N° 214
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 décembre 2024
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition de résolution européenne en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur l'avenir de la politique agricole commune,
Par M. Daniel GREMILLET et Mme Karine DANIEL,
Sénateur et Sénatrice
(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Rapin, président ; MM. Alain Cadec, Cyril Pellevat, André Reichardt, Mme Gisèle Jourda, MM. Didier Marie, Claude Kern, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Georges Patient, Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Louis Vogel, Mme Mathilde Ollivier, M. Ahmed Laouedj, vice-présidents ; Mme Marta de Cidrac, M. Daniel Gremillet, Mmes Florence Blatrix Contat, Amel Gacquerre, secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jean-Michel Arnaud, François Bonneau, Mmes Valérie Boyer, Sophie Briante Guillemont, M. Pierre Cuypers, Mmes Karine Daniel, Brigitte Devésa, MM. Jacques Fernique, Christophe-André Frassa, Mmes Pascale Gruny, Nadège Havet, MM. Olivier Henno, Bernard Jomier, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Ronan Le Gleut, Mme Audrey Linkenheld, MM. Vincent Louault, Louis-Jean de Nicolaÿ, Teva Rohfritsch, Mmes Elsa Schalck, Silvana Silvani, M. Michaël Weber.
Voir les numéros :
Sénat : |
196 et 215 (2024-2025) |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Au cours des derniers mois, le monde agricole a été traversé par une multitude de crises - d'ordre géopolitique, climatique, sanitaire ou encore économique - dont les effets cumulés ont abouti, de manière inédite, à des manifestations concomitantes dans vingt pays de l'Union européenne. Si la liste des préoccupations exprimées par les agriculteurs couvrait un spectre très large - baisse des revenus, accès à l'eau, concurrence déloyale des importations, négociations sur le prix du lait, mesures fiscales, conséquences de la guerre en Ukraine, impact des épisodes climatiques extrêmes, etc. -, les critiques ont aussi concerné la nouvelle Politique agricole commune (PAC), entrée en vigueur en 2023.
Les agriculteurs ont en effet dû s'adapter, dans des délais très contraints, à de nouvelles règles particulièrement complexes, résultant notamment du renforcement des critères de conditionnalité des aides et d'une renationalisation de leur mise en oeuvre qui, au nom de la subsidiarité, confère des marges de manoeuvre sans précédent aux États membres et génère par conséquent des distorsions de concurrence intracommunautaires.
De nombreuses voix se sont ainsi élevées pour dénoncer le caractère disproportionné des obligations déclaratives liées à la PAC, entraînant une charge administrative accrue pour les exploitants comme pour les administrations nationales, pour des montants d'aide même pas équivalents, En effet, l'augmentation du niveau d'ambition environnementale a coïncidé avec un étiolement des fonds européens consacrés à la PAC sous l'effet de l'inflation, le budget alloué à cette politique ayant ainsi été amputé de 85 milliards d'euros en valeur pour la période 2021-2027, par rapport aux années 2014 - 2020. Or, ce déficit de financement s'est traduit non seulement par une baisse significative des soutiens en termes réels, mais également par une recrudescence des mesures d'urgence financées et allouées de façon non concertée par les États membres.
En réponse à ces critiques, et sous l'impulsion des États membres, la Commission européenne a présenté le 15 mars dernier une proposition législative destinée à amender la PAC, en donnant aux États membres la possibilité de déroger ponctuellement et dans certains cas spécifiques au respect de certaines normes conditionnant le versement des aides et en prévoyant une simplification générale de la conditionnalité. Formellement adoptée le 13 mai dernier, cette révision ciblée de la PAC a fait l'objet d'une proposition de résolution européenne, élaborée et déposée par plusieurs sénateurs membres du groupe de suivi sur la PAC, conjoint à la commission des affaires européennes et la commission des affaires économiques. Cette proposition est devenue résolution du Sénat le 17 mai 2024. Elle rappelle les mises en garde répétées du Sénat occasionnées par la dernière réforme de la PAC, soutient les assouplissements proposés par la Commission et appelle le Gouvernement à oeuvrer, au niveau européen, pour apporter des réponses aux demandes concrètes des agriculteurs.
En parallèle, et au regard de l'opposition suscitée par la mise en oeuvre de la stratégie « De la ferme à la table », la présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen, a annoncé le lancement d'un dialogue stratégique sur l'avenir de l'agriculture réunissant une trentaine de parties prenantes - dont seulement cinq représentants d'organisations agricoles - autour de quatre grands thèmes (revenu des agriculteurs, préservation de l'environnement, innovation et commerce international). Après sept mois de travaux, les membres de ce dialogue stratégique ont remis le 5 septembre dernier leurs conclusions à la présidente de la Commission européenne. Le rapport final, soutenu par toutes les parties prenantes, comprend de nombreuses recommandations sur l'avenir de la PAC et revêt une importance stratégique majeure, puisqu'il est destiné à alimenter la « vision pour l'avenir de l'agriculture et l'alimentation » que la Commission s'est engagée à présenter au cours des cent premiers jours de la nouvelle mandature. Cette feuille de route, qui devrait comprendre plusieurs propositions afin « d'assurer la compétitivité et la durabilité à long terme du secteur agricole », sera dévoilée le 19 février prochain, selon le calendrier indicatif présenté par la Commission européenne.
Dans ce contexte, et alors que les parlements nationaux n'ont pas été invités à participer au dialogue stratégique pour y faire entendre leur voix, le groupe de suivi PAC a mené plusieurs auditions1(*) destinées à analyser les préconisations issues de cet exercice. Au terme de ces travaux, qui ont mis en exergue l'intérêt des perspectives ouvertes par le dialogue stratégique mais également les limites des recommandations qui en résultent, le Président du groupe de suivi PAC, M. Jean-François Rapin, et plusieurs membres de ses membres ont ensemble déposé, le 9 décembre 2024, la proposition de résolution européenne n° 196 qui vise à adresser des lignes directrices claires au Gouvernement concernant notamment les priorités à défendre durant la nouvelle mandature et les grandes orientations à promouvoir en vue de l'élaboration de la PAC post-2027.
Cette proposition a été examinée le mardi 17 décembre 2024 par la commission des affaires européennes.
À l'issue de cette réunion, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, sur le rapport de M. Daniel Gremillet et Mme Karine Daniel, la proposition de résolution européenne sur l'avenir de la PAC.
EXAMEN EN COMMISSION
La commission des affaires européennes, réunie le mardi 17 décembre 2024, a engagé le débat suivant :
M. Jean-François Rapin, président. - Trois points sont à l'ordre du jour de ce qui sera sans doute notre dernière réunion de l'année 2024. Le premier concerne un sujet extrêmement sensible : l'avenir de la politique agricole commune (PAC). Le moment est propice pour nous positionner, car la nouvelle Commission européenne annonce qu'elle présentera le 19 février prochain sa vision du futur de l'agriculture et de l'alimentation.
Le groupe de travail PAC, conjoint à la commission des affaires économiques et à la nôtre, s'est penché sur le sujet depuis octobre dernier, en se réunissant à cinq reprises, quatre fois pour procéder à des auditions - dont une particulièrement stimulante qui nous a permis d'entendre des think tanks - et une dernière fois pour élaborer un projet de proposition de résolution européenne (PPRE). Nous avons donc pris le temps de rédiger collectivement un texte qui donne droit aux sensibilités diverses des membres du groupe de travail.
Cette PPRE no 196 a été déposée il y a quelques jours, et je remercie Daniel Gremillet et Karine Daniel d'avoir bien voulu en être les rapporteurs. Je leur laisse la parole pour nous présenter son contenu et voir s'il est encore possible de l'améliorer.
Mme Karine Daniel, rapporteure. - Au cours des derniers mois, le monde agricole a été traversé par une multitude de crises, dont les effets cumulés ont abouti, en février, à un vaste mouvement de protestation dans toute l'Europe : de manière complètement inédite, des manifestations ont eu lieu concomitamment dans 20 États membres de l'Union européenne !
La liste des préoccupations exprimées par les agriculteurs couvrait un spectre très large : baisse des revenus, accès à l'eau, concurrence déloyale des importations, négociations sur le prix du lait, mesures fiscales, conséquences de la guerre en Ukraine, effet des épisodes climatiques extrêmes et des épizooties...
Certaines voix se sont également élevées pour dénoncer le caractère unilatéral de la mise en oeuvre de la stratégie « De la ferme à la table », regrettant que le monde agricole ne soit pas davantage associé à l'élaboration des réglementations afférentes. Au regard de ces critiques, la présidente de la Commission européenne a pris acte de la nécessité d'apaiser les débats et souligné l'urgence de construire un nouveau consensus sur l'agriculture européenne ; c'est dans cette optique qu'a été lancé le dialogue stratégique sur l'avenir de l'agriculture, réunissant une trentaine de parties prenantes autour de quatre grands thèmes, à savoir le revenu des agriculteurs, la préservation de l'environnement, l'innovation et le commerce international.
Après sept mois de travaux, le 5 septembre 2024, les participants au dialogue stratégique ont remis leurs conclusions à la présidente de la Commission européenne. Le rapport final, adopté à l'unanimité, comprend de nombreuses recommandations sur l'avenir de la PAC. Il préconise, notamment, de s'éloigner des paiements à la surface non dégressifs et de revoir l'architecture du volet environnemental de la PAC, pour mettre en place un système de paiements environnementaux ciblés et axés sur les résultats.
Ce document revêt une importance majeure, dans la mesure où il est destiné à appuyer la vision pour l'avenir de l'agriculture et de l'alimentation que la Commission s'est engagée à présenter au cours des cent premiers jours de la nouvelle mandature. Selon le calendrier prévisionnel transmis par Mme von der Leyen, cette feuille de route devrait en effet être dévoilée le 19 février prochain, et comprendre plusieurs propositions pour « assurer la compétitivité et la durabilité à long terme du secteur agricole ».
Dans ce contexte, le groupe de travail PAC a mené plusieurs auditions destinées à analyser les préconisations issues du dialogue stratégique ; nous avons ainsi entendu Mme Christiane Lambert, qui y a directement participé au nom du Comité des organisations professionnelles agricoles de l'Union européenne (COPA) mais également les représentants des principaux syndicats agricoles français, ainsi que notre représentation permanente à Bruxelles. Nous avons aussi consulté plusieurs think tanks spécialisés dans les thématiques agricoles, qui ont passé au crible les différentes pistes explorées par le dialogue stratégique, et plus généralement, les enjeux relatifs à la conception de la future PAC.
Nos travaux ont mis en exergue tant l'intérêt des perspectives ouvertes par le dialogue stratégique que les limites des recommandations qui en découlent. Dans la mesure où les parlements nationaux n'ont pas été invités à participer à ce dialogue pour y faire entendre leur voix, les membres du groupe de travail PAC ont souhaité élaborer une PPRE afin d'adresser des messages clés à la Commission européenne et au Conseil de l'Union européenne avant toute nouvelle réforme, avec des lignes directrices claires concernant les priorités à défendre au cours de la prochaine mandature et les grandes orientations à promouvoir en vue de l'élaboration de la PAC post-2027.
Cette PPRE est le fruit d'un travail collectif. Nous tenons ainsi à saluer les échanges constructifs que nous avons pu avoir, et qui ont permis de faire émerger un consensus sur plusieurs points déterminants.
La PPRE commence par souligner le rôle essentiel joué par la PAC pour renforcer la résilience et la durabilité de notre agriculture. L'accumulation récente des crises de nature géopolitique, climatique, économique et sanitaire a mis en lumière la nécessité urgente, pour l'Union européenne, de garantir sa souveraineté agricole et réduire ses dépendances ; tel est précisément le rôle de la PAC et la PPRE appelle, par conséquent, à repositionner l'agriculture au centre des priorités stratégiques européennes.
En parallèle, nous relevons que la dernière réforme de la PAC a considérablement renforcé les marges de manoeuvre concédées aux États membres, avec pour corollaire une aggravation des distorsions de concurrence intracommunautaires. Face au risque d'une renationalisation insidieuse de cette politique, notre PPRE s'attache donc à défendre la vocation communautaire de la PAC.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. - J'en viens aux aspects budgétaires. Les travaux du groupe de suivi PAC ont montré que le relèvement du niveau d'ambition environnementale a coïncidé avec un abaissement de la protection du marché intérieur, du fait de la signature d'accords de libre-échange, et avec une diminution, en valeur, du budget européen consacré à la PAC, sous l'effet de l'inflation. Les chiffres sont éloquents : par rapport aux années 2014-2020, le budget de la PAC pour la période actuelle, qui court de 2021 à 2027, a été amputé de 85 milliards d'euros !
Dès lors, il n'est pas étonnant que le budget de la PAC se révèle insuffisant pour répondre aux multiples objectifs qui lui ont été assignés, sur les plans économique, environnemental et socio-territorial. Cette situation emporte des conséquences de long terme, puisqu'elle alimente le risque d'une renationalisation de la PAC : en effet, la diminution du budget consacré à la PAC s'est traduite par une recrudescence des mesures d'urgence financées de façon non concertée par les États membres.
Notre PPRE tire donc la sonnette d'alarme et invite à mettre un terme au délitement de l'architecture commune de la politique agricole européenne. Nous demandons ainsi que la PAC post-2027 bénéficie d'un budget à la hauteur des défis que doit relever l'agriculture européenne - à tout le moins d'un budget stable, en euros constants, sur la programmation 2028-2034, ce qui suppose une augmentation de l'ordre de 32 milliards d'euros.
Par ailleurs, à l'heure où l'on entend dire que la Commission envisagerait de réformer le cadre financier pluriannuel, en conditionnant les versements aux États membres à des plans nationaux de réforme et en les allouant sous forme de subvention aux budgets nationaux, notre PPRE appelle à doter la PAC d'un budget distinct et sanctuarisé. Nous prenons donc clairement position contre les évolutions envisagées par la Commission européenne, au terme desquelles le budget de la PAC finirait inévitablement par servir de variable d'ajustement.
Enfin, tandis que les conclusions du dialogue stratégique plaident en faveur d'une refonte des aides directes, la PPRE tend à mettre en garde contre les conséquences qu'emporterait toute modification de la répartition de ces aides, soulignant que ces dernières représentent en moyenne 53 % du revenu des exploitations agricoles européennes.
Plus généralement, tirant les conclusions de la crise traversée par le monde agricole dans toute l'Union européenne, la PPRE appelle à un retour aux fondements de la PAC et invite à recentrer cette politique sur les objectifs que lui assignent les traités européens, à savoir : accroître la productivité agricole, assurer un niveau de vie satisfaisant pour les agriculteurs, stabiliser les marchés, garantir la sécurité des approvisionnements et assurer des prix raisonnables aux consommateurs.
En pratique, à la lumière du rapport Draghi, qui relève l'urgence de relancer la croissance et la compétitivité de l'Union européenne et préconise pour cela un surplus d'investissement annuel de l'ordre de 750 milliards d'euros, nous demandons que la PAC s'attache en priorité à redynamiser la production européenne, en conjuguant les objectifs de durabilité économique et environnementale.
Après avoir souligné que le renforcement de la compétitivité et de la résilience constituait un prérequis indispensable pour que les exploitations agricoles puissent mener à bien la nécessaire transition environnementale et énergétique, nous appelons à consentir des investissements substantiels à cet effet et à développer davantage d'outils européens communs de gestion des risques climatiques.
En parallèle, nous soulignons la nécessité de changer de paradigme en matière environnementale et de mieux valoriser les externalités positives de l'agriculture. Nous insistons également sur le fait que les normes environnementales ne doivent pas contribuer à dégrader la compétitivité du secteur agricole européen, au risque d'entraîner un surcroît d'importations dont la conformité à ces mêmes normes n'est pas garantie.
En matière de commerce international, nous demandons ainsi à la Commission européenne de mieux veiller à ce que les règles sanitaires, environnementales et de production applicables aux importations des produits agricoles des pays tiers soient identiques à celles appliquées aux produits de l'Union européenne.
Sur ce point, Mme Daniel et moi-même avons souhaité amender la PPRE pour mentionner explicitement l'accord commercial avec les pays du Mercosur ; en effet, lorsque le groupe de travail s'est réuni pour élaborer le texte, la Commission n'avait pas encore annoncé la conclusion des négociations portant sur cet accord. Sur le fond, il nous a semblé important de rappeler l'opposition de notre assemblée à l'adoption de l'accord en l'état, alors même que les garanties mises en avant par la Commission ne comprennent pas les clauses miroirs dont nous avions pourtant réclamé l'insertion, et que plusieurs audits récents ont mis en exergue des défaillances dans le contrôle qualité et la traçabilité des exportations brésiliennes de viande vers l'Union. Sur la forme, nous ne pouvons que déplorer l'empressement de la Commission à conclure cet accord, en dépit des réticences affichées par plusieurs États membres, dont la France.
Un autre grand axe de notre PPRE traite de la place des agriculteurs : nous appelons en effet à remettre les besoins et attentes du monde agricole au coeur de la PAC, et à rompre avec une approche tatillonne et technocratique, qui transforme progressivement le producteur en simple exécutant. Nous appelons donc, d'une part, à poursuivre les efforts de simplification et de réduction de la charge administrative et, d'autre part, à renforcer la place des agriculteurs dans la chaîne d'approvisionnement et à lutter contre les pratiques commerciales déloyales. Ces évolutions nous semblent nécessaires afin de garantir un revenu suffisant, stable et pérenne aux producteurs, mais également pour fournir des produits accessibles et de qualité aux consommateurs.
Nous ne pouvions, enfin, évoquer l'avenir de la PAC sans mentionner les répercussions d'un approfondissement de la libéralisation des échanges avec l'Ukraine, puis d'un élargissement de l'Union européenne à ce pays candidat.
La Commission européenne envisage en effet, plutôt que de préparer une quatrième prolongation du règlement relatif aux mesures de libéralisation temporaire des échanges, de revenir à l'accord d'association entre l'Union et l'Ukraine pour poursuivre le processus de libéralisation tarifaire ; à plus long terme, si l'Ukraine adhère à l'Union européenne, ce pays pourrait prétendre, au regard de sa surface agricole, à des aides représentant près de 20 % du budget de la PAC ! La PPRE souligne donc que la PAC post-2027 doit impérativement anticiper les conséquences qu'auraient, sur le plan agricole, de telles évolutions.
Voilà, mes chers collègues, les points sur lesquels il nous a semblé nécessaire de faire valoir notre position commune, dans l'espoir qu'elle soit entendue avant que la Commission ne dévoile sa feuille de route en matière agricole pour la prochaine mandature et ne débute les travaux préparatoires à l'élaboration de la future PAC.
M. Jean-François Rapin, président. - Nous allons voir comment il serait encore possible d'amender le texte présenté, ce que certains appellent de leurs voeux. Avec l'échéance du 19 février 2025, cette PPRE prend d'autant plus d'importance pour le Sénat qu'elle s'inscrit dans un contexte de calendrier indécis en France sur le sujet agricole, avec la double suspension des discussions sur le projet de loi d'orientation agricole, la ministre étant démissionnaire, et sur la proposition de loi de MM. Laurent Duplomb et Franck Menonville. Son texte doit donc être à la hauteur des attentes et des enjeux, en présentant une réelle valeur ajoutée.
M. Didier Marie. - Je salue tout d'abord la réactivation du groupe de travail sur la PAC, qui était nécessaire, ainsi que le travail de nos deux rapporteurs. Toutefois, nous aurons vraisemblablement à reprendre ce travail, car nous ne savons pas encore quelles seront les orientations de la Commission européenne lorsqu'elle présentera sa nouvelle vision de la PAC et les modalités de financement de cette politique.
La PAC est au coeur de la construction européenne depuis son origine. Elle constitue un des enjeux majeurs de la nouvelle mandature de la Commission européenne et a d'ailleurs été présentée comme telle par Mme von der Leyen. Il nous incombe de prêter une attention particulière aux évolutions de cette politique, en dépit de la rapidité avec laquelle elles interviennent.
Elle embrasse aujourd'hui de nombreux défis. J'en citerai trois : la question du revenu des agriculteurs, liée à un système d'aides déséquilibré et qui doit être revu ; la question environnementale, avec les problématiques du réchauffement climatique, de la préservation de la biodiversité et de la souveraineté alimentaire ; la question, enfin, de la concurrence internationale.
Sur cette dernière, l'ajout dans la PPRE d'une mention relative à l'accord commercial avec le Mercosur est la bienvenue, car des accords de ce type déstabilisent notre agriculture du fait de l'absence de clauses miroirs et du défaut de réciprocité systématique des normes de production, qui seules induiraient que les pays tiers les moins-disants rejoignent notre modèle, et non que nous nous alignions sur leurs pratiques.
La question environnementale fait l'objet des deux amendements que nous avons déposés. Nous considérons qu'il faut concilier environnement et compétitivité, et en aucune façon les opposer. Le Conseil de l'Union européenne « Agriculture et pêche » qui s'est tenu les 9 et 10 décembre derniers a du reste présenté la transition écologique comme un préalable à la compétitivité. Celle-ci ne doit pas conduire l'Union européenne à renoncer à ses autres priorités en matière de transition énergétique et de transformation écologique ni à les y conditionner.
Quant aux aides, le risque de leur renationalisation concerne nombre de politiques européennes, et pas seulement la PAC. Ce risque est celui d'une perte de substance du projet européen, avec une compétition entre pays membres. Il est donc extrêmement important, au-delà de la seule PAC, de plaider pour une véritable politique européenne intégrée, d'autant que des projets tels que la finalisation d'un équivalent européen des États généraux de l'alimentation sont actuellement en panne.
Les deux amendements du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) précisent le texte de la PPRE, en évacuant toute forme d'ambiguïté sur la question environnementale. Le premier vise à apporter une légère modification à la rédaction de l'alinéa 31, en supprimant la mention de « la nécessité de changer de paradigme en matière environnementale » ; le second tend à souligner à l'alinéa 32 que « le secteur agricole européen doit assurer un lien indispensable entre compétitivité et protection de l'environnement », en lieu et place de la formulation selon laquelle « les normes environnementales ne doivent pas contribuer à dégrader la compétitivité du secteur agricole européen ».
M. Jean-François Rapin, président. - La rédaction de l'alinéa 31 est le fruit d'une discussion nourrie au sein du groupe de travail PAC. Je ne m'oppose pas à la suppression que vous y proposez, mais l'indication de « la nécessité de changer de paradigme en matière environnementale » n'équivaut en rien à une remise en cause des choix environnementaux de l'Union européenne. Il s'agit bien plutôt de reconnaître que l'agriculture apporte une valeur ajoutée à l'environnement et qu'elle soutient nos choix en la matière.
M. Jacques Fernique. - Merci au groupe de travail ainsi qu'aux rapporteurs. La tonalité de la PPRE est caractéristique de cette élaboration collective.
Des éléments tout à fait intéressants y figurent sur les conséquences des traités de libre-échange, de la guerre en Ukraine ou sur la problématique des revenus des agriculteurs. Le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires (GEST) partage sans réserve le constat d'une inadéquation entre, d'une part, les normes environnementales et les accords de libre-échange, d'autre part, un nombre toujours plus élevé de missions confiées à la PAC et la baisse significative de 85 milliards d'euros de son budget en valeur pour la période 2021-2027, en comparaison des années 2014 à 2020. Nous nous retrouvons également dans la critique de la renationalisation de la PAC, laquelle coïncide avec le fléchissement de l'ambition environnementale.
Parmi les quatre amendements que nous vous soumettons, deux nous semblent déterminants. Ils se rapportent aux alinéas 31 et 32 ; nous pensons possible de leur substituer une autre rédaction qui soit consensuelle.
Notre proposition de rédaction de l'alinéa 31 est en tous points conforme à celle du groupe SER, bien que nous ne nous soyons pas concertés. J'entends vos explications au sujet du paradigme environnemental. Néanmoins, la formulation retenue est ambivalente et nous l'avions comprise en sens inverse, à savoir que le modèle environnemental jusqu'ici mis en oeuvre était punitif et inefficace. Rappelons que, si elles ne cessent de faire l'objet de critiques, la stratégie « De la ferme à la table » et la stratégie nationale biodiversité 2030 (SNB) sont très récentes et ne sont pas encore juridiquement contraignantes. Enlevons à l'alinéa 31 son ambivalence.
Notre demande de supprimer l'alinéa 32 est sous-tendue par l'idée que les normes environnementales n'ont pas pour but de nuire à la compétitivité de l'agriculture et qu'elles sont, au contraire, un moyen de la protéger en lui conférant un avantage comparatif, de même qu'elles sont les garantes du maintien à terme de notre capacité de production agricole. Les difficultés des agriculteurs à les appliquer tiennent d'abord à des problématiques de revenus et de complexité administrative.
Notre amendement relatif à l'alinéa 36 répercute les critiques souvent formulées, en premier lieu par les agriculteurs eux-mêmes, contre le fait que les aides du premier pilier de la PAC sont réparties en fonction du nombre d'hectares des exploitations agricoles, ce qui défavorise les petites ou moyennes structures. Nous proposons d'envisager la transition vers des aides à l'actif agricole plutôt qu'à l'hectare.
Notre dernier amendement prévoit d'ajouter un alinéa avant l'alinéa 38 afin d'appeler le Gouvernement français à soutenir, comme il l'a déjà fait en 2023, la conditionnalité sociale de la PAC, qui deviendra obligatoire pour tous les États membres à compter du 1er janvier 2025. Il importe d'éviter que le droit du travail ou les droits fondamentaux des exploitants agricoles ne soient largement enfreints, comme on le constate par exemple toujours dans la région d'Almería en Espagne.
Mme Karine Daniel, rapporteure. - Nous vous proposons de donner un avis favorable aux amendements identiques des deux groupes portant sur l'alinéa 31. La mention d'un changement de paradigme peut en effet être source d'ambiguïté. L'idée consistait à dire qu'il faudra sans doute que coexistent un système incitatif de valorisation des externalités positives de l'agriculture et des contraintes indispensables au respect des normes environnementales.
M. Jean-François Rapin, président. - L'alinéa 31 serait donc désormais libellé de la manière suivante : « Souligne, à cet égard, la nécessité de valoriser davantage les externalités positives de l'agriculture et de faire le choix d'incitations vertueuses et profitables pour soutenir la mise en oeuvre des pratiques agroécologiques ».
Mme Karine Daniel, rapporteure. - Quant à l'alinéa 32, je souligne qu'il a déjà fait l'objet de nombreuses discussions lors de la réunion d'élaboration de la PPRE. De plus, la référence au nécessaire équilibre entre enjeux environnementaux et compétitivité est présente à l'alinéa 29. Nous vous proposons par conséquent de donner un avis défavorable aux deux amendements portant sur l'alinéa 32.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Au vu du temps que nous avons consacré à l'élaboration d'un texte consensuel, je suis d'avis de ne modifier celui-ci qu'à la marge. Nous souhaitons que le Sénat adopte une position assez forte au travers de cette PPRE, car l'accord commercial avec les pays du Mercosur, négocié sans même évoquer les clauses miroirs, nous donne une leçon. Une des grandes faiblesses de la France me paraît tenir dans le manque de clarté de son positionnement, qu'il lui faut en outre défendre auprès des autres États membres. Nous ne consacrons pas assez de temps à ce dialogue avec nos partenaires, alors qu'il s'avère indispensable pour élaborer une position commune solide. L'avis est donc défavorable sur ces deux amendements.
M. Jean-François Rapin, président. - Dans sa rédaction actuelle, l'alinéa 32 ne remet pas en cause les normes environnementales. On y cherche plutôt à concilier environnement et compétitivité en préconisant que ces normes ne dégradent pas la compétitivité du secteur agricole. Cette rédaction se révèle conforme au message que nous souhaitons faire passer.
Mme Karine Daniel, rapporteure. - Précisons que nous parlons non seulement de compétitivité-prix, mais également de compétitivité hors prix, à laquelle les normes environnementales apportent une contribution positive.
M. Didier Marie. - Les alinéas 29 et 32 auraient pu être fusionnés, mais je comprends qu'il ne saurait être question de reprendre toute la rédaction de la PPRE.
Cependant, malgré un travail de synthèse et la recherche d'un compromis, on perçoit en filigrane des nuances d'appréciation quant au poids des préoccupations environnementales et à leur capacité à influer positivement et de manière déterminante sur les pratiques agricoles européennes.
Le plus simple est que nous retirions notre amendement. Il nous paraît néanmoins fondamental de considérer qu'une agriculture respectueuse des critères environnementaux est un atout du point de vue de sa compétitivité, ce que Karine Daniel vient de relever. Avec les conclusions du dialogue stratégique sur l'avenir de l'agriculture, la Commission européenne prend elle-même acte de ce que la question environnementale précède celle de la compétitivité. Ne pas respecter les normes environnementales en s'alignant sur les moins-disants permettrait peut-être un gain sur les prix, mais conduirait à dégrader la qualité de notre agriculture, qui est l'un de ses avantages compétitifs.
Il importe par ailleurs que la Commission européenne allège les contraintes administratives, ce que la présente PPRE ne manque pas de rappeler, à l'instar du rapport Draghi.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. - À l'alinéa 32, nous disons de manière très forte qu'il n'est pas possible que l'exigence environnementale nuise à la productivité et à la compétitivité des agriculteurs européens. Cependant, nous affirmons que cette exigence environnementale doit être élevée.
Cet alinéa est de nature à renforcer la construction européenne et rejoint le positionnement très fort que nous avons en faveur de clauses miroirs.
M. Jacques Fernique. - Je suis embarrassé : me retrouvant tout à fait dans l'alinéa 29, j'étais prêt à retirer mon amendement au profit de celui du groupe SER, qui vient lui-même d'être retiré...
M. Michaël Weber. - Je souscris à la nécessité de donner de la force à cette PPRE dans la période actuelle en la portant de manière consensuelle.
La difficulté que pose l'alinéa 32 est une difficulté d'interprétation : soit on considère que les normes environnementales doivent être prises en compte et qu'il faut des mécanismes d'accompagnement pour préserver la compétitivité - c'est ma vision -, soit on estime que les normes environnementales doivent être allégées au nom de la compétitivité.
Je soutenais l'amendement, mais je préfère, en l'état, qu'un texte fort puisse être adopté.
M. Pascal Allizard. - Personne ne remet en cause la nécessité de normes environnementales, qui, du reste, contribuent in fine à la qualité des produits. Or la qualité fait aussi partie de la compétitivité globale !
Ce qui me dérange, ce sont ces clauses miroirs fantômes. À partir du moment où l'on accepte de laisser entrer, sur le territoire de l'Union européenne et sur le territoire national, des produits qui ne respectent pas les mêmes normes environnementales et les mêmes exigences qualitatives, tout en ayant un plus faible coût de production, il ne sert à rien de s'imposer des normes, car cela suffit à tirer l'ensemble du marché vers le bas.
Sur le terrain, on voit bien que ce qui dérange les agriculteurs, ce n'est pas la compétition en soi : c'est la compétition asymétrique, avec des règles qui ne sont pas égalitaires.
Ne pas supprimer l'alinéa 32 me paraît donc une bonne chose.
M. Jean-François Rapin, président. - Dans le même sens, je rappelle que nous avons ajouté, dans la dernière phase du travail d'élaboration de la PPRE, un alinéa sur le Mercosur, qui reprend cette idée - c'est l'alinéa 34.
M. Pascal Allizard. - Pour ma part, c'est l'Accord économique et commercial global (Ceta) avec le Canada que j'ai en tête.
M. Jean-François Rapin, président. - Comme vous le savez, ma position est plus ferme sur le Mercosur.
M. Jacques Fernique. - Je retire l'amendement de suppression, Monsieur le Président.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Pour ce qui concerne les deux derniers amendements, je répète que nous devrons retravailler à la suite des premières discussions européennes. Nous sommes un peu en avance ! Prenons garde à ce que nous pourrions dire : 1962, c'est le traité de Rome. À l'époque, l'Europe avait faim, et l'objectif était d'inciter les paysans à produire en leur garantissant un revenu équivalent à celui des autres catégories socioprofessionnelles.
Aujourd'hui, le sujet alimentaire reste important. Comme l'ont montré notamment les travaux de notre commission des affaires économiques, l'Europe décroche sur un certain nombre de produits : pour des questions de compétitivité, ils sont faits ailleurs et importés. Notre objectif doit rester d'être en capacité de nourrir l'ensemble de la population, tout en veillant aux revenus de toutes les catégories socioprofessionnelles en France et en Europe.
M. Didier Marie. - Je comprends que la proposition ne soit pas intégrée tout de suite au dispositif de la résolution.
Oui, l'objectif du traité de Rome était de nourrir une population qui sortait de la guerre et qui avait faim. Cependant, l'agriculture a beaucoup évolué. Aujourd'hui, une partie des productions indispensables, comme le blé ou le maïs, ne sont plus seulement des produits agricoles : ce sont aussi des produits financiers. Or la distorsion des cours est permanente, indépendamment de la qualité ou de la quantité des produits.
Au regard de ces évolutions, nous devrons nous interroger sur les subventions à l'hectare et sur les subventions à l'actif. Les tenants et aboutissants ne sont plus du tout les mêmes que dans les années 1960 ou 1970. Comment éviter qu'une tonne de blé soit aujourd'hui perçue comme un outil de maximisation financière plutôt que comme un produit agricole qui doit nourrir la planète ?
M. Jacques Fernique. - Je retire les deux derniers amendements, qui étaient moins importants à nos yeux que les deux premiers - ils traçaient des pistes d'évolution possibles.
M. Jean-François Rapin, président. - Nous les gardons de côté.
M. Jacques Fernique. - Nous estimions que l'ambiguïté de l'alinéa 32, susceptible de faire dire à la résolution le contraire de ce que nous souhaitions, devait être supprimée. L'alinéa 29 clarifie néanmoins utilement le propos. Dans ces conditions, nous nous orientons vers un vote tiède, mais positif, sur cette proposition de résolution.
M. Jean-François Rapin, président. - Parvenir ensemble à un texte commun sur l'agriculture donnera à notre position une force certaine dans les débats des semaines à venir. Il est important que la France s'exprime, et c'est encore mieux si elle le fait par une voix forte du Sénat.
La commission autorise la publication du rapport et adopte la proposition de résolution européenne ainsi modifiée.
M. Jean-François Rapin, président. - Je salue le succès des rapporteurs. Le travail commun a payé !
PROPOSITION DE
RÉSOLUTION EUROPÉENNE
SUR L'AVENIR DE LA POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE
ADOPTÉE PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES
EUROPÉENNES
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), en particulier ses articles 38, 39, 42 et 43,
Vu le règlement (UE) 2021/1119 du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 2021 établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant les règlements (CE) n° 401/2009 et (UE) 2018/1999, désigné sous les termes de « loi européenne sur le climat » ou « Pacte vert »,
Vu la stratégie « De la ferme à la fourchette » présentée par la Commission européenne le 20 mai 2020, les conclusions adoptées sur ladite stratégie par le Conseil « Agriculture et pêche » le 19 octobre 2020, et la résolution du Parlement européen du 20 octobre 2021 sur une stratégie « De la ferme à la table » pour un système alimentaire équitable, sain et respectueux de l'environnement, 2020/2260(INI),
Vu les règlements (UE) 2021/2115, 2021/2116 et 2021/2117 du Parlement européen et du Conseil du 2 décembre 2021, portant réforme de la politique agricole commune (PAC) pour la période 2023/2027,
Vu le règlement 2024/1468 du 14 mai 2024 du Parlement et du Conseil modifiant les règlements (UE) 2021/2115 et (UE) 2021/2116 en ce qui concerne les normes relatives aux bonnes conditions agricoles et environnementales, les programmes pour le climat, l'environnement et le bien-être animal, la modification des plans stratégiques relevant de la PAC, le réexamen des plans stratégiques relevant de la PAC et les exemptions des contrôles et des sanctions,
Vu la résolution européenne du Sénat n° 130 (2016-2017) du 8 septembre 2017 sur l'avenir de la politique agricole commune à l'horizon 2020,
Vu la résolution européenne du Sénat n° 116 (2017-2018) du 6 juin 2018 en faveur de la préservation d'une politique agricole commune forte, conjuguée au maintien de ses moyens budgétaires,
Vu la résolution européenne du Sénat n° 96 (2018-2019) du 7 mai 2019 sur la réforme de la politique agricole commune,
Vu la résolution européenne du Sénat n° 104 (2019-2020) du 19 juin 2020 demandant le renforcement des mesures exceptionnelles de la politique agricole commune pour faire face aux conséquences de la pandémie de covid-19, et l'affirmation de la primauté effective des objectifs de la PAC sur les règles européennes de concurrence,
Vu la résolution européenne du Sénat n° 126 (2021-2022) du 6 mai 2022 demandant, au regard de la guerre en Ukraine, de réorienter la stratégie agricole européenne découlant du Pacte Vert pour assurer l'autonomie alimentaire de l'Union européenne,
Vu la résolution européenne du Sénat n° 129 (2023-2024) du 17 mai 2024 sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant les règlements (UE) 2021/2115 et (UE) 2021/2116 en ce qui concerne les normes relatives aux bonnes conditions agricoles et environnementales, les programmes pour le climat, l'environnement et le bien-être animal, la modification des plans stratégiques relevant de la PAC, le réexamen des plans stratégiques relevant de la PAC et les exemptions des contrôles et des sanctions,
Vu le rapport d'Enrico Letta sur le marché unique, « Bien plus qu'un marché », publié en avril 2024,
Vu le rapport final du Dialogue stratégique sur l'avenir de l'agriculture de l'Union européenne, « Une perspective commune pour l'agriculture et l'alimentation en Europe », publié en septembre 2024,
Vu le rapport de Mario Draghi, « Le futur de la compétitivité européenne », publié en septembre 2024,
Considérant le statut de puissance agricole de l'Union européenne, sa contribution essentielle à la sécurité alimentaire européenne et mondiale ainsi que son potentiel exportateur en matière agricole et agroalimentaire ;
Considérant qu'au cours des dernières années, l'accumulation de crises de nature géopolitique, économique, climatique et sanitaire a considérablement éprouvé la résilience de l'agriculture européenne, accéléré l'érosion de sa compétitivité et mis en lumière la nécessité urgente, pour l'Union européenne de garantir sa souveraineté alimentaire, réduire ses dépendances, et de mieux protéger les agriculteurs face aux risques ;
Considérant que la dernière réforme de la politique agricole commune, en renforçant simultanément la conditionnalité environnementale et les marges de manoeuvre concédées aux États membres, a affecté la cohérence d'ensemble de cette politique, engendré une complexité et une charge administrative accrues pour les agriculteurs comme les administrations nationales, et aggravé les distorsions de concurrence intracommunautaires ;
Considérant que l'augmentation du niveau d'ambition environnementale a coïncidé avec un abaissement de la protection du marché intérieur par la signature d'accords de libre-échange et avec une diminution du budget européen consacré à la PAC, ce dernier ayant été amputé de 85 milliards d'euros en valeur pour la période 2021-2027 par rapport aux années 2014-2020 ;
Considérant que dès lors, le budget de la PAC ne suffit pas à répondre aux multiples objectifs qui lui ont été assignés sur les plans économique, environnemental et socio-territorial, avec pour corolaire une recrudescence des mesures d'urgence financées et allouées de façon non concertée par les États membres, et pour conséquence une moindre efficience de la dépense ;
Considérant que l'attrition du budget de la PAC alimente ainsi le risque d'une renationalisation insidieuse de cette politique et d'un délitement de son architecture commune ;
Considérant que les aides directes de la PAC représentent en moyenne 53 % du revenu des exploitations agricoles européennes, et que par conséquent, toute modification de la répartition de ces aides aurait des conséquences majeures sur le revenu des agriculteurs et la compétitivité des exploitations ;
Considérant que le rapport Draghi, mettant en lumière le décrochage de la compétitivité européenne, relève l'urgence de relancer la croissance et la productivité et préconise, à cet effet, un surplus d'investissement annuel de 750 milliards d'euros dans l'économie de l'Union européenne ;
Souligne le rôle essentiel joué par la PAC pour renforcer la résilience et la durabilité de notre agriculture, et ainsi préserver la souveraineté agricole et alimentaire de l'Union européenne ainsi que son autonomie stratégique et sa vocation exportatrice ;
Appelle à repositionner l'agriculture au centre des priorités stratégiques européennes et à défendre la vocation communautaire de cette politique ;
Demande, à ces fins, que la PAC post-2027 bénéficie d'un budget distinct, sanctuarisé et à la hauteur des défis que doit relever l'agriculture européenne ;
Appelle, dans cette perspective, à mettre un terme définitif à l'étiolement des crédits alloués à la PAC, en dotant cette politique, à périmètre constant, d'un budget au moins stable en euros constants sur la programmation 2028-2034, par rapport à la période 2021-2027, ce qui suppose une augmentation de l'ordre de 32 milliards d'euros en valeur ;
Juge que la crise traversée dans toute l'Union européenne par le monde agricole, témoignant notamment des injonctions contradictoires et de la concurrence déloyale auxquelles sont confrontés les agriculteurs, rend plus que jamais nécessaire un retour aux fondements de la PAC et invite par conséquent à recentrer cette politique sur les objectifs que lui assignent les traités européens, à savoir accroître la productivité agricole, assurer un niveau de vie satisfaisant pour la population agricole, stabiliser les marchés, garantir la sécurité des approvisionnements et assurer des prix raisonnables aux consommateurs ;
Demande ainsi que la PAC s'attache prioritairement à redynamiser la production agricole européenne, souligne à cet égard la nécessité de conjuguer les objectifs de durabilité économique et environnementale et appelle, dans cette perspective, à mobiliser tous les leviers disponibles, particulièrement la recherche, l'innovation et le développement de nouvelles technologies, y compris numériques ;
Rappelle que le renforcement de la compétitivité et de la résilience des exploitations agricoles, prérequis indispensable pour que ces dernières puissent mener à bien la nécessaire transition environnementale et énergétique, exige des investissements substantiels ;
Souligne, à cet égard, la nécessité de valoriser davantage les externalités positives de l'agriculture et de faire le choix d'incitations vertueuses et profitables pour soutenir la mise en oeuvre des pratiques agroécologiques ;
Estime que les normes environnementales ne doivent pas contribuer à dégrader la compétitivité du secteur agricole européen, au risque d'entraîner mécaniquement un surcroît d'importations agricoles et alimentaires dont la conformité à ces mêmes normes n'est pas garantie ;
Rappelle son attachement au principe de réciprocité dans les échanges internationaux, invite l'Organisation mondiale du commerce à garantir le respect de ce principe et demande à la Commission européenne de mieux veiller à ce que les règles sanitaires, environnementales et de production applicables aux importations des produits agricoles des pays tiers soient identiques à celles appliquées aux produits de l'Union européenne ;
Déplore l'annonce par la Commission européenne de la conclusion des négociations commerciales avec les pays du Mercosur, alors même que les garanties mises en avant par la Commission n'incluent pas la création de « clauses miroirs » et que plusieurs audits récents ont mis en exergue des défaillances dans le contrôle qualité et la traçabilité des exportations brésiliennes de viande vers l'Union ;
Appelle, pour remettre les besoins et les attentes des agriculteurs au coeur de la PAC, à rompre avec une approche tatillonne et technocratique conduisant à faire du producteur un simple exécutant, en poursuivant les efforts de simplification et de réduction de la charge administrative et en concevant des règles moins complexes, plus lisibles et plus cohérentes ;
Affirme que la PAC doit assurer un revenu suffisant, stable et pérenne aux producteurs, ce qui implique notamment de renforcer la place des agriculteurs dans la chaîne d'approvisionnement et de lutter contre les pratiques commerciales déloyales pour garantir une rémunération satisfaisante de la production agricole, tout en fournissant des produits accessibles et de qualité aux consommateurs ;
Appelle à anticiper dès à présent les répercussions considérables qu'auraient, sur le plan agricole, la poursuite du processus de libéralisation tarifaire avec l'Ukraine, de même qu'un élargissement de l'Union européenne à ce pays candidat, qui pourrait prétendre, au regard de sa surface agricole, à des aides représentant près de 20 % du budget de la PAC et bénéficie par ailleurs d'avantages comparatifs majeurs en termes d'intrants et de main-d'oeuvre ;
Invite à développer davantage d'outils européens communs de gestion des risques climatiques et sanitaires, incluant notamment des fonds de mutualisation et des instruments assurantiels, pour renforcer la résilience des modèles agricoles de l'Union dans leur diversité ;
Invite le Gouvernement à faire valoir cette position dans les négociations au Conseil.
LA RÉSOLUTION EN CONSTRUCTION
Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la résolution en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :
https://www.senat.fr/tableau-historique/ppr24-196.html
* 1 Le groupe de suivi sur la réforme de la PAC a entendu :
- Mme Christiane Lambert, présidente du COPA (le 24 septembre 2024) ;
- M. Frédéric Michel, conseiller agricole à la Représentation permanente de l'Union européenne (le 5 novembre 2024)
- M. Franck Sander, vice-président de la FNSEA, M. Nicolas Fortin, secrétaire national de la confédération paysanne en charge de la PAC, M. Mickael Marcerou, vice-président de la Coopération agricole en charge des questions européennes et vice-président de la COGECA, et Mme Margot Mégis, élue des Jeunes agriculteurs en charge de la PAC (le 13 novembre 2024) ;
- M. Yves Madre, fondateur et dirigeant de Farm Europe et Mme Alessandra Kirsch, directrice générale d'Agriculture Stratégies (le 26 novembre).