B. LES RELATIONS ENTRE LA FRANCE ET « SES VOISINS MARITIMES
1. Les relations entre la France et l'Espagne : une concertation institutionnalisée
Les relations franco-espagnoles concernant le secteur des pêches maritimes ne se résument pas à quelques incidents entre navires, qui traduiraient une opposition quasi traditionnelle entre des deux communautés nationales de gens de mer. La réalité est de nature différente.
L'appartenance des pêcheurs à deux nations n'est pas, bien évidemment, la cause première des tensions qui peuvent apparaître surtout en certaines saisons entre les flottilles. Il s'agit assez souvent de difficultés de cohabitation des différents métiers de la pêche.
Ces divergences peuvent être purement techniques, ou résulter de la concurrence sur le marché des produits pêchés.
Les structures socio-économiques différentes des deux secteurs français et espagnol se traduisent par l'adoption de techniques de pêche parfois en opposition sur les mêmes zones et pour des espèces identiques. Au sein de la Communauté européenne, faute d'harmonisation des coûts sociaux, une technique peut rester rentable dans un pays et devenir peu efficace dans un autre, y compris sur les mêmes zones de pêche.
Ce constat peut engendrer des difficultés d'occupation de l'espace quand ces techniques apparaissent difficilement compatibles et si le poisson est concentré sur une zone étroite : par exemple, les chalutiers qui suivent les lignes de sonde (c'est-à-dire la ligne de fond qui leur permet de conserver la même profondeur d'immersion du chalut) rencontrent des palangres (longues lignes posées au travers de leur route).
Le dialogue sur zone, éventuellement facilité par des mesures préventives du type « code de bonne conduite , est le seul moyen d'éviter le conflit. Il est, en revanche, rendu plus aisé lorsque des rencontres entre institutions professionnelles ont permis les contacts personnels nécessaires entre les responsables des organisations, et mis en place des procédures simples de règlement des situations conflictuelles.
Plus qu'en toutes circonstances, ces situations peuvent être sensiblement améliorées par des rencontres professionnelles. Mieux encore, ces rencontres permettent de révéler des situations, de soulever des problèmes dont l'ampleur, voire même l'existence, étaient restées sous-évaluées, et d'étudier ces solutions.
C'est ce qui explique le succès rencontré par les travaux du Comité franco-espagnol des pêches maritimes (COFEP) qui s'est réuni pour la première fois à Madrid le 28 février 1995, quelques mois après deux affaires violentes survenues en mer en mars 1994 (le chalutier Laetitia) et un juillet 1994 (le fileyeur La Gabrielle), afin d'instaurer un climat de dialogue après les violents affrontements de 1994.
Cinq réunions du COFEP ont déjà eu lieu ; ces rencontres entre représentants de l'administration et des professionnels des deux pays leur ont permis de rapprocher leurs points de vue sur un certain nombre de sujets relatifs aux pêches.
Les deux premières réunions ont permis d'entamer la discussion et de constater que les intérêts des pêcheurs français et espagnols étaient liés, notamment en ce qui concerne l'anchois. La troisième réunion a permis de constater un accord sur le bon déroulement de la campagne germonière, même si chaque partie conservait ses appréciations quant à l'utilisation des techniques de pêche.
Le quatrième COFEP a permis de confirmer et de prolonger jusqu'en 2002 l'accord de 1992 sur l'anchois ; ce COFEP a également pris l'initiative d'une rencontre des organisations de producteurs des deux pays afin d'envisager des solutions communes à apporter au marché de l'anchois.
Le cinquième COFEP a consacré ses travaux aux questions de cohabitation entre métiers. Les difficultés ont été examinées et les professionnels des deux pays ont convenu de préparer un code de bonne conduite qui sera soumis au prochain COFEP. Un groupe de contact a été constitué afin de faire face à tout incident grave qui interviendrait entre les pêcheurs des deux parties. Cette rencontre a également été l'occasion d'aborder la question spécifique du stock de merlu du golfe de Gascogne, d'envisager les mesures techniques d'une véritable gestion de cette ressource et les conditions d'une meilleure organisation du marché.
Un certain nombre d'acquis tout à fait significatifs sont donc à mettre à l'actif de ces rencontres. Elles contribuent à entretenir la bonne qualité de nos relations avec l'Espagne qui nous permettent notamment de mener une politique très active d'échanges de quotas et de rapprocher nos points de vue dans les négociations communautaires.
Par ailleurs, le régime transitoire auquel était soumis l'Espagne (et le Portugal) depuis leur adhésion à l'Union européenne a pris fin le 1er janvier 1996. A la demande de la France, et en vue de protéger ses antériorités de pêche, une protection particulière a été introduite pour certaines espèces non soumises à quotas (coquilles Saint-Jacques, crustacés, espèces profondes).
La mise en place de ce nouveau régime s'est déroulée dans de bonnes conditions durant l'année 1996.
2. Les relations entre la France et les îles anglo-normandes : des négociations en cours
a) Les données du problème
Les relations de pêche avec les îles anglo-normandes ont de longue date posé problème, d'une part en raison de leur statut particulier vis-à-vis du Royaume-Uni, d'autre part en raison de leur position géographique.
Ces problèmes sont rendus plus complexes encore par la non-appartenance de ces territoires à l'Union européenne, sauf sur le plan de l'accès au marché, dont elles bénéficient en vertu d'un protocole annexé à l'acte d'adhésion du Royaume-Uni.
Jersey et Guernesey sont enfin dans une situation juridique différente vis-à-vis de la France. Nos liens avec Jersey sont régis par une convention franco-britannique, dite du régime de la baie de Granville de 1843, qui est toujours en vigueur. Nos relations avec la seconde relèvent d'une convention multilatérale de 1964, la convention de Londres sur les pêches, qui avait défini les droits de pêche entre États européens. Celle-ci n'est plus d'actualité depuis l'instauration d'une politique commune de la pêche (1977) sauf en ce qui concerne les îles anglo-normandes.
b) Les relations avec Jersey
Le problème réside dans le désir exprimé par les autorités de Jersey de modifier profondément le régime de la baie de Granville. Ce régime, instauré en 1843, périodiquement consolidé et confirmé par divers accords postérieurs (1951, 1964), règle clairement les droits de pêche des deux parties : droits exclusifs aux britanniques dans une zone de 3 milles autour de Jersey, droits exclusifs aux français à l'intérieur d'une ligne brisée « A-K le long de la côte du Cotentin, égal accès à la ressource pour les navires des deux pays dans la zone intermédiaire appelée « mer commune ».
Au Royaume-Uni qui, en 1989, avait proposé un projet d'accord qui abrogeait le régime de la baie de Granville en se fondant sur la volonté d'autonomie de Jersey et sur la volonté de cette île d'élargir ses eaux territoriales en vertu des nouvelles dispositions du droit de la mer, la France a répondu, en 1992, par un projet d'accord de coopération pour une gestion commune de la ressource, qui ne remettrait pas en cause le régime de la mer commune. Une telle évolution ne peut résulter que de l'accord des parties ainsi que l'a reconnu explicitement la délégation britannique au cours d'une rencontre.
Les négociations en cours avec Jersey recouvrent, d'une part, le tracé d'une ligne de délimitation maritime, et d'autre part, l'élaboration d'un régime commun de gestion.
c) Les relations avec Guernesey
La convention de Londres dispose explicitement que le droit de pêche et de juridiction est exclusivement réservé aux navires de l'État riverain jusqu'aux 6 milles de la ligne de base de sa mer territoriale, et que le droit de pêche est exercé, dans la zone de 6 à 12 milles, par l'État riverain et par les navires des autres États contractants s'ils prouvent qu'ils y ont exercé la pêche entre 1953 et 1962 (notion de droits historiques).
C'est sur cette base qu'un décret britannique de 1965 a accordé des droits de pêche à certains de nos pêcheurs à l'ouest de Guernesey pour certaines espèces seulement.
Les discussions, dont l'ouverture a été demandée par le Royaume-Uni en 1988 pour préciser les limites des eaux territoriales de Guernesey, n'ont abouti qu'en 1992, se traduisant par la fermeture à la pêche française d'une zone de pêche située entre Guernesey et la côte du Cotentin, à l'intérieur des eaux territoriales de Guernesey, et dite du « haricot .
L'accord a, cependant, permis de limiter très partiellement les conséquences économiques néfastes de cette évolution en autorisant 37 pêcheurs français à venir travailler dans une partie du « haricot appelée « banc de la Schole jusqu'en 2010.
Des discussions sont en cours sur la consolidation des droits des pêcheurs et l'élaboration d'un régime commun de gestion des zones de pêche.