Rapport n° 313 (1995-1996) de M. Charles METZINGER , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 17 avril 1996

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N° 313

SENAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 17 avril 1996.

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur la proposition de résolution présentée en application de l'article 73 bis du Règlement par M. Charles METZINGER sur la proposition de directive du Conseil modifiant la directive 86/378/CEE relative a la mise en oeuvre du principe de /'égalité de traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale (E-450),

Par M. Charles METZINGER,

sénateur

Cette commission est composée de : MM. Jean-Pierre Fourcade, président ; Jacques Bimbenet, Mme Michelle Demessine. MM. Claude Huriet, Charles Metzinger, Bernard Seillier, Louis Souvet. vice-présidents ; Jean Cherioux, Charles Descours, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Jacques Machet, secrétaires ; José Balarello, Henri Belcour, Jacques Bialski, Paul Blanc, Mme Annick Bocandé, MM. Louis Boyer, Jean-Pierre Cantegrit, Francis Cavalier-Benezet, Gilbert Chabroux. Philippe Darniche. Georges Dessaigne, Mme Joëlle Dusseau, MM. Guy Fischer, Alfred Foy, Serge Franchis, Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis, MM. Alain Gournac, Roland Huguet, André Jourdain, Pierre Lagourgue, Dominique Larifla, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Jean-Louis Lorrain, Simon Loueckhote, Jean Madelain, Michel Manet, René Marquès, Serge Mathieu, Georges Mazars, Georges Mouly, Lucien Neuwirth, Mme Nelly Olin, MM. Louis Philibert, André Pourny, Henri de Raincourt, Gérard Roujas. Martial Taugourdeau, Alain Vasselle, André Vézinhet.

Voir le numero :

Sénat : 92 (1995-1996).

Union européenne

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Le jeudi 18 avril 1996, sous la présidence de M. Jean-Pierre Fourcade, président, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Charles Metzinger sur sa proposition de résolution n° 92 (1995-1996), présentée, en application de l'article 73 bis du règlement, sur la proposition de directive du Conseil modifiant la directive 86/378/CEE relative à la mise en oeuvre de l 'égalité de traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale (n° E-450).

Après avoir précisé que la proposition de résolution portait sur la proposition de directive modifiant une directive de 1986 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale, M. Charles Metzinger, rapporteur, a précisé que la modification proposée par ce texte consistait à mettre en conformité la directive de 1986 avec l'interprétation faite par la Cour de justice des Communautés européennes de l'article 119 du Traité de Rome sur l'égalité du mode de rémunération entre hommes et femmes. Il a observé que cette mise en conformité du droit dérivé avec le droit fondamental était l'occasion pour la délégation du Sénat pour l'Union européenne d'interroger la commission et le Sénat sur les conditions d'une application trop stricte du Traité en matière d'égalité entre les hommes et les femmes et sur l'opportunité de veiller à préserver, lors de la révision du Traité de Maastricht, la liberté des Etats membres de maintenir certains avantages spécifiques accordés aux femmes.

M. Charles Metzinger, rapporteur, a ensuite rappelé brièvement les raisons de cette proposition de directive.

La Cour de justice ayant progressivement assimilé les prestations de retraite relevant de régimes professionnels de sécurité sociale à des rémunérations, elle en a, dans l'arrêt Barber du 17 mai 1990, tiré la conclusion que l'âge de départ à la retraite des hommes et des femmes devait être identique.

Puis, dans une autre série d'arrêts, elle a étendu les conséquences de cette assimilation et a précisé les effets rétroactifs de l'arrêt Barber. Le rapporteur a rappelé que dans un protocole annexé à l'article 119, le Traité de Maastricht avait limité dans le temps les effets financiers, pour les régimes professionnels de retraite, de cette jurisprudence.

Constatant que la présente proposition de directive n'appelait pas par elle-même de commentaires particuliers, puisqu'elle ne modifiait pas le droit positif (l'article 119 du Traité étant d'application directe), le rapporteur a souligné qu'elle constituait néanmoins l'occasion de s'interroger sur le fait qu'une application stricte du principe de l'égalité risquait de conduire, pour des raisons économiques, à réduire les avantages consentis aux femmes par les législations nationales.

Selon lui, cette évolution incitait à se préoccuper des conséquences potentielles de l'éventuelle inscription du principe général d'égalité entre hommes et femmes dans le Traité de Maastricht à l'occasion de sa révision.

Après avoir rappelé que la volonté de promouvoir l'égalité des hommes et des femmes était une constante de la politique européenne, puisque pas moins de six textes conjuguaient ce principe et constituaient les fondements d'une abondante jurisprudence favorable aux femmes, et que quatre programmes d'actes communautaires s'étaient succédé pour promouvoir l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, M. Charles Metzinger, rapporteur, a montré comment la jurisprudence de la Cour se développait dans un sens peu favorable aux femmes en remettant en cause, comme dans l'arrêt Barber, de nombreuses dispositions protectrices adoptées par les Etats membres.

IL a ainsi précisé que la Cour avait jugé contraire au principe d'égalité l'interdiction du travail de nuit des femmes, sauf lorsqu'il s'agissait de protéger un état de grossesse. IL a rappelé que la France avait été condamnée parce que les clauses en faveur des femmes figurant dans certaines conventions collectives étaient contraires au principe d'égalité, que la Belgique avait également été condamnée parce que les hommes mariés ou veufs ne bénéficiaient pas des mêmes exonérations de cotisations sociales que les femmes mariées ou veuves. La Grande-Bretagne avait de même été condamnée parce qu'un règlement accordait la gratuité des médicaments aux femmes à partir de 60 ans alors que les hommes n'en bénéficiaient qu'à partir de 65 ans.

Puis, M. Charles Metzinger, rapporteur, a détaillé les conséquences de l'arrêt Kalanke du 17 octobre 1995 qui condamne les discriminations positives en faveur des femmes sous la forme de quotas.

Pour la Cour, il semble qu'il faille distinguer entre les mesures tendant à une obligation de résultat telle que les quotas, qu'elle refuse, et les mesures visant à promouvoir une égalité des chances pour remédier aux inégalités de fait dont souffrent les femmes, qu'elle accepte.

M. Charles Metzinger, rapporteur, a alors souligné que cette jurisprudence était très en retrait par rapport à la position de la France, ce qu'il a illustré en dressant un historique de la politique des gouvernements successifs en faveur de l'égalité et de la promotion des femmes depuis 1965. Puis, il a insisté sur l'importance des inégalités qui subsistaient encore.

Il a, en conséquence, jugé inopportun de priver la France d'une part de ses instruments d'intervention surtout au moment où les tendances à réduire la protection sociale, pour des raisons économiques, s'expriment avec force. Il a donc déclaré qu'il lui semblait préférable de laisser à chaque Etat membre, lié par le principe d'égalité, le choix des moyens de la mise en oeuvre de ce principe au nom de la subsidiarité.

Il a également indiqué que cette question pouvait se poser de façon beaucoup plus générale au moment ou, pour bâtir une Europe sociale dans un contexte économique libéral, des notions de « convergences sociales », de « socle minimum » de règles communes destiné à lutter contre toute tentation de « dumping social » étaient avancées. Pour lui, il serait en effet dangereux de favoriser une logique qui, en appliquant de façon rigide le principe d'égalité, contraindrait les Etats membres à s'aligner sur la norme minimale, au mépris de toute notion d'acquis social, dans bien d'autres domaines que celui de l'égalité entre les hommes et les femmes.

M. Charles Metzinger, rapporteur, a en conséquence proposé de soutenir les propositions exprimées par la proposition de résolution qu'il avait déposée en tant que membre de la délégation du Sénat pour l'Union européenne tout en ajoutant une disposition invitant le Gouvernement à aborder dans le même esprit de subsidiarité l'inscription éventuelle d'autres principes en rapport avec l'Europe sociale dans le Traité de Maastricht.

M. Jean-Pierre Fourcade, président, a observé combien l'influence britannique était forte dans les instances européennes, ce qui conduisait à ramener au minimum toutes les normes de protection. Il s'est en outre félicité que le rapporteur, tout en étant partisan de l'espace social européen, ait adopté une position aussi nuancée.

M. Charles Metzinger, rapporteur, a répondu que pour faire aboutir l'espace social européen, il convenait au préalable d'en éviter les effets pervers.

M. Jean Chérioux a exprimé son accord avec les positions de MM. Jean-Pierre Fourcade, président, et Charles Metzinger, rapporteur. Il s'est félicité de la position de ce dernier qui ne pouvait que favoriser les femmes et les familles.

M. Bernard Seillier, soulignant la spécificité du rôle de la femme et l'intérêt des discriminations positives, a déclaré partager les appréciations de ses collègues. Il a approuvé la méthode consistant à expérimenter localement les innovations sociales avant de les généraliser, insistant sur l'intérêt de faire application du principe de subsidiarité.

Mme Michelle Demessine a déclaré partager le point de vue de M. Charles Metzinger, rapporteur, et a indiqué que son groupe déposerait des amendements à la proposition de résolution, notamment pour faire référence à la conférence mondiale sur les femmes qui s'est tenue à Pékin en septembre 1995.

M. Louis Souvet s'est inquiété de l'interprétation trop stricte du principe d'égalité qui pourrait conduire certains hommes, en raison du caractère réversible de l'égalité, à revendiquer des avantages qui ne seraient pas justifiés.

M. Jean-Pierre Fourcade, président, a souligné qu'une interprétation britannique des textes risquait de faire disparaître de nombreux avantages spécifiques accordés aux femmes par notre législation et qu'il était sage de se donner les moyens de préserver l'acquis, notamment en évitant de mettre en oeuvre une réversibilité absolue.

M. Jean Madelain a observé que la proposition de résolution répondait parfaitement à ce souci.

La commission a alors adopté la proposition de résolution, dans le texte de son rapporteur, à l'unanimité. Elle a fixé au mardi 14 mai 1996 à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à cette proposition de résolution et au mercredi 15 mai prochain, l'examen des éventuels amendements et l'adoption définitive.

Mesdames, Messieurs,

Votre commission des Affaires sociales a été saisie de la proposition de résolution n° 92 (1995-1996) présentée le 23 novembre 1995 au nom de la Délégation pour l'Union européenne par M. Charles Metzinger.

La proposition de résolution porte sur la proposition de directive (E-450) modifiant la directive 86/378/CEE, adoptée le 24 juillet 1986, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale.

Cette proposition de directive vise à mettre en conformité la directive de 1986 avec l'interprétation faite de l'article 119 du Traité de Rome sur l'égalité de rémunération entre hommes et femmes par la Cour de Justice des Communautés européennes. Purement déclaratoire, elle n'a aucun effet normatif nouveau et ne présente pas, par elle-même, de difficultés susceptibles d'amener votre commission à vous proposer de modifier la résolution pour inviter le Gouvernement à refuser ce texte. L'article 119 étant d'application directe 1 ( * ) , le défaut d'adoption de la directive modificative ne changerait en effet rien quant au fond.

En revanche, l'examen de la proposition de directive est l'occasion. pour la Délégation, d'interroger votre commission des Affaires sociales et le Sénat sur les conséquences d'une application trop stricte du Traité en matière d'égalité entre les hommes et les femmes, et sur l'opportunité de veiller à préserver, à l'occasion de la révision du Traité de Maastricht, la liberté des Etats membres de maintenir certains avantages spécifiques accordés aux femmes. Votre commission note que la révision du Traité offre à de nombreux membres la possibilité de proposer d'inclure dans le Traité des dispositions concernant l'emploi, certains droits fondamentaux ainsi que certains droits sociaux 2 ( * ) . Ce courant en faveur de la reconnaissance de 1'Europe sociale par le Traité est fondé sur la recherche d'un « socle minimum » de règles sociales communes et sur la mise en oeuvre d'un processus de convergence progressive des systèmes de protection sociale, dans le dessein d'écarter tout risque de « dumping social » et de rapprocher l'Europe des citoyens. Il appelle cependant une vigilance accrue afin que puissent être évités d'éventuels effets pervers conduisant à remettre en cause ou à réduire les niveaux de protection actuelle.

I. LA PROPOSITION DE DIRECTIVE VISE À METTRE LA DIRECTIVE DE 1986 EN CONFORMITÉ AVEC L'ARTICLE 119 DU TRAITÉ DE ROME

La directive 86/378/CEE relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale dispose, afin de laisser ouvertes les possibilités d'adaptation et de discriminations positives, qu'elle ne s'applique pas aux contrats individuels. Il en résulte notamment que les régimes professionnels de sécurité sociale peuvent prévoir des niveaux et des durées de cotisations variables, imposer des âges différents de retraite, ou réserver certaines prestations aux travailleurs de l'un des deux sexes.

Or, aux termes de la jurisprudence de la Cour de Justice, ces discriminations, qui jouaient le plus souvent en faveur des femmes, sont contraires au principe de l'égalité de rémunérations entre hommes et femmes, toutes choses égales par ailleurs, qu'impose 1'article 119 du Traité de Rome. Les régimes professionnels de sécurité sociale entrent en effet dans la catégorie des avantages (ici différés) assimilés à des rémunérations par la Cour.

A. LA NOTION DE RÉMUNÉRATION

L'article 119 du Traité de Rome, intégré sans modification dans le titre II du Traité sur l'Union européenne (Traité de Maastricht), dispose que « chaque Etat membre assure (...) l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins pour un même travail ». Le deuxième alinéa précise que « par rémunération il faut entendre, au sens du présent article, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum, et tous les autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier ».

Dès 1971. la Cour de Justice a laissé entendre, dans un « arrêt Defrenne » 3 ( * ) , que parmi ces « autres avantages » figuraient les régimes professionnels de sécurité sociale. c'est-à-dire les régimes d'entreprises et les régimes complémentaires. En revanche, les régimes légaux de sécurité sociale ne sont pas concernés. Cette distinction s'explique par le fait que les premiers trouvent leur origine dans le contrat de travail conclu entre 1'employeur et le salarié, alors que les seconds trouvent leur origine dans la loi et sont applicables à des catégories générales de travailleurs en application de la politique sociale des Etats.

Les régimes professionnels de sécurité sociale assurent le plus souvent le versement d'une pension de retraite complémentaire -ces régimes sont très fréquents au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, mais peuvent aussi servir des indemnités de licenciements ou des prestations de survivants.

Ces prestations devaient donc s'analyser comme des rémunérations différées, auxquelles s'appliquent le principe de l'égalité de rémunération entre hommes et femmes de 1'article 119 du Traité. Cette interprétation a été confirmée par l'arrêt Bilka. en 1986 4 ( * ) : l'exclusion de travailleurs à temps partiel du bénéfice d'un régime professionnel de pension est contraire à l'article 119 s'il peut être établi qu'une telle mesure affecte principalement les travailleurs féminins.

B. L'ARRÊT BARBER DU 17 MAI 1990 ET SES SUITES

L'arrêt Defrenne disait explicitement que les prestations des régimes légaux de sécurité sociale ne pouvaient être analysées comme des avantages directs ou indirects liées aux rémunérations, dans la mesure où ces régimes ne résultaient pas de rapports d'emploi et notamment de concertations entre travailleurs et employeurs au sein de l'entreprise ou d'une branche professionnelle. A contrario, la Commission en a conclu que les régimes professionnels de sécurité sociale entraient dans la catégorie des « autres avantages ». C'est cette interprétation que confirme explicitement l'arrêt Barber en 1990 5 ( * ) . Selon cet arrêt la notion de rémunération inclut les prestations en espèces ou en nature, immédiates ou futures, pour autant qu'elles soient octroyées par 1'employeur au travailleur, fut-ce indirectement, dans le cadre de l'emploi de ce dernier. Il apparaît donc que les prestations versées après la fin des relations de travail restent une rémunération au sens de l'article 119.

En l'espèce, le fonds de pension auquel était affilié le plaignant fixait l'âge de la retraite à 62 ans pour les hommes et à 57 ans pour les femmes et en cas de licenciement, respectivement à 55 ans et 50 ans. Ayant été licencié à 52 ans, M. Barber ne pouvait prétendre à toucher sa pension, alors que dans les mêmes circonstances une femme en aurait bénéficié. C'est cette rupture d'égalité, au détriment de M. Barber, qu'a sanctionné la Cour de Justice, sur le fondement de l'article 119.

Les régimes professionnels de sécurité sociale doivent désormais verser leurs prestations à un âge uniforme quelque soit le sexe du bénéficiaire.

Cet arrêt, abondamment commenté, posait plusieurs problèmes auxquels la jurisprudence postérieure de la Cour allait apporter des réponses : il s'agissait notamment de savoir quels devaient être les effets rétroactifs de l'application du principe d'égalité aux régimes professionnels de sécurité sociale et comment organiser cette égalité pour l'avenir. Mais la principale difficulté était d'ordre économique : l'alignement des conditions de versement des prestations aux hommes sur celles retenues pour les femmes (l'inverse n'était pas possible, cf. ci-dessous) risquait de rompre gravement l'équilibre des régimes. C'est pourquoi, à l'initiative du Gouvernement néerlandais, sans attendre que la Cour de Justice ait explicité sa position, les Douze ont signé à Maastricht un protocole additionnel à l'article 119 limitant dans le temps les effets de l'application de cet article aux régimes professionnels ; ce protocole dispose qu'« aux fins de l'application de l'article 119, des prestations en vertu d'un régime professionnel de sécurité sociale ne seront pas considérés comme rémunération si et dans la mesure où elles peuvent être attribuées aux périodes d'emploi antérieures au 17 mai 1990 6 ( * ) , exception faite pour les travailleurs ou leurs ayants droit qui ont, avant cette date, engagé une action en justice ou introduit une réclamation équivalente selon le droit national applicable ».

Ainsi, les droits acquis au titre des périodes d'emploi antérieures à l'arrêt Barber ne seront pas considérés comme des rémunérations, sauf si les travailleurs ou leurs ayants droit ont engagé une action en justice antérieurement. Plusieurs arrêts postérieurs de la Cour ont confirmé ce point 7 ( * ) .

L'article s'applique aux « prestations des survivants » (Ten Oever), à tous les régimes professionnels à partir du 17 mai 1990 (Moroni) ; les cotisations salariales doivent être les mêmes pour les deux sexes, mais les cotisations employeurs peuvent être différentes lorsqu'elles reposent sur des calculs actuariels objectifs pour tenir compte de l'espérance de vie plus longue des femmes (Neath)...

Pour l'avenir, la Cour distingue la période allant du 17 mai 1990 à la date d'entrée en vigueur des nouvelles règles adoptées par les régimes professionnels et la période postérieure à l'adoption des nouvelles règles (arrêts Smith et Van den Akker).

Pour la première, l'article 119 s'oppose à ce que l'égalité soit obtenue en augmentant l'âge de la retraite pour les femmes. Pour la seconde, en revanche, rien n'empêche d'augmenter cet âge au même niveau que celui des hommes.

La Cour de Justice, dans deux autres arrêts (Neath et Coloroll), a également précisé comment l'article 119 s'appliquait aux cotisations salariales et patronales. Outre le fait que les cotisations salariales doivent être identiques quel que soit le sexe et que les cotisations patronales puissent être modulées pour tenir compte des calculs actuariels (cf. ci-dessus), il est mis fin aux incertitudes nées de la rédaction de la directive 86/378/CEE concernant le financement des régimes, selon qu'ils sont à cotisations définies ou à prestations définies 8 ( * ) . Considérant que l'objet du régime est le versement d'une prestation, c'est cette dernière qui est assimilée à une rémunération, et non son mode de financement. Dans ces conditions que le régime soit à cotisations définies ou à prestations définies, le mode de financement à la charge de l'employeur n'entre pas dans le cadre de l'article 119.

La proposition d'acte communautaire examinée dans le cadre du présent rapport vise donc à tirer les conséquences de cette jurisprudence et à clarifier certains points en rendant conforme la directive 86/378/CEE à l'article 119 du Traité.

C. LES MODIFICATIONS APPORTÉES À LA DIRECTIVE 86/378/CEE

La directive 86/378/CEE relative à la mise en oeuvre des principes de l'égalité de traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale s'inscrit dans un ensemble consacré aux rémunérations et aux régimes de sécurité sociale : la directive 75/117/CEE concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins et la directive 79/7/CEE relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière de sécurité sociale. Par la suite, une proposition de directive a été présentée par la commission pour combler les lacunes des deux directives 79/7 et 86/378, mais elle est toujours pendante devant les instances du Conseil.

La directive de 1986 autorisait deux dérogations au principe de l'égalité de traitement : l'âge de la retraite et les prestations de survivants. Celles-ci étant désormais reconnues contraires à l'article 119, il est proposé de réserver ces deux dérogations aux seuls travailleurs indépendants, qui ne relèvent pas de l'article 119. Les articles 2. 8 et 9 sont modifiés en conséquence : bien que la directive tende à la mise en oeuvre du principe d'égalité dans les régimes des travailleurs indépendants, sa mise en application peut être différée par les Etats membres.

Par ailleurs, la proposition de directive reprend certaines clarifications opérées par la jurisprudence de la Cour. Ainsi, l'article 6 dispose expressément que les cotisations des travailleurs doivent être égales pour les deux sexes. De même, les cotisations patronales doivent être égales, sauf dans le cas des régimes à cotisations définies pour égaliser ou rapprocher les montants des prestations, ou dans le cas des régimes à prestations définies lorsque les cotisations sont destinées à compléter l'assiette financière indispensable pour couvrir le coût de ces prestations définies.

Par ailleurs, un article additionnel transpose dans la directive le protocole additionnel à l'article 119 ajouté lors de la signature du Traité de Maastricht, afin de régler les effets rétroactifs de la jurisprudence. On notera que l'application rétroactive du principe d'égalité de rémunération n'est applicable qu'entre le 17 mai 1990 (arrêt Barber) et le 8 avril 1976, date de l'arrêt Defrenne Il prévoyant l'applicabilité directe de l'article 119. D'autres dispositions concernent les pays ayant adhéré après le 17 mai 1990 (la date de l'arrêt Barber est remplacée par le 1 er janvier 1994) et les délais de recours (application du délai interne ou communautaire le plus favorable).

*

Ainsi que cela a déjà été dit, la présente proposition de directive n'appelle pas, par elle-même, de commentaires particuliers, dans la mesure où elle tend essentiellement à mettre le droit dérivé en conformité avec 1'interprétation jurisprudentielle du Traité.

Votre commission constate cependant que la mise en oeuvre du principe d'égalité des rémunérations risque de conduire à terme à une réduction des avantages susceptibles d'être consentis aux femmes, même si actuellement l'alignement de 1'âge de la retraite ne peut se faire sur celui des hommes. Dès lors, il devient légitime de s'interroger sur les conséquences potentielles de l'éventuelle inscription d'un principe général d'égalité entre hommes et femmes dans le Traité de Maastricht, à l'occasion de sa révision.

II. LA PROPOSITION DE DIRECTIVE EST L'OCCASION DE S'INTERROGER SUR LE MEILLEUR NIVEAU DE DÉFINITION DES CONDITIONS D'APPLICATION DU PRINCIPE DE L'ÉGALITÉ ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

Il est clair que l'interprétation faite par la Cour de Justice des Communautés européennes du principe de 1'égalité entre les hommes et les femmes en matière de rémunération conduit à terme à réduire certains de leurs avantages spécifiques : la possibilité de prendre une retraite à taux plein plus tôt que les hommes en était un. Mais d'autres acquis sociaux sont concernés, tout comme les politiques de discriminations positives.

Aussi, avant d'examiner les éléments du débat portant sur les conditions de mise en oeuvre du principe d'égalité, convient-il de dresser un rapide bilan de l'état du droit en cette matière.

A. L'APPLICATION DU PRINCIPE DE L'ÉGALITÉ ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES PAR LA COUR DE JUSTICE POURRAÎT CONDUIRE À UNE REMISE EN CAUSE DE CERTAINS ACQUIS SOCIAUX SPÉCIFIQUES AUX FEMMES

La volonté de promouvoir l'égalité des hommes et des femmes s'est exprimée des l'origine de la Communauté économique puisque l'égalité des rémunérations figure à l'article 119 du Traité de Rome. Puis elle a très vite trouvé matière à s'appliquer à d'autres domaines de la vie professionnelle ; six textes développent ce principe et constituent les fondements d'une importante jurisprudence :

- la Directive 75/117 du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins (Journal Officiel des Communautés européennes n° L. 045 du 19 février 1975) ;

- la Directive 76/207 du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (Journal Officiel des Communautés européennes n° L. 039 du 14 février 1976) ;

- la Directive 79/7 du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale (Journal Officiel des Communautés européennes n° L. 006 du 10 janvier 1979) ;

- la Directive 86/378 du Conseil, du 24 juillet 1986, relative à la mise en oeuvre d u principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale (Journal Officiel des Communautés européennes n° L. 225 du 12 août 1986) ;

- la Directive 86/613 du Conseil, du 11 décembre 1986, sur l'application du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes exerçant une activité indépendante, y compris une activité agricole, ainsi que sur la protection de la maternité (Journal Officiel des Communautés européennes n° L. 359 du 19 décembre 1986) ;

- la Résolution sur la protection des femmes enceintes au travail (Journal Officiel des Communautés européennes n° C. 284 du 2 novembre 1992).

D'autres textes sont en préparation, soit pour améliorer les textes existants (sécurité sociale), soit pour réduire certains handicaps plus spécifiques aux femmes (harcèlement sexuel, garde des enfants...).

Par ailleurs, des programmes d'action communautaire sont mis en oeuvre pour promouvoir l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Le quatrième (1996-2000) est en cours d'élaboration.

L'égalité des chances a aussi été mise en oeuvre à travers la jurisprudence de la Cour de Justice : l'application directe de l'article 119, déjà évoquée 9 ( * ) , la reconnaissance de l'élimination des discriminations fondées sur le sexe au titre des « droits fondamentaux » dont elle assure le respect 10 ( * ) , ou encore la mise à la charge de l'employeur de la preuve du caractère non discriminatoire de ses pratiques salariales 11 ( * ) .

Mais l'arrêt Barber montre que la Cour de Justice, en se fondant sur les mêmes textes, dont elle fait une interprétation que certains ont pu qualifier de « doctrinaire », met parfois les femmes dans une situation juridique dont les effets concrets sont diamétralement opposés au but des Etats membres lorsqu'ils ont adopté les textes. Il apparaît en effet clairement que certaines décisions de la Cour de Justice affaiblissent la protection spécifique dont bénéficiaient les femmes dans les législations nationales, et rendent très difficiles les « discriminations positives ».

1. Les protections spécifiques

Votre rapporteur ne reviendra pas sur la jurisprudence dont l'effet est d'égaliser les âges de départ à la retraite, du moins dans le cadre des régimes professionnels, et qui pourrait conduire à une révision des textes concernant les régimes légaux pour y introduire la conception jurisprudentielle de l'égalité. Il rappellera seulement que plusieurs pays européens sont directement concernés : le Royaume-Uni (65 ans pour les hommes, et 60 ans pour les femmes), l'Italie (60 ans, 55 ans), le Portugal (65 ans et 62 ans), la Belgique (65 ans et 60 ans) et la Grèce (65 ans et 60 ans), et vont devoir adapter leur législation, si ce n'est déjà fait. Toutefois, cette évolution s'inscrit dans un contexte économique qui rend inéluctable la révision des conditions de départ en retraite à taux plein : c'est pourquoi les alignements se feront plutôt au moyen d'un relèvement de l'âge, alors que la Cour pousse (cf. les dispositions transitoires présentées ci-dessus) à un alignement par une diminution de l'âge.

Les « suites » de 1'arrêt Barber concernent notamment les pensions de réversion, ce qui concerne directement la France où certains régimes complémentaires ne prévoient pas de pensions de réversion pour les salariés hommes. En raison des difficultés économiques, l'alignement devrait se traduire par une baisse des prestations accordées aux femmes.

Dans un autre domaine, 1'interdiction du travail de nuit des femmes a donné lieu à une interprétation de la Cour de justice jugée tout aussi peu favorable à la protection de la femme (souvent assimilée à une mère de famille) au travail. Un arrêt du 25 juillet 1991 de la Cour de justice 12 ( * ) , saisie à titre préjudicielle par le tribunal de police d'Illkirch, dans le Bas-Rhin, a décidé que 1'interdiction du travail de nuit des femmes, posée à l'article L. 213-1 du code du travail, était contraire à la directive 76/207 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail. Selon la Cour, les seules différences de traitement autorisées concernent (art. 2) :

- les activités pour lesquelles, en raison de leur nature ou des conditions de leur exercice, le sexe constitue une condition déterminante ;

- les dispositions relatives à la protection de la femme, notamment en ce qui concerne la grossesse et la maternité ;

- les mesures visant à promouvoir l'égalité des chances entre hommes et femmes, en particulier en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes.

En l'absence d'une interdiction identique pour les hommes, il n'y a donc pas lieu d'interdire le travail de nuit des femmes. À la suite de cet arrêt, la France a dénoncé la Convention n° 89 de 1'Organisation internationale du travail, le 17 février 1993. Un arrêt de la Cour de Justice, rendu postérieurement, le 2 août 1993 13 ( * ) , a toutefois reconnu que le juge français aurait pu faire application de la Convention OIT, dans la mesure où celle-ci avait été signée antérieurement à l'entrée en vigueur du Traité CEE.

Cette jurisprudence a été confirmée par un arrêt du 3 février 1994 14 ( * ) qui précise que même lorsqu'un Etat membre (ici la Belgique) interdit le travail de nuit des hommes et des femmes, il ne peut maintenir des régimes dérogatoires différenciés qui ne seraient pas justifiés par la nécessité d'assurer la protection de la femme, notamment en ce qui concerne la grossesse et la maternité. Toutefois, 1'interdiction du travail de nuit pendant la grossesse et l'allaitement maternel, non contraire à la directive de 1976, ne peut servir de prétexte pour annuler un contrat à durée indéterminée 15 ( * ) .

Ainsi, sauf lorsqu'il s'agit de protéger la grossesse et la maternité (du moins à ses débuts), la protection de la femme ne saurait primer sur l'égalité des sexes. Nombreux cependant ont été ceux qui ont dénoncé cette évolution au motif qu'elle méconnaissait le « rôle social irremplaçable de la femme au sein de la famille ».

La Cour de Justice est aussi intervenue pour condamner d'autres avantages spécifiques dont bénéficiaient les femmes, sans que ceux-ci soient justifiés par leur grossesse ou leur maternité.

Ainsi, dans un arrêt de 1988 16 ( * ) , la Cour a condamné la France au motif que les clauses en faveur des femmes figurant dans des conventions collectives et autorisées par la loi n° 83-635 du 13 juillet 1983 portant modification du code de travail et du code pénal en ce qui concerne l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, allaient au-delà des dérogations aux principes énumérés à 1'article 2 de la directive 76/207 (cf. ci-dessus) : ces avantages spécifiques concernaient rallongement des congés de maternité (la Cour de Justice a cependant reconnu en 1984 la conformité au droit communautaire de l'allongement du congé de maternité), la réduction du temps de travail pour les femmes âgées de 59 ans, l'avancement de l'âge de la retraite, 1'octroi de jours de congés supplémentaires par enfant, 1'octroi de bonifications pour le calcul de la retraite à partir du deuxième enfant, etc.

De même, la Cour de Justice a jugé en 1990 17 ( * ) qu'une législation nationale (beige) excluant les hommes mariés ou veufs du bénéfice d'une exonération des cotisations de sécurité sociale prévue en faveur des femmes mariées, des veuves et des étudiants, dès lors qu'ils remplissent les mêmes conditions, était contraire à l'article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7 relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale.

Enfin, en 1995 18 ( * ) , la Cour a considéré contraire au principe d'égalité une disposition de la réglementation britannique en matière de santé prévoyant que les hommes ne pouvaient disposer de la gratuité des produits pharmaceutiques, des médicaments et de certains appareils de santé qu'à partir de 65 ans alors que les femmes en bénéficiaient dès 60 ans. Cet avantage n'étant pas lie à l'âge de la retraite dans le régime légal, puisque les femmes bénéficient de cet avantage tout en continuant à travailler, rien ne justifie, au regard de la directive 79/7, une telle dérogation au principe d'égalité. Le Gouvernement britannique a alors immédiatement annoncé qu'il alignerait les conditions d'octroi de la gratuité pour les hommes sur celles appliquées aux femmes.

2. Les actions positives

Les « actions positives » en faveur des femmes ont été reconnues par le Conseil des Communautés en 1984 ; celui-ci a estimé que « les normes juridiques ayant pour objet d'accorder des droits aux individus étaient insuffisantes pour éliminer toute forme d'inégalités de fait ». Pour la Cour, la directive de 1976 (art. 2, paragraphe 4) « ne fait pas obstacle aux mesures visant à promouvoir l'égalité des chances entre hommes et femmes, en particulier en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes » et autorise « des mesures nationales dans le domaine de l'accès à l'emploi, y compris la promotion, qui, en favorisant spécialement les femmes, ont pour but d'améliorer leur capacité de concourir sur le marché du travail et de poursuivre une carrière sur un pied d'égalité avec les hommes ».

La Cour, comme le Conseil, admet donc les discriminations positives dans le cadre d'une politique active de rétablissement de l'égalité.

Pourtant, dans un arrêt récent 19 ( * ) , la Cour de Justice a considéré que certaines mesures de « discrimination positive » en faveur des femmes étaient contraires à la directive européenne du 9 février 1976. Se trouve ainsi condamné la pratique des « quotas », déjà refusée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 18 novembre 1982 ayant trait à l'élection des conseillers municipaux.

En l'espèce, la Cour de Justice a jugé contraire au principe de l'égalité entre hommes et femmes une loi du Land de Brême de 1990 « qui accorde automatiquement, à qualifications égales entre candidats de sexe différent retenus en vue d'une promotion, une priorité aux candidats féminins dans les secteurs dans lesquels les femmes sont sous-représentées, considérant qu'il y a sous-représentation lorsque les femmes ne représentent pas la moitié au moins des effectifs des différents grades de la catégorie de personnel concerne d'un service... ».

Pour la Cour, il semble qu'il faille distinguer entre les mesures visant à assurer une égalité de résultat -la pratique des quotas-, et les mesures visant à promouvoir l'égalité des chances, en remédiant notamment aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes : c'est dans ce cadre qu'il convient de situer les actions ou discriminations positives. Celles-ci visent à éliminer les causes des moindres chances d'emploi et de carrière : orientation, formation professionnelle, compensation des handicaps de carrière en raison des maternités, etc. En revanche, la pratique des quotas serait contraire à l'égalité car il ne s'agit pas de lever un obstacle mais de garantir un résultat, « ce qui excède la promotion de l'égalité des chances ».

Ainsi, pour la Cour, la pratique des quotas instituerait des discriminations sexuelles au détriment des hommes.

On retrouve une analyse équivalente en Grande-Bretagne, où le tribunal industriel de Leeds (prud'hommes) a, le 8 janvier 1996, sur le même fondement juridique de la directive de 1976, et après avoir assimilé un siège au Parlement à un emploi, considéré que la présentation de listes exclusivement féminines par le Parti travailliste constituait une action positive assimilable à une discrimination sexuelle.

Il apparaît donc clairement que le principe d'égalité des sexes, posé sur le plan du principe, se heurte dans les faits, dès lors qu'une politique volontariste de « rattrapage » est mise en place par ou dans les Etats membres, à des difficultés juridiques tirées du principe d'égalité lui-même. Ainsi que le souligne Mme Nicole Catala dans son rapport d'information sur « L'avenir des femmes en Europe » 20 ( * ) , les textes européens ne parlent pas d'actions ou de mesures positives, mais de dérogations au principe d'égalité, d'exceptions au principe d'égalité, de conditions discriminatoires, etc., ce qui est une façon moins dynamique et volontariste de traiter cette question.

La Cour de Justice s'est prononcée sur quelques cas ; mais d'autres types d'action pourraient également être déclarés contraires à la directive de 1976 : les avantages consentis aux femmes en matière d'âge de concours, la réinsertion des femmes divorcées à la recherche d'un emploi, l'extension des droits aux prestations d'assurance maladie et maternité aux mères de trois enfants divorcées sans emploi, en font sans doute partie.

Ce que semble reprocher la Cour de Justice aux dispositions invalidées, c'est leur caractère de généralité : elle admet sans difficultés les discriminations visant à atténuer ou supprimer les handicaps liés à la maternité, elle refuse les mesures visant à surmonter le handicap culturel, né de 1'organisation sociale du passé, qui fait que les femmes ont plus de difficultés à obtenir un emploi, qu'elles sont rémunérées en moyenne, à conditions égales, 15 % en-dessous des hommes, qu'elles accèdent beaucoup plus rarement aux postes de responsabilité ou occupent une place extrêmement réduite dans la vie politique.

Or, cette forte connotation culturelle conduit à se demander si la question de la mise en oeuvre du principe d'égalité ne serait pas mieux posée à l'échelon national, plutôt qu'à l'échelon communautaire, où son traitement généraliste n'est pas exempt d'effets pervers.

B. L'APPLICATION DU PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ DEVRAIT PERMETTRE UNE MISE EN OEUVRE PLUS EFFICACE DU PRINCIPE DE L'ÉGALITÉ ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

La France s'est préoccupée de mettre en place des structures visant à favoriser la promotion des femmes depuis 1965, avec le comité du travail féminin. En 1974, a été créé le secrétariat d'Etat à la condition féminine, en 1981 le ministère des droits de la femme et en 1988 un secrétariat d'Etat aux droits des femmes. En 1994, a été renouvelé le conseil supérieur de l'égalité professionnelle institué en 1984. Enfin, le 19 octobre 1995, le Premier ministre a installé l'observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, afin « de recenser les inégalités dans tous les domaines dans lesquels des actions s'imposent pour avancer dans la voie de la parité ». Plus récemment encore, au conseil des ministres du 6 mars 1996, le ministre délégué pour l'emploi a présenté une communication sur la parité entre les femmes et les hommes, dans laquelle étaient définis les domaines prioritaires du Gouvernement.

On notera en outre que cette volonté s'était également manifestée à l'occasion de la IV e conférence mondiale sur les femmes, qui s'est tenue à Pékin en septembre 1995 21 ( * ) .

Par ailleurs, de nombreuses dispositions de notre droit social visent à améliorer la condition féminine (droits aux prestations, divorces, formation, quotas dans la police -abrogés- et dans l'armée, l'accès au marché du travail).

La France, où les inégalités sont encore fortes, et donc les réticences inavouées bien ancrées, mène depuis longtemps une politique volontariste en faveur de l'égalité des sexes. Il serait donc inopportun de la priver d'une part de ses instruments d'intervention, surtout au moment où les tendances à tout égaliser vers le bas, pour des raisons économiques, sont les plus fortes. Il semble en conséquence préférable, tout en sachant notre pays lié par le principe d'égalité, de lui laisser le choix des moyens de sa mise en oeuvre.

Mais cette question peut se poser de façon beaucoup plus générale.

Au moment où, pour bâtir une Europe sociale dans un contexte économique libéral, on avance les notions de « convergences sociales », de « socle minimum » de règles communes destiné à lutter contre toute tentation de « dumping social », il serait dangereux de favoriser une logique qui, en appliquant de façon rigide quelque principe d'égalité range au rang des droits fondamentaux, contraindrait les Etats membres à s'aligner sur la norme minimale, au mépris de toute notion d'acquis social, dans bien d'autres domaines que celui de l'égalité entre les hommes et les femmes.

Or, la révision du Traité de Maastricht, pour laquelle les Quinze sont réunis à Turin depuis le 29 mars, pourrait être l'occasion d'avancer des propositions d'autre nature destinées à promouvoir l'Europe sociale.

Il convient donc de veiller à ce que ces éventuelles avancées, aussi souhaitables soient-elles, ne viennent pas remettre en cause nombre d'acquis sociaux.

*

Pour toutes ces raisons, votre commission soutient les positions exprimées par la proposition de résolution de la Délégation pour l'Union européenne, dont l'objet est de laisser aux Etats membres le soin de mettre en application le principe d'égalité entre les hommes et les femmes ; elle vous propose, en outre, d'inviter le Gouvernement à aborder dans le même esprit l'inscription éventuelle d'autres principes en rapport avec l'Europe sociale dans le Traité de Maastricht.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition d'acte communautaire E-450,

Considérant que le Traite instituant l'Union européenne, à son article 119, mentionne seulement le principe d'égalité entre les hommes et les femmes à propos de l'égalité des rémunérations,

Considérant que le développement du droit social communautaire conduit à mettre en oeuvre ce principe dans d'autres domaines sociaux que celui des rémunérations,

Craignant que, dans la situation économique actuelle, une application trop rigide du principe d'égalité entre les hommes et les femmes, en l'absence de précisions supplémentaires dans le Traité, n'aboutisse en pratique dans certains cas à la remise en cause d'acquis sociaux dont bénéficient les femmes,

Craignant que, par l'application d'autres dispositions qui figurent ou viendraient à figurer dans le Traité, d'autres acquis sociaux ne soient remis en cause,

Invite le Gouvernement à s'efforcer de faire garantir explicitement par le Traite, à 1'occasion de sa révision, la possibilité pour les Etats membres de déterminer les conditions d'application du principe d'égalité les plus favorables, notamment en leur permettant de maintenir dans leur droit social des avantages spécifiques accordes aux femmes en matière de pensions de retraite, de conditions de travail et de congés,

Invite le Gouvernement à aborder la négociation sur 1'inscription d'éventuelles autres dispositions destinées à fonder l'Europe sociale dans le même esprit de subsidiarité.

* 1 CJCE, 8 avril 1976, Defrenne 11, Aff. 43/75.

* 2 Voir la communication de M. Louis Souvet devant la commission le 20 février 1996 sur la réunion des parlements nationaux et européen consacrée à la politique sociale de la Communauté.

* 3 C.ICE, 25 mai 1971, Defrenne I. Aff. 80/70.

* 4 CJCE, 13 mai 1986, Bilka, Aff. 170/84.

* 5 CJCE, 17 mat 1990, Barber, Aff C-262/88.

* 6 Date de l'arrêt Barber.

* 7 CJCE, 6 octobre 1993, Ten Oever, Aff. C-109/93

CJCE, 14 décembre 1993, Moroni Aff. C-110/91

CJCE, 22 décembre 1993, Neath, Aff. C-152/91

CJCE. 28 septembre 1994, Coloroll, Aff. C-200/91

CJCE, 28 septembre 1994, Smith, Aff. C-408/92

CJCE, 28 septembre 1994, Van den Akker, Aff. C-28/93

CJCE, 28 septembre 1994, Fisscher, Aff. C-128/93

CJCE, 28 septembre 1994, Vroege, Aff. C-57/93

CJCE, 28 septembre 1994, Beuhe, Aff. C-7/93.

* 8 Dans les régimes à cotisations définies, la pension finale est fonction du montant et de la durée de cotisation, ainsi que de l'efficacité du mode de gestion de fonds. Dans les régimes à prestations définies, le montant de la pension finale est déterminée à l'avance, par exemple en retenant un pourcentage du salaire final pour chaque année d'ancienneté.

* 9 Arrêt Defrenne II du 8 avril 1976 ci-dessus.

* 10 CJCE, ISjuin 1978, Defrenne III, Aff. 149/77.

* 11 CJCE, 17 octobre 1989, Handels, Aff. 109/88.

* 12 CJCE, 25 juillet 1991, Stoeckel, Aff. C-345/89.

* 13 CJCE, 2 août 1993, ministère du travail, Aff. C-l58/91.

* 14 CJCE, 3 février 1994, Office national de l'emploi, Aff. C-l3/93 (Belgique).

* 15 CJCE, 5 mai 1994, Habermann, Aff. C-421/92 (Allemagne).

* 16 CJCE, 25 octobre 1988, Commission c/France, Aff. 312/86.

* 17 CJCE, 21 novembre 1990, Integrity, Aff. C-373/89.

* 18 CJCE. 19 octobre 1995, Health, Aff C-137/94.

* 19 CJCE. 17 octobre 1995, Kalanke, Aff. C-450/93.

* 20 Assemblée nationale, rapport à l'information n° 2408.

* 21 Voir le rapport établi par la France en vue de cette conférence : « Les femmes en France : 1985-1995 » de Claire Aubin et Hélène Gisserot, la Documentation française, 1994.

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