B. LA DIRECTIVE TÉLÉVISION SANS FRONTIÈRES, OU LE MYTHE DE L'ESPACE AUDIOVISUEL EUROPÉEN
1. La philosophie de la directive « Télévision sans Frontières »
Les quotas de diffusion de production audiovisuelle ont pour vocation de garantir auprès du public l'identité culturelle d'un programme. Les quotas de production visent à encourager et à maintenir l'existence d'une production audiovisuelle nationale et indépendante.
Les premiers sont inspirés par une logique culturelle ; les seconds, par une logique économique.
Seuls les pays disposant, soit d'une très puissante industrie de programmes, comme les États-Unis ou le Brésil, soit d'une volonté affichée de préserver l'identité nationale et culturelle de leurs programmes, comme la Grande-Bretagne, peuvent se permettre de se dispenser d'une telle mesure.
Outre leur vocation culturelle, les quotas de diffusion ont des conséquences économiques. L'achat d'oeuvres de fiction étrangères, notamment américaines, est souvent moins coûteux que la programmation d'oeuvres nationales. En effet, les fictions américaines, lorsqu'elles sont commercialisées en Europe, ont déjà été amorties sur le marché américain. Le coût moyen de diffusion d'un programme américain équivaut ainsi à 7 % du coût moyen d'une fiction française commandée par la chaîne la même année. Les possibilités de diffusion aux États-Unis sont massives, tant dans l'espace -on y dénombre plus de deux cents chaînes- que dans le temps, le second marché est très actif, alors que cette possibilité d'achat d'occasion est presqu'inexistante en Europe.
Ce quota destiné à protéger la part des films français proposés à la télévision leur assurent une présence majoritaire, alors que leur part de marché dans les salles de cinéma est tombé à environ 25 %.
En matière audiovisuelle, la Communauté européenne a relayé les politiques nationales, bien que ce secteur lui ait longtemps échappé en raison des compétences qui lui étaient dévolues par le Traité de Rome. L'appropriation communautaire de la politique audiovisuelle s'est effectuée par une approche économique de celle-ci : c'est en attribuant, en 1974, aux programmes audiovisuels la qualité de « services » que la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes a appliqué à audiovisuel le principe fondamental du droit communautaire de libre prestation et de libre circulation des biens et des services. Le nouveau titre IX du Traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992, en son article 128, a juridiquement consacré cette évolution.
Sur ce fondement, une directive du 3 octobre 1989, entrée en vigueur le 3 octobre 1991, connue sous la dénomination « Télévisions Sans Frontières » a voulu « promouvoir la production, la production indépendante et la distribution » dans les industries de programmes télévisés. Elle l'a fait, d'une part, en oeuvrant « par les moyens appropriés et chaque fois que cela est réalisable » pour que les productions européennes soient majoritaires dans les programmes de télévision des États membres et, d'autre part, en établissant des règles communes ouvrant les marchés nationaux les uns aux autres.
La directive européenne s'est superposée aux législations nationales, lorsque celles-ci existaient. Sa transposition en France a posé de délicats problèmes, d'ordre juridique et pratique, notre pays s'étant doté, pour sa part, d'une réglementation de même portée, mais plus restrictive, pour des motifs avant tout culturels.
Quant aux enjeux économiques et culturels de la production et de la diffusion de programmes audiovisuels et cinématographiques, ils sont de plus en plus importants.
Les besoins en programmes vont, en effet, augmenter de façon considérable dans les années à venir.
L'environnement de la directive, édictée à une époque où dominaient largement les chaînes généralistes diffusées par voie hertzienne, va donc profondément et rapidement changer. Dans ces circonstances, la modification du cadre réglementaire et des obligations édictées s'imposait.
2. Une directive de compromis
a). Une directive moins contraignante que la législation nationale
(1). Une élaboration difficile
L'élaboration de la directive du 17 octobre 1989 a été difficile. Alors que le but initialement poursuivi était l'adoption d'une réglementation protectrice par des quotas de diffusion, le dispositif normatif finalement adopté a constitué une nouvelle étape du processus de dérégulation de l'audiovisuel.
La faiblesse du contenu contraignant de la directive s'explique tout d'abord par les désaccords qui ont opposé les États membres sur la nature des règles à imposer dans l'audiovisuel. Seule la France souhaitait l'adoption d'une politique volontariste. Elle s'est, de ce fait, retrouvée isolée.
Ces désaccords ont été aggravés en raison de la concurrence entre le projet de directive et un projet de convention, ayant le même objet, adopté parallèlement par le Conseil de l'Europe. Cette concurrence a permis aux pays les moins favorables à l'adoption de la directive de faire savoir qu'ils donneraient la préférence au texte le moins contraignant. Il en est résulté une spirale à la baisse, en faveur de la réglementation la plus souple possible : chaque recul du projet de convention ayant entraîné un recul du projet de directive.
Le dernier facteur de réduction des ambitions initialement affichées fut la pression des grands groupes directement concernés, notamment les groupes publicitaires, et surtout la pression soutenue des États-Unis, au plus haut niveau. L' audiovisuel est, en effet, après l'aéronautique le deuxième poste d'exportation excédentaire de ce pays. Le ministre du Commerce extérieur de l'époque, Mme Carl Hills, intervint tout au long de la procédure, jusqu'à la veille de l'adoption de la directive. La Communauté européenne jugea à l'époque préférable d'éviter une confrontation trop brutale avec les États-Unis, afin de ne pas hypothéquer la possibilité d'alliances, face à la concurrence nipponne, sur des dossiers connexes, comme les normes de diffusion de la télévision haute-définition.
Ainsi, alors que la France, soutenue par le Parlement européen, était favorable à des quotas obligatoires, la rédaction finalement retenue fut exempte de tout caractère contraignant :
- pour les quotas de diffusion, l'article 4 dispose que, chaque fois que cela est réalisable et par les moyens appropriés, les États membres s'assurent que leurs diffuseurs nationaux consacrent aux oeuvres européennes (34 ( * )) une proportion majoritaire de leur temps de diffusion. Le niveau atteint ne saurait cependant être inférieur à celui constaté en 1988 (2) 35 ( * ) ;
- pour les quotas de production, l'article 5 dispose que, chaque fois que cela est réalisable et par les moyens appropriés, les États membres veillent à ce que leurs diffuseurs nationaux consacrent soit 10 % de leur temps d'antenne, hors information, sports, jeux, télétexte ou publicité, soit 10 % de leur budget de programmation, à des oeuvres européennes émanant de producteurs indépendants.
Les quotas de diffusion sont d'autant moins contraignants que :
-l'origine européenne d'une oeuvre est assurée par le « concours d'auteurs et de travailleurs résidant » dans un pays membre ou partie à la Convention du Conseil de l'Europe et dont la production est « contrôlée par un ou plusieurs producteurs établis » dans ces pays, leur contribution étant majoritaire en cas de coproduction. Or, juridiquement, seule la qualité de ressortissant communautaire pouvait avoir un effet réellement contraignant ;
-la directive ne détermine, par ailleurs, aucun créneau horaire de diffusion et le prime-time ne bénéficie d'aucune prise en compte spécifique.
Quant à l'aide à la production indépendante, la directive dispose, de façon imprécise, que les oeuvres récentes doivent constituer «une proportion adéquate du temps d'antenne » et définit l'oeuvre récente comme une oeuvre diffusée dans un délai de cinq ans après sa production.
En outre, les responsabilités de l'État d'émission ne sont pas précisées de manière suffisante, notamment quant aux critères selon lesquels un État exerce sa juridiction sur un opérateur audiovisuel. Cette imprécision a notamment permis à la Grande-Bretagne de se déclarer incompétente à l'égard des opérateurs américains retransmettant leurs programmes par satellite depuis son territoire, comme TNT Cartoon ou les chaînes de téléachat Quantum TV et Sell a Vision.
La directive eut un effet paradoxal. Dans plusieurs pays, elle provoqua l'adoption de législations moins contraignantes que les législations antérieures.
Elle permit également à certains États d'invoquer des spécificités locales pour refuser tout simplement d'obliger leurs télévisions, notamment les chaînes thématiques, à respecter les quotas. En France, elle a conduit à une baisse des quotas de diffusion antérieurement édictés par une législation plus stricte.
(2). Une directive en retrait par rapport à la législation nationale
La directive reste donc en retrait par rapport à la législation nationale, malgré les assouplissements qui lui furent apportés, afin d'en assurer la transposition correcte en droit interne.
Hérités d'une tradition remontant à 1971, la réglementation française sur les quotas résulte des décrets n°90-66 (pourcentage minimum de diffusion d'oeuvre européennes et francophones pour les oeuvres cinématographiques et audiovisuelles) et n°90-67 (contribution au développement de la production cinématographique et audiovisuelle) du 17 janvier 1990.
Ces décrets ont été modifiés par les décrets d'application de la loi du 18 janvier 1992, le décret n°92-279, pour les quotas de diffusion, et le décret n°92-281, pour les quotas de production, du 27 mars 1992, afin de mettre en conformité la réglementation nationale et la directive du 3 octobre 1989 ; cette réglementation a conduit à des modifications importantes, notamment en ce qui concerne les quotas de diffusion :
- le quota d'oeuvres d'expression originale française a été réduit de
50 % à 40 %. En contrepartie, la définition de l'oeuvre francophone repose désormais sur le seul critère de la langue de tournage (intégralement ou principalement en langue française), alors que la réglementation initiale reposait sur un critère économique ;
- la notion « d'heures d'écoute significatives » a été substituée à la notion initiale « d'heures de grande écoute ».
Cet assouplissement, suggéré par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, lui a Permis de moduler les plages horaires devant respecter les quotas de diffusion. Si M6 a bénéficié, pour 1994, -compte tenu de son audience et de sa programmation particulières- d'une réduction de la tranche horaire constituant la plage d'heures «écoute significatives, en revanche, le CSA n'a pas jugé possible d'appliquer une mesure comparable à TF1. Pour ce qui concerne les télévisions locales, l'ensemble du temps de programmation est considéré comme heures d'écoute significatives ;
- enfin, la notion d'oeuvre communautaire a été élargie à celle d'oeuvre européenne.
Par rapport à la directive, la réglementation française est beaucoup plus contraignante, si l'on analyse ses principaux éléments :
- la notion de commande est limitée, par le décret, aux coproductions ou pré -achats d'oeuvres, alors que la directive vise d'autres modes d'acquisition des programmes, comme les achats de droits de diffusion ;
- l'oeuvre audiovisuelle, au sens du décret français, exclut, outre les productions définies par la directive, les émissions majoritairement réalisées en plateau, les oeuvres cinématographiques, les variétés, le téléachat et l'auto promotion ;
- l'assiette de l'obligation s'élève à 10% du chiffre d'affaires de l'exercice précédent dans le décret, et à 10% du budget de programmation, dans la directive.
3. Le bilan de l'application de la directive
Le bilan de l'application de la directive et l'évaluation de son impact appelle toutefois un jugement nuancé.
Si chacun s'accorde à penser que la réglementation est globalement respectée, son opportunité et son efficacité ne font pas l'objet d'un consensus entre les États membres. Dès lors, sa révision a été délicate, comme l'a été son adoption.
a). Une réglementation nationale plus sévère et bien appliquée
L'évaluation du respect de l'application de la réglementation française au regard des objectifs qui lui furent assignés permet d'apprécier celle de la réglementation communautaire : celle-ci étant moins contraignante, tout respect de la première constitue a fortiori un respect de la seconde. En réalité, aucune étude n'a été réalisée sur l'efficacité de la réglementation, tant communautaire que nationale, quant à la préservation d'une programmation vernaculaire et/ou quant à l'existence d'une production indépendante.
Le bilan de l'application de cette réglementation a été établi, en mars 1994, par le Conseil supérieur de l'audiovisuel dans un rapport au Parlement, transmis en application de l'article premier de la loi n°94-88 du 1 er février 1994.
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Les quotas de diffusion d'oeuvres
audiovisuelles
Le bilan de l'application des dispositions précitées -au 31 décembre 1993- est, pour le CSA, positif.
En effet, selon le rapport, « tant aux heures de grande écoute que sur l'ensemble du programme, il convient de souligner que le minimum de 40 % est non seulement atteint mais dépassé sur toutes les chaînes. Les progrès accomplis aux heures de grande écoute sont considérables, si l'on compare les pourcentages d'oeuvres d'expression originale française tels qu'ils avaient été constatés en 1990 et le niveau atteint en 1993. De plus, on remarque sur l'ensemble du programme, qu'en dépit de l'abaissement du quota de 50% à 40% en 1992, les diffuseurs continuent de programmer un pourcentage d'oeuvres françaises qui avoisine et même dépasse parfois les 50%. Cela tient, sans doute, au fait qu'il leur est plus aisé d'atteindre le quota de 60% d'oeuvres européennes avec des oeuvres françaises qu'avec des oeuvres européennes ».
Selon le CSA, « l'objectif visé par les textes, à savoir la protection de l'identité culturelle des programmes télévisés, est désormais devenu une réalité ».
Cette réglementation de la diffusion eut également un impact sur la production. En effet, d'après ce rapport, les quotas ont eu cette vertu « d'inciter les diffuseurs à commander aux producteurs français des séries longues destinées à une programmation quotidienne d'avant-soirée, que seuls jusque-là les studios de Hollywood étaient en mesure de produire. Le succès d'audience des comédies de situation programmées désormais sur TF1 ou France 2 a démontré que, d'une part, les producteurs français sont capables de maîtriser les techniques de production dite industrielle (un épisode livre chaque jour), ce qui n'était pas envisageable il y a quelques années encore, et que les fictions françaises peuvent, d'autre part, aisément rivaliser avec les séries américaines en termes d'audience et de fidélisation du public ».
Ainsi, dans les tranches horaires de grande écoute, notamment dans la tranche de programmation 18-20 h, des chaînes publiques et privées, les fictions américaines {Santa Barbara sur TF1, Mac Gyver sur Antenne 2), qui étaient quotidiennement diffusées en semaine, en 1990, ont-elles été remplacées par des jeux ou des émissions de plateau, qui ont ouvert de nouveaux marchés à quelques entreprises de production françaises.
Cette situation est cependant précaire, notamment pour TF1 : l'échec de l'émission Coucou c'est nous ! de Christophe Dechavannes a été sanctionné par le recours à la diffusion de Beverly Hills, de 19h à 19h50. De même, TF1 et M6 programment régulièrement des fictions américaines en seconde partie de soirée parce qu'elles échappent aux quotas des heures de grande écoute.
En outre, les chaînes privées n'ont pas respecté, en 1993, leurs obligations de diffusion d'oeuvres européennes, tant aux heures de grande écoute ou heures d'écoute significative (TF1 et M6) que sur l'ensemble du programme (pour TF1). Alors que les chaînes privées invoquent, pour se justifier, l'insuffisance de programmes disponibles sur le marché et susceptibles de correspondre au goût des téléspectateurs français, on constate que les chaînes publiques, qui respectent le quota d'oeuvres européennes, ne rencontrent pas l'obstacle évoqué. Cette réticence peut être préoccupante, dans la mesure où le principe de réciprocité est très important sur marché. Le volume des exportations françaises pourrait en être affecte.
En conclusion de cette étude, le CSA relève que « tout assouplissement du système aurait sans doute pour conséquence une augmentation mécanique de la fiction américaine, dans l'optique, toujours séduisante pour le diffuseur, d'une réduction des coûts de programmation ».
Rappelons qu'en 1977, 39% de la fiction (séries et feuilletons) diffusée sur les trois chaînes publiques était d'origine française et 61 % d'origine étrangère, la fiction américaine représentant, à elle seule, 39% des oeuvres diffusées.
En 1993, c'est encore la fiction américaine qui domine, puisque, pour l'ensemble de la programmation des chaînes de télévision publiques et privées, elle arrive au premier rang, avec 5 600 heures, soit 54% de la fiction diffusée, contre 2 800 heures de fiction francophone, soit 27% de la fiction diffusée.
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Les quotas de diffusion d'oeuvres
cinématographiques
Depuis la loi du 18 janvier 1992, et le décret du 27 mars 1992, d'une part, faisant suite à la directive du 3 octobre 1989, d'autre part, un quota de diffusion de 60% d'oeuvres cinématographiques d'origine européenne et un quota de diffusion de 40% d'oeuvres cinématographiques d'origine française ont été institués.
Contrairement aux quotas de diffusion, le bilan de l'application des quotas de production n'est pas satisfaisant.
En effet, le pourcentage d'oeuvres européennes diffusées en 1993 (61,7%) est le plus bas constaté depuis 1988, alors que la notion« d'oeuvre européenne » s ubstituée à celle « d'oeuvre communautaire ». Par ailleurs, la diffusion d'oeuvres « européennes » est, en réalité, constituée presqu'exclusivement de films d'origine communautaire.
Le pourcentage d'oeuvres françaises a, pour sa part, régressé de 55%, pour la période 1988-1991, à 45,5%, selon le troisième rapport co-édité par l e CSA et le Centre National de la Cinématographie intitulé « Le cinéma à la télévision en 1992-1993 » (décembre 1994).
Selon cette étude, qu'il convient toutefois de relativiser car elle ne prend nullement en compte l'audience respective des chaînes, plus de 80% de la programmation d'oeuvres cinématographiques se compose de films français et de films américains. Mais, alors que la présence du cinéma américain est constante depuis 1988, avec 30% du volume de la programmation, celle du cinéma français est tombée en dessous du seuil des 50% pour la première fois en 1993. Cette diminution, qui s'est effectuée au profit des oeuvre européennes dont le nombre a presque doublé depuis 1988, est due essentiellement aux choix d'ARTE. En effet, cette chaîne n'a pas d'obligation de diffusion d'oeuvres cinématographiques d'expression originale française et n'en a proposé qu'une très faible proportion (50 sur 179, soit 28%), ce qui a contribué à diminuer le pourcentage des oeuvres françaises diffusées sur l'ensemble des chaînes hertziennes de 49,8% à 45,5%.
L'obligation de respecter les quotas de diffusion aux heures de grande écoute n'a pas eu, pour le moment, d'incidence spectaculaire sur la configuration générale de la programmation cinématographique.
Pour le CSA : « les quatre grands diffuseurs nationaux se partagent en deux groupes : d'une part, France2 et TF1, dont la proportion de films européens et d'expression originale française est élevée sur l'ensemble des diffusions et plus encore sur la tranche 20h30-22h30 ; d'autre part, France 3 et M6, qui diffusent une proportion relativement faible d'oeuvres d'origine européenne et qui n'atteignent que difficilement, ou pas, le seuil des 60% entre 20h30 et 22h30 ». L'impact de ces quotas de diffusion doit cependant être nuancé pour M6 qui aurait atteint le seuil des 60 % si elle avait programmé un seul film d'origine européenne supplémentaire.
La conclusion tirée de cette évaluation était fort nette : « le cinéma américain a tendance à occuper à la télévision, comme en salle, une place de plus en plus importante, dont la progression n'est pas endiguée par l'existence de quota ».
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La contribution des diffuseurs au
développement de la production cinématographique.
Pour assurer aux sociétés de production françaises un flux de commandes annuelles minimum, le décret n°90-67 du 17 janvier 1990 modifié a prévu que les diffuseurs affectent une part de leurs ressources à l'investissement dans des oeuvres inédites d'expression originale française.
Le décret propose aux chaînes le choix entre deux options.
La première, plus particulièrement destinée aux chaînes dont le budget de production est important, leur fait obligation de consacrer chaque année au moins 15 % du chiffre d'affaires annuel net de l'exercice précédent à la commande d'oeuvres d'expression originale française, et de diffuser au moins 120 heures d'oeuvres européennes ou françaises n'ayant pas fait l'objet d'une diffusion en clair sur un réseau national hertzien.
La seconde option est destinée aux chaînes dont la montée en charge s'effectue progressivement, qui ne disposent pas de véritables stocks de programmes inédits et doivent recourir à l'achat de programmes. Cette option les oblige a consacrer chaque année au moins 20% du chiffre d'affaires annuel net de l'exercice précédent à la commande d'oeuvres européennes dont 15% à la commande d'oeuvres d'expression originale française.
Contestées devant le Conseil d'État par TF1, ces dispositions ont été jugées légales par le juge administratif, lequel a considéré, dans une décision S ociété TF1 du 10 juillet 1995 que :
« Ces dispositions, relatives aux obligations des services de communication audiovisuelle en matière de diffusion d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles sont de nature à permettre d'atteindre les objectifs de la directive qui impose seulement aux États membres de veiller, à compter du 3 octobre 1991, à ce que les organismes de télévision consacrent progressivement une part majoritaire de leur temps de diffusion à des oeuvres européennes sans définir la part de ces oeuvres qui peut être constituée d'oeuvres d'origine française ; (...) dès lors, la circonstance que l'une des deux options, ouvertes par le décret n°90-67 précité aux services de communication audiovisuelles en vue de leur contribution à la production audiovisuelles ne comporte pas d'obligation de diffusion pendant un nombre d'heures déterminé d'oeuvres européennes autres que d'expression originale française ne saurait faire regarder ces dernières dispositions comme incompatibles avec les objectifs de la directive (...) »
Quelle que soit l'option choisie, le triple objectif recherché auprès des diffuseurs fut de les obliger à :
- investir dans les programmes inédits ;
- intervenir en amont dans le financement de la production ;
- effectuer des commandes à la production.
Le bilan, tiré par le CSA, de l'application de ces dispositions est également satisfaisant.
Si la première option, choisie par TF1, France 2 et France 3, a été intégralement respectée à partir de 1992 seulement (36 ( * )) , la seconde option, choisie par M6 (et France 2 pour l'année 1992) a toujours été respectée.
Cette obligation d'investissement des diffuseurs, proportionnelle à l'évolution de leur chiffre d'affaires, «a indéniablement permis un développement de la production audiovisuelle. Le chiffre d'affaires de ce secteur a progressé de 20 % entre 1990 et 1992 (passant de 4457,54 millions de francs à 5359,48 millions de francs), à un rythme beaucoup plus soutenu, il est vrai, que l'investissement des diffuseurs (+10,3%). La progression du chiffre d'affaires des chaînes (...) et le respect, voire le dépassement, de leurs obligations d'investissement, ont renforcé les effets de la réglementation sur la production audiovisuelle».
La quasi-totalité des commandes est passée, en France, auprès de producteurs indépendants, alors que la production audiovisuelle est très intégrée aux diffuseurs dans les autres pays européens. Cette indépendance s'accompagne cependant d'une sous-capitalisation des sociétés de production et d'un taux élevé de faillites dans ce secteur.
Selon l'étude conjointe CSA-CNC de décembre 1994 précitée, après un accroissement important dans la seconde moitié des années 80 avec la création de nouvelles chaînes, l'intervention des chaînes généralistes dans le financement de la production cinématographique s'est ensuite stabilisé pour atteindre, en 1993, 365,6 millions de francs, avec un léger fléchissement en 1992-1993, dû à la disparition de La Cinq en avril 1992. Si la contribution de M6 à la production cinématographique a triplé en trois ans, l'effort des chaînes publiques stagne, pour France 2 (63,3 millions de francs en 1988, 68,8 millions de francs en 1993), voire régresse, pour France 3 (82,6 millions de francs en 1988, 60 millions de francs en 1993). En revanche, TF1 investit 169 millions de francs en 1993, contre 105,5 millions de francs en 1988, et la SEPT, 34,4 millions de francs en 1993 pour 24,3 millions de francs en 1988.
Au total, la part des chaînes hertziennes diffusées en clair dans le financement global de la production est de l'ordre de 10% (12,7% en 1988, 9,7% en 1990, 11,7% en 1993).
La participation moyenne des chaînes dans les 70 films coproduits en 1993 est de 20,4% : elle est de 12,2% pour M6 et pour la SEPT, 18,4% pour France 3, 20,1% pour France 2 et 22,9% pour TF1.
Les nouvelles obligations de Canal+, fixées par un décret en cours d'examen par le Conseil d'État, prévoient que la chaîne devra consacrer, pour sa part, 4,5 % de son chiffre d'affaires, d'ici 1998, à l'investissement dans la production d'oeuvres originales.
b). L'application de la directive dans les États membres
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L'application de la directive en France
A la demande de la Commission européenne, le CSA a fourni un rapport sur l'application des articles 4 et 5 de la directive, pour la période d'octobre 1991 à décembre 1993 (pour l'article 4) et pour l'année civile 1992 (pour l'article 5).
Il résulte de cette étude qu'en ce qui concerne le respect de l'article 4 par les chaînes hertziennes françaises 37 ( * ) , tous les diffuseurs ont respecté une proportion nettement majoritaire d'oeuvres européennes, telles que définies par l'article 6 de la directive, dans leurs programmes. La proportion la plus forte a été assurée par France 3 (78%), et la plus faible par M6 (63,3%). Canal + a, quant à elle, diffusé 58,5% d'oeuvres européennes.
Par ailleurs, tous les services distribués par câble (38 ( * )) ont diffusé une proportion majoritaire d'oeuvres européennes (de 53% à 77%), à l'exception de Canal Jimmy (46%) service diffusant le moins de programmes en 1992 (42 heures par semaine) ; son déficit est toutefois faible en valeur absolue (deux heures).
Le contrôle de l'application de l'article 5 de la directive a été effectué, par le CSA, en fonction de celle du décret n°90-67 du 17 janvier 1990 modifié. Les obligations édictées sont, en effet, comparables à l'exigence prescrite dans la directive concernant les oeuvres récentes.
L'évaluation fait ressortir que « l'ensemble des sociétés concernées (39 ( * )) a respecté l'obligation de commandes à des producteurs indépendants, prévue dans le décret». En incluant la coproduction audiovisuelle et cinématographique, avec des producteurs indépendants, et, pour Canal+, les dépenses consacrées à l'acquisition de droits d'oeuvres cinématographiques européennes, le CSA évalue le pourcentage du budget de programmation réservé à la commande à 20% pour TF1, 34% pour France 2, 40% pour France 3, 37,5% pour M6 et 29% pour Canal+.
En raison des divergences, déjà évoquées, pour certaines notions, comme la « commande », « l'oeuvre audiovisuelle » ou « l'oeuvre européenne », les critères d'indépendance ou l'assiette de l'obligation, le bilan de l'application de la réglementation française peut cependant différer profondément de celle de la directive communautaire.
C'est ainsi que le CSA relève, s'agissant de la diffusion d'oeuvres audiovisuelles, que les chaînes françaises ont diffusé 15 000 heures d'oeuvres européennes, selon les critères de la directive, mais seulement 10 500 heures, selon les critères de la réglementation française, soit une différence de 4 500 heures (ou 3 700 heures, si l'on inclut les 800 heures d'oeuvres cinématographiques d'origine européenne).
Tous les services distribués par câble ont respecté le seuil minimum réservé à la production indépendante. Le taux varie de 34% (Canal J) à 58% (MCM/Euromusique).
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L'application de la directive dans l'ensemble
des États membres
L'application des mesures adoptées par les États membres pour promouvoir la production et la distribution de programmes, conformément aux dispositions de la directive, a fait l'objet d'une communication de la Commission en date du 3 mars 1994 (40 ( * )) .
Sur les 105 chaînes retenues par la Commission dans son évaluation, 70, soit les deux tiers, ont diffusé une part majoritaire d'oeuvres européennes en 1992. La France est le seul État, avec la Grande-Bretagne, dans lequel toutes les chaînes hertziennes ont diffusé au-delà de la proportion majoritaire d'oeuvres européennes.
Sur 105 chaînes, 92 ont fourni des statistiques relatives au temps de diffusion ou à la part du budget de programmation consacré à des oeuvres européennes émanant de producteurs indépendants. Sur ces 92 chaînes, 63 (soit 68,4%) ont atteint la proportion requise par la directive.
L'évaluation des effets de la directive reste cependant un exercice limité, en raison, d'une part, du manque de transparence de la part de certains États membres quant à la méthodologie utilisée pour la récolte des données, qui empêche la Commission de formuler un avis sur leur fiabilité, et, d'autre part, de la limitation du champ d'investigation aux seuls réseaux terrestres hertziens. En effet, les statistiques couvrant la diffusion par câble ou satellite sont inexistantes.
Constatant une tendance généralisée au respect croissant des obligations édictées par la directive, la Commission estime cependant ne pouvoir déterminer si cette tendance « est la conséquence des mesures nationales prises en exécution de la directive ou de l'évolution naturelle du marché, où l'on constate une préférence croissante du public pour des programmes européens, ou les deux ».
La directive paraît cependant ne pas être appliquée de manière satisfaisante par tous les États membres, ainsi que le démontre le recours fait par la Commission le 1er juillet 1994 devant la Cour de Justice des Communautés Européennes contre la Grande-Bretagne. En effet, ce pays n'a pas correctement transposé la directive dans le Broadcasting Act de 1990. De surcroît, le non-respect de la directive par les opérateurs fait l'objet d'une procédure complexe de plainte devant la Cour de Justice des Communautés Européennes. Dans le cadre du contentieux TNT/Cartoon, un an s'est écoulé entre l'apparition des faits contestés (septembre 1993) et la saisine de la Cour (juillet 1994).
4. La nouvelle directive Télévision sans Frontières
a) Une révision difficile
(1) Une divergence profonde entre les États membres
Si chacun s'accorde à penser que l'audiovisuel, à l'horizon de l'an 2000, sera un secteur économique stratégique, la nécessité de renforcer la directive de 1989, sur l'efficacité de laquelle la Commission reste dubitative, divise les États membres.
La Commission européenne est profondément divisée sur le projet de révision de la directive.
L'examen du projet de révision de la directive, reporté à deux reprises (il devait initialement être débattu le 4 novembre 1994), aurait dû être effectué le 11 janvier 1995. Cependant, les services juridiques ont estimé que la Commission sortante ne pouvant, juridiquement, qu'expédier les affaires courantes jusqu'au 23 janvier 1995, date de l'entrée en fonction de la nouvelle Commission, l'examen du dossier ne pouvait être poursuivi.
Le calendrier de la révision montre combien tout cela fut difficile.
Principales étapes du calendrier de la révision de la directive
Télévision sans Frontières
• 8 février 1995
:
communication de la Commission ;
ï 13 et 14 février 1995 : réunion informelle des ministres de la culture à Bordeaux ;
ï deuxième quinzaine de février 1995 : discussion dans des groupes d'experts ad hoc
ï 22 mars 1995 : présentation officielle par la Commission du projet de révision ;
ï 19 mai 1995 : transmission au Parlement français de ce projet ;
ï 30 mai 1995 : transmission officielle du projet aux États membres ;
ï 3 avril 1995 : réunion du Conseil des ministres de la culture. La question aurait due être évoquée le 25 février, mais les autorités communautaires ne souhaitaient pas que le projet de révision interfère avec la réunion du G7 consacrée aux autoroutes de l'information ;
ï 21 juin 1995 : « état des réflexions » présenté par le secrétariat général du Conseil, à Luxembourg
ï 4 et 18 septembre 1995 : réunions techniques
ï 25 septembre 1995 : compromis présenté par le commissaire Oreja
ï 20 octobre 1995 : réunion informelle des ministres de la Culture à Madrid
ï 31 octobre 1995 : le COREPER repousse au 8 novembre l'examen des articles du projet de directive relatifs aux quotas ;
ï 15 novembre 1995 : le COREPER examine le compromis Oreja ;
ï 20 novembre 1995 : accord politique au Conseil des ministres
•
fin décembre 1995
(prévision) position commune du conseil extraordinaire
•
11 au 15 décembre 1995
(prévision) : avis du Parlement européen
(2). Une renégociation sans cesse remise en question
L'article 26 de la directive prévoit, dans sa rédaction actuelle, qu'à l'issue de 5 ans à compter de sa date d'adoption, puis tous les deux ans, la Commission présente un rapport sur son application et, le cas échéant, formule des propositions en vue de l'adaptation de celle-ci à l'évolution du domaine de la radiodiffusion télévisuelle.
Le rapport, qui a été établi, n'a cependant pas été adopté par la Commission et n'a donc pas été publié.
(a)Les mesures proposées
Sur l'insistance de certains États-membres, dont la France, de nouvelles orientations communautaires ont été présentées par le commissaire européen -dont le mandat devait expirer à la date du 31 décembre-, M. Joao Deus Pinheiro, en novembre 1994.
Ces orientations étaient, dans un premier temps, inspirées par les thèses françaises et par la nécessité d'un renforcement du caractère contraignant de la directive. Dans un second temps, il semble qu'ait prévalue l'analyse, plus libérale, selon laquelle l'évolution du marché doit conduire à élargir la flexibilité des règles en permettant aux États membres de prévoir, alternativement aux obligations de diffusion, des obligations d'investissement dans la production européenne.
•
Le fondement juridique de la directive ne
changerait pas.
La directive étant fondée sur les articles 57, paragraphe 2 (libre accès aux activités non salariées) et 66 (libre circulation des services), la procédure de décision est donc régie par l'article 189 B, qui institue une procédure de co-décision avec le Parlement européen et prévoit l'approbation des mesures communautaires par le Conseil à la majorité qualifiée. Or, le Traité sur l'Union européenne a introduit un article 128 qui, d'une part, autorise l'intervention de l'Union européenne en matière culturelle, dans le respect du principe de subsidiarité et, d'autre part, prévoit que les mesures d'encouragement dans le domaine culturel sont adoptées à l'unanimité du Conseil.
La procédure de co-décision pouvant impliquer jusqu'à trois lectures de la part du Parlement européen, on ne peut donc envisager l'adoption définitive du texte avant le second semestre 1996, c'est-à-dire quand les bouquets numériques seront presque tous en place. Ne sera-t-il pas trop tard ?...
? Les principales propositions relatives aux quotas
Il convient à titre liminaire de remarquer que, pour la première fois, les États ont eu connaissance d'un avant-projet de directive sur lequel ils ont négocié, avant même que la Commission ne l'adopte formellement.
Ces propositions initiales -toujours en discussion- se sont articulées autour des axes suivants :
- transformation du caractère indicatif des quotas de diffusion en caractère impératif, mais limitation de leur durée à dix ans,
La nouvelle rédaction de l'article 4, paragraphe 1, serait la suivante :
« Les États membres veillent par des moyens appropriés à ce que les organismes de radiodiffusion télévisuelle réservent à des oeuvres européennes, au sens de l'article 6, une proportion majoritaire de leur temps de diffusion consacré aux oeuvres audiovisuelles ».
- instauration, pour les nouvelles chaînes, d'une période de cinq ans pour se mettre en conformité avec les quotas,
- conversion, pour les chaînes thématiques spécialisées dans la fiction, de l'obligation de diffusion en obligation d'investissement,
exclusion des programmes principalement réalisés en plateau de la définition de l'oeuvre audiovisuelle ; les télévisions ne pourront donc plus inscrire dans leurs quotas d'oeuvres européennes, les débats littéraires, politiques ou scientifiques,
- exclusion du décompte des quotas :
? du téléachat. En ne considérant plus le téléachat comme une forme de publicité, cette mesure devrait permettre son développement ;
? de la vidéo à la demande (possibilité pour le téléspectateur de piocher à son gré dans des bases de données de programme),
- obligation imposée aux États de se doter d'un régime de sanctions et de mesures conservatoires applicables aux diffuseurs relevant de leur compétence,
- énonciation de critères précis de détermination de la compétence des États sur les diffuseurs.
Au cours des négociations, l'extension aux chaînes généralistes de l'obligation d'investissement, en lieu et place des quotas de diffusion, aurait été proposée, en insérant un nouveau paragraphe 2 à l'article 4 :
« Les États membres prévoient que les organismes de radiodiffusion relevant de leur compétence, au lieu de satisfaire à l'obligation prévue au premier paragraphe, réservent aux oeuvres européennes, au sens de l'article 6, une proportion majoritaire de leur budget de programmation consacré aux oeuvres audiovisuelles ».
Cette proposition se fondait, selon ses promoteurs, sur la diminution à terme de l'audience des chaînes généralistes, en raison de la révolution numérique et de la multiplication du nombre de chaînes. Or, cette hypothèse n'est pas certaine. En effet, rien n'assure qu'une telle évolution soit inéluctable, notamment lorsqu'on examine le marché américain sur lequel la diversification de l'offre de programmes n'a pas empêché les networks de conserver 60% de l'audience.
Le nouveau commissaire européen, M. Oreja, a présenté des propositions au début d'octobre 1995.
Il a suggéré que :
- l'obligation de diffusion d'une proportion majoritaire d'oeuvres européennes soit énoncée dans des termes identiques à ceux de la proposition (toutefois, pour les chaînes thématiques, l'obligation est plus souple) ;
- les États veillent à ce que les diffuseurs qui relèvent de leur compétence « emploient tous les moyens dont ils peuvent raisonnablement disposer » afin d'atteindre l'obligation précitée ;
- la limitation de la durée d'application des quotas à dix ans soit maintenue.
(b) Les réactions
Parce qu'elle dispose encore d'une industrie cinématographique, la France est sensible aux arguments des producteurs cinématographiques et audiovisuels, lorsqu'ils veulent contraindre les chaînes de télévision à diffuser leur production. Dans les autres États européens, les arguments des diffuseurs s ont davantage pris en compte. Ceux-ci acceptent tout au plus des obligations de production, afin de disposer du libre choix d'investissement dans la nature des oeuvres coproduites.
La Chambre syndicale des exportateurs de films, l'Association des réalisateurs-producteurs, l'Union des producteurs de films ont dénoncé vigoureusement le démantèlement de l'acquis communautaire que instituerait la suppression du système des quotas.
Pour l'Union syndicale de la production audiovisuelle, l'accent doit davantage être mis sur l'obligation d'investissement que sur les quotas de diffusion. Ainsi, cette obligation devrait être assise sur le chiffre d'affaires, et non sur le budget ou le temps de programmation, qui demeurent, selon l'Union syndicale, des concepts flous. Elle devrait, en outre, être progressive pour les chaînes thématiques nouvelles. Le caractère contraignant de la réglementation devrait être renforcé : le coût du non-respect des obligations devrait être supérieur à celui de leur respect. L'Union syndicale s'oppose enfin à toute renationalisation de la politique audiovisuelle, ce qui signifierait la fin de toute politique volontariste.
A l'opposé, les filiales françaises des producteurs américains, comme par exemple Columbia Tristar International Télévision, filiale de Sony, sont, bien entendu, opposées à tout quota. Leur opposition se fonde sur l'étude réalisée par la London Economics (41 ( * )) . Cette étude évalue la perte des revenus qui serait causée, pour les chaînes de télévision, par l'instauration de quotas entre 4 et 12 milliards d'ECUS, selon que le taux de pénétration du câble et du satellite serait retardé de trois ou six ans et entre 17,4 et 20 milliards d'ECUS si l'on y ajoute la baisse des abonnements (20 à 40%).
Pour les auteurs de cette étude, les grandes chaînes généralistes n'auraient aucun intérêt à s'approvisionner fortement en programmes importés, puisque les téléspectateurs préfèrent, de beaucoup, regarder les programmes nationaux. En revanche, les quotas freineraient l'arrivée de nouvelles chaînes. Analysant notamment la stratégie de RTL, l'étude relève une montée en charge progressive des coproductions au détriment des achats de programme, afin d'attirer une fraction supplémentaire du public. Les fictions américaines financeraient en quelque sorte la production de fictions locales. L'imposition de quotas encouragerait à l'inverse les nouvelles chaînes à contourner ces obligations en diffusant des émissions non réglementées (émissions de plateau, essentiellement) ou à abuser des rediffusions de programmes européens pendant la nuit.
S'agissant de la production, les quotas de diffusion assureraient, certes, un volume garanti de commandes, mais entraîneraient un sous-financement des oeuvres, ainsi que le montre le taux élevé de dépôts de bilan des producteurs de fiction malgré la forte croissance du chiffre d'affaires du secteur.
On partagera donc le scepticisme des participants des rencontres cinématographiques de Beaune, lorsque ces derniers ont entendu M. Jack Valenti, porte-parole des majors américaines se déclarer soudainement, le 31 octobre 1995, favorable aux quotas et « à toute mesure que prendraient les autorités européennes » en la matière...
• La France, pour sa part, a considéré
que la disparition de l'obligation juridique de diffusion était
« inacceptable », selon le terme utilisé par
le ministre de la culture, M. Jacques Toubon
dans
Le Figaro
du 9 janvier 1995 et, devant la commission des Affaires
culturelles du Sénat, le 8 février 1995, comme étant
« non conforme à la position de la France ».
Pour ce dernier, en effet, si les chaînes généralistes doivent être astreintes à des obligations de diffusion, les chaînes thématiques doivent être soumises à une obligation d'investissement. La France est cependant en désaccord avec la base de calcul de l'obligation telle qu'elle est avancée par la Commission. Le ministre français de la Culture a jugé que la notion de budget de programmation était imprécise et il a souhaité que le dénominateur soit objectif, en prenant, par exemple, soit le chiffre d'affaires, soit le nombre d'heures d'émission. De plus, il a estimé que la nécessité d'une concurrence équilibrée devait conduire chaque pays à imposer des règles contraignantes à ses entreprises audiovisuelles. Il s'est enfin déclaré prêt à accepter toute mesure d'effet équivalent que les quotas.
• M
. François Mitterrand, alors
Président de la République,
s'était,de
même, déclaré hostile à tout abandon des quotas de
diffusion, lors de son discours devant le Parlement européen, le 17
janvier 1994 :
« On ne peut pas revenir en arrière par rapport à ce qui a été réalisé en 1989 (...). J'entends dire ici ou là qu'il faudrait (...) abandonner les quotas de diffusion (...). Ce n'est pas l'avis de la France ».
• Le
nouveau ministre de la Culture, M.
Philippe Douste-Blazy,
s'est également prononcé
à plusieurs reprises sur ce dossier. Le 30 août, il
considérait que «
l'idée de limiter à dix ans la
durée d'application des quotas de diffusion sans clause de rendez-vous
» semblait «
dangereuse
», le 20 octobre 1995,
lors de la réunion informelle des ministres de la Culture à
Madrid il déclarait, à ce sujet, que «
la France a
montré la très ferme intention de ne pas accepter un texte qui
serait en recul par rapport à celui de 1989
» et
réaffirmait, devant la commission des Affaires culturelles de
l'Assemblée nationale, le 11 octobre, que «
le compromis
proposé par l'Espagne n'était pas acceptable
».
•
La
position du CSA sur la
renégociation de la directive
L'avis émis le 14 juin 1995 par le CSA a tout d'abord souligné que la « consolidation d'une industrie européenne de programmes passait par une plus grande circulation des oeuvres entre tous les pays ». Or, celle-ci est « fort limitée » parce que les chaînes « privilégient les productions nationales ou la fiction américaine plutôt que le recours à des oeuvres européennes non nationales ». Le CSA a rappelé qu'il existait d'autres moyens, en sus des quotas de diffusion, pour y inciter, comme l'instauration d'un bonus, les aides aux doublages, au sous-titrage ou à la commercialisation.
Se félicitant des améliorations sensibles apportées à la rédaction initiale de la directive, le CSA déplore toutefois que « le projet de directive ne modifie pas la définition de l'oeuvre, ne maintienne les quotas que pour les chaînes généralistes et ne prenne pas en compte les nouveaux services ».
•
La
résolution du Sénat
du 15 novembre 1995
Saisie par une proposition de résolution déposée, en application de l'article 88-4 de la Constitution par notre collègue, M. Adrien Gouteyron, la commission des Affaires culturelles a, sur le remarquable rapport du 25 octobre 1995 de son président, demandé au Gouvernement de renforcer les dispositions relatives aux quotas de diffusion. Il estime, en particulier, « satisfaisants » :
- le caractère obligatoire du respect des quotas de diffusion d'oeuvres européennes institués par l'article 4, quoique la durée d'application limitée à dix ans apparaisse « comme une inacceptable régression par rapport au texte de 1989 » (...),
- l'énonciation de critères précis de détermination de la compétence des États membres sur les organismes diffuseurs,
- l'obligation imposée aux États membres de se doter d'un système de sanctions et de mesures conservatoires applicables aux organismes relevant de leur compétence, en cas de violation des dispositions de la directive ;
- l'élaboration d'un régime juridique du téléachat favorisant le développement de cette catégorie de service.
Il concède, par ailleurs, que le compromis espagnol comprend quelques « aspects positifs » :
- les critères de détermination de la compétence sur les diffuseurs sont précisés, ce qui pourrait contribuer à faire obstacle aux délocalisations compétitives ;
- l'obligation des États membres d'ouvrir des voies de recours efficaces aux tiers lésés par les manquements des diffuseurs nationaux est clairement énoncée.
Il déplore, en revanche, l'absence de progrès sur d'autres points importants :
- l'extension du régime juridique de la diffusion télévisuelle aux nouveaux services interactifs « point à point » et, en particulier, aux futurs services de vidéo à la demande (...),
- la chronologie des média, considérant que : « la législation nationale ne pourra pas corriger par des mesures plus strictes les effets pervers du texte en négociation en ce qui concerne le point de départ du décompte des délais : le critère du début de la diffusion en salle dans n importe quel État membre est jugé par la Commission seul conforme au principe de liberté de circulation » ;
- l'aménagement du régime spécifique des chaînes thématiques, bien que le compromis propose une définition plus précise de celles-ci ;
- en ce qui concerne enfin les quotas de diffusion, « l'assimilation des émissions réalisées en plateau aux oeuvres européennes prises en compte pour le décompte de l'obligation de diffusion perdure, l'application des quotas aux heures de grande écoute n'est pas évoquée, le remplacement de la disposition abrogeant les quotas à l'expiration d'une durée de dix ans par une clause d'évaluation à moyen terme n est pas envisagé par la Commission ni prévu par le texte espagnol. Bien au contraire, celui-ci propose d'institutionnaliser un mécanisme dérogatoire à l'obligation de diffusion d'oeuvres européennes. L'acquis principal de la proposition de la Commission, qui était le caractère véritablement normatif de l'obligation de diffusion, est ainsi effacé ».
Il conclut donc que : « sur la question cruciale des quotas, les formules de compromis élaborées par la présidence espagnole sont clairement en retrait par rapport à la directive 89-552, cumulent les inconvénients du laxisme et de l'éphémérité (ce que la proposition de la Commission a le mérite d'éviter) » et apparaissent ainsi « inacceptables pour la France ».
(c) Le bilan
La France semble bien s'être enferrée dans ce qui s'apparente à un véritable piège. Entre l'hostilité affichée de certains États membres et l'indifférence des autres, la position française de défense d'une politique audiovisuelle fondée principalement sur les quotas apparaît complètement isolée.
Compte tenu de l'absence de majorité au sein de la commission en faveur de ses positions, elle est, en effet, confrontée au cruel dilemme de s'en tenir au statu quo et d'abandonner le projet de révision de directive, ou d'accepter la révision, mais en abandonnant une partie de sa réglementation spécifique, pour permettre à l'Europe de construire une politique audiovisuelle commune.
La voie d'un compromis, conduisant à mettre provisoirement de côté la question des quotas ou à permettre à la France de maintenir sa réglementation nationale, pourrait également être préjudiciable aux diffuseurs nationaux. Ces derniers seraient ainsi les seuls à être soumis à une obligation de diffusion, tandis que les autres États imposeraient des obligations de production à leurs chaînes thématiques, voire même à leurs chaînes généralistes.
Votre rapporteur s'est montré sceptique quant à l'efficacité des seuls quotas de diffusion.
Dès 1991-1992, on pouvait douter de la portée de l'obligation de diffusion, les chaînes pouvant « modifier le dénominateur (En remplaçant des fictions non communautaires par des non-oeuvres, comme les variétés, les jeux ou les talk-shows), et le numérateur (En multipliant) » (42 ( * )) .
En fait, « la seule obligation de réel impact pour la création française est l'obligation d'investir désormais 15% du chiffre d'affaires des chaînes dans le préfinancement de productions françaises. La véritable question, maintenant, est de savoir comment, dans le cadre de la directive européenne, faire en sorte que ces investissements puissent continuer à porter sur l'ensemble des coproductions internationales qui associent des producteurs français. Une définition purement linguistique ne le permet pas. Il faudrait donc rechercher d'autres critères. L'une des solutions possibles serait alors de ne retenir que les quotas de diffusion prévus par la directive et de négocier avec la profession des quotas de production assurant une efficacité optimale au développement de l'industrie audiovisuelle française » (43 ( * )) .
Plutôt que développer le thème de la défense de l'identité culturelle, que la France reste seule à défendre, il est, en effet, nécessaire de prendre en compte la dimension économique du dossier, l'industrie européenne des programmes employant près de 1 500 000 personnes.
Il est également important de ne pas imposer aux chaînes françaises des obligations qu'elles seraient les seules à assumer en Europe. Le cumul d'obligations, de diffusion et d'investissement, n'existe, en effet qu'en France.
La contractualisation des rapports permettrait de tenir compte des spécificités de chaque chaîne, le vocable de « chaînes généralistes » couvrant des réalités bien différentes.
Afin d'accélérer la circulation intra-communautaire des oeuvres européennes -ce qui reste le point faible du système mis en place en 1989- les quotas de diffusion pourraient distinguer les films nationaux des films européens.
L'approche réglementaire ne doit pas être séparée de la mise en OEuvre du programme d'action communautaire visant à encourager le développement de l'industrie audiovisuelle européenne, c'est-à-dire le programme MEDIA, dont le bilan reste encore décevant.
Quel bilan tirer de cette révision ?
La défense de l'identité culturelle de l'Europe, grâce à l'existence de programmes audiovisuels, doit, certes, être maintenue.
La puissance des images américaines et la menace qu'elles font peser sur l'identité de chaque nation n'ont pas que des implications culturelles. La dimension de ce dossier est également économique. L'audiovisuel est, en effet, avec le secteur des télécommunications - vers lequel il se rapproche le secteur économique promettant la plus forte croissance.
La France a été à l'avant-garde du combat pour obtenir, lors des négociations du cycle d'Uruguay, l'exception culturelle. Elle ne doit donc pas abandonner les efforts qu'elle a entamés dans ce sens sans avoir agi avec autant d'intelligence, de courage et de détermination que le Canada (44 ( * )) .
Il importe, en conséquence, au Gouvernement français, avec le soutien résolu du Parlement, de prolonger cette action dans les négociations en cours sur la révision de la directive du 3 octobre 1989.
Cependant, la France ne doit pas se tromper d'instrument. La défense absolue des quotas de diffusion constitue-t-elle un choix pertinent ? Faute d'un recul suffisant et d'un bilan satisfaisant, il est permis de s'interroger.
On ne doit pas non plus se focaliser sur un texte qui risque d'être rapidement dépassé par l'évolution technologique, d'autant que l'extension du régime juridique de la diffusion télévisuelle aux nouveaux supports n'a pas été réalisée : la directive s'appliquerait toujours aux services de radiodiffusion, au sens conventionnel (point à multipoint), et exclurait, en conséquence,3 les nouveaux services interactifs « point à point », c'est à dire les futurs services vidéo à la demande, qui constituent l'avenir le plus prometteur de l'audiovisuel... La concurrence risque donc d'être inéquitable entre les opérateurs et des distorsions de concurrence naîtront d'un traitement différencié qui leur sera appliqué en fonction des supports utilisés.
Dans la négociation communautaire, si la France devait céder quelque chose, ce pourrait être la durée de dix ans contre l'abandon de la clause générale de dérogation proposée dans le compromis.
b). Les difficultés de conciliation de la norme communautaire et de la norme nationale en matière audiovisuelle
En matière audiovisuelle, la délocalisation permet aux opérateurs d'échapper à l'emprise de leur loi initiale pour bénéficier de l'application de la loi plus favorable d'un autre État. Il s'agit, juridiquement, d'une fraude à la loi.
(1). les délocalisations de média
L'application de la directive Télévision sans Frontières a donné lieu à des localisations, d'une part, en permettant aux États d'adopter des règles plus strictes que celles qu'elle prévoit la directive n'est, en effet, qu'un texte de coordination minimale des dispositions nationales et non pas d'harmonisation de celles-ci, d'autre part, en ne définissant pas les critères de rattachement d'un diffuseur à la loi de son État.
Or, les marchés étant de plus en plus concurrentiels, un diffuseur établi dans un autre État soumis à des règles plus souples car calquées sur le minimum imposé par la directive peut, de ce fait, contourner la législation applicable dans l'État de la prestation, c'est-à-dire de la diffusion. Par ailleurs, l'application des critères traditionnels qui permettent, en droit communautaire, de rattacher un diffuseur à la loi de l'État dans lequel il est établi, a rapidement montré ses insuffisances en matière audiovisuelle, dans la mesure où cette activité peut être économiquement et techniquement éclatée sur le territoire de plusieurs États, dès lors que la chaîne est diffusée par voie satellitaire : des studios sur le territoire de l'État A, une liaison montante dans un État B, des organes de direction dans un État C, des fréquences utilisées allouées par des États D, E, F et G !...
Deux affaires permettent d'illustrer ce phénomène de délocalisation.
• La Cour de justice des Communautés
européennes a, dans un arrêt du
5 octobre 1994,
statué sur l'affaire
TV10 S.A.
Un litige opposait aux Pays-Bas TV 10, radio diffuseur privé de droit luxembourgeois, à l'institution de régulation de l'audiovisuel néerlandaise. Ce dernier considérait que la chaîne ne s'était établie au Luxembourg que dans l'intention de se soustraire aux contraintes de la législation néerlandaise, imposée aux diffuseurs nationaux. L'organe de régulation de l'audiovisuel estimait en conséquence que TV 10 ne pouvait bénéficier du régime applicable aux radios diffuseurs étrangers pour la diffusion de ses programmes sur le câble, mais devait être soumise aux règles, plus contraignantes, applicables aux organismes nationaux.
La Cour a estimé qu'un État membre pouvait considérer comme un organisme national, un radio diffuseur qui s'installe dans un autre État membre dans le but d'y effectuer des prestations de services destinés à son territoire, car cette mesure est destinée à empêcher que ce dernier se soustraie abusivement aux obligations découlant de la législation nationale.
Cette affaire portait cependant sur des faits antérieurs à l'entrée en vigueur de la directive.
•
Le cas de RTL 9 et de RTL TVI.
La CLT est un groupe luxembourgeois dont la stratégie de développement est de diffuser à partir du territoire luxembourgeois, dont la législation est une des plus souples d'Europe, plusieurs programmes adaptés aux différents marchés européens qui ne sont donc soumis qu'aux dispositions de la directive Télévision sans Frontières.
Si les programmes sont techniquement diffusés depuis le Luxembourg (où se situe la liaison montante vers le satellite Astra), la grande majorité de la production est à chaque fois réalisée dans un autre État : maison de production à Metz pour RTL 9 entité juridique à Bruxelles pour RTL-TVI.
Pour autant la CLT, revendiquant sa nationalité luxembourgeoise, n'entend rester soumise qu'au seul droit luxembourgeois.
Cette stratégie s'oppose à celle de Canal Plus qui, pour assurer son développement en Europe, a choisi de créer un établissement secondaire dans chaque nouvel État, en partenariat avec des partenaires locaux (Canal Plus Belgique. Espagne, etc.) : dans ces cas de figure, ces programmes sont à chaque fois logiquement soumis à la loi de ce nouvel État.
Ce montage utilisé par la CLT est récusé par plusieurs États européens, considérant qu'une chaîne est installée sur leur territoire et doit être soumis à leur législation. Ce fut le cas de la Suisse qui a porté devant le Conseil de l'Europe la volonté de contournement de sa législation par un des programmes RTL ; mais aussi du Royaume de Belgique qui revendique sa compétence sur RTL-TVI ; des Pays-Bas pour RTL 4 ; et de la France pour RTL9.
La directive ne définissant pas les critères d'établissement, comme évoqué plus haut, une jurisprudence de la CJCE serait, à cet effet, utile. La renégociation de la directive porte en partie sur ce point et des critères précis et applicables devraient être adoptés dans le nouveau texte.
(2) Le cas du renouvellement de la convention de RTL9 en France
La renégociation entre la Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion (CLT) et le Conseil supérieur de l'audiovisuel, au sujet de renouvellement de la convention de RTL 9 (anciennement RTL TV) illustre les difficultés d'articulation entre les réglementations, nationale et européenne.
RTL 9 est diffusé en mode hertzien en Lorraine, sur le câble dans le reste de la France, en vertu d'une convention datant de 1993 et valable pendant trois ans, ainsi que sur le satellite TÉLÉCOM 2B, en crypté. En vertu d'un accord conclu avec le Bureau de liaisons interprofessionnel des industries du cinéma, la chaîne peut diffuser jusqu'à 650 films par an, contre 192 pour les chaînes hertziennes françaises, sans compter 52 films supplémentaires de ciné-club. Elle ne peut cependant diffuser de films avant 20 heures, et avant 22 h 30 les mercredi et vendredi et pas davantage de longs métrages le samedi.
Les conditions de diffusion des films sur RTL9 et de diffusions des films ne sont pas du ressort du CSA mais sont régies par un accord bilatéral entre le BLIC et RTL9. Le CSA souhaitait toutefois renouveler à l'identique les obligations de la chaîne en matière de quotas.
Or, à l'occasion du renouvellement de sa convention RTL9 a fait savoir qu'elle souhaitait diffuser davantage de films. Le CSA s'y étant montré hostile, elle a alors prétendu être une chaîne de nationalité luxembourgeoise, pays d'émission du signal, soumise de ce fait à la directive Télévision sans Frontières, réglementation moins sévère que la réglementation française. Les professionnels du cinéma refusèrent de signer un accord avec la chaîne, tant qu'elle ne serait pas « reconventionnée » par le CSA. Elle risquait par ailleurs de se voir « bannie » du câble si elle ne signait pas une nouvelle convention.
Le 7 juillet 1995, RTL9 a donc signé, dans les mêmes termes, le renouvellement de l'autorisation, pour trois ans, avec possibilité de renégociation lorsque la nouvelle directive Télévision sans Frontières sera adoptée.
Si le CSA avait cédé, c'est toute la réglementation française qui aurait été menacée. RTL9 étant également diffusé par satellite, la décision aurait pu faire jurisprudence et créer une brèche dans laquelle la CLT, qui prépare un bouquet de chaînes numériques diffusées par satellite, aurait pu s'engouffrer.
(3) Le bouquet numérique de Canal+ sera-t-il conventionné par le CSA ?
Ce dernier exemple illustre -si besoin était- les lacunes et les limites de l'actuelle réglementation.
Le bouquet numérique de Canal Plus, dont la composition précise n'est pas encore connue, devrait démarrer, cet automne, des essais techniques afin de tester les stations terriennes d'émission, situées en France, et leurs liaisons de connexion vers les satellites Astra 1D, 1E et 1F.
Les liaisons de connexion vers les satellites Astra 1D et 1E se situent dans des bandes de fréquences gérées par le CSA, celles concernant Astra IF relèvent pour partie de la Direction générale des postes et télécommunications (DGPT), ce qui nécessite une coordination spécifique.
Les fréquences utilisées pour la diffusion du bouquet du satellite vers le sol sont, en revanche, des fréquences luxembourgeoises sur lesquelles ni le CSA, ni les autres administrations françaises n'ont compétence.
Selon la loi du 30 septembre 1986 modifiée, les régimes d'autorisation d'usage de fréquences prévus pour le satellite auxquels sont rattachés les différents régimes de conventionnement des services diffusés, c'est-à-dire l'aspect éditorial de la procédure, ne concernent que des fréquences de diffusion du service vers le public. En l'espèce, le bouquet de Canal+ ilisant des fréquences de diffusion luxembourgeoises, la loi française ne peut donc en principe pas s'appliquer.
Ce vide juridique implique que les services diffusés dans le cadre de ce bouquet ne seraient soumis à aucune convention, ce qui est contraire à l'article 2-1 de la directive européenne du 3 octobre 1989, selon laquelle les États membres sont tenus de prendre les mesures nécessaires pour que les services relevant de leur compétence, ce qui est bien le cas de la société Canal Plus, respectent le droit applicable sur leur territoire.
Afin de résoudre cette difficulté, le CSA a pris en considération deux éléments :
- les liaisons de connexion avec le satellite utilisent des fréquences françaises gérées par le CSA ou la DGPT, ce qui implique la délivrance d'autorisation par une administration française ;
- les programmes du bouquet Canal Plus seront amenés à être distribués par câble sur le territoire français, ce qui implique la conclusion de conventions conformément à l'article 34-1 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée.
Par conséquent, le CSA a indiqué à Canal Plus que la délivrance des autorisations d'usage de fréquences pour les liaisons de connexions était subordonnée, en ce qui concerne les nouvelles chaînes, à la conclusion de conventions dans le cadre de l'article 34-1 de la loi du 30 septembre 1986. Cette solution n'est juridiquement pas entièrement satisfaisante et elle est liée à la circonstance particulière que constitue l'utilisation de liaisons de connexion relevant de la compétence française.
c). Pour une autorité européenne de régulation dans le secteur de I audiovisuel
En cas de fraude manifeste à la directive Télévision sans Frontières, il est très difficile d'entraver la redistribution ou la rediffusion d'un programme.
En effet, la communication audiovisuelle étant une activité rattachée à la liberté d'expression, son exercice ne peut être entravé que pour des raisons d'ordre public. De surcroît, cette mesure ne peut être générale et disproportionnée, la Cour européenne des droits de l'homme veillant au respect de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui garantit la liberté d'expression. De même, la Cour de justice des communautés européennes veille à ce que la libre prestation de service ne soit entravée que pour les mêmes raisons impérieuses d'intérêt général. En définitive, seule la protection des mineurs autorise les États membres à entraver la diffusion d'un programme. Encore faut-il entamer une longue procédure de concertation, avant que l'entrave ne puisse devenir effective, comme l'a illustré l'affaire Red Hot Télévision.
L'action des autorités nationales de régulation apparaît également limitée. Le brouillage en réception directe est quasiment impossible pour des raisons techniques, et, en France, le caractère de liberté fondamentale conféré à la communication conduit le CSA à user avec précaution de ses pouvoirs.
Il est, dès lors, tout à fait regrettable que les programmes non conformes au minimum des dispositions de la directive ne puissent être sanctionnés rapidement, c'est-à-dire par d'autres moyens que la procédure du recours en manquement à l'encontre de l'État ayant délivré son autorisation d'émission à la chaîne qui fait l'objet de ce grief.
L'affaire TNT Cartoon est significative, même si elle ne s'inscrit pas dans le cadre de la délocalisation. Bénéficiant d'une licence de l'ITC britannique, cette chaîne d'origine américaine est diffusée dans de nombreux réseaux câblés en Europe, dans la plus totale ignorance des dispositions de la directive en matière de production et de diffusion d'oeuvres européennes.
Faute d'un organe de régulation ad hoc, les dispositions de la directive ne demeureront que des bonnes intentions pour les diffuseurs voulant les ignorer et au fait de ses lacunes. Un « CSA » européen est donc nécessaire.
Une telle instance, qui ne serait pas un organe d'appel des décisions des organes nationaux de régulation de l'audiovisuel, mais qui s'intéresserait exclusivement à l'application du droit communautaire aux programmes et services diffusés hors des frontières nationales, pourrait, dans un premier temps, être compétent pour les problèmes posés par l'application de la directive Télévision sans Frontières et pour les autoroutes de l'information :
•
le transfert de compétence de la
Commission européenne à un organe de régulation de
l'audiovisuel européen pour le contrôle de l'application de la
directive
devrait s'accompagner de l'ouverture, pour les
États de réception, d'une procédure de
référé européen devant cet organe. Celui-ci serait
habilité à prendre des mesures conservatoires, comme la
suspension de la diffusion
de la chaîne contrevenant aux
prescriptions de la directive ou la possibilité d'infliger des
amendes immédiatement exécutoires,
avant la
saisine de la Cour de Justice des Communautés européennes.
•
la compétence de cet organe pour
les autoroutes de l'information se justifie, en outre,
par le
caractère transnational de l'architecture de ces réseaux, et par
l'évolution extrêmement rapide de la technique qui rend la
réglementation -nationale ou communautaire- rapidement obsolète.
Les directives et les règlements communautaires devraient se borner
à poser des principes généraux, dont la mise en oeuvre
serait déléguée à cette instance
spécialisée, chargée d'en moduler l'application en
fonction des évolutions du secteur.
* 34 Oeuvre en provenance, selon l'article 6 de la directive :
_d'un Etat membre ou de l'ex-RDA ;
_sous certaines conditions, des pays ayant adhéré à la Convention européenne « Télévisions sans frontières », du Conseil de l'Europe, du 15 mars 1989 ;
_des oeuvres originaires de pays tiers remplissant certaines conditions en matière de coproduction.
* 35 1990 pour la Grèce et le Portugal.
* 36 Après une sanction infligée par le CSA à TF1, astreignant celle-ci à verser 30 millions de francs au bénéfice du Compte de soutien à l'industrie des programmes.
* 37 TFI, France 2, France 3, M6.
* 38 Canal J, Canal Jimmy, Planète, MCM/Euromusique, Ciné-Cinémas, Ciné-Cinéfil, TV5, Eurosport, TV-Sport, La Sept.
* 39 Le champ du décret ne couvre que les télévisions diffusées par voie hertzienne en clair, ce qui exclut donc Canal+.
* 40 Communication de la Commission au Conseil et au Parlement Européen relative à l'application des articles 4 et 5 de la directive 89/552/CEE, COM (94) 57.
* 41 The Economic Impact of Television Quotas in the European Union, juin 1994.
* 42 Rapport Sénat, n°92, 19 novembre 1991, p. 95 notamment.
* 43 « Une autre Bataille de France », coll. Regards sur l'audiovisuel, LGDG-Paris, 1992, p.69.
* 44 Voir le rapport n° 301 du 24 mai 1995, « L'audiovisuel au Canada, quels enseignements pour la France ? ».