3. La mesure doit être adaptée aux navires de pêche
a) Les difficultés de financement de la flotte de pêche
L'évolution récente de la flotte de pêche française a été marquée par une crise de rentabilité qui trouve son origine essentiellement dans la mondialisation des marchés et les fluctuations de certaines monnaies européennes.
La réduction des capacités de pêche françaises résultant de la politique communautaire et les efforts entrepris pour la modernisation de la filière laissent aujourd'hui entrevoir la perspective d'une flotte française à nouveau rentable.
Toutefois, la pérennité de ce secteur, dont dépend fortement l'économie du littoral, repose sur un flux minimum de constructions neuves et une relève professionnelle, qui s'avèrent tous deux gravement compromis. En effet, le plafonnement des aides nationales et communautaires à l'investissement par l'Union européenne et les nouvelles normes de rentabilité dictées par le marché imposent aujourd'hui un autofinancement hors de portée pour la profession.
Face à la surexploitation des stocks de poissons pêchés dans les eaux communautaires, les plans d'orientation pluriannuels de l'Union européenne (POP) visent à réaliser un équilibre entre la capacité de la flotte et l'effort adéquat pour exploiter les ressources disponibles. À cet effet, l'instrument financier d'orientation de la pêche (IFOP) encadre strictement les aides à l'investissement nationales et communautaires.
Or, lors de l'adoption du règlement d'application de l'IFOP, l'assiette de calcul des aides nationales et communautaires à la construction de navires de pêche a été plafonnée en fonction de la jauge du navire à construire de telle sorte qu'elle n'a plus aucun rapport avec le coût réel de la construction (cf. tableau ci-dessous).
Assiette de calcul des aides nationales et
communautaires
à la construction de navires de
pêche
Source : Journal officiel des Communautés européennes
Selon les professionnels, les subventions à la construction de navires ne représentent plus que 8 à 30 % du coût réel de l'investissement contre de 35 à 45 % précédemment (sous l'ancien régime du FEOP).
Impact du plafonnement des aides par Bruxelles
sur
quelques catégories de navires (coûts indicatifs)
Source : Coopération et crédit maritime
De surcroît, dans les régions de l'Union européenne en retard de développement - ou régions de l'objectif 1 - (Espagne, Portugal, Irlande, sud de l'Italie, Grèce), les plafonds d'aides autorisés sont sensiblement plus élevés qu'en France. A titre de comparaison, le taux de subvention dont peuvent bénéficier les navires espagnols peut atteindre 60 % de la somme éligible aux aides à la construction, alors qu'il est limité à 40 % pour les navires français.
Compte tenu des normes de rentabilité observées ci-dessous, et qui sont dictées par le marché, aucune construction neuve n'est envisageable sans apports en fonds propres significatifs pour pallier la réduction des aides.
Rentabilités moyennes observées dans le Finistère en 1994 pour la pêche artisanale
Source : Coopération et Crédit maritimes
Les professionnels de la pêche font par ailleurs état d'un effet pervers induit par le plafonnement des aides françaises et par le surcoût d'exploitation des navires sous pavillon français. Les navires de la flottille de pêche française sont progressivement rachetés par les marins espagnols qui les maintiennent sous pavillon français afin de récupérer à leur profit les quotas de pêche français. De surcroît, le poids inférieur des charges sociales pesant sur les marins espagnols permet aux armateurs de ces navires de contenir leurs coûts d'exploitation et par conséquent d'accroître leurs taux de rentabilité. Il semble donc pertinent d'accorder aux patrons-pêcheurs français les moyens nécessaires pour pouvoir enchérir sur les offres espagnoles.
Au total, le manque de fonds propres auquel sont confrontés les armateurs de pêche industrielle et les patrons-pêcheurs justifie l'extension du champ d'application de l'encouragement fiscal à tous les navires armés à la pêche.
Il convient cependant de distinguer les navires de pêche industrielle des navires de pêche artisanale. Si les premiers peuvent bénéficier des dispositions du projet de loi dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités que les navires armés au commerce, les seconds appellent un aménagement du dispositif afin de prendre en compte certaines spécificités de la pêche artisanale.
b) La pêche industrielle
Après avoir vu les aides qui lui étaient consacrées divisées par trois dans le règlement de l'IFOP, la grande pêche thonière risque de devenir inéligible à ces aides selon les lignes directrices proposées par la Commission de Bruxelles pour l'élaboration du POP IV. La Commission exige en effet que l'activité de pêche soit réduite de 40 % au cours des six prochaines années pour les stocks de poissons qui risquent de disparaître (saumon, cabillaud, églefin, merlu, lieu noir et hareng).
Or le problème du financement des flux de navires continue à se poser dans un pays où le coût de construction moyen des chantiers navals de pêche est de 15 à 20 % supérieur à celui de ses concurrents.
Votre rapporteur estime donc souhaitable d'étendre l'exonération fiscale en faveur de la souscription de parts de copropriété de navires aux navires de pêche industrielle en prévoyant dans les modalités de l'agrément l'avis du ministre chargé de la pêche industrielle.
Les armements pourront ainsi trouver un complément de fonds propres venant pallier l'insuffisance des concours financiers publics. Cela contribuera à réduire le coût du financement et par conséquent à accroître la rentabilité de l'investissement maritime.
c) La pêche artisanale
Quatre arguments plaident pour une extension du régime des quirats aux navires de pêche artisanale :
- éviter le vieillissement prématuré de la flottille de pêche ;
- pallier le désengagement de Bruxelles qui conduit à une impasse de financement ;
- assurer la relève professionnelle en favorisant l'accession à la propriété ;
- préserver les équilibres portuaires.
Votre rapporteur relève toutefois que l'extension du champ d'application de l'encouragement fiscal en faveur des navires de pêche artisanale nécessite des aménagements, afin de prendre en compte les spécificités de cette activité.
Il s'agit d'aménager le dispositif de l'exonération fiscale pour le rendre compatible avec une flotte composée essentiellement de patrons-pêcheurs qui souhaitent conserver la majorité des parts de leurs navires. À cet effet, il suffit de limiter l'avantage fiscal à une part minoritaire de l'investissement. L'armateur du navire qui détiendrait au moins la moitié des parts ne pourrait en revanche bénéficier de l'exonération fiscale.
Une telle mesure permettrait de surcroît d'éviter l'inflation des coûts qui pourrait résulter de l'incitation fiscale sur un nombre réduit de constructions autorisées, et de préserver la finalité économique de chaque projet en favorisant notamment l'initiative individuelle.