2. Des causes multiples

a) Un environnement extrêmement concurrentiel

L'état actuel de la flotte française s'explique à la fois par les contraintes qu'impose un environnement économique extrêmement concurrentiel et par d'inquiétantes faiblesses intrinsèques.

De façon générale, la surcapacité permanente du tonnage maritime mondial depuis vingt ans, résultant de la diminution de la demande de transports et de l'accroissement de l'offre conduit à une concurrence effrénée entre les nations maritimes.

Le déclin de la flotte de commerce française traduit à cet égard le déclin de la flotte des pays de l'OCDE face à la concurrence des pavillons de complaisance. Ainsi, alors que 32 % du tonnage mondial restait sous pavillon des États membres de la Communauté européenne en 1970, ce chiffre est tombé à 14 % en 1994.

Jusqu'à la décolonisation, la flotte de commerce française opérait surtout dans le cadre de la protection que lui offraient les échanges coloniaux, à la différence des autres grandes flottes qui tiraient plus leur force de la création de routes maritimes concurrentielles que d'accords d'exclusivité. Cette attitude allait à contresens de la logique d'une profession caractérisée plus que toute autre par l'internationalisation, la délocalisation et la difficulté pour les États d'établir leur autorité.

Depuis vingt ans, la France a dû faire face à la concurrence directe de quatre pôles de concurrence :

(1) les pays membres de l'OCDE,

(2) les opérateurs de navires qui louent leurs navires dans les meilleures conditions du marché sans jamais les détenir en propre (cas des armateurs grecs ou chypriotes),

(3) les pays de l'Est de l'Europe, dont la participation au transport maritime s'est considérablement intensifiée à partir du début des années 1970,

(4) les nouveaux pays industrialisés (Taïwan, Singapour, Hong-Kong, Corée), qui possèdent d'excellents navires construits dans les chantiers les moins chers du monde et exploités à des coûts extrêmement compétitifs.

Le dernier groupe est le plus redoutable à l'heure actuelle pour les flottes des pays de l'OCDE. Leurs navires naviguent en effet avec des équipages devenus très compétents mais extrêmement frugaux, travaillant sans sécurité sociale, pour des salaires symboliques. Ces NPI, qui développent une politique maritime mondiale associant États et entreprises privées, ont vocation à peser d'un poids croissant sur le commerce maritime international. Déjà, la plupart des 250 porte-conteneurs sur les lignes type "tour du monde" sont entre les mains d'armateurs asiatiques. Le contrôle de trafic pratiqué par les NPI leur permet de soutenir le développement de leur flotte. Ce phénomène est accentué du fait que certains de ces pays disposent en outre, de possibilités de financement, de capacités de construction à bas coût et d'équipages bon marché.

La productivité et l'efficacité des navigants des flottes occidentales ne permettent pas toujours de compenser ce handicap, d'autant plus que le régime social des marins de ces pays en émergence accroît encore l'écart.

Plus spécifiquement, l'analyse de la régression de notre marine marchande fait apparaître qu'elle pâtit tout particulièrement de son insuffisante compétitivité, de la trop faible dimension des compagnies de navigation et de la nature des trafics qu'elles assurent, ainsi que du coût du pré-acheminement et du post-acheminement.

b) Une insuffisance de compétitivité

Face à la concurrence de "registres de libre immatriculation", les contraintes de qualité et de sécurité du pavillon français, ainsi que la pression fiscale et sociale sur les coûts d'exploitation, freinent aujourd'hui la compétitivité de la flotte de commerce française. On estime que le recours à un pavillon de libre immatriculation permet à l'armateur de réaliser une économie annuelle, par rapport au pavillon français, de 8 à 12 millions de francs pour un grand navire et de 3 à 5 millions pour un petit navire.

S'il est vrai que de nombreuses autres branches d'activité en France subissent la concurrence de pays qui utilisent une main d'oeuvre peu onéreuse, le handicap de compétitivité est sans doute plus lourd dans le secteur maritime, activité internationale par essence et extrêmement concurrentielle.

Le surcoût social du marin français n'est cependant réel que par comparaison avec les pavillons de complaisance, les pays en voie de développement ou les nouveaux pays industrialisés d'Asie. Or la différence de qualité de service, d'efficacité et de productivité entre les marins français et certains marins issus des pays du Tiers-monde n'est plus telle qu'elle puisse compenser la différence de coût.

Cette situation explique l'intérêt que présente pour les armateurs le pavillon des Kerguelen qui, s'il ne peut prétendre être aussi compétitif qu'un pavillon de complaisance, réduit cependant significativement le surcoût social.

Les salaires des navigants français sur un navire immatriculé aux T.A.A.F. représentent un coût d'armement inférieur de 30 % aux salaires sur le même navire battant pavillon français. Quant aux étrangers embauchés à bord d'un navire enregistré aux Kerguelen, à nombre de postes égal, leurs salaires sont inférieurs de 70 % à ceux que percevraient des marins français pour occuper les mêmes postes.

Par ailleurs, le surcoût social peut être amplifié par la réglementation française en matière d'effectifs à bord et par les normes techniques et de sécurité des navires. Le coût de construction d'un navire selon les normes requises par le pavillon français se trouve augmenté d'environ 510 000 dollars, pour un prix de navire de 12 millions de dollars, par rapport au coût de la construction selon les normes libériennes. Le surcoût au stade de l'investissement initial est donc de 4 %.

c) La trop faible dimension des compagnies de navigation

La taille des compagnies françaises reste encore moyenne malgré les regroupements. Nous sommes encore loin des grands groupes intégrés tels qu'il en existe au Danemark, au Japon ou en Corée, qui contrôlent l'ensemble de la chaîne du transport, depuis la construction du navire jusqu'au chargement et à l'acheminement de la cargaison.

Le chiffre d'affaires de nos compagnies est trop souvent concentré sur des trafics historiques, longtemps quasiment protégés, datant de l'empire colonial français.

Sur les 65 compagnies maritimes françaises, les 15 premières représentent 58 % du chiffre d'affaires total de la profession. Les principaux groupes du secteur sont :

Chiffre d'affaires (en milliards de francs)

Secteur

Delmas

4,1

ligne

CGM

3,8

ligne

CMA

3,5

ligne

BAI

1,7

passagers

SNCM

1,7

passagers

Louis Dreyfus

1,4

vrac sec

CNN

1,2

pétrole

SeaFrance

1.1

passagers

Source : CCAF

d) Des coûts élevés de pré-acheminement et de post-acheminement.

Enfin, la compétitivité de la marine marchande d'un pays ne se joue plus maintenant uniquement sur le transport maritime. Elle dépend aussi du coût du passage par les ports et du coût de pré-acheminement et du post-acheminement terrestres. Or les ports français sont handicapés par un coût d'acheminement très souvent nettement supérieur (jusqu'à 20 ou 25 %) à celui de leurs concurrents de l'Europe du Nord. Notre marine marchande souffre aussi de la mauvaise compétitivité de nos ports.

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