N° 431
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 mars 2025
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi visant à reconnaître le préjudice subi par les personnes condamnées sur le fondement de la législation pénalisant l'avortement, et par toutes les femmes, avant la loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de la grossesse,
Par M. Christophe-André FRASSA,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier Bitz, secrétaires ; M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer, MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, David Margueritte, Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.
Voir les numéros :
Sénat : |
244 et 432 (2024-2025) |
L'ESSENTIEL
Cinquante ans après la loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de la grossesse, la proposition de loi présentée par Laurence Rossignol et ses collègues du groupe SER propose de reconnaître la souffrance physique et morale subie par les femmes contraintes à des avortements clandestins et certaines des personnes ayant pratiqué ces avortements.
La commission des lois estime incontestable la souffrance des femmes du fait de la législation antérieure à la loi du 17 janvier 1975. Elle a donc adopté la proposition de loi le mercredi 12 mars 2025, en la modifiant par deux amendements de son rapporteur Christophe-André Frassa, en accord avec l'auteure du texte, afin de clarifier le caractère mémoriel et non indemnitaire de la loi et de préciser la composition de la commission destinée à contribuer au recueil et à la transmission de la mémoire des femmes contraintes aux avortements clandestins et de ceux qui les ont aidées.
I. UNE MÉMOIRE À PRÉSERVER ; DES TRAVAUX HISTORIQUES À POURSUIVRE
A. UN CADRE LÉGAL RÉPRESSIF, UN NOMBRE DE FEMMES CONCERNÉES ENCORE MAL CONNU
L'article 317 du Code pénal de 1810 régit jusqu'en 1975 l'interdiction d'interrompre volontairement une grossesse. L'avortement est qualifié de crime passible de réclusion pour la femme avortée et de travaux forcés pour les médecins pratiquants. En 1852, cette interdiction est assouplie par la reconnaissance de l'avortement thérapeutique.
À partir de 1920, la politique nataliste conduit au renforcement de l'arsenal législatif contre l'avortement, avec une volonté répressive, alors même que les peines prononcées sont généralement faibles :
- La loi du 31 août 1920 élargit le champ des condamnations aux provocations à l'avortement.
- La loi du 27 mars 1923 requalifie l'avortement en délit afin d'éviter les jurys de cours d'assises et ainsi faciliter la condamnation effective.
- Un décret-loi du 29 juillet 1939 renforce les peines encourues pour avortement ou pratique de l'avortement qui peuvent aller jusqu'à la peine de mort en cas de récidive.
La répression s'accentue fortement sous le régime de Vichy, sous lequel l'avortement est considéré comme un crime contre la famille. Ainsi, Marie-Louise Giraud, « faiseuse d'ange », est exécutée pour ce motif en 1943.
La Libération entraîne l'abrogation des lois et règlement vichystes, mais le renforcement de l'action de police et de la justice maintient un fort niveau de répression jusqu'en 1948.
Dans son dernier état avant son abrogation par la loi du 17 janvier 1975, l'article 317 du Code pénal prévoyait les sanctions suivantes :
- pour les femmes s'étant procuré ou ayant tenté de se procurer l'avortement : 6 mois à deux ans d'emprisonnement et une amende de 360 à 20 000 francs ;
- pour toute personne ayant procuré ou tenté de procurer l'avortement à une femme enceinte, qu'elle y ait consenti ou non : 1 à 5 ans d'emprisonnement et une amende de 1 800 à 100 000 francs.
La loi du 17 janvier 1975 marque l'aboutissement d'une évolution sociale tendant à reconnaître aux femmes la liberté de choix, et le rejet par l'opinion publique mais aussi par les magistrats de la condamnation des femmes avortées, comme l'ont montré les procès de Bobigny d'octobre et novembre 1972. Comme le soulignait Simone Veil dans son discours du 26 novembre 1974 : « On ne peut empêcher les avortements clandestins et [...] on ne peut non plus appliquer la loi pénale à toutes les femmes qui seraient passibles de ses rigueurs ».
Le nombre d'avortements clandestins pratiqués en France est sujet à débat et d'importants travaux historiques sont en cours sur ce sujet. Simone Veil évoquait en 1974 le chiffre de 300 000 femmes interrompant leur grossesse chaque année. Les personnes auditionnées par le rapporteur ont affirmé l'impossibilité pour l'heure de donner une estimation précise, certains allant jusqu'à plus du triple du chiffre donné en 1974.