C. PERSPECTIVES ET ORIENTATIONS
1. Légitimité des quotas de diffusion
En proclamant le principe et en instituant les conditions juridiques de la libre circulation des émissions de télévision dans l'Union européenne, la directive 89-552 devait contribuer à la mise en place d'un véritable espace audiovisuel européen. C'était en particulier l'objectif des mesures prises en faveur des oeuvres audiovisuelles européennes aux articles 4 et 5 de ce texte. Nous avons vu que, sur ce point, le succès n'est pas complet après plus de cinq ans d'application de la directive. Les lacunes et les ambiguïtés de celle-ci expliquent sans doute en partie cet échec relatif.
Nous croyons en effet, en France, que des mesures volontaristes de promotion de l'industrie des programmes audiovisuels favorisent le développement d'une production de qualité, la constitution de catalogues et en fin de compte l'approvisionnement du marché national et des marchés européens en produits répondant à l'attente du public.
Le fonctionnement satisfaisant de nos instruments nationaux de promotion de la production audiovisuelle ne contredit pas cette analyse. Il est donc nécessaire de mettre à profit la révision de la directive 89-552 pour tenter de perfectionner ses mécanismes, simplement ébauchés, de promotion des oeuvres européennes afin non seulement de partager avec nos voisins les avantages culturels et économiques d'une industrie des programmes prospère et de créer avec eux des courants d'échanges commerciaux significatifs, mais aussi de créer autour de quelques réglementations fortes un marché régional susceptible d'accompagner en bon ordre l'internationalisation croissante de la communication audiovisuelle ainsi que la concurrence accrue entre diffuseurs, compte tenu de la nécessité de ne pas exposer isolément les diffuseurs français à des contraintes génératrices de profondes distorsions de concurrence.
La marge de manoeuvre acquise grâce à la fermeté du Gouvernement français à l'issue de la négociation multilatérale d'Uruguay et, comme on l'a rappelé ci-dessus, la reconnaissance de la dimension culturelle du secteur audiovisuel dans le traité de Maastricht, confèrent à cette exigence une légitimité incontestable dont il est inconcevable que nos partenaires ne tiennent aucun compte
Or, en dépit d'aspects indéniablement positifs, les projets actuellement discutés au sein des instances du Conseil des ministres de l'Union sont manifestement inacceptables sur la question cruciale des quotas.
2. Récapitulation sommaire des dispositions en discussion
• On peut considérer comme positifs, dans
le texte de la commission :
- le caractère obligatoire du respect des quotas de diffusion d'oeuvres européennes institués par l'article 4, quoique la durée d'application limitée à dix ans apparaisse comme une inacceptable régression par rapport au texte de 1989, compte tenu de la légitimité récemment confirmée, on l'a vu ci-dessus, d'une démarche réglementaire en faveur de la production audiovisuelle européenne,
- l'énonciation de critères précis de détermination de la compétence des États membres sur les organismes diffuseurs,
- l'obligation imposée aux États membres de se doter d'un système de sanctions et de mesures conservatoires applicables aux organismes relevant de leur compétence, en cas de violation des dispositions de la directive ;
- l'élaboration d'un régime juridique du téléachat favorisant le développement de cette catégorie de service.
• De son côté, le texte espagnol
présente quelques aspects positifs :
- les critères de détermination de la compétence sur les diffuseurs sont précisés, ce qui pourrait contribuer à faire obstacle aux délocalisations compétitive ;
- l'obligation des États membres d'ouvrir des voies de recours efficaces aux tiers lésés par les manquements des diffuseurs nationaux est clairement énoncée.
En revanche, il n'y a pas eu de progrès sur d'autres points importants :
- l'extension du régime juridique de la diffusion télévisuelle aux nouveaux services interactifs « point à point », et en particulier aux futurs services de vidéo à la demande, n'est pas prévue. La Commission européenne a manifesté son intérêt pour la définition du cadre juridique des nouveaux services audiovisuels mais il n'est pas sûr que les propositions auxquelles aboutira le débat entre les différentes directions générales concernées, la plupart marquées par de forts préjugés antidirigistes, aboutisse à l'assimilation de ces services aux programmes de télévision plutôt qu'à des services de télécommunications en voie de déréglementation rapide ;
- il n'y a aucune ouverture sur la question de la chronologie des médias, importante, on l'a vu, pour la préservation de la diffusion des films de cinéma en salle, pour le financement du COSIP et pour le rétablissement d'un certain équilibre des relations financières entre grands diffuseurs et producteurs. Or la législation nationale ne pourra pas corriger par des mesures plus strictes les effets pervers du texte en négociation en ce qui concerne le point de départ du décompte des délais : le critère du début de la diffusion en salle dans l'importe quel État membre est jugé par la Commission seul conforme au principe de liberté de circulation ;
- il n'y a pas non plus d'ouverture sur l'aménagement du régime spécifique des chaînes thématiques, bien que le texte espagnol propose une définition plus précise de celles-ci ;
- en ce qui concerne enfin les quotas de diffusion, l'assimilation des émissions réalisées en plateau aux oeuvres européennes prises en compte pour le décompte de l'obligation de diffusion perdure, l'application des quotas aux heures de grande écoute n'est pas évoquée, le remplacement de la disposition abrogeant les quotas à l'expiration d'une durée de dix ans par une clause d'évaluation à moyen terme n'est pas envisagé par la Commission ni prévu par le texte espagnol. Bien au contraire, celui-ci propose d'institutionnaliser un mécanisme dérogatoire à l'obligation de diffusion d'oeuvres européennes. L'acquis principal de la proposition de la Commission, qui était le caractère véritablement normatif de l'obligation de diffusion, est ainsi effacé.
Sur la question cruciale des quotas, les formules de compromis élaborées par la présidence espagnole sont clairement en retrait par rapport à la directive 89-552, cumulent les inconvénients du laxisme et de l'éphémérité (ce que la proposition de la Commission a le mérite d'éviter), apparaissent ainsi inacceptables pour la France.
3. Que faire ?
Si la négociation n'évoluait pas très prochainement dans un sens plus favorable à des intérêts que nous considérons comme fondamentaux car ils mettent en cause à la fois la croissance économique de l'avenir et le dynamisme de notre culture grâce à la maîtrise des ressources et des techniques de la future société de l'information, il pourrait être justifié d'opposer le veto de la France au texte que les États membres de l'Union seraient disposés à nous imposer. La France ne peut en effet accepter d'être mise en minorité au Conseil des ministres sur des dispositions entérinant, deux ans à peine après la fin de l'Uruguay round, le quasi effacement de l'obligation de diffuser des oeuvres européennes.
Le recours au veto, que le ministre de la culture vient d'évoquer, assurerait la pérennité du régime juridique de la directive 89-552, qui ne comporte pas de disposition abrogatoire. Cet aboutissement serait regrettable, compte tenu des nombreuses insuffisances du texte de 1989, mais en fin de compte acceptable compte tenu du renforcement progressif, rappelé dans la Première partie du présent rapport, des exigences de la commission quant à l'application par les États membres des dispositions en faveur de la promotion des oeuvres européennes.
Si le rappel du droit de veto, cet ultima ratio des souverainetés malmenées, avait le mérite de mieux disposer nos partenaires à l'égard d'une formule de compromis acceptable par la France, il conviendrait que notre pays fasse de son côté tous les efforts possibles pour permettre la rencontre des Points de vue.
Il est clair que nous ne pouvons pas accepter la remise en cause de l'accord minimaliste défini en 1989 sur les quotas, ce qui écarte toute Possibilité d'accepter la limitation à dix ans de la durée d'application des quotas. Peut-être sera-t-il en revanche nécessaire d'accepter, pour débloquer la négociation, telle ou telle formule accusant, par rapport au texte de la Proposition de la commission, la souplesse de fonctionnement du régime des quotas. Ceci peut se traduire par la réintroduction dans les textes discutés de la formule « chaque fois que cela est réalisable » ou par l'insertion, dans un texte où cette formule serait supprimée, d'une disposition inspirée de la " clause dérogatoire » proposée par la présidence espagnole. Celle-ci ne peut cependant apparaître comme une base valable de discussion que si ses mécanismes sont définis de façon plus stricte et ne peuvent être mis en oeuvre que sous le contrôle a priori de la commission.
Il serait aussi nécessaire, dans de telles conditions, d'obtenir une définition moins large de la notion d'oeuvre européenne ainsi que application obligatoire des quotas aux heures de grande écoute, par les chaînes soumises au droit commun de la directive. Par ailleurs, en ce qui concerne les chaînes thématiques, il conviendrait que l'ouverture d'une Possibilité de choix entre les quotas de diffusion et une obligation d'investissement dans la production d'oeuvres européennes soit à la discrétion des États membres.
Il serait aussi intéressant d'explorer d'autres possibilités de renforcer le régime de droit commun des quotas. En ce qui concerne en particulier les sanctions susceptibles d'être infligées aux diffuseurs récalcitrants, on peut songer à accorder à la commission un droit de sanction similaire à celui qu'elle détient dans le cadre du droit européen de la concurrence à rencontre des entreprises en infraction. Une telle formule résoudrait le problème que pose la mauvaise volonté caractérisée de certains États membres dans l'application de la directive.
On ne peut admettre en tout état de cause l'insertion dans la directive d'une clause dérogatoire à l'application des quotas que dans la mesure où les obligations de droit commun seraient définies de façon plus stricte, faute de quoi le dispositif réglementaire en faveur des oeuvres audiovisuelles européennes serait globalement dégradé par rapport à l'équilibre réalisé en 1989. Celui-ci constitue la limite en deçà de laquelle la France ne peut accepter de repli.
Il reste par ailleurs nécessaire de mieux faire valoir notre point de vue sur un certain nombre d'autres points. On songe en particulier à la chronologie des médias et à l'exclusion du champ d'application de la directive aux nouveaux services de télévision.