CHAPITRE III : LES ASPECTS COMMUNAUTAIRES ET INTERNATIONAUX DE L'AUDIOVISUEL

I. LA POLITIQUE COMMUNAUTAIRE DE L'AUDIOVISUEL

A. LA PLACE DE L'EUROPE SUR LE MARCHE MONDIAL DE L'AUDIOVISUEL

1. L'audiovisuel est un enjeu majeur qui nécessite une stratégie européenne

Le Livre Blanc « Croissance, compétitivité, emploi » de décembre 1993 (32 ( * )) a souligné l'importance considérable, tant sur le plan économique que culturel, du secteur audiovisuel, qui englobe le logiciel (la production et la distribution de programmes) et le matériel (la fabrication d'équipements).

Rappelant que le marché européen fut l'un de ceux dont la croissance a été la plus rapide au monde avec un taux de croissance du marché de 6 % par an en termes réels, le Livre Blanc relève que ce sont les États-Unis qui ont le plus bénéficié de cette croissance en Europe.

Les ventes de programmes ont été multipliées par dix en moins de huit ans (1984-1992), passant de 330 millions de dollars à 3,6 milliards. En 1991, 77 % des exportations américaines de programmes audiovisuels étaient absorbées par l'Europe, dont près de 60 % par la Communauté européenne, le déficit annuel des échanges de l'Europe avec les États-Unis atteignant 3,5 milliards de dollars.

Par ailleurs, en dix ans, les films européens ont perdu deux tiers de spectateurs dans les salles européennes, leur part de marché tombant à moins de 20%. La chute de la fréquentation des salles, brutale en Europe, a touché essentiellement les films européens.

D'ici l'an 2000, la demande de produits audiovisuels doublera en Europe et passera de 23 à 45 milliards d'Ecus Cette croissance sera la conséquence de l'irruption de nouvelles technologies qui multiplieront et diversifieront les vecteurs de distribution. Le nombre de canaux de télévision pourrait être de 500, contre 117 actuellement, et les heures de diffusion pourraient atteindre 3 250 000 heures, contre 650 000 aujourd'hui. Les heures de programmes cryptés pourraient, quant à elles, être multipliées par 30.

Selon ce Livre Blanc, les produits audiovisuels ne pouvant être amortis que sur de grands marchés, il faudrait « empêcher que des ressources de plus en plus importantes ne soient détournées pour créer des emplois dans d'autres parties du monde, tandis que l'Europe deviendrait un consommateur passif des produits audiovisuels d'autres pays et finirait par dépendre d'eux non seulement économiquement, mais aussi culturellement ».

L'audiovisuel sera l'un des principaux secteurs de services au XXI ème siècle. Cette analyse confirme donc la Commission de l'Union Européenne dans son choix de mener une politique volontariste.

Afin de dresser un bilan de ce dossier, une phase de pré-consultation a été marquée, notamment, par l'organisation d'une Conférence européenne de l'audiovisuel, tenue à Bruxelles du 30 juin au 2 juillet 1994, et l'élaboration d'un Livre Vert au cours du premier semestre 1994. Ceci avant que la Commission ne propose la modification des instruments actuels de la politique communautaire.

Le Livre Vert d'avril 1994 ( 33 ( * ) ) s'est donné pour objectif de définir les moyens de renforcer l'industrie européenne des programmes cinématographiques et télévisuels, et, plus précisément, de la rendre « compétitive sur le marché mondial, tournée vers l'avenir, susceptible d'assurer le rayonnement des cultures européennes et de créer des emplois en Europe».

Se fondant sur l'évaluation de la directive Télévision sans Frontières établie par la communication du 3 mars 1994, le Livre Vert rappelle que les États membres ont, en 1991-1992, diffusé une part majoritaire d'oeuvres européennes. Cependant, l'importance de la contribution de la directive à l'émergence d'une industrie européenne des programmes reste à démontrer.

En effet, certains indicateurs font encore défaut, comme :

- la proportion de programmes européens qui ne seraient pas diffusés en l'absence d'obligation réglementaire ;

- la proportion de programmes non-nationaux dans la proportion de programmes européens effectivement diffusés ;

- la valeur économique -en termes de budget de programmation ou de proportion du chiffre d'affaires- des droits de diffusion de ces oeuvres européennes comparée à celle d'oeuvres extra-européennes.

S'agissant ensuite de l'encouragement à la production indépendante, le Livre Vert relève que, face à l'alternative offerte par la directive entre une proportion du temps de diffusion et une proportion du budget de programmation, tous les États membres, sauf la France, ont choisi la première option. Or, dans la communication du 3 mars 1994, la Commission estime que seule la deuxième option est mieux à même d'atteindre l'objectif de la directive, à savoir l'investissement dans de nouvelles productions.

De plus, l'évaluation des effets de la directive reste encore incomplète, puisque les États membres n'ont pas fait connaître la définition qu'ils utilisent du « producteur indépendant ».

D'autres points demeurent encore sans réponse :

- la part d'oeuvres européennes consacrées à des « oeuvres récentes » au sens de l'article 5 de la directive,

- le degré d'indépendance du producteur par rapport au diffuseur,

- le rôle de l'incitation réglementaire par rapport au prix payé pour un programme.

2. Une stratégie européenne de l'audiovisuel devrait être rapidement définie de façon urgente

Si l'Union européenne dispose de la marge de manoeuvre nécessaire pour développer des mesures en faveur de son industrie de programmes, elle ne pourra le faire que pendant une phase de durée limitée.

En effet, deux échéances sont proches : d'une part les obligations souscrites par l'Union européenne à l'égard du GATT (devenu l'OMC), et, d'autre part, l'avènement de la diffusion numérique.

En ne prenant pas d'engagement spécifique en matière de libéralisation du secteur audiovisuel au cours des négociations du GATT (fin 1993), l'Union européenne a obtenu le droit de prendre toutes les mesures appropriées pour protéger les nouvelles technologies de son industrie. Cependant, l'accord sur les services prévoit qu'à compter de la mise en place de l'Organisation mondiale du commerce le 1er janvier 1995, un nouveau cycle de négociations sur les services devra être engagé dans les cinq ans. Il n'existe aucune obligation pour l'Union européenne de proposer une offre de libéralisation supplémentaire du secteur de l'audiovisuel, mais les États-Unis ne sauraient manquer de formuler rapidement une telle demande.

La diffusion numérique, ensuite, est sans doute l'obstacle le plus sérieux à la pérennisation d'une politique communautaire principalement fondée sur une approche réglementaire. Il n'est pas sûr, en effet, comme l'admet implicitement le Livre Vert, que « les mécanismes de promotion (soient) bien adaptés aux nouveaux types de services dont l'émergence s'annonce plus rapide à la faveur de la révolution numérique ». Les nouveaux services du type « vidéo à la demande » pourraient être assimilés à des services de télécommunication, ce qui rendrait délicate leur intégration dans une directive consacrée à l'audiovisuel.

Mais le principal reproche qui peut être formulé à rencontre de la directive est la contradiction entre l'objectif poursuivi -assurer la libre circulation des services de radiodiffusion par l'harmonisation des conditions de la concurrence- et les moyens. En effet, une trop grande marge de manoeuvre est laissée aux États membres quant aux modalités de mise en oeuvre des mécanismes de la directive.

Les termes obligation et libre concurrence expriment, en effet, deux concepts incompatibles. Ainsi que l'a relevé un producteur portugais, M. Gérard Lastello Lopez, à la rencontre d'Avoriaz entre le ministre français de la Culture et les distributeurs européens de cinéma, le 15 janvier 1995: « On m'a fait apprendre le latin, le français, la philosophie. C'était une obligation, difficile, qui m'a donné finalement la liberté d'une culture. Le contraire de cela, c'est un divertissement planétaire servi sans aucun effort. Nous, que pouvons-nous opposer à ce goût-là ? ».

La trop grande souplesse de la directive a ainsi abouti, comme le relève le Livre Vert, « à de grandes différences dans le niveau des contraintes et de contrôles auxquels sont soumis les radio diffuseurs des différents États membres, voire différents types de radio diffuseurs dans un même État membre ». La définition du « producteur indépendant des organismes de radiodiffusion » se heurte, quant à elle, à des différences substantielles dans l'organisation du secteur de la production télévisuelle dans les États membres.

Cette souplesse apparaît cependant nécessaire au Livre Vert compte tenu de la diversité qui caractérise le secteur audiovisuel européen.

Empruntant cette voie étroite -reflet des contradictions entre États membres, et entre les velléités de mener ou d'afficher une politique volontariste et le caractère souple, voire laxiste, de la mise en oeuvre de cette politique- le Livre Vert reste prudent. Il en appelle à une clarification des obligations, souhaitant une stimulation de la circulation transfrontalière des programmes audiovisuels, du renforcement de l'investissement dans la production de nouveaux programmes et de l'achat de droits de programmes récents, fabriqués notamment par des producteurs indépendants des radio diffuseurs.

* 32 COM (93) 700 du 5 décembre 1993.

* 33 « Options stratégiques pour le renforcement de l'industrie des programmes dans le contexte de la politique audiovisuelle de l'Union européenne », COM (94) du 6 avril 1994.

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