CHAPITRE PREMIER - UNE MESURE INDISPENSABLE
I. LES AIDES EXISTANTES N'ONT PAS SUFFI A ENRAYER LE DECLIN DE LA FLOTTE DE COMMERCE FRANÇAISE
A. LE DECLIN DE LA FLOTTE DE COMMERCE FRANÇAISE S'INSCRIT DANS UN CONTEXTE DE CONCURRENCE INTERNATIONALE EXACERBEE
1. Un déclin dramatique
Depuis vingt ans, l'évolution de la flotte de commerce française est caractérisée par la diminution du nombre de bâtiments et du tonnage, alors même que le commerce maritime international connaît une croissance soutenue de 6 % par an en moyenne.
Passée du 7ème au 28ème rang mondial et de 500 à 209 navires, la flotte de commerce française ne représente plus que 0,95 % de la flotte mondiale avec un tonnage de 3,95 millions de jauge brute en 1996 contre 6,5 en 1970. En vingt ans, les effectifs de la marine marchande ont été divisés par sept.
a) Le phénomène de fuite devant le pavillon national
Le déclin de la flotte de commerce sous pavillon français reflète un phénomène de fuite devant le pavillon national. Ainsi, sur les 310 navires contrôlés patrimonialement par des armateurs français au 1er janvier 1996. 101 sont immatriculés dans des registres de libre immatriculation, soit un tiers du total (1,8 million de tonneaux bruts et 3,2 millions de tonnes de port en lourd).
Certes, ce phénomène doit être relativisé. En effet, le tonnage sous pavillon national ne constitue pas le seul potentiel de transport dont disposent les entreprises françaises. De même que dans des pays voisins, la constitution d'une flotte sous pavillon étranger, mais sous contrôle français, représente l'une des formes de l'internationalisation du secteur du transport maritime. La délocalisation de l'outil de production s'effectue dans ce secteur selon des modalités propres : transferts de pavillon, affrètement coque nue, affrètement à temps avec option d'achat.
Certains États comme le Libéria, Panama, Chypre, les Bahamas ou l'île de Malte ont ainsi décidé d'attirer vers leurs registres le trafic maritime international. En principe, ces registres "de libre immatriculation" acceptent les armateurs de toutes nationalités, entraînent un assujettissement à un impôt sur les sociétés peu élevé et ont peu d'exigences concernant la nationalité des équipages. Un nombre croissant de pays proposent ces pavillons dits "de complaisance" et ce type d'immatriculations continue à augmenter.
Pour les armateurs et les exploitants de l'Union européenne, dont les registres nationaux imposent traditionnellement comme condition d'entrée que l'équipage soit totalement ou pour une grande part composé de ressortissants de l'Union européenne - ce qui entraîne des charges sociales élevées -, le transfert d'un navire dans un registre de libre immatriculation peut être un facteur important de compétitivité sur le plan international : les économies réalisées sur les coûts sociaux et fiscaux peuvent dépasser un million de dollars par an.
Cependant, aujourd'hui, en dépit de son rang de 4ème puissance exportatrice, la France n'achemine plus que 15 % de son commerce extérieur maritime sur des navires battant pavillon français. Outre les conséquences négatives pour l'emploi, cette situation peut fragiliser les positions commerciales de la France, et menacer son indépendance stratégique.
A cet égard, l'introduction du pavillon des terres antarctiques et australes (TAAF) en 1987 n'a constitué qu'un expédient pour sauvegarder notre pavillon national. Au mois d'octobre dernier, dans leur rapport fait au nom de la Commission des affaires économiques et du Plan du Sénat sur le projet de loi relatif aux transports 5 ( * ) , nos excellents collègues MM. Jean-François Le Grand et Jacques Rocca-Serra écrivaient : "Les plus optimistes diront que la flotte française a été sauvée par le pavillon Kerguelen. Telle n'est pas exactement la position de votre Commission des affaires économiques pour laquelle tout doit être fait non pour assurer le passage de notre flotte sous pavillon TAAF mais pour maintenir le pavillon français".
Aujourd'hui, les navires immatriculés aux TAAF sont au nombre de 81 et représentent 71 % du tonnage sous pavillon français et 82 % du port en lourd.
b) La flotte française est cependant plus jeune que ses homologues
Comparée à la situation de la flotte mondiale établie au 1er juillet 1995 en port en lourd par classe d'âge, la flotte française apparaît plus jeune d'un an (14.7 contre 15,7). Elle est d'un âge égal à celui des flottes de l'OCDE et plus jeune que celle des autres pays de l'Union européenne (15,5 ans).
Avec 209 navires, la flotte française a enregistré entre le 1er janvier 1995 et le 1er janvier 1996 un gain de deux unités mais un léger recul de sa capacité d'emport à 6,264 millions de tonnes de port en lourd. Pour l'ensemble de la flotte, le mouvement de renouvellement intervenu n'a pas entièrement apporté tous les fruits attendus puisque son âge moyen s'établit à 15,2 ans accusant ainsi un vieillissement d'un an.
Les 209 navires battant pavillon français (métropolitain et TAAF) se répartissent comme suit :
Catégories |
Nombre |
Jauge brute |
Ages moyens |
Paquebots |
4 |
25 327 |
3.05 |
Transbordeurs |
26 |
310 051 |
10.69 |
Vedettes à passagers |
7 |
2 034 |
13.51 |
Total Navires à passagers |
37 |
337 412 |
10,13 |
Cargos de ligne |
19 |
41 237 |
15,63 |
Porte conteneurs |
24 |
659 420 |
13,17 |
Bananiers, polythermes |
5 |
10 202 |
12,31 |
Transporteurs de vrac sec |
11 |
379 984 |
9,81 |
Citernes à vin et à huile |
3 |
8 881 |
10.20 |
Transporteurs souffre liquide et produits chimiques |
3 |
11 883 |
15,37 |
Caboteurs < 500 J.B. |
6 |
1 715 |
27,50 |
Navires secs stationnaires |
42 |
35 039 |
26,03 |
Total Cargos |
113 |
1 148 361 |
12,55 |
Total Flotte sèche |
150 |
1 485 773 |
12,00 |
Pétroliers long cours |
15 |
1 902 946 |
18,39 |
Caboteurs pétroliers |
28 |
302 603 |
11,32 |
GPL - GNL |
6 |
151 264 |
20,58 |
Pétroliers stationnaires |
10 |
105 295 |
7,47 |
Total Pétroliers |
59 |
2 462 108 |
17,19 |
Total Général |
209 |
3 947 881 |
15,24 |
Source : Ministère de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme
A titre de comparaison, la flotte allemande se compose de 1.145 navires au 1er janvier 1996 répartis comme suit :
Nombre |
Jauge brute |
Age moyen |
|
Navires à passagers |
97 |
0,113 |
26 |
Cargos |
739 |
5,416 |
16 |
Porte-conteneurs |
146 |
3,267 |
4 |
Pétroliers |
63 |
0,290 |
|
Total des navires de plus de 100 tonneaux |
1 145 |
5,626 |
19 |
Source : Lloyds Register of Shipping
En France, au cours des dernières années, seuls se maintiennent les transbordeurs, les caboteurs pétroliers et les transporteurs de gaz. Toutes les autres catégories de navires diminuent, notamment les porte-conteneurs et les rouliers. Notre pays n'a plus que 24 porte-conteneurs, les navires à plus forte valeur ajoutée, contre 146 en Allemagne, et 40 caboteurs contre 440 en Allemagne.
c) Des armateurs dans une situation financière précaire
Le secteur des transports maritimes a été confronté depuis quinze ans à une crise anormalement longue, caractérisée par des taux de fret dépréciés. Les entreprises ont donc éprouvé de grandes difficultés à couvrir leurs frais d'exploitation. Quant aux coûts en capital, les conditions du marché ne permettaient pas, a fortiori, de les couvrir.
En 1995, le chiffre d'affaires global de l'armement français accusait un recul de l'ordre de 5 % par rapport à 1994 et se situait à 20 milliards de francs. Le tableau suivant illustre le recul du chiffre d'affaires depuis 3 ans :
(en milliards de francs)
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
|
C.A. |
23,5 |
22,9 |
21 |
20 |
Source : C C.A.F.
La contraction du chiffre d'affaires, le niveau élevé des charges financières, les difficultés éprouvées à maîtriser les dépenses commerciales ont conduit, dans bien des cas, les entreprises à vendre des actifs pour faire face aux besoins de trésorerie.
Cependant, les résultats financiers récents des armateurs montrent un redressement encourageant de la situation. Les efforts de productivité se sont traduits par une amélioration du résultat d'exploitation, et l'assainissement de la structure financière a diminué le poids de la dette des entreprises leur permettant d'envisager un renouvellement accru de la flotte.
L'évolution de la structure de l'endettement des armateurs français souligne l'effort de désendettement récent :
Structure de l'endettement des armateurs
1993 |
1994 |
|
Crédits à moyen terme |
2,5 |
1,7 |
Crédits à long terme |
2,3 |
2,6 |
Emprunts étrangers |
1,2 |
1,1 |
Autres emprunts |
0,5 |
0,7 |
Total |
6,5 |
6,1 |
Montants annuels versés aux bailleurs (crédit bail) |
2,2 |
2 |
Source : CCAF
Malgré le provisionnement exceptionnel lié aux opérations de restructuration de la CGM et la dégradation des conditions d'exploitation des ferries, les perspectives de retour à l'équilibre en 1996 restent favorables.
Quoi qu'il en soit, et même si la consolidation des résultats au niveau du secteur peut masquer les résultats bénéficiaires de certaines compagnies, les résultats de l'armement français paraissent précaires.
* 5 Rapport n° 16 (1995-1996).