement quatre à cinq ans ;
- les problèmes posés par le retard en matière de
recherche fondamentale et par la perte de notre avance technologique qui
résulteront de l'arrêt du surgénérateur ;
- l'avenir de notre indépendance énergétique.
Tout en se déclarant hostile au " tout nucléaire ", Mme
Anne Heinis a considéré qu'on ne pouvait pas éluder les
très graves problèmes qu'elle avait évoqués et qui
justifiaient l'avis défavorable qu'elle donnerait à l'adoption
des crédits de l'énergie pour 1998.
M. Jean François-Poncet, président, a souligné la
gravité et le sérieux des interventions des différents
orateurs, qui, loin de relever d'un parti pris idéologique, mais
traduisaient le sentiment que la ministre de l'environnement avait, en quelques
jours et avec légèreté, amené le Gouvernement
à prendre des décisions qui engageaient l'avenir du pays, comme
cela avait d'ailleurs été le cas sur d'autres dossiers
essentiels, tel que le canal Rhin-Rhône. Il a fait valoir qu'il lui
paraissait inacceptable que de telles décisions aient pu être
prises sans études approfondies.
M. Désiré Debavelaere a souligné le problème du
dédommagement des pays étrangers parties prenantes aux recherches
menées dans le cadre du surgénérateur.
La commission a donné un avis défavorable à l'adoption des
crédits inscrits au titre de l'énergie dans le projet de loi de
finances pour 1998, le groupe socialiste votant en faveur de ces crédits.