TRAVAUX DE LA COMMISSION
I. AUDITION DE MME COLETTE CODACCIONI, MINISTRE DE LA SOLIDARITÉ ENTRE LES GÉNÉRATIONS
Le mercredi 18 octobre 1995, sous la présidence de M. Jean-Pierre Fourcade, la commission a procédé à l'audition de Mme Colette Codaccioni, ministre de la solidarité entre les générations, sur le projet de loi n° 2 (1995-1996) instituant une prestation d'autonomie pour les personnes âgées dépendantes.
À titre liminaire, Mme Colette Codaccioni, ministre de la solidarité entre les générations, a présenté les trois objectifs que devait remplir, à son sens, le projet de loi, à savoir répondre à une attente déjà longue de dix ans, aider les familles qui supportent actuellement la charge de la dépendance et créer des emplois.
Elle a rappelé les principales caractéristiques de la prestation dont l'âge minimal d'attribution de 60 ans, les critères de handicap en fonction d'une grille unique nationale et les conditions de ressources qui devront être inférieures à 13.000 francs y compris la prestation. Elle a précisé qu'elle serait servie dans chaque département et a estimé que ce serait une prestation d'un type nouveau, ni de sécurité sociale, ni d'aide sociale mais de solidarité nationale.
Elle a mentionné les modalités de paiement des services offerts aux personnes âgées dépendantes : tandis que pour le recours à l'emploi direct, deux solutions seront possibles, rémunération « classique » ou chèque autonomie, en ce qui concerne le recours à des services d'aide à domicile, puis, dans un deuxième temps, l'hébergement en établissement, seul existera le tiers payant.
S'agissant de la création d'emplois, Mme Colette Codaccioni, ministre de la solidarité des générations, a estimé de 50.000 à 60.000 emplois « équivalents temps plein » les potentialités dans ce domaine, dans la mesure où les expérimentations menées dans douze départements laissaient entrevoir une création d'emploi pour 3 ou 4 personnes dépendantes.
Rappelant que le département serait « chef de file » pour la gestion de cette nouvelle prestation, dont le président du conseil général décidera l'attribution, le ministre a précisé que l'équipe médico-sociale chargée d'instruire la demande serait composée de trois personnes, dont un médecin, et évaluerait la situation de l'intéressé en fonction de son handicap et de son environnement.
Répondant à une interrogation de M. Jean-Pierre Fourcade, président, sur le financement de cette prestation, Mme Colette Codaccioni, ministre de la solidarité entre les générations, a indiqué que cette prestation, qui devrait coûter 14 milliards de francs en phase initiale, s'établirait à une hauteur de 20 milliards de francs, une fois la période de montée en charge achevée, y compris en établissement. Cette prestation sera financée par les conseils généraux qui acquittent actuellement 6 milliards au titre de l'allocation compensatrice et 3 milliards au titre de l'hébergement et par l'État, par l'intermédiaire du fonds de solidarité vieillesse qui est alimenté par 1,3 point de contribution sociale généralisée et par la taxe sur les alcools.
En réponse à une question de M. Alain Vasselle, rapporteur, sur le bilan que l'on pouvait faire des expérimentations, sur l'avenir du comité créé à cette occasion et sur l'instance qui serait chargée de l'évaluation, Mme Colette Codaccioni, ministre de la solidarité entre les générations, a précisé, tout d'abord, que ces expérimentations avaient été mises en oeuvre, globalement, à partir du 1 er mars 1995, à législation constante et pour les personnes à domicile. Estimant que l'on manquait encore de recul, elle a, toutefois, déclaré que ces expérimentations avaient été très importantes dans la mesure où elles avaient permis une collaboration entre les différents partenaires dans le cadre de la prestation expérimentale dépendance. Elle a également mentionné que ces expérimentations n'iraient pas au-delà du 1 er janvier 1996 et qu'il pourrait être opportun, par voie d'amendement, de concevoir un dispositif d'articulation entre la prestation expérimentale et la prestation d'autonomie. Elle a ajouté qu'était prévue la création par décret d'un observatoire de la dépendance.
En réponse à une interrogation de M. Alain Vasselle, rapporteur, sur la raison de la différence de date d'application entre la prestation d'autonomie à domicile et celle en établissement et sur la réforme de la tarification, Mme Colette Codaccioni, ministre de la solidarité entre les générations, a déclaré qu'une telle différence pouvait s'expliquer par plusieurs facteurs. Ainsi, a-t-elle noté que 75 % des personnes âgées souhaitent rester à domicile. Elle a souligné également la diversité des services d'accueil et la nécessité d'opérer une distinction entre les forfaits-soins et les forfaits-dépendance et de mettre en place une comptabilité analytique. Elle a expliqué que la séparation des forfaits était actuellement expérimentée dans 19 départements.
M. Jean-Pierre Fourcade, président, a alors évoqué l'avenir des forfaits-soins dans cette perspective, dans la mesure où une part très importante des établissements est médicalisée.
En réponse, Mme Colette Codaccioni, ministre de la solidarité entre les générations, a déclaré que les forfaits-soins subsisteraient et que la demande était forte en matière de lits médicalisés.
M. Henri de Raincourt a souligné l'importance du problème. Il a remarqué que, dans la mesure où la préoccupation actuelle est de faire rester les personnes âgées le plus longtemps possible chez elles, celles qui entreraient en établissement se trouveraient dans un état extrêmement dégradé. Il a estimé, à cet égard, que la nature de ces établissements allait changer et devenir de plus en plus sanitaire. Il a fait part de ses interrogations sur la possibilité de procéder à des ventilations entre les trois composantes de la tarification forfait-soins, forfait hébergement et forfait-dépendance.
En réponse à une question de M. Alain Vasselle, rapporteur, sur la possibilité de neutraliser les rentes dépendance constituées par les personnes dans le calcul de leurs ressources, Mme Colette Codaccioni, ministre de la solidarité entre les générations a précisé que lesdites rentes ne compteraient pas dans ce calcul.
En réponse à une question de M. Alain Vasselle, rapporteur, sur la coordination nécessaire entre les différents fïnanceurs, Mme Colette Codaccioni, ministre de la solidarité entre les générations a estimé qu'il s'agissait là d'une question importante et que les départements s'avéraient, selon elle, les mieux placés pour être les chefs de file dans ce domaine. Mais elle a rappelé la demande très forte des syndicats pour gérer cette prestation. Elle a souligné la possibilité, pour les départements, de signer des conventions avec les organismes de sécurité sociale.
En réponse à une question de M. Alain Vasselle, rapporteur, sur la nécessité d'insérer une obligation de convention préalable à la mise en oeuvre de cette prestation, elle a considéré que le principe de la stipulation pour autrui interdisait la prise d'une telle disposition.
Elle a également répondu à la proposition du rapporteur d'étendre l'exonération des cotisations sociales patronales, qui existent pour les personnes de plus de 70 ans employeurs, aux associations d'aide à domicile qui s'occupent du même type de population, Mme Colette Codaccioni, ministre de la solidarité entre les générations, a évoqué le coût de la mesure et la nécessité pour l'État de compenser intégralement une telle disposition auprès de la sécurité sociale.
À M. Alain Vasselle, rapporteur, qui avait souligné la nécessité de formation des employés et s'était interrogé sur l'articulation, à propos du chèque autonomie, entre le présent texte et le projet de loi promis par M. Jacques Barrot, ministre du travail, de la participation et du dialogue social, Mme Colette Codaccioni, ministre de la solidarité entre les générations, a indiqué que le futur texte étendrait le chèque-emploi service au-delà des huit heures hebdomadaires actuelles. Elle a également indiqué qu'il lui semblait difficile d'exiger pour tous les emplois directs une formation et que ce serait à l'équipe médico-sociale d'évaluer la compétence a posteriori des employés.
Puis, M. Alain Vasselle, rapporteur, a posé trois questions relatives au financement de la prestation d'autonomie et concernant plus précisément :
1°) la prise en compte des disparités de situation entre les départements au regard du versement actuel de l'allocation compensatrice pour tierce personne dans le calcul des dépenses dites de référence ;
2°) les recettes dont disposera le fonds de solidarité vieillesse pour faire face à ses nouvelles dépenses ;
3°) les garanties des départements de ne pas voir déraper leurs dépenses au titre de la prestation d'autonomie au-delà de la période de référence.
Elle a répondu qu'elle avait constaté que le volet financier du dispositif suscitait beaucoup d'inquiétude de la part des élus. Elle a rappelé que l'article 28 précisait les critères de réévaluation des dépenses départementales qui serviront de référence à la participation de ces collectivités au financement de la prestation. Elle a également indiqué que le débat sur la protection sociale qui se tiendra mi-novembre au Parlement apportera des réponses à la question relative aux ressources financières supplémentaires qui seront affectées au fonds de solidarité vieillesse (FSV).
M. Charles Descours s'est interrogé sur le financement de la prestation et sur sa gestion, rappelant que les budgets d'aide sociale des départements avoisinaient les 40 %, voire davantage. Il s'est également enquis des risques de transferts de charge de l'assurance maladie vers les départements.
M. André Jourdain a rappelé qu'il avait signé deux propositions de loi sur le sujet, l'une avec M. Jean Puech et l'autre qui avait été déposée le 5 mai 1993 par la majorité de la commission des Affaires sociales. Il a souligné que cette dernière proposition de loi prévoyait un âge d'accès à la prestation de 65 ans et le recours à l'obligation alimentaire. Il a souhaité, par ailleurs, que soit demandé, pour le présent projet de loi, l'avis de la commission cantonale d'aide sociale. Il s'est également inquiété du contenu de la prestation d'autonomie et du problème des forfaits-soins.
Mme Joëlle Dusseau a souhaité avoir connaissance du bilan des expérimentations. Elle a souligné l'importance de la coordination autour de la personne âgée. Remarquant que 13.000 francs mensuels équivalaient aux ressources de 85 % des retraités, elle s'est demandé si ce montant intégrait la prestation. Elle a souhaité savoir si la prestation était soumise à recours sur succession. Elle a rappelé les dysfonctionnements des commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel (COTOREP) et la difficulté d'évaluer la dépendance. Elle a estimé que la « barre » de 60 ans était un peu basse.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard s'est interrogée sur la prévention de la dépendance et sur la possibilité de créer des emplois dans ce domaine qui ne soient pas précaires ou non qualifiés. Elle a regretté le nombre important de décrets, le manque de clarté du dispositif à propos du plafond de ressources, l'imprécision des critères d'évaluation de la dépendance. Elle a également souhaité des informations plus précises sur le financement de la prestation, se demandant si celui-ci serait contenu dans une loi de finances rectificative. À propos de la récupération sur succession, elle a souligné que la contribution sociale généralisée étant calculée sur la totalité des revenus prélevés, les personnes seraient, à son sens, conduites à payer deux fois. Elle a mis en exergue le fait que même si les présidents de conseils généraux s'avèrent compétents pour gérer cette prestation, bien que certains ne versent pas l'allocation compensatrice en établissement, d'autres comme les caisses de sécurité sociale le sont, à son sens, également tout autant.
M. Claude Huriet s'est interrogé sur la composition de l'équipe médico-sociale et sur la grille d'évaluation de la dépendance, estimant qu'il fallait tenir compte de l'évolutivité de la situation. Il s'est enquis des modalités de récupération sur héritage et de la possibilité pour les départements de prendre en charge au-delà des trois ans la moitié de l'accroissement des dépenses, rappelant les difficultés actuelles à propos du RMI.
M. Henri de Raincourt, rappelant le cas du décret du 24 janvier 1995 appliquant imparfaitement l'article 58 de la loi du 18 janvier 1994, a évoqué le nombre trop grand des décrets et la difficulté de voir la volonté du législateur véritablement respectée. Il a fait part de son inquiétude à la commission, dans la mesure où ce texte créait un droit, tout à fait légitime au demeurant, mais ne résolvait pas le problème du financement au bout de trois ans. Il a craint, à cet égard, qu'après la période transitoire, le problème ne se pose dans les mêmes termes que pour l'allocation compensatrice et s'est donc enquis de la pérennité du dispositif.
M. Paul Blanc s'est interrogé sur le montant maximal de la prestation d'autonomie par rapport à l'allocation compensatrice ainsi que sur le problème de l'accès des étrangers à ladite prestation et du délai de résidence. Il a cité, à cet égard, le département dont il est l'élu, frontalier avec l'Espagne, où l'allocation compensatrice, aux conditions d'accès largement ouvertes, a vu son montant tripler depuis 1978, en partie du fait de la présence de résidents espagnols vieillissants.
M. Bernard Seillier a estimé que le lien familial retenu par le texte était trop restrictif et qu'il fallait considérer le cas du concubin. Il s'est interrogé sur la possibilité d'appliquer le deuxième alinéa de l'article 15, qui prévoit que la prestation peut être versée en partie en espèces au conjoint.
M. Jean-Louis Lorrain a souhaité que la personne âgée soit prise en compte dans sa globalité. Il a évoqué parallèlement le problème des frais de gestion et celui de l'application du dispositif à l'Alsace-Moselle.
M. Serge Franchis a mentionné les difficultés rencontrées pour obtenir le financement des sections de cure médicale qui intervient souvent très longtemps après. Il a soulevé le problème de la solidarité entre conjoints.
M. Roland Huguet s'est déclaré « choqué » d'entendre que les parlementaires n'avaient pas agi en faveur de la dépendance dans la mesure où lui-même avait apposé sa signature au bas de propositions de loi sur ce thème. Il a noté qu'il n'était pas souhaitable de « légiférer à crédit » et que l'équilibre institutionnel introduit par le texte n'était pas bon, à son sens. Il a souligné le fait que le texte était allé très loin dans le détail et que les coûts annexes de services et de gestion n'étaient pas pris en compte. Il a rappelé que 65 % du budget de son département étaient consacrés à des dépenses de solidarité et que la mise en oeuvre des nouvelles dispositions allait conduire finalement à une baisse de l'investissement. Il a considéré qu'il n'était pas pertinent de commencer d'abord par le domicile et qu'il aurait mieux valu instaurer la prestation en établissement en premier, car c'était là que se situaient les problèmes et les personnes les plus dépendantes.
Mme Annick Bocandé s'est également interrogée sur les modalités de financement de la prestation et, remarquant que l'année de référence est le compte administratif 1995, elle a constaté l'inégalité des bases de départ dans la mesure où les départements ont des attitudes différentes en matière d'allocation compensatrice. Elle s'est demandé s'il fallait lier la mise en oeuvre de la prestation en hébergement à celle à domicile ou scinder les deux. Elle a souhaité que les projets de décrets soient communiqués suffisamment tôt pour en débattre.
M. Jean-Pierre Fourcade, président, a souligné le fait qu'il n'était pas souhaitable, compte tenu de la situation actuelle, de créer une prestation sans la financer et que lui-même ne prendrait pas ce risque. Il a rappelé que le système d'aide sociale, dans le cadre des compétences de la décentralisation, avait été mis à mal une première fois par l'institution du revenu minimum d'insertion payé par les caisses d'allocations familiales. Il a souhaité que le présent projet de loi n'invente pas encore un nouveau type de prestation. Il a souligné que certains départements se prononçaient en faveur du recours à l'obligation alimentaire et des critères de l'aide sociale pour cette prestation.
En réponse aux différents intervenants, Mme Colette Codaccioni, ministre de la solidarité entre les générations a estimé le coût de cette prestation à 20 milliards de francs en régime de croisière.
M. Jean Madelain a alors constaté qu'il n'y avait pas assez de forfaits-soins et s'est interrogé sur la pertinence de l'âge retenu.
En réponse, Mme Colette Codaccioni, ministre de la solidarité entre les générations a rappelé que l'âge qui avait été choisi au départ était de 70 ans. Elle s'est déclarée défavorable au recours à l'obligation alimentaire.
En réponse à Mme Joëlle Dusseau, Mme Colette Codaccioni, ministre de la solidarité entre les générations, a précisé que la grille unique d'évaluation de la dépendance avait été élaborée par des gériatres et des travailleurs sociaux et qu'elle prenait en compte l'environnement des personnes âgées dépendantes. Elle a rappelé que l'équipe médico-sociale serait composée de trois personnes et que les frais de gestion et de personnel seraient assurés à moyens constants par redéploiement. Elle a ajouté que les personnes très dépendantes pourraient toujours prétendre à des aides facultatives.
En réponse à Mme Marie-Madeleine Dieulangard, elle a précisé que cette prestation permettrait de créer des emplois qui n'existent pas actuellement. Elle a rappelé que l'observatoire de la dépendance avait été prévu par le texte initial mais que le Conseil d'État l'avait supprimé. Concernant le critère de ressources qui, pour l'allocation compensatrice, prend pour plafond le montant du minimum vieillesse augmenté de la prestation, elle a indiqué qu'il serait plus large pour la nouvelle prestation, soit 1,5 fois le minimum vieillesse.
M. Henri de Raincourt a rappelé que la définition de l'accès à des sections de cure médicale était fort voisine de celle de la dépendance.
En réponse à M. Bernard Seillier, Mme Colette Codaccioni, ministre de la solidarité entre les générations a déclaré que le texte du second alinéa de l'article 15 du projet de loi répondait à ses préoccupations.
En réponse à M. Roland Huguet, elle a rappelé que, sans ce texte, les conseils généraux auraient continué à payer 100 % de l'allocation compensatrice et que c'était là un gros effort que consentait le Gouvernement.
M. Roland Huguet a répondu que c'était précisément la raison pour laquelle il acceptait ce texte.