B. L'ARRÊT BARBER DU 17 MAI 1990 ET SES SUITES

L'arrêt Defrenne disait explicitement que les prestations des régimes légaux de sécurité sociale ne pouvaient être analysées comme des avantages directs ou indirects liées aux rémunérations, dans la mesure où ces régimes ne résultaient pas de rapports d'emploi et notamment de concertations entre travailleurs et employeurs au sein de l'entreprise ou d'une branche professionnelle. A contrario, la Commission en a conclu que les régimes professionnels de sécurité sociale entraient dans la catégorie des « autres avantages ». C'est cette interprétation que confirme explicitement l'arrêt Barber en 1990 5 ( * ) . Selon cet arrêt la notion de rémunération inclut les prestations en espèces ou en nature, immédiates ou futures, pour autant qu'elles soient octroyées par 1'employeur au travailleur, fut-ce indirectement, dans le cadre de l'emploi de ce dernier. Il apparaît donc que les prestations versées après la fin des relations de travail restent une rémunération au sens de l'article 119.

En l'espèce, le fonds de pension auquel était affilié le plaignant fixait l'âge de la retraite à 62 ans pour les hommes et à 57 ans pour les femmes et en cas de licenciement, respectivement à 55 ans et 50 ans. Ayant été licencié à 52 ans, M. Barber ne pouvait prétendre à toucher sa pension, alors que dans les mêmes circonstances une femme en aurait bénéficié. C'est cette rupture d'égalité, au détriment de M. Barber, qu'a sanctionné la Cour de Justice, sur le fondement de l'article 119.

Les régimes professionnels de sécurité sociale doivent désormais verser leurs prestations à un âge uniforme quelque soit le sexe du bénéficiaire.

Cet arrêt, abondamment commenté, posait plusieurs problèmes auxquels la jurisprudence postérieure de la Cour allait apporter des réponses : il s'agissait notamment de savoir quels devaient être les effets rétroactifs de l'application du principe d'égalité aux régimes professionnels de sécurité sociale et comment organiser cette égalité pour l'avenir. Mais la principale difficulté était d'ordre économique : l'alignement des conditions de versement des prestations aux hommes sur celles retenues pour les femmes (l'inverse n'était pas possible, cf. ci-dessous) risquait de rompre gravement l'équilibre des régimes. C'est pourquoi, à l'initiative du Gouvernement néerlandais, sans attendre que la Cour de Justice ait explicité sa position, les Douze ont signé à Maastricht un protocole additionnel à l'article 119 limitant dans le temps les effets de l'application de cet article aux régimes professionnels ; ce protocole dispose qu'« aux fins de l'application de l'article 119, des prestations en vertu d'un régime professionnel de sécurité sociale ne seront pas considérés comme rémunération si et dans la mesure où elles peuvent être attribuées aux périodes d'emploi antérieures au 17 mai 1990 6 ( * ) , exception faite pour les travailleurs ou leurs ayants droit qui ont, avant cette date, engagé une action en justice ou introduit une réclamation équivalente selon le droit national applicable ».

Ainsi, les droits acquis au titre des périodes d'emploi antérieures à l'arrêt Barber ne seront pas considérés comme des rémunérations, sauf si les travailleurs ou leurs ayants droit ont engagé une action en justice antérieurement. Plusieurs arrêts postérieurs de la Cour ont confirmé ce point 7 ( * ) .

L'article s'applique aux « prestations des survivants » (Ten Oever), à tous les régimes professionnels à partir du 17 mai 1990 (Moroni) ; les cotisations salariales doivent être les mêmes pour les deux sexes, mais les cotisations employeurs peuvent être différentes lorsqu'elles reposent sur des calculs actuariels objectifs pour tenir compte de l'espérance de vie plus longue des femmes (Neath)...

Pour l'avenir, la Cour distingue la période allant du 17 mai 1990 à la date d'entrée en vigueur des nouvelles règles adoptées par les régimes professionnels et la période postérieure à l'adoption des nouvelles règles (arrêts Smith et Van den Akker).

Pour la première, l'article 119 s'oppose à ce que l'égalité soit obtenue en augmentant l'âge de la retraite pour les femmes. Pour la seconde, en revanche, rien n'empêche d'augmenter cet âge au même niveau que celui des hommes.

La Cour de Justice, dans deux autres arrêts (Neath et Coloroll), a également précisé comment l'article 119 s'appliquait aux cotisations salariales et patronales. Outre le fait que les cotisations salariales doivent être identiques quel que soit le sexe et que les cotisations patronales puissent être modulées pour tenir compte des calculs actuariels (cf. ci-dessus), il est mis fin aux incertitudes nées de la rédaction de la directive 86/378/CEE concernant le financement des régimes, selon qu'ils sont à cotisations définies ou à prestations définies 8 ( * ) . Considérant que l'objet du régime est le versement d'une prestation, c'est cette dernière qui est assimilée à une rémunération, et non son mode de financement. Dans ces conditions que le régime soit à cotisations définies ou à prestations définies, le mode de financement à la charge de l'employeur n'entre pas dans le cadre de l'article 119.

La proposition d'acte communautaire examinée dans le cadre du présent rapport vise donc à tirer les conséquences de cette jurisprudence et à clarifier certains points en rendant conforme la directive 86/378/CEE à l'article 119 du Traité.

* 5 CJCE, 17 mat 1990, Barber, Aff C-262/88.

* 6 Date de l'arrêt Barber.

* 7 CJCE, 6 octobre 1993, Ten Oever, Aff. C-109/93

CJCE, 14 décembre 1993, Moroni Aff. C-110/91

CJCE, 22 décembre 1993, Neath, Aff. C-152/91

CJCE. 28 septembre 1994, Coloroll, Aff. C-200/91

CJCE, 28 septembre 1994, Smith, Aff. C-408/92

CJCE, 28 septembre 1994, Van den Akker, Aff. C-28/93

CJCE, 28 septembre 1994, Fisscher, Aff. C-128/93

CJCE, 28 septembre 1994, Vroege, Aff. C-57/93

CJCE, 28 septembre 1994, Beuhe, Aff. C-7/93.

* 8 Dans les régimes à cotisations définies, la pension finale est fonction du montant et de la durée de cotisation, ainsi que de l'efficacité du mode de gestion de fonds. Dans les régimes à prestations définies, le montant de la pension finale est déterminée à l'avance, par exemple en retenant un pourcentage du salaire final pour chaque année d'ancienneté.

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