PRÉSENTATION
Le paysage audiovisuel change sous nos yeux et peu de
Français en ont conscience.
L'espace audiovisuel est désormais sans frontières et cet espace
est ouvert sur le monde, qu'on le veuille ou non.
Dans sa croisade en faveur de l'exception culturelle,
la France est
isolée
. Le renouvellement de la directive
" Télévision Sans Frontières " l'a bien
montré.
Dans sa lutte face à la concurrence internationale,
la France est
divisée
. Au moment des grandes manoeuvres sur le numérique,
les Français sont partis au combat en ordre dispersé. Il y a trop
de chaînes publiques aux vocations respectives mal définies,
notamment sur le plan international.
Les opérateurs privés sont eux aussi divisés. Il est
significatif que les premières manifestations de la compétition
entre bouquets satellite ont entraîné des surenchères pour
l'acquisition de catalogues de films étrangers. Nul doute que cette
concurrence franco-française - et le problème des droits en
est une autre manifestation presque caricaturale - sera finalement
nuisible à la diffusion de la culture française.
Mais, surtout,
la France est aveuglée
. Elle ne veut pas voir la
réalité : ni la puissance des forces économiques et
sociologiques, qu'elle croit pouvoir endiguer, ni même que - sur son
propre sol - les règles du jeu audiovisuel ont changé.
En conséquence, de ce bref mais douloureux constat, peut-on toujours
discuter d'un budget de l'audiovisuel dans une enceinte parlementaire ?
alors que celui-ci est, en ce qui concerne France 2 notamment,
constitué, pour moitié, de ressources tirées de la
publicité et donc provenant du marché.
L'année dernière, votre rapporteur avait non seulement
contesté l'importance des recettes publicitaires et
dénoncé les dérives qui en résultaient, mais il
s'était également interrogé sur la portée d'un vote
portant sur de simples prévisions de recettes commerciales, au demeurant
aléatoires.
Il y a vingt-cinq ans, du temps de l'ORTF, quand les ressources de
l'audiovisuel provenaient pour l'essentiel de la redevance, avec quelques
ressources d'appoint, on pouvait effectivement voter un budget de l'audiovisuel.
Aujourd'hui, la signification de l'exercice est moins évidente. Et
d'ailleurs, il n'est pas facile de définir les dotations de
référence : s'agit-il des subventions accordées en
remboursements forfaitaires des exonérations ou des autres subventions
qui sont en baisse ? de la redevance, dont le produit, lui, augmente ?
Une chose est sûre, c'est que si le chiffre de 3,3% affiché
correspond bien aux budgets des chaînes et donc aux moyens du secteur
public, il prend en compte pour une large part des recettes commerciales
prévisionnelles.
Le débat porte d'ailleurs, moins sur la croissance du budget des
chaînes, lui-même, que sur la part des recettes publicitaires.
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A cet égard, le budget de l'audiovisuel pour 1998
n'améliore guère la situation par rapport à l'année
dernière.
Certes, Madame la Ministre de la Communication a pris la décision de
relever la redevance de 5 % sans modification de l'assiette. Mais il faut
tenir compte des besoins du secteur public avec l'arrivée des
technologies numériques ; il est indispensable de faire baisser la
part de la publicité à la télévision si l'on ne
veut pas que se brouille définitivement l'image de chaînes
publiques, qui, faute d'afficher leur différence avec le secteur
privé, finiront par justifier les discours de ceux qui souhaitent les
privatiser.
Votre rapporteur persiste à considérer que seule la limitation
des exonérations de redevance aux cas sociaux pourrait donner au secteur
public les ressources dont il a besoin pour faire régresser la part de
la publicité et échapper à cette course à
l'audience, qui empêche les grandes chaînes publiques
généralistes de jouer pleinement leur rôle.
Le calcul a été fait. Cet élargissement de l'assiette
permettrait de réduire d'un quart d'heure sur chaque chaîne, le
soir, aux heures de grande écoute la durée de la
publicité, réduisant d'autant la ponction opérée
par les chaînes publiques sur le marché publicitaire.
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Le sentiment de votre rapporteur est que nous vivons
certainement la fin d'une époque.
Les mécanismes de mutualisation et de péréquation
financières, mis en place dans les années 80, montrent
déjà leurs limites ; le probable ralentissement de la
croissance des recettes publicitaires sur lesquelles les ressources du compte
de soutien sont assises, l'arrivée à maturité des recettes
d'abonnements, la difficulté qu'il y aura de faire participer les
chaînes satellite au financement font anticiper un comportement moins
dynamique du système de soutien.
Heureusement, ces mécanismes d'aide à la production audiovisuelle
fonctionnent encore. Ils peuvent, si on leur donne l'impulsion, jouer pendant
qu'il est encore temps un rôle décisif dans la promotion de nos
industries de programmes.
Car, la France ne gagnera pas cette bataille pour sa survie audiovisuelle
à coups de règlements. Les quotas, comme tout protection, comme
toute barrière non tarifaire - pour reprendre l'expression en usage
en matière de commerce international - ne jouent de rôle
positif que pendant un temps limité. A partir d'un certain moment, ils
affaiblissent au lieu de protéger, assurant une survie artificielle, et
toujours inefficace.
La France a manifesté parfois une ignorance narcissique du monde qui
l'entoure. Le risque existe, dans le domaine de l'audiovisuel, de la voir
vainement livrer des batailles d'arrière-garde. Sans doute, ferait-elle
bien de lever la tête et de voir se qui s'annonce ; elle verrait
l'immensité du flot d'images qui vont se déverser sur elle ;
elle pourrait enfin comprendre qu'elle aura dans l'audiovisuel mondial la place
qu'elle méritera.