III. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMISSION POUR LA NOUVELLE LECTURE
Sous certaines réserves, qui seront présentées dans l'examen des articles et qui concernent notamment le placement sous surveillance électronique et le référé-liberté, votre commission approuve la plupart des modifications et adjonctions décidées par l'Assemblée nationale.
Elle ne vous propose donc que trois séries de modifications portant sur la communication aux parties des copies du dossier d'instruction, sur la durée maximale de la détention provisoire et sur le référé-liberté.
A. LA COMMUNICATION AUX PARTIES DE COPIES DU DOSSIER D'INSTRUCTION
La proposition de loi précitée de M. le Président Michel Dreyfus-Schmidt avait été rejetée par le Sénat à la demande de votre commission. Celle-ci s'était en effet inquiétée des risques d'atteinte grave à la présomption d'innocence des parties -voire des tiers- dans la mesure où les reproductions de copies du dossier pouvaient faire l'objet d'une large diffusion. Elle avait en conséquence estimé que le problème de la communication de ces reproductions devait être réglé dans le cadre d'une démarche globale, concernant la présomption d'innocence et le secret de l'instruction dans leur ensemble.
Ces observations lui paraissent également applicables à l'article premier AB ; même si la rédaction de celui-ci diffère de celle proposée par notre collègue, le problème de fond demeure.
Les nombreux sous-amendements déposés par le Gouvernement pour encadrer la communication de copies aux parties confirment d'ailleurs l'existence de difficultés au niveau de la préservation de la présomption d'innocence et la nécessité d'une démarche d'ensemble.
MM. Michel Dreyfus-Schmidt et Robert Badinter ont estimé que, compte tenu de ces sous-amendements, le dispositif retenu par l'Assemblée nationale n'assurait pas une protection suffisante des droits de la défense, lesquels ont pourtant une valeur constitutionnelle. Ils ont notamment fait observer que la nécessité pour l'avocat de donner préalablement au juge d'instruction la liste des pièces dont il entend communiquer une copie à son client et la possibilité pour le magistrat instructeur de choisir les documents susceptibles de donner lieu à la remise de reproductions aboutissait à une immixtion dans les relations entre l'avocat et son client et dans le choix de la stratégie de défense.
Au demeurant, ces sous-amendements sont loin de prévenir toutes les difficultés susceptibles de résulter de la communication aux parties de copies de pièces du dossier d'instruction. A titre d'illustration, et sans prétendre à l'exhaustivité, votre rapporteur formulera les interrogations suivantes :
- la communication de copies aux parties doit-elle être autorisée d'une manière générale, et concerner des affaires aussi graves que le trafic de stupéfiants ou le proxénétisme aggravé ?
- seul le risque de pression sur certaines personnes permet au juge d'instruction de s'opposer à la remise de copies aux parties. Faut-il en conclure que le risque d'atteinte grave à la présomption d'innocence (d'une partie ou d'un tiers) ou le risque de concertation frauduleuse entre complices -pour ne citer que quelques exemples- ne pourront être pris en compte ?
- la faculté de remettre des rapports d'expertise à des tiers, même limitée aux besoins de la défense, ne risque-t-elle pas de conduire à une large diffusion d'éléments du dossier de nature à nuire à la présomption d'innocence ?
Compte tenu de ces considérations, votre commission vous propose de supprimer l'article premier AB.
B. LA DURÉE MAXIMALE DE LA DÉTENTION PROVISOIRE
La durée maximale de deux ans prévue par l'Assemblée nationale pour la détention provisoire lorsque la peine encourue est supérieure à cinq ans d'emprisonnement et inférieure à dix ans est apparue excessive à votre commission.
Elle juge d'ailleurs peu convaincant l'argument avancé à l'Assemblée nationale pour justifier cette durée : il n'est en effet pas démontré qu'il existe un lien entre la peine prévue et la complexité de l'affaire.
C'est pourquoi votre commission vous propose d'en revenir sur ce point au texte adopté par le Sénat en première lecture.
C. LE RÉFÉRÉ-LIBERTÉ
Votre commission n'a pas été convaincue par l'ensemble des arguments avancés à l'Assemblée nationale à l'encontre du dispositif relatif au référé-liberté adopté par le Sénat en première lecture. Certes, il lui paraît conforme à la logique de lier le référé-liberté à l'appel. De même, on peut reconnaître que le maintien de l'intéressé dans un local spécifique dans l'attente de la décision du magistrat compétent pourrait poser à l'heure actuelle des difficultés pratiques.
Mais le texte adopté par l'Assemblée se heurte à une objection fondamentale, fort justement soulevée par notre collègue M. Robert Badinter : investi d'un pouvoir de décision sur le fond, le président de la chambre d'accusation deviendrait un juge d'appel du juge d'instruction. On aboutirait ainsi au résultat quelque peu paradoxal, mis en avant par M. Robert Badinter, de la suppression de la collégialité au niveau de l'appel. Certes, cette collégialité serait théoriquement conservée dans l'hypothèse où le magistrat saisi confirmerait le mandat de dépôt, puisque l'appel serait alors soumis à la chambre d'accusation. Mais celle-ci serait inévitablement influencée par la décision préalable de son président qui, surtout si elle porte sur le fond du placement en détention et non plus sur son caractère manifestement infondé, conférerait au mandat de dépôt une présomption sérieuse, quasiment irréfragable, de légalité.
La solution de l'Assemblée nationale aboutirait ainsi tout d'abord à un changement de nature du référé-liberté qui n'aurait plus pour objet de faire déclarer l'appel suspensif mais d'investir un magistrat unique, en l'occurrence le président de la chambre d'accusation, d'un pouvoir de décision sur le fond et ce dans le cadre d'une procédure d'appel.
Il y aurait donc une régression par rapport à la situation actuelle. Aujourd'hui, le placement en détention provisoire est décidé par le juge d'instruction statuant seul mais -on l'oublie trop souvent- sous le contrôle de la chambre d'accusation, juridiction collégiale. Avec le texte de l'Assemblée nationale, un juge unique interviendrait tant en premier ressort qu'au niveau de l'appel puisque celui-ci relèverait en pratique du président de la chambre d'accusation.
A cette objection de principe, s'ajoutent deux inconvénients majeurs présentés par le texte de l'Assemblée nationale :
- en conservant la compétence du président de la chambre d'accusation, l'Assemblée nationale rend pratiquement impossible la comparution personnelle de la personne visée par le mandat de dépôt. La possibilité pour l'avocat de présenter oralement ses observations à ce magistrat ne constitue à cet égard qu'un palliatif ;
- l'Assemblée nationale a enfin adopté un dispositif qui ne permet pas d'éviter le traumatisme de l'incarcération puisque, dans l'attente de la décision du magistrat, l'intéressé sera placé en détention.
Votre commission vous propose donc un amendement tendant à une nouvelle rédaction de l'article 7.
Cette nouvelle rédaction prend en compte les critiques avancées à l'encontre du dispositif adopté par le Sénat en première lecture et préserve, contrairement au texte de l'Assemblée nationale, la compétence de la chambre d'accusation en appel :
- la compétence en matière de référé-liberté serait confiée au président du tribunal ou son remplaçant qui pourrait donc entendre sans délai la personne mise en examen ;
- ce magistrat ne reformerait pas la décision du juge d'instruction mais pourrait seulement décider la suspension de l'exécution du mandat de dépôt, jusqu'à la décision de la chambre d'accusation. Celle-ci conserverait donc -on pourrait même dire retrouverait- toute sa compétence en appel et serait en mesure de mieux contrôler les décisions du magistrat instructeur, dont elle est le juge naturel. Le président du tribunal prendrait en effet une mesure provisoire ne préjudiciant pas au fond ;
- compte tenu des objections avancées à l'encontre du placement du demandeur dans un local spécifique dans l'attente de la décision sur le référé-liberté, votre commission n'a pas repris le dernier alinéa du texte adopté par le Sénat en première lecture. En contrepartie, il convient d'exiger que le président du tribunal ou le magistrat qui le remplace statue sans délai faute de quoi le référé-liberté ne permettrait pas d'éviter la mise sous écrou du demandeur dans l'attente de la décision ;
- enfin, le juge du référé-liberté verrait, conformément au souhait de l'Assemblée nationale, sa compétence élargie au prononcé d'une mesure de contrôle judiciaire. Il ne serait donc plus placé face à l'alternative par trop réductrice maintien en liberté-mise en détention.
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Sous le bénéfice de ces observations et des amendements qu'elle vous soumet, votre commission vous propose d'adopter le présent projet de loi.