II. LES AMÉLIORATIONS PROPOSÉES PAR VOTRE COMMISSION
A. UNE DÉFINITION PLUS EFFICACE DU CHAMP D'APPLICATION
1. La mesure doit être réservée aux navires battant pavillon français
a) Le projet de loi ne précise pas la nationalité des navires concernés
Contrairement à la présentation qui en est faite par le gouvernement dans son exposé des motifs et son étude d'impact, le projet de loi ne réserve pas le bénéfice de la nouvelle incitation fiscale aux navires battant pavillon français.
En effet, la seule condition prévue est que le navire soit, dès sa livraison, exploité ou frété par la copropriété dans les conditions prévues au titre premier de la loi n° 66-420 du 18 juin 1966, sur les contrats d'affrètement et de transport maritimes.
Or, le titre premier de cette loi ne pose, à proprement parler, aucune condition. Il définit simplement les trois grandes catégories de contrats d'affrètement proposées aux armateurs : l'affrètement au voyage, l'affrètement à temps et l'affrètement coque nues.
Par ailleurs, ces dispositions législatives sont simplement supplétives par rapport à toute disposition conventionnelle contraire, ainsi que cela ressort du deuxième alinéa de la loi précitée : "les conditions et les effets de l'affrètement sont définies par les parties au contrat et, à défaut, par les dispositions du présent titre et celles du décret pris pour son application." De même, l'article 3 de la loi précitée dispose que "en matière internationale, le contrat est régi par la loi du pavillon du navire, sauf convention contraire."
Ainsi, la référence à la loi du 18 juin 1966 ne peut aucunement être interprétée comme une "clause de pavillon français" indirecte. Aucune autre disposition du projet de loi ne semble non plus avoir cet effet.
Cette lacune du texte pourrait avoir pour conséquence de faire subventionner par le contribuable français des investissements dans des navires battant pavillon étranger, ce qui serait fort peu conforme au but recherché.
b) Une "clause de pavillon français" est compatible avec les règles européennes
Une telle omission est d'autant plus surprenante que la Commission européenne, dans sa communication intitulée "Vers une nouvelle stratégie maritime", exclut expressément tout dispositif d'incitation fiscale qui ne serait pas réservé au pavillon national, à la condition, bien sûr. que l'accès des armateurs européens à ce pavillon soit tout à fait libre.
En effet, la Commission européenne considère que "les États membres doivent canaliser l'aide vers les entités qui contribuent à alimenter une activité économique durable dans la Communauté. Les aides d'État ont par tradition été liées surtout au pavillon. Le simple fait de battre ce pavillon pourrait cependant ne pas suffire à obtenir le résultat escompté (par exemple s'il ne comporte aucune obligation en matière de propriété ou de composition des équipages)."
La commission européenne relève par ailleurs, avec pragmatisme, que "les armateurs sont attentifs en tout premier lieu à leur bilan et à leurs perspectives propres. Ils ne seront pas fidèles à un pavillon pour des raisons de sécurité nationale, de fierté ou de création d'emplois si leur position commerciale doit en souffrir. Une politique qui vise à maintenir les flottes sous les pavillons des États membres doit donc être économiquement viable. Elle doit créer les conditions propres à maintenir ou attirer des armateurs sous les pavillons des États-membres."
Ces prémisses l'amènent à conclure, sans aucune ambiguïté, que "les compagnies de navigation qui, bien qu'elles soient contrôlées par des intérêts européens, n'emploient pas de marins communautaires, n'investissent pas en Europe et ne paient pas d'impôt sur les revenus, de taxes sur les tonnages ou de droits d'immatriculation à un État membre, ne sont pas handicapées sur le plan des coûts par les régimes fiscaux et sociaux de la Communauté et ne doivent donc pas pouvoir bénéficier d'aides d'État."
Par ailleurs, la commission européenne admet que les considérations stratégiques qui motivent la mesure proposée par le gouvernement français échappent à son appréciation : "bien que des considérations liées à la défense soient sans aucun doute à l'origine des préoccupations de certains États membres à propos du déclin de la flotte sous pavillons communautaires et de la disponibilité de marins ressortissants de la CE, il semble que la question de la réserve navale sorte du champ d'application directe de la politique maritime et industrielle de la Communauté."
Votre commission, qui partage sans réserve l'analyse de la Commission européenne, considère qu'il n'est pas seulement opportun, mais indispensable de réserver expressément le bénéfice du régime fiscal proposé aux navires battant pavillon français.
C'est d'ailleurs bien ainsi que la Commission européenne l'a entendu dans sa lettre d'approbation du projet de loi. Dès les premières lignes elle relève que "le régime encourage l'investissement pour promouvoir l'immatriculation des navires sous pavillon français et l'emploi."
2. La mesure doit être étendue aux navires à passagers
Le projet de loi prévoit que pourront bénéficier de l'exonération les investissements dans les "navires civils de charge". Cette notion exclut les navires de pêche et de plaisance, mais aussi les navires à passagers. 11 semblerait en revanche, au vu du décret n° 84-810 du 30 août 1984, qu'elle comprenne les navires techniques (remorqueurs, dragues, barges, avitailleurs, bateaux pilotes...).
L'exclusion des navires à passagers semble essentiellement motivée par des considérations de limitation du coût de la mesure, s'agissant de navires particulièrement onéreux, et de protection des épargnants, s'agissant d'un secteur particulièrement concurrentiel, donc à la rentabilité aléatoire.
Toutefois, quatre raisons militent en faveur d'une inclusion des navires à passagers dans le champ de la mesure :
- les lignes de passagers ont connu une mauvaise année 1995. En effet, les compagnies opérant sur le secteur Transmanche ont subi la concurrence frontale du tunnel sous la Manche, et les compagnies de Méditerranée ont pâti de la désaffection des touristes pour la Corse et de l'arrêt des voyages à destination de l'Algérie entre fin décembre 1994 et le 10 décembre 1995 ;
- les chantiers navals français disposent d'un avantage comparatif dans le domaine des navires à passagers (cf. tableau ci-dessous) ;
- l'exploitation des navires à passagers, qui n'ont pas accès au pavillon TAAF, est particulièrement bénéfique en termes d'emplois maritimes :
- l'exclusion d'un segment de la flotte de commerce du bénéfice de la mesure aurait pour effet pervers d'en détourner les investisseurs.
Ces quatre considérations amènent votre commission à préférer à la notion de "navires civils de charge" celle de "navires armés au commerce", qui inclut les navires à passagers.-
Le gouvernement semble avoir lui-même beaucoup hésité sur ce point, puisque l'étude d'impact qui accompagne le projet de loi fait -encore ? -référence à la notion de "navires armés au commerce", tandis que l'intitulé du projet de loi fait - déjà ? - référence à la notion de "navires de commerce".
Le tableau ci-dessous montre tout l'intérêt que les chantiers navals français, du simple fait de leur spécialisation et sans aucun biais protectionniste, pourraient tirer de cette extension du champ de la mesure :
Carnet de commandes civiles au 1er janvier 1995
Source : Chambre syndicale des constructeurs de navires
Il apparaît ainsi que près de la moitié (6 sur 14) des navires commandés auprès des chantiers navals nationaux sont des navires à passagers (58 % de la capacité en jauge brute compensée).
Une extension du champ d'application du projet de loi aux navires à passagers ne pourrait donc qu'être indirectement bénéfique à la construction navale française.