EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes, réunie le mardi 17 décembre 2024, a engagé le débat suivant :

M. Jean-François Rapin, président. - Trois points sont à l'ordre du jour de ce qui sera sans doute notre dernière réunion de l'année 2024. Le premier concerne un sujet extrêmement sensible : l'avenir de la politique agricole commune (PAC). Le moment est propice pour nous positionner, car la nouvelle Commission européenne annonce qu'elle présentera le 19 février prochain sa vision du futur de l'agriculture et de l'alimentation.

Le groupe de travail PAC, conjoint à la commission des affaires économiques et à la nôtre, s'est penché sur le sujet depuis octobre dernier, en se réunissant à cinq reprises, quatre fois pour procéder à des auditions - dont une particulièrement stimulante qui nous a permis d'entendre des think tanks - et une dernière fois pour élaborer un projet de proposition de résolution européenne (PPRE). Nous avons donc pris le temps de rédiger collectivement un texte qui donne droit aux sensibilités diverses des membres du groupe de travail.

Cette PPRE no 196 a été déposée il y a quelques jours, et je remercie Daniel Gremillet et Karine Daniel d'avoir bien voulu en être les rapporteurs. Je leur laisse la parole pour nous présenter son contenu et voir s'il est encore possible de l'améliorer.

Mme Karine Daniel, rapporteure. - Au cours des derniers mois, le monde agricole a été traversé par une multitude de crises, dont les effets cumulés ont abouti, en février, à un vaste mouvement de protestation dans toute l'Europe : de manière complètement inédite, des manifestations ont eu lieu concomitamment dans 20 États membres de l'Union européenne !

La liste des préoccupations exprimées par les agriculteurs couvrait un spectre très large : baisse des revenus, accès à l'eau, concurrence déloyale des importations, négociations sur le prix du lait, mesures fiscales, conséquences de la guerre en Ukraine, effet des épisodes climatiques extrêmes et des épizooties...

Certaines voix se sont également élevées pour dénoncer le caractère unilatéral de la mise en oeuvre de la stratégie « De la ferme à la table », regrettant que le monde agricole ne soit pas davantage associé à l'élaboration des réglementations afférentes. Au regard de ces critiques, la présidente de la Commission européenne a pris acte de la nécessité d'apaiser les débats et souligné l'urgence de construire un nouveau consensus sur l'agriculture européenne ; c'est dans cette optique qu'a été lancé le dialogue stratégique sur l'avenir de l'agriculture, réunissant une trentaine de parties prenantes autour de quatre grands thèmes, à savoir le revenu des agriculteurs, la préservation de l'environnement, l'innovation et le commerce international.

Après sept mois de travaux, le 5 septembre 2024, les participants au dialogue stratégique ont remis leurs conclusions à la présidente de la Commission européenne. Le rapport final, adopté à l'unanimité, comprend de nombreuses recommandations sur l'avenir de la PAC. Il préconise, notamment, de s'éloigner des paiements à la surface non dégressifs et de revoir l'architecture du volet environnemental de la PAC, pour mettre en place un système de paiements environnementaux ciblés et axés sur les résultats.

Ce document revêt une importance majeure, dans la mesure où il est destiné à appuyer la vision pour l'avenir de l'agriculture et de l'alimentation que la Commission s'est engagée à présenter au cours des cent premiers jours de la nouvelle mandature. Selon le calendrier prévisionnel transmis par Mme von der Leyen, cette feuille de route devrait en effet être dévoilée le 19 février prochain, et comprendre plusieurs propositions pour « assurer la compétitivité et la durabilité à long terme du secteur agricole ».

Dans ce contexte, le groupe de travail PAC a mené plusieurs auditions destinées à analyser les préconisations issues du dialogue stratégique ; nous avons ainsi entendu Mme Christiane Lambert, qui y a directement participé au nom du Comité des organisations professionnelles agricoles de l'Union européenne (COPA) mais également les représentants des principaux syndicats agricoles français, ainsi que notre représentation permanente à Bruxelles. Nous avons aussi consulté plusieurs think tanks spécialisés dans les thématiques agricoles, qui ont passé au crible les différentes pistes explorées par le dialogue stratégique, et plus généralement, les enjeux relatifs à la conception de la future PAC.

Nos travaux ont mis en exergue tant l'intérêt des perspectives ouvertes par le dialogue stratégique que les limites des recommandations qui en découlent. Dans la mesure où les parlements nationaux n'ont pas été invités à participer à ce dialogue pour y faire entendre leur voix, les membres du groupe de travail PAC ont souhaité élaborer une PPRE afin d'adresser des messages clés à la Commission européenne et au Conseil de l'Union européenne avant toute nouvelle réforme, avec des lignes directrices claires concernant les priorités à défendre au cours de la prochaine mandature et les grandes orientations à promouvoir en vue de l'élaboration de la PAC post-2027.

Cette PPRE est le fruit d'un travail collectif. Nous tenons ainsi à saluer les échanges constructifs que nous avons pu avoir, et qui ont permis de faire émerger un consensus sur plusieurs points déterminants.

La PPRE commence par souligner le rôle essentiel joué par la PAC pour renforcer la résilience et la durabilité de notre agriculture. L'accumulation récente des crises de nature géopolitique, climatique, économique et sanitaire a mis en lumière la nécessité urgente, pour l'Union européenne, de garantir sa souveraineté agricole et réduire ses dépendances ; tel est précisément le rôle de la PAC et la PPRE appelle, par conséquent, à repositionner l'agriculture au centre des priorités stratégiques européennes.

En parallèle, nous relevons que la dernière réforme de la PAC a considérablement renforcé les marges de manoeuvre concédées aux États membres, avec pour corollaire une aggravation des distorsions de concurrence intracommunautaires. Face au risque d'une renationalisation insidieuse de cette politique, notre PPRE s'attache donc à défendre la vocation communautaire de la PAC.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - J'en viens aux aspects budgétaires. Les travaux du groupe de suivi PAC ont montré que le relèvement du niveau d'ambition environnementale a coïncidé avec un abaissement de la protection du marché intérieur, du fait de la signature d'accords de libre-échange, et avec une diminution, en valeur, du budget européen consacré à la PAC, sous l'effet de l'inflation. Les chiffres sont éloquents : par rapport aux années 2014-2020, le budget de la PAC pour la période actuelle, qui court de 2021 à 2027, a été amputé de 85 milliards d'euros !

Dès lors, il n'est pas étonnant que le budget de la PAC se révèle insuffisant pour répondre aux multiples objectifs qui lui ont été assignés, sur les plans économique, environnemental et socio-territorial. Cette situation emporte des conséquences de long terme, puisqu'elle alimente le risque d'une renationalisation de la PAC : en effet, la diminution du budget consacré à la PAC s'est traduite par une recrudescence des mesures d'urgence financées de façon non concertée par les États membres.

Notre PPRE tire donc la sonnette d'alarme et invite à mettre un terme au délitement de l'architecture commune de la politique agricole européenne. Nous demandons ainsi que la PAC post-2027 bénéficie d'un budget à la hauteur des défis que doit relever l'agriculture européenne - à tout le moins d'un budget stable, en euros constants, sur la programmation 2028-2034, ce qui suppose une augmentation de l'ordre de 32 milliards d'euros.

Par ailleurs, à l'heure où l'on entend dire que la Commission envisagerait de réformer le cadre financier pluriannuel, en conditionnant les versements aux États membres à des plans nationaux de réforme et en les allouant sous forme de subvention aux budgets nationaux, notre PPRE appelle à doter la PAC d'un budget distinct et sanctuarisé. Nous prenons donc clairement position contre les évolutions envisagées par la Commission européenne, au terme desquelles le budget de la PAC finirait inévitablement par servir de variable d'ajustement.

Enfin, tandis que les conclusions du dialogue stratégique plaident en faveur d'une refonte des aides directes, la PPRE tend à mettre en garde contre les conséquences qu'emporterait toute modification de la répartition de ces aides, soulignant que ces dernières représentent en moyenne 53 % du revenu des exploitations agricoles européennes.

Plus généralement, tirant les conclusions de la crise traversée par le monde agricole dans toute l'Union européenne, la PPRE appelle à un retour aux fondements de la PAC et invite à recentrer cette politique sur les objectifs que lui assignent les traités européens, à savoir : accroître la productivité agricole, assurer un niveau de vie satisfaisant pour les agriculteurs, stabiliser les marchés, garantir la sécurité des approvisionnements et assurer des prix raisonnables aux consommateurs.

En pratique, à la lumière du rapport Draghi, qui relève l'urgence de relancer la croissance et la compétitivité de l'Union européenne et préconise pour cela un surplus d'investissement annuel de l'ordre de 750 milliards d'euros, nous demandons que la PAC s'attache en priorité à redynamiser la production européenne, en conjuguant les objectifs de durabilité économique et environnementale.

Après avoir souligné que le renforcement de la compétitivité et de la résilience constituait un prérequis indispensable pour que les exploitations agricoles puissent mener à bien la nécessaire transition environnementale et énergétique, nous appelons à consentir des investissements substantiels à cet effet et à développer davantage d'outils européens communs de gestion des risques climatiques.

En parallèle, nous soulignons la nécessité de changer de paradigme en matière environnementale et de mieux valoriser les externalités positives de l'agriculture. Nous insistons également sur le fait que les normes environnementales ne doivent pas contribuer à dégrader la compétitivité du secteur agricole européen, au risque d'entraîner un surcroît d'importations dont la conformité à ces mêmes normes n'est pas garantie.

En matière de commerce international, nous demandons ainsi à la Commission européenne de mieux veiller à ce que les règles sanitaires, environnementales et de production applicables aux importations des produits agricoles des pays tiers soient identiques à celles appliquées aux produits de l'Union européenne.

Sur ce point, Mme Daniel et moi-même avons souhaité amender la PPRE pour mentionner explicitement l'accord commercial avec les pays du Mercosur ; en effet, lorsque le groupe de travail s'est réuni pour élaborer le texte, la Commission n'avait pas encore annoncé la conclusion des négociations portant sur cet accord. Sur le fond, il nous a semblé important de rappeler l'opposition de notre assemblée à l'adoption de l'accord en l'état, alors même que les garanties mises en avant par la Commission ne comprennent pas les clauses miroirs dont nous avions pourtant réclamé l'insertion, et que plusieurs audits récents ont mis en exergue des défaillances dans le contrôle qualité et la traçabilité des exportations brésiliennes de viande vers l'Union. Sur la forme, nous ne pouvons que déplorer l'empressement de la Commission à conclure cet accord, en dépit des réticences affichées par plusieurs États membres, dont la France.

Un autre grand axe de notre PPRE traite de la place des agriculteurs : nous appelons en effet à remettre les besoins et attentes du monde agricole au coeur de la PAC, et à rompre avec une approche tatillonne et technocratique, qui transforme progressivement le producteur en simple exécutant. Nous appelons donc, d'une part, à poursuivre les efforts de simplification et de réduction de la charge administrative et, d'autre part, à renforcer la place des agriculteurs dans la chaîne d'approvisionnement et à lutter contre les pratiques commerciales déloyales. Ces évolutions nous semblent nécessaires afin de garantir un revenu suffisant, stable et pérenne aux producteurs, mais également pour fournir des produits accessibles et de qualité aux consommateurs.

Nous ne pouvions, enfin, évoquer l'avenir de la PAC sans mentionner les répercussions d'un approfondissement de la libéralisation des échanges avec l'Ukraine, puis d'un élargissement de l'Union européenne à ce pays candidat.

La Commission européenne envisage en effet, plutôt que de préparer une quatrième prolongation du règlement relatif aux mesures de libéralisation temporaire des échanges, de revenir à l'accord d'association entre l'Union et l'Ukraine pour poursuivre le processus de libéralisation tarifaire ; à plus long terme, si l'Ukraine adhère à l'Union européenne, ce pays pourrait prétendre, au regard de sa surface agricole, à des aides représentant près de 20 % du budget de la PAC ! La PPRE souligne donc que la PAC post-2027 doit impérativement anticiper les conséquences qu'auraient, sur le plan agricole, de telles évolutions.

Voilà, mes chers collègues, les points sur lesquels il nous a semblé nécessaire de faire valoir notre position commune, dans l'espoir qu'elle soit entendue avant que la Commission ne dévoile sa feuille de route en matière agricole pour la prochaine mandature et ne débute les travaux préparatoires à l'élaboration de la future PAC.

M. Jean-François Rapin, président. - Nous allons voir comment il serait encore possible d'amender le texte présenté, ce que certains appellent de leurs voeux. Avec l'échéance du 19 février 2025, cette PPRE prend d'autant plus d'importance pour le Sénat qu'elle s'inscrit dans un contexte de calendrier indécis en France sur le sujet agricole, avec la double suspension des discussions sur le projet de loi d'orientation agricole, la ministre étant démissionnaire, et sur la proposition de loi de MM. Laurent Duplomb et Franck Menonville. Son texte doit donc être à la hauteur des attentes et des enjeux, en présentant une réelle valeur ajoutée.

M. Didier Marie. - Je salue tout d'abord la réactivation du groupe de travail sur la PAC, qui était nécessaire, ainsi que le travail de nos deux rapporteurs. Toutefois, nous aurons vraisemblablement à reprendre ce travail, car nous ne savons pas encore quelles seront les orientations de la Commission européenne lorsqu'elle présentera sa nouvelle vision de la PAC et les modalités de financement de cette politique.

La PAC est au coeur de la construction européenne depuis son origine. Elle constitue un des enjeux majeurs de la nouvelle mandature de la Commission européenne et a d'ailleurs été présentée comme telle par Mme von der Leyen. Il nous incombe de prêter une attention particulière aux évolutions de cette politique, en dépit de la rapidité avec laquelle elles interviennent.

Elle embrasse aujourd'hui de nombreux défis. J'en citerai trois : la question du revenu des agriculteurs, liée à un système d'aides déséquilibré et qui doit être revu ; la question environnementale, avec les problématiques du réchauffement climatique, de la préservation de la biodiversité et de la souveraineté alimentaire ; la question, enfin, de la concurrence internationale.

Sur cette dernière, l'ajout dans la PPRE d'une mention relative à l'accord commercial avec le Mercosur est la bienvenue, car des accords de ce type déstabilisent notre agriculture du fait de l'absence de clauses miroirs et du défaut de réciprocité systématique des normes de production, qui seules induiraient que les pays tiers les moins-disants rejoignent notre modèle, et non que nous nous alignions sur leurs pratiques.

La question environnementale fait l'objet des deux amendements que nous avons déposés. Nous considérons qu'il faut concilier environnement et compétitivité, et en aucune façon les opposer. Le Conseil de l'Union européenne « Agriculture et pêche » qui s'est tenu les 9 et 10 décembre derniers a du reste présenté la transition écologique comme un préalable à la compétitivité. Celle-ci ne doit pas conduire l'Union européenne à renoncer à ses autres priorités en matière de transition énergétique et de transformation écologique ni à les y conditionner.

Quant aux aides, le risque de leur renationalisation concerne nombre de politiques européennes, et pas seulement la PAC. Ce risque est celui d'une perte de substance du projet européen, avec une compétition entre pays membres. Il est donc extrêmement important, au-delà de la seule PAC, de plaider pour une véritable politique européenne intégrée, d'autant que des projets tels que la finalisation d'un équivalent européen des États généraux de l'alimentation sont actuellement en panne.

Les deux amendements du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) précisent le texte de la PPRE, en évacuant toute forme d'ambiguïté sur la question environnementale. Le premier vise à apporter une légère modification à la rédaction de l'alinéa 31, en supprimant la mention de « la nécessité de changer de paradigme en matière environnementale » ; le second tend à souligner à l'alinéa 32 que « le secteur agricole européen doit assurer un lien indispensable entre compétitivité et protection de l'environnement », en lieu et place de la formulation selon laquelle « les normes environnementales ne doivent pas contribuer à dégrader la compétitivité du secteur agricole européen ».

M. Jean-François Rapin, président. - La rédaction de l'alinéa 31 est le fruit d'une discussion nourrie au sein du groupe de travail PAC. Je ne m'oppose pas à la suppression que vous y proposez, mais l'indication de « la nécessité de changer de paradigme en matière environnementale » n'équivaut en rien à une remise en cause des choix environnementaux de l'Union européenne. Il s'agit bien plutôt de reconnaître que l'agriculture apporte une valeur ajoutée à l'environnement et qu'elle soutient nos choix en la matière.

M. Jacques Fernique. - Merci au groupe de travail ainsi qu'aux rapporteurs. La tonalité de la PPRE est caractéristique de cette élaboration collective.

Des éléments tout à fait intéressants y figurent sur les conséquences des traités de libre-échange, de la guerre en Ukraine ou sur la problématique des revenus des agriculteurs. Le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires (GEST) partage sans réserve le constat d'une inadéquation entre, d'une part, les normes environnementales et les accords de libre-échange, d'autre part, un nombre toujours plus élevé de missions confiées à la PAC et la baisse significative de 85 milliards d'euros de son budget en valeur pour la période 2021-2027, en comparaison des années 2014 à 2020. Nous nous retrouvons également dans la critique de la renationalisation de la PAC, laquelle coïncide avec le fléchissement de l'ambition environnementale.

Parmi les quatre amendements que nous vous soumettons, deux nous semblent déterminants. Ils se rapportent aux alinéas 31 et 32 ; nous pensons possible de leur substituer une autre rédaction qui soit consensuelle.

Notre proposition de rédaction de l'alinéa 31 est en tous points conforme à celle du groupe SER, bien que nous ne nous soyons pas concertés. J'entends vos explications au sujet du paradigme environnemental. Néanmoins, la formulation retenue est ambivalente et nous l'avions comprise en sens inverse, à savoir que le modèle environnemental jusqu'ici mis en oeuvre était punitif et inefficace. Rappelons que, si elles ne cessent de faire l'objet de critiques, la stratégie « De la ferme à la table » et la stratégie nationale biodiversité 2030 (SNB) sont très récentes et ne sont pas encore juridiquement contraignantes. Enlevons à l'alinéa 31 son ambivalence.

Notre demande de supprimer l'alinéa 32 est sous-tendue par l'idée que les normes environnementales n'ont pas pour but de nuire à la compétitivité de l'agriculture et qu'elles sont, au contraire, un moyen de la protéger en lui conférant un avantage comparatif, de même qu'elles sont les garantes du maintien à terme de notre capacité de production agricole. Les difficultés des agriculteurs à les appliquer tiennent d'abord à des problématiques de revenus et de complexité administrative.

Notre amendement relatif à l'alinéa 36 répercute les critiques souvent formulées, en premier lieu par les agriculteurs eux-mêmes, contre le fait que les aides du premier pilier de la PAC sont réparties en fonction du nombre d'hectares des exploitations agricoles, ce qui défavorise les petites ou moyennes structures. Nous proposons d'envisager la transition vers des aides à l'actif agricole plutôt qu'à l'hectare.

Notre dernier amendement prévoit d'ajouter un alinéa avant l'alinéa 38 afin d'appeler le Gouvernement français à soutenir, comme il l'a déjà fait en 2023, la conditionnalité sociale de la PAC, qui deviendra obligatoire pour tous les États membres à compter du 1er janvier 2025. Il importe d'éviter que le droit du travail ou les droits fondamentaux des exploitants agricoles ne soient largement enfreints, comme on le constate par exemple toujours dans la région d'Almería en Espagne.

Mme Karine Daniel, rapporteure. - Nous vous proposons de donner un avis favorable aux amendements identiques des deux groupes portant sur l'alinéa 31. La mention d'un changement de paradigme peut en effet être source d'ambiguïté. L'idée consistait à dire qu'il faudra sans doute que coexistent un système incitatif de valorisation des externalités positives de l'agriculture et des contraintes indispensables au respect des normes environnementales.

M. Jean-François Rapin, président. - L'alinéa 31 serait donc désormais libellé de la manière suivante : « Souligne, à cet égard, la nécessité de valoriser davantage les externalités positives de l'agriculture et de faire le choix d'incitations vertueuses et profitables pour soutenir la mise en oeuvre des pratiques agroécologiques ».

Il en est ainsi décidé.

Mme Karine Daniel, rapporteure. - Quant à l'alinéa 32, je souligne qu'il a déjà fait l'objet de nombreuses discussions lors de la réunion d'élaboration de la PPRE. De plus, la référence au nécessaire équilibre entre enjeux environnementaux et compétitivité est présente à l'alinéa 29. Nous vous proposons par conséquent de donner un avis défavorable aux deux amendements portant sur l'alinéa 32.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Au vu du temps que nous avons consacré à l'élaboration d'un texte consensuel, je suis d'avis de ne modifier celui-ci qu'à la marge. Nous souhaitons que le Sénat adopte une position assez forte au travers de cette PPRE, car l'accord commercial avec les pays du Mercosur, négocié sans même évoquer les clauses miroirs, nous donne une leçon. Une des grandes faiblesses de la France me paraît tenir dans le manque de clarté de son positionnement, qu'il lui faut en outre défendre auprès des autres États membres. Nous ne consacrons pas assez de temps à ce dialogue avec nos partenaires, alors qu'il s'avère indispensable pour élaborer une position commune solide. L'avis est donc défavorable sur ces deux amendements.

M. Jean-François Rapin, président. - Dans sa rédaction actuelle, l'alinéa 32 ne remet pas en cause les normes environnementales. On y cherche plutôt à concilier environnement et compétitivité en préconisant que ces normes ne dégradent pas la compétitivité du secteur agricole. Cette rédaction se révèle conforme au message que nous souhaitons faire passer.

Mme Karine Daniel, rapporteure. - Précisons que nous parlons non seulement de compétitivité-prix, mais également de compétitivité hors prix, à laquelle les normes environnementales apportent une contribution positive.

M. Didier Marie. - Les alinéas 29 et 32 auraient pu être fusionnés, mais je comprends qu'il ne saurait être question de reprendre toute la rédaction de la PPRE.

Cependant, malgré un travail de synthèse et la recherche d'un compromis, on perçoit en filigrane des nuances d'appréciation quant au poids des préoccupations environnementales et à leur capacité à influer positivement et de manière déterminante sur les pratiques agricoles européennes.

Le plus simple est que nous retirions notre amendement. Il nous paraît néanmoins fondamental de considérer qu'une agriculture respectueuse des critères environnementaux est un atout du point de vue de sa compétitivité, ce que Karine Daniel vient de relever. Avec les conclusions du dialogue stratégique sur l'avenir de l'agriculture, la Commission européenne prend elle-même acte de ce que la question environnementale précède celle de la compétitivité. Ne pas respecter les normes environnementales en s'alignant sur les moins-disants permettrait peut-être un gain sur les prix, mais conduirait à dégrader la qualité de notre agriculture, qui est l'un de ses avantages compétitifs.

Il importe par ailleurs que la Commission européenne allège les contraintes administratives, ce que la présente PPRE ne manque pas de rappeler, à l'instar du rapport Draghi.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - À l'alinéa 32, nous disons de manière très forte qu'il n'est pas possible que l'exigence environnementale nuise à la productivité et à la compétitivité des agriculteurs européens. Cependant, nous affirmons que cette exigence environnementale doit être élevée.

Cet alinéa est de nature à renforcer la construction européenne et rejoint le positionnement très fort que nous avons en faveur de clauses miroirs.

M. Jacques Fernique. - Je suis embarrassé : me retrouvant tout à fait dans l'alinéa 29, j'étais prêt à retirer mon amendement au profit de celui du groupe SER, qui vient lui-même d'être retiré...

M. Michaël Weber. - Je souscris à la nécessité de donner de la force à cette PPRE dans la période actuelle en la portant de manière consensuelle.

La difficulté que pose l'alinéa 32 est une difficulté d'interprétation : soit on considère que les normes environnementales doivent être prises en compte et qu'il faut des mécanismes d'accompagnement pour préserver la compétitivité - c'est ma vision -, soit on estime que les normes environnementales doivent être allégées au nom de la compétitivité.

Je soutenais l'amendement, mais je préfère, en l'état, qu'un texte fort puisse être adopté.

M. Pascal Allizard. - Personne ne remet en cause la nécessité de normes environnementales, qui, du reste, contribuent in fine à la qualité des produits. Or la qualité fait aussi partie de la compétitivité globale !

Ce qui me dérange, ce sont ces clauses miroirs fantômes. À partir du moment où l'on accepte de laisser entrer, sur le territoire de l'Union européenne et sur le territoire national, des produits qui ne respectent pas les mêmes normes environnementales et les mêmes exigences qualitatives, tout en ayant un plus faible coût de production, il ne sert à rien de s'imposer des normes, car cela suffit à tirer l'ensemble du marché vers le bas.

Sur le terrain, on voit bien que ce qui dérange les agriculteurs, ce n'est pas la compétition en soi : c'est la compétition asymétrique, avec des règles qui ne sont pas égalitaires.

Ne pas supprimer l'alinéa 32 me paraît donc une bonne chose.

M. Jean-François Rapin, président. - Dans le même sens, je rappelle que nous avons ajouté, dans la dernière phase du travail d'élaboration de la PPRE, un alinéa sur le Mercosur, qui reprend cette idée - c'est l'alinéa 34.

M. Pascal Allizard. - Pour ma part, c'est l'Accord économique et commercial global (Ceta) avec le Canada que j'ai en tête.

M. Jean-François Rapin, président. - Comme vous le savez, ma position est plus ferme sur le Mercosur.

M. Jacques Fernique. - Je retire l'amendement de suppression, Monsieur le Président.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Pour ce qui concerne les deux derniers amendements, je répète que nous devrons retravailler à la suite des premières discussions européennes. Nous sommes un peu en avance ! Prenons garde à ce que nous pourrions dire : 1962, c'est le traité de Rome. À l'époque, l'Europe avait faim, et l'objectif était d'inciter les paysans à produire en leur garantissant un revenu équivalent à celui des autres catégories socioprofessionnelles.

Aujourd'hui, le sujet alimentaire reste important. Comme l'ont montré notamment les travaux de notre commission des affaires économiques, l'Europe décroche sur un certain nombre de produits : pour des questions de compétitivité, ils sont faits ailleurs et importés. Notre objectif doit rester d'être en capacité de nourrir l'ensemble de la population, tout en veillant aux revenus de toutes les catégories socioprofessionnelles en France et en Europe.

M. Didier Marie. - Je comprends que la proposition ne soit pas intégrée tout de suite au dispositif de la résolution.

Oui, l'objectif du traité de Rome était de nourrir une population qui sortait de la guerre et qui avait faim. Cependant, l'agriculture a beaucoup évolué. Aujourd'hui, une partie des productions indispensables, comme le blé ou le maïs, ne sont plus seulement des produits agricoles : ce sont aussi des produits financiers. Or la distorsion des cours est permanente, indépendamment de la qualité ou de la quantité des produits.

Au regard de ces évolutions, nous devrons nous interroger sur les subventions à l'hectare et sur les subventions à l'actif. Les tenants et aboutissants ne sont plus du tout les mêmes que dans les années 1960 ou 1970. Comment éviter qu'une tonne de blé soit aujourd'hui perçue comme un outil de maximisation financière plutôt que comme un produit agricole qui doit nourrir la planète ?

M. Jacques Fernique. - Je retire les deux derniers amendements, qui étaient moins importants à nos yeux que les deux premiers - ils traçaient des pistes d'évolution possibles.

M. Jean-François Rapin, président. - Nous les gardons de côté.

M. Jacques Fernique. - Nous estimions que l'ambiguïté de l'alinéa 32, susceptible de faire dire à la résolution le contraire de ce que nous souhaitions, devait être supprimée. L'alinéa 29 clarifie néanmoins utilement le propos. Dans ces conditions, nous nous orientons vers un vote tiède, mais positif, sur cette proposition de résolution.

M. Jean-François Rapin, président. - Parvenir ensemble à un texte commun sur l'agriculture donnera à notre position une force certaine dans les débats des semaines à venir. Il est important que la France s'exprime, et c'est encore mieux si elle le fait par une voix forte du Sénat.

La commission autorise la publication du rapport et adopte la proposition de résolution européenne ainsi modifiée.

M. Jean-François Rapin, président. - Je salue le succès des rapporteurs. Le travail commun a payé !

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