B. LES ARGUMENTS À L'ENCONTRE DE LA REMISE EN CAUSE DU RÉGIME DES PLUS-VALUES À LONG TERME
1. La persistance de gains purement nominaux justifie le maintien du régime des plus-values à long terme
Selon le ministre de l'économie et des finances, la
suppression de la taxation réduite des plus-values serait
justifiée par le ralentissement de la hausse des prix qui limite la
prise en compte de plus-values purement nominales. Cet argument est
évidemment contestable pour les éléments d'actif acquis
depuis une longue période (immeubles notamment) et pourrait susciter de
nouvelles demandes tendant à la prise en compte de l'érosion
monétaire.
En effet, ce problème est réglé dans les
législations fiscales de certains de nos partenaires européens
par la valorisation des plus-values en fonction du coût d'acquisition
actualisé, et non du coût historique.
De surcroît, dans son rapport de 1994 sur la fiscalité des
entreprises, le Conseil des impôts relevait l'originalité du
régime français d'imposition des plus-values à long terme
et
concluait de la façon suivante :
" Le mécanisme français d'imposition des plus-values
diffère sensiblement de celui de nos partenaires mais s'inscrit aussi
dans un contexte fiscal différent.
Sans une étude
approfondie apportant des éléments nouveaux, sa remise en cause
ne paraît pas justifiée
. "
2. La remise en cause du régime des plus-values à long terme expose la France à la concurrence fiscale internationale
En effet, la taxation au taux de droit commun des plus-values
à long terme va à contre-courant des législations fiscales
de la plupart de nos partenaires économiques.
Les plus-values sur cessions d'actifs immobilisés
réalisées par les entreprises bénéficient, dans la
généralité des pays, d'un régime d'imposition
particulier, ces profits étant, compte tenu de leur nature propre, soit
soumis à un taux d'imposition réduit lorsque l'actif
cédé est détenu depuis un certain temps par l'entreprise
au moment de sa cession, soit exonéré sous condition de remploi.
Les Etats-Unis, le Japon et la Belgique ont, de façon presque constante,
appliqué la première de ces solutions, alors que l'Allemagne,
l'Espagne, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne retiennent au contraire la
seconde.
Régime de taxation des plus-values. Comparaison européenne 18( * )
Dans les Etats membres de l'Union européenne, les
plus-values professionnelles réalisées par les personnes morales
relevant de l'impôt sur les sociétés sont, de
manière générale, imposables au taux de l'impôt sur
les sociétés de droit commun.
La base d'imposition de la plus-value est dans la majorité des cas
constituée par la plus-value comptable ; certains Etats pratiquent
des ajustements (coefficient d'érosion monétaire, indexation du
prix d'achat,...).
Des Etats appliquent des régimes dérogatoires, sous certaines
conditions, tenant à la nature des actifs cédés
(Grèce). Trois Etats appliquent un régime particulier
(Suède, Danemark, Finlande) : exonération des plus-values
sur cessions de biens corporels amortissables regroupés, pour le calcul
des amortissements, en "pool", mais le prix de cession vient diminuer
la valeur
amortissable du "pool", ce qui revient à une forme d'étalement de
la taxation de la plus-value. L'Irlande applique un taux proportionnel plus
important que le taux maximum d'impôt sur les sociétés.
S'agissant plus particulièrement des plus-values sur cession de droits
sociaux, on constate une certaine diversité des modes de taxation qui
vont de l'exonération totale à l'imposition au taux d'impôt
sur les sociétés de droit commun, en fonction de la nature des
droits cédés, du pourcentage détenu, du lieu de
résidence de la filiale, de la durée de détention, etc.
Par ailleurs, nos partenaires européens appliquent aux plus-values un
traitement fiscal de faveur en cas de remploi, à l'exception de l'Italie
qui permet l'étalement de l'imposition.
Le régime de faveur en cas de remploi consiste
généralement soit en un report d'imposition de la plus-value
jusqu'à la cession du bien acquis en remploi, soit en une
exonération lors de la réalisation de la plus-value, mais avec
réintégration au rythme de l'amortissement des biens acquis en
remploi.
Il est applicable sous certaines conditions tenant :
- au délai de remploi (Luxembourg et Grèce :
2 ans, Autriche et Danemark : 3 ans, Finlande et Portugal :
2 ou 3 ans, Belgique : 3 ou 5 ans, Espagne, Irlande, Pays-Bas et
Royaume-Uni : 4 ans) ;
- à la nature des actifs concernés (exclusion, sauf
règles particulières, des titres : Belgique, Danemark,
Espagne, Finlande, Grèce, Irlande, Portugal, Royaume-Uni) ;
- à la nature des actifs acquis en remploi (par exemple, biens de
même type que l'actif cédé : Autriche, Danemark,
Espagne, Finlande, Grèce, Irlande, Portugal, Royaume-Uni, ou biens
remplissant la même fonction économique que l'actif
remplace : Pays-Bas) ;
- au délai de détention des actifs cédés
(Allemagne 6 ans, Autriche : 7 ou 15 ans, Belgique :
5 ans, Luxembourg : 1 ou 5 ans) ou acquis en remploi (Espagne :
7 ou 10 ans).
En outre, certains régimes étrangers de
sociétés-holdings existant aux Pays-Bas et, dans une moindre
mesure, au Luxembourg, en Belgique et dans certains cas en Allemagne,
exonèrent totalement les plus-values sur les cessions de participations.
La suppression du régime de taxation réduite des plus-values
en France placerait en conséquence nos entreprises en situation
anti-concurrentielle.
Le rapporteur général de la commission des finances de
l'Assemblée note ainsi : "
dans douze Etats de l'Union
européenne sur quinze, les sociétés peuvent
bénéficier de l'exonération de la plus-value en
réemployant son montant dans l'acquisition d'actifs similaires. Dans ce
cas, la plus-value est exonérée lors de sa réalisation
mais est réintégrée au rythme de l'amortissement des biens
acquis en remploi, sauf en Irlande et au Royaume-Uni qui reportent l'imposition
de la plus-value à la cession du bien acquis en remploi. "
Il ajoute : "
le régime d'imposition français demeurerait
distinct de celui de nos partenaires, du fait de l'absence en France de
régime d'exonération ou de report d'imposition en cas de remploi
de la plus-value. "
Enfin, l'imposition des plus-values de cession de brevets ou d'inventions
brevetables au taux normal de 41,2/3 % est de nature à pénaliser
lourdement les entreprises françaises et aurait pour conséquence
immédiate des risques de délocalisation, voire d'accentuation de
la dépendance technologique de la France vis-à-vis des principaux
pays européens innovants. En effet, les régimes
d'exonération sous condition de remploi de la plupart de ces derniers
s'appliquent à l'ensemble des actifs incorporels tels que les brevets.
3. La suppression du régime des plus-values à long terme encourage l'inertie économique
En renchérissant le coût des mutations, la
taxation des plus-values à long terme au taux de droit commun aurait
pour conséquence de
faire obstacle aux mouvements
économiques.
En risquant de freiner les cessions d'actifs, une telle mesure est de nature
non seulement à faire obstacle à la mobilité des biens et
à l'adaptation des structures industrielles, mais également
à réduire l'assiette d'imposition des plus-values, ce qui va
à l'encontre de l'objectif recherché en terme de rendement de
l'impôt sur les sociétés.
4. La remise en cause partielle du régime des plus-values à long terme pour les entreprises assujetties à l'impôt sur les sociétés entraîne une distorsion de concurrence
L'adoption du présent article conduirait à une
rupture de l'égalité devant l'impôt
entre
entreprises assujetties à l'impôt sur les sociétés
et entreprises assujetties à l'impôt sur le revenu dans la mesure
où ces dernières continueraient à bénéficier
du taux réduit d'imposition.
Il n'est bien sûr pas question d'étendre la mesure aux
entrepreneurs individuels et aux professions libérales. La suppression
du régime des plus-values à long terme pour les entreprises
assujetties à l'impôt sur le revenu
pénaliserait en
effet non seulement la mobilité des fonds de commerce mais
compromettrait leur développement
.
Il convient donc de maintenir en l'état le régime de taxation
réduite des plus-values à long terme.
5. La remise en cause partielle du régime des plus-values à long terme est rétroactive
Le
changement en cours d'année du régime
fiscal des plus-values à long terme pénaliserait d'autant plus
les entreprises qu'il s'appliquerait à des
opérations
déjà réalisées
:
il concernerait
en effet les cessions effectuées depuis le 1
er
janvier
dernier. Cette rétroactivité bouleverse les résultats
financiers des opérations d'investissement et de modernisation
réalisées pour des motifs économiques.
Ainsi, par exemple, pour faire face à des besoins de trésorerie
destinés à soutenir la croissance, et notamment des filiales en
difficulté, des entreprise ont pu décider, au premier semestre
1997, de réaliser des opérations de crédit-bail immobilier
(lease-back). Elles ont ainsi cédé des immeubles qui figurent
à leur actif, parfois depuis plusieurs années, dégageant
une plus-value taxable initialement à 20,9 % et qui serait
taxée en définitive à 41,66 %.
La rétroactivité porte encore sur une plus longue période
si l'on considère les plus-values dont la taxation peut être
légalement différée pendant deux ans. C'est le cas par
exemple des indemnités perçues en cas d'expropriation d'une
immobilisation ou en cas de sinistre lorsque le bien est assuré. La
surimposition risque dans ce cas de compromettre la réinstallation de
l'entreprise qui, en dehors des graves conséquences de la
procédure d'expropriation, devra supporter une augmentation de
l'impôt à caractère rétroactif sur les plus-values
professionnelles.
Le nouveau régime s'appliquera également à toutes les
plus-values à long terme qui ont fait l'objet d'un sursis d'imposition
à la suite d'une opération intercalaire telle qu'une fusion, une
scission, un échange de titres à la suite d'une OPE ou un apport
partiel d'actif.
6. Un chiffrage sujet à caution
Le Gouvernement évalue à
6,7 milliards de francs
en 1997
et à 2,5 milliards de francs en 1998 les recettes issues de la
suppression partielle du régime particulier des plus-values à
long terme des sociétés.
Or,
ce gain doit être relativisé par le montant des
moins-values provenant de la cession d'actifs désormais exclus
du
régime des plus-values à long terme que les entreprises auront
désormais le loisir d'imputer sur le résultat taxable au taux de
droit commun.
En effet, ainsi que l'écrit le rapporteur général de la
commission des finances de l'Assemblée,
" l'appréciation
du rendement du présent article est extrêmement aléatoire,
en raison du fait que les gains nets de cession d'éléments de
l'actif immobilisé sont, par définition, irréguliers,
puisqu'ils constituent pour l'entreprise des profits
exceptionnels. "
Décision de la commission : sous le bénéfice de
ces observations, votre commission vous propose de supprimer cet article.