B. LES INSUFFISANCES EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE LE TRAFIC DES STUPÉFIANTS : PRINCIPALE JUSTIFICATION DES RECOURS PAR LA FRANCE A LA CLAUSE D'EXCEPTION

La coopération en matière de lutte contre la drogue avance encore trop lentement. Ces difficultés justifient et légitiment, pour l'heure, d'après votre rapporteur, le recours par la France à la clause d'exception temporaire prévue à l'article 2, par. 2, de la convention.

1. Des progrès trop lents

Les travaux du " groupe stupéfiants " -groupe de travail prévu à l'article 70 de la convention- ne peuvent être tenus pour négligeables. Ils n'ont toutefois pas dépassé, jusqu'à présent du moins, un cadre académique et en fait peu opérationnel.

a) Une activité plus académique qu'opérationnelle

Si des opérations coordonnées transfrontalières pour lutter, notamment, contre le narcotrafic ont pu être conduites en 1994 et 1997, elles sont demeurées par trop ponctuelles. Trop souvent, la coordination conduite dans ce domaine s'est bornée à la rédaction de guides d'action communs, certes utiles à moyen terme, mais dont la portée demeure limitée alors que le trafic de stupéfiants prend une ampleur alarmante.

A l'actif des travaux du comité, il convient de compter :

- un rapport sur les possibilités d'améliorer la coopération des autorités chargées de lutter contre les drogues ;

- un guide destiné à faciliter l'entraide répressive dans ce domaine ;

- un manuel consacré aux livraisons surveillées (dispositions applicables et autorités compétentes au sein de chaque Etat) ; la mise à jour de ce document récemment élargi à l'ensemble des pays de l'Union européenne incombe désormais à l'Unité " drogue " d'Europol en concertation avec le groupe " stupéfiants " Schengen.

- un document aide-mémoire relatif à la mise en oeuvre des opérations transfrontalières pour lutter contre le " narco-terrorisme ".

Ces travaux se bornent toutefois à des recommandations pratiques et techniques et ne préfigurent pas la vraie stratégie que l'esprit comme la lettre du traité appellent à mettre en place dans la lutte contre le trafic des stupéfiants

b) Les divergences de fond entre partenaires

Le principal obstacle demeure l'appréciation divergente portée par les Etats signataires de Schengen sur la politique à conduire en matière de prévention de la drogue. Les difficultés, on le sait, se cristallisent sur les Pays-Bas. Ce pays tolère la consommation de cannabis pour usage personnel dans les points de vente appelés " coffee-shops".

Or, comme le constatait l'Organisation internationale contre les stupéfiants des Nations unies (OICS) dans son rapport pour 1994 " les endroits où la vente de cannabis est tolérée ont attiré des trafiquants d'autres drogues ". Ainsi la politique mise en oeuvre par les autorités néerlandaises a pu donner prise à un développement du narco-tourisme dont les pays voisins supportaient les conséquences.

Sur ce chapitre, l'accord de Schengen apparaît sans ambiguïté. En effet, aux termes de l'article 71-2 : " Les Parties contractantes s'engagent à prévenir et réprimer par des mesures administratives et pénales l'exportation illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, y compris le cannabis ". Une déclaration commune contenue dans l'acte final de l'accord a apporté les précisions nécessaires : " Pour autant qu'une Partie contractante déroge au principe visé à l'article 71, paragraphe 2, dans le cadre de sa politique nationale de prévention et de traitement de la dépendance à l'égard des stupéfiants et des instances psychotropes, toutes les Parties contractantes prennent les mesures administratives et pénales nécessaires afin de réprimer l'importation et l'exportation illicites desdits produits et substances, notamment vers le territoire des autres Parties contractantes ".

Aujourd'hui les conséquences du dispositif de Schengen n'ont pas toutes été tirées. La situation présente justifie le recours par la France à la clause d'exception temporaire prévue par la convention d'application de l'accord de Schengen. Cependant la position du gouvernement néerlandais a évolué et pourrait ouvrir la voie à une meilleure coopération.

2. La France vis-à-vis de Schengen : une vigilance toujours nécessaire

a) La mise en oeuvre de la clause de sauvegarde

La mise en oeuvre de la convention d'application s'échelonnait sur deux périodes :

- une " période préparatoire " du 22 décembre 1994 au 26 mars 1995 afin d'achever les préparatifs techniques nécessaires au fonctionnement du système d'information Schengen et de prendre l'ensemble des mesures liées à la coopération consulaire, judiciaire et policière, y compris la formation des agents concernés ;

- une " phase initiale d'application " de trois mois à partir du 26 mars 1995 au cours de laquelle la mise en oeuvre de la convention et, au premier chef, la suppression des frontières intérieures relèverait de la responsabilité de chaque partie. Alors que les partenaires de la France ont choisi de supprimer dès le 26 mars 1995 leurs contrôles aux frontières intérieures, notre pays a supprimé à la même date les contrôles aux frontières internes aériennes mais les a conservés aux frontières internes terrestres -afin notamment de recueillir plus facilement la déclaration d'entrée sur le territoire des étrangers soumis à cette formalité (c'est le cas des étrangers soumis à l'obligation de visa pour entrer en France). Après avoir relevé l'insuffisance des mesures d'accompagnement prévues dans le cadre de la coopération policière, Paris a souhaité obtenir une prolongation de la phase initiale d'application.

Le refus de nos partenaires a alors conduit la France à recourir pour le contrôle aux frontières terrestres à la clause de sauvegarde prévue par l'article 2, par. 2, de la convention (possibilité de rétablir des contrôles aux frontières intérieures, après consultation des autres Etats signataires et pour une période limitée).

A la suite de la vague d'attentats terroristes de l'été 1995, la France a également rétabli les contrôles aux frontières aériennes le 28 juillet 1995 jusqu'au 15 janvier 1996. Puis Paris annonçait à ses partenaires, lors du comité exécutif du 18 avril 1996, sa décision de lever progressivement l'application de la clause d'exception pour les frontières terrestres avec l'Allemagne et l'Espagne. Aujourd'hui ne demeurent que les contrôles aux frontières terrestres avec la Belgique et le Luxembourg, en raison des risques que présente le trafic de stupéfiants organisé à partir des Pays-Bas.

S'il s'avère très encourageant, le rapprochement entre la France et les Pays-Bas ne permet pas encore d'envisager la levée complète de la clause de sauvegarde.

b) L'évolution encourageante des Pays-Bas

Du reste, la situation aux Pays-Bas ne suscite pas de préoccupations en France seulement, mais aussi dans les autres pays de l'espace Schengen. Les autorités néerlandaises ont mieux pris la mesure de ces inquiétudes et des engagements qui leur incombaient au regard de la mise en oeuvre de l'article 71 § 2. Comme votre rapporteur a déjà eu l'occasion de le souligner dans un précédent rapport 2( * ) . Cette évolution vers une politique plus restrictive a revêtu trois aspects :

- la mobilisation de la police dans la lutte contre la petite délinquance liée aux trafics de stupéfiants dès la mise en place du Plan Victor par la ville de Rotterdam en juillet 1995 : application stricte des lois et réglements, contrôle systématique des titres de séjour et des lieux de vente, expulsion des étrangers en infraction à la législation sur les stupéfiants ;

- l'élaboration de deux projets de loi visant à mieux contrôler les " coffee shops " et à faciliter la fermeture des lieux de vente clandestins ;

- l'adoption d'une politique pénale plus restrictive à la suite d'une nouvelle directive aux parquets arrêtée par le collège des procureurs généraux le 11 septembre 1996 : réduction de 30 à 5 grammes de la quantité de drogues dites " douces " considérées comme destinées à l'usage personnel, lutte contre la culture locale de cannabis, interdiction de la publicité pour la vente de cannabis.

Cette nouvelle orientation de la politique pénale en matière de stupéfiants s'est traduite par un alourdissement des peines prononcées contre les trafiquants -jusqu'à dix ans de réclusion- et une progression du nombre d'affaires de stupéfiants traitées par les parquets.

Parallèlement la coopération entre nos deux pays a progressé. La mise en place d'un groupe de travail conjoint sur les problèmes de douane, de justice et de police a suivi les entretiens entre le président de la République française et le Premier ministre néerlandais du 25 octobre 1995. Ainsi, une première expérience d'échange douanier a été conduite entre Rotterdam et Marseille au cours du premier semestre 1996 et devrait trouver un prolongement par un échange entre les aéroports de Roissy et de Schipol. Par ailleurs, les pouvoirs publics des deux pays ont signé le 3 février 1997 un mémorandum en matière de lutte contre la fraude.

Il n'en reste pas moins que les Pays-Bas ne sont pas revenus sur la dépénalisation de fait de la possession de drogues douces pour consommation personnelle. En outre, la coopération policière se heurte aux difficultés liées à la très grande décentralisation de la police néerlandaise organisée autour de 25 régions de police.

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