PREMIÈRE
PARTIE -
EXPOSÉ GÉNÉRAL
Il ne saurait être question de reprendre ici une analyse exhaustive de la situation de la SNCF. Cette analyse a été menée de façon approfondie depuis quelque cinq années et, avec un luxe exceptionnel de moyens, depuis décembre 1995, au cours du débat national.
Le constat a été dressé. Qu'il soit ici permis de rappeler les termes les plus saillants de la situation.
• Le transport ferroviaire, au cours du dernier quart de siècle, a vu ses parts de marché reculer sensiblement en France.
Si l'on considère le seul transport de marchandises, rappelons que la part de la SNCF n'était plus que de 22,8 %, contre 74,5 % au transport routier, en 1995.
Le tableau ci-après montre l'évolution comparée des trafics dans les différents modes de transport sur la dernière décennie. Il se passe de commentaire.
• La situation financière de la SNCF est dégradée, ainsi qu'en témoigne le tableau synthétique suivant.
Millions de francs
Situation financière de la SNCF |
1995
Résultats |
1996
Budget prévisionnel |
|
Chiffre d'affaires | 51.935 | 55.906 | |
Dépenses d'exploitation | 70.723 | 70.834 | |
Excédent brut d'exploitation | 5.377 | 8.592 | |
Amortissements et provisions nets | 10.780 | 10.534 | |
Résultat d'exploitation | - 5.403 | - 1.942 | |
Résultat financier | - 11.274 | - 12.971 | |
Résultat courant | - 16.677 | - 14.913 | |
Résultat exceptionnel | 94 | 2.805 | |
Résultat comptable | - 16.583 | - 12.108 |
Au regard de la situation qui vient d'être rappelée, le projet de loi n° 35 revêt trois caractères essentiels :
- politiquement, il est le fruit d'une maturation conduite depuis dix mois et qui a impliqué l'ensemble des acteurs de la profession ;
- historiquement, il apparaît comme une quatrième mue de l'organisation ferroviaire dans notre pays ;
- économiquement, il constitue à la fois le moteur principal d'une reconquête de la clientèle du transport ferroviaire en France et l'outil d'adaptation de notre système ferroviaire aux enjeux européens.
I. UN PROJET DE LOI MÛREMENT CONCERTÉ
A. LE DÉBAT NATIONAL
Sur la suggestion de M. Jean Matteoli, le Gouvernement a engagé un débat national en préalable à l'élaboration d'une véritable solution de redressement pour la SNCF. Dès le 14 décembre 1995, le ministre en charge des transports et le secrétaire d'Etat en informaient les organisations représentatives des personnels.
Le principe de ce débat avait été souhaité par les cheminots eux-mêmes. Les parlementaires qui s'étaient penchés sur la situation de la SNCF, nos collègues MM. Hubert Haenel, Claude Belot et Nicolas About, et MM. les députés Henri Cuq, Dominique Bussereau et Paul Chollet, avaient, eux-mêmes, souligné la nécessité d'une réflexion nationale.
Le débat a été introduit par un rapport demandé par le Gouvernement à un groupe d'experts présidé par M. Claude Martinand. Ce rapport a constitué, selon les termes de Mme Anne-Marie Idrac, Secrétaire d'Etat, " une parfaite introduction pour un débat sans tabou, ni préjugé ". Il a été remis le 29 février 1996.
Le rapport " Martinand "
Plutôt que de faire des recommandations, le rapport " Martinand " a préféré poser des questions essentielles pour atteindre un quadruple objectif : comprendre les enjeux du conflit de 1995, dégager des perspectives d'avenir pour le transport ferroviaire, clarifier les rôles respectifs des pouvoirs publics et de la SNCF, et enfin contribuer à dégager les voies de la modernisation de l'entreprise.
L'ampleur de la crise économique et financière de la SNCF est telle, reconnaissaient les 5 experts co-auteurs du rapport, que " le redressement ne saurait résulter uniquement de l'assainissement financier et d'une part de plus en plus grande de crédits publics pour des trafics de moins en moins importants " . Et " l'avenir du transport ferroviaire dépend pour l'essentiel de l'amélioration des performances de l'entreprise " .
Dans cette optique, il apparaissait essentiel aux experts que la société nationale passe d'une logique fondée sur l'investissement à une logique de la demande et du service. Meilleure illustration de l'échec de la politique passée : malgré les 100 milliards de francs d'investissements par la SNCF les cinq dernières années, " le trafic stagne ou régresse, et le résultat hors charges de la dette recule " . Les raisons de l'érosion commerciale ? Le train ne s'impose plus comme le mode de déplacement le plus efficace, ni le moins coûteux, observe le groupe de travail qui n'hésite pas à constater un abandon progressif par l'entreprise ferroviaire de certaines de ses missions de service public. " Le transport ferroviaire (...) n'est plus le mode prédominant et n'assure plus la desserte fine de l'ensemble du territoire ; il n'y a donc plus à proprement parler de service public ferroviaire, se confondant avec une entreprise publique nationale, mais un service public des transports, multimodal et intermodal (...). Il paraît donc utile d'avoir un ordre de grandeur indicatif de ce que la collectivité publique peut raisonnablement dépenser pour assurer l'équité territoriale et la solidarité. Est-il raisonnable pour certains déplacements de dépenser plus de 1 franc par voyageur/kilomètre ? " , s'interrogent encore les experts.
Ainsi, le maintien de l'organisation actuelle de la SNCF ne serait-il pas compatible avec une " responsabilité complète " de l'État sur l'équilibre du compte d'infrastructures et la fixation de la tarification d'usage de l'infrastructure. A propos de la finalité des investissements, le rapport invitait à privilégier la logique de la demande au détriment du " perfectionnisme technique " et à s'interroger sur la politique du " tout-TGV ".
Pour finir, le rapport " Martinand " s'interrogeait sur la pertinence du chapitre, relatif à la SNCF, de la loi d'orientation des transports intérieurs, qui date du 30 décembre 1982.
Le débat s'est ensuite déroulé, au cours des mois de mars et avril 1996, au sein des Conseils régionaux et des Conseils économiques et sociaux régionaux. Leurs contributions ont alimenté les travaux du Conseil économique et social et du Conseil national des transports que le Gouvernement avait saisis. Il convient de saluer la qualité de l'ensemble de ces réflexions.
L'avis du Conseil économique et social
Un débat s'est tenu au Conseil économique et social les 23 et 24 avril, à la demande, exprimée dès le 5 février 1996, du Premier ministre. Un rapport, présenté par M. Jean Billet intitulé " Les grandes orientations du contrat de plan Etat-SNCF 1996-2000 " a servi de base aux travaux. L'avis a été adopté par 94 voix sur 167.
Le Conseil a estimé que le règlement de la dette impliquait une contribution de l'État à hauteur de ses obligations, en particulier pour le financement des infrastructures, mais aussi une participation de la SNCF. Il a affirmé que toute charge imposée à l'entreprise devait être compensée, la compensation devant être déterminée contractuellement.
S'agissant du financement des infrastructures nouvelles, le Conseil a estimé qu'il devait être réuni par la collectivité (État ou région).
Concernant le financement de la gestion et de la maintenance des infrastructures, le Conseil économique et social a considéré nécessaire d'établir un équilibre réaliste dans la répartition des fonds provenant de l'État, et la perception d'une redevance d'usage appelée péage.
Le Conseil économique et social a souligné la nécessité de définir cette redevance d'infrastructure en l'articulant sur deux bases :
- une restructuration d'ensemble de la tarification qui vise à une utilisation optimale du réseau ;
- une détermination du niveau des barèmes intégrant les contraintes de compétitivité du trafic ferroviaire et les orientations de la politique des transports aux niveaux national et européen.
Enfin, s'agissant de la régionalisation et de la politique des transports régionaux, le Conseil économique et social a jugé que les schémas régionaux et inter-régionaux devaient prendre en compte les objectifs des schémas nationaux. C'est la raison pour laquelle la contractualisation entre l'État, la SNCF et la région doit être incluse, selon le Conseil, dans le contrat Etat-région
.
Au total, le débat national a permis de cerner les enjeux, de parvenir à une prise de conscience et de dégager quatre conclusions :
• Première conclusion : une clarification des responsabilités respectives de l'État et de la SNCF est nécessaire, tout particulièrement sur l'infrastructure. La confusion des responsabilités est source d'une certaine déresponsabilisation des acteurs. La question de l'infrastructure est bien au coeur de cette problématique et justifie que la clarification soit prioritairement recherchée à son niveau.
• Deuxième conclusion : un effort financier important doit être engagé afin de désendetter la SNCF et de la responsabiliser en créant les conditions d'une mobilisation autour d'un objectif crédible de redressement.
• Troisième conclusion : si désendetter la SNCF est nécessaire, cela ne suffira pas à résoudre tous les problèmes : sans changements internes appuyés, d'une part sur une priorité accordée au client et au service, d'autre part sur une véritable maîtrise des coûts, aucun redressement durable n'est possible. La reconquête des clients est bien au coeur du redressement du transport ferroviaire. Il faut redonner aux voyageurs, comme aux chargeurs, le goût de reprendre le train. Des performances nouvelles et mesurables devront être atteintes : les contribuables et les clients doivent " en avoir pour leur argent " et la mesure des progrès doit être transparente.
• Quatrième conclusion : il faut, sur la base de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995, franchir une étape nouvelle de la régionalisation des services régionaux de voyageurs : il s'agit d'un facteur de modernisation essentiel, tant pour la SNCF que pour ses clients et pour le service public.