V. UNE NOUVELLE DÉGRADATION DU SOLDE PUBLIC POUR 2025 NE PEUT ÊTRE EXCLUE

L'interruption de la discussion du projet de loi de finances pour 2025 et l'absence ou le retard de promulgation tant de la loi de finances que de la loi de financement de la sécurité sociale seront de nature à compromettre l'atteinte des objectifs de solde public fixés par le précédent Gouvernement, mais aussi à modifier les prévisions de croissance initialement retenues à l'appui du projet de loi de finances pour 2025. Par ailleurs, la forte incertitude politique devrait peser sur la croissance et modifier sa composition, ce qui pourrait avoir un effet néfaste sur les recettes.

Pour rappel, le précédent Gouvernement prévoyait une croissance de 1,1 % pour l'année 2025 et un solde public de - 5 % du PIB à l'issue des discussions au Parlement (- 5,2 % au moment du dépôt du PLF). Le projet de loi spéciale ne comprend en revanche aucune prévision de finances publiques pour 2025.

Si l'hypothèse la plus probable est celle de l'adoption d'un budget dans le courant de l'année 2025, qui débouchera vraisemblablement sur de nouvelles prévisions de solde public, le degré élevé d'incertitude ne saurait complètement le garantir, ce qui justifie de s'interroger sur les conséquences de la situation actuelle sur les finances publiques, dans le cas où un budget serait adopté très tardivement voire celui où aucun budget ne serait finalement adopté.

Le niveau de prélèvements obligatoires ne serait, par définition, pas affecté par les mesures nouvelles en recettes prévues par le PLF et le PLFSS et son évolution ne résulterait que du dynamisme spontané des recettes. Les documents budgétaires annexés au PLF pour 2025 prévoyaient une évolution spontanée des prélèvements obligatoires de 2,5 %. Il faut ajouter à cette évolution l'impact des mesures nouvelles décidées antérieurement au PLF pour 2025 mais qui sont destinées à s'appliquer en 2025, qui représentent environ 5 milliards d'euros27(*). Partant d'un niveau de prélèvements obligatoires de 1 250 milliards d'euros, on peut estimer que, toutes choses égales par ailleurs, celui-ci atteindrait 1 286 milliards d'euros en 2025, contre 1 311 milliards d'euros prévus dans le PLF pour 2025, soit 25 milliards d'euros en moins. Or, comme cela avait été décomposé dans le tome 1 du rapport de la commission des finances du Sénat sur le PLF pour 2025, l'essentiel de l'évolution des recettes publiques totales entre 2024 et 2025 était dû à la hausse des prélèvements obligatoires.

On peut donc raisonnablement faire l'hypothèse que les recettes publiques totales, estimées à 1 564 milliards d'euros dans le PLF pour 2025, atteindraient plutôt de l'ordre de 1 540 milliards d'euros, soit 51,2 % du PIB (contre 52 % du PIB prévus dans le PLF pour 2025).

S'agissant du budget de l'État, le fait que les dépenses soient limitées aux seuls crédits se rapportant aux services votés est de nature à avoir un impact positif sur son solde. En première approximation, on peut supposer une stabilité des dépenses par rapport à 2024 hors charge de la dette, mais l'incertitude se rattachant au périmètre exact des services votés (voire ci-dessus) empêche d'en faire une estimation pour l'année 2025.

S'agissant des dépenses des administrations publiques locales, leur augmentation était estimée à 7 milliards d'euros28(*), soit 5 milliards d'euros de moins que ce qui était envisagé en l'absence des mécanismes destinés à les modérer (mécanisme de résilience des finances locales, écrêtement de la dynamique de TVA en 2025 et réduction du FCTVA). On peut donc envisager une augmentation de la dépense locale de l'ordre de 12 milliards d'euros, mais il s'agit d'une estimation pessimiste. En effet, la limitation des dépenses de l'État aux seuls crédits se rapportant aux services votés entraînera un arrêt du soutien, par l'État, aux dépenses d'investissement local, dont l'évolution devrait par conséquent être plus modérée qu'initialement.

S'agissant des dépenses des administrations de sécurité sociale, leur augmentation était estimée à 19 milliards d'euros, en prenant en compte la moindre dépense liée au report au 1er juillet de l'indexation des retraites (3,6 milliards d'euros) et au freinage de la trajectoire de l'Ondam (3,8 milliards d'euros). Compte tenu de la non-adoption du PLFSS, l'augmentation de la dépense des administrations de sécurité sociale devrait donc être comprise entre 26 et 27 milliards d'euros.

L'augmentation de la charge de la dette toutes administrations publiques confondues serait enfin de 9 milliards d'euros en 2025 par rapport à 2024, imputable essentiellement à l'État.

Au total, partant d'une dépense publique de 1 658 milliards d'euros en 2024, cette dernière pourrait être plus élevée en 2025 qu'initialement prévu dans le PLF 2025 (1 699 milliards d'euros) et dépasser 1 700 milliards d'euros, hors crédits d'impôts. En intégrant les crédits d'impôts enregistrés en dépenses, la dépense publique dépasserait les 1 720 milliards d'euros.

Si l'ensemble de ces estimations doit être pris avec une extrême précaution en raison d'hypothèses de construction fortes et d'absence de données précises, il est toutefois possible d'anticiper un solde public pour 2025 encore plus dégradé qu'en 2024, de l'ordre de - 6,2 % du PIB.

Cette dégradation constituerait certes une impulsion budgétaire conséquente susceptible de soutenir l'activité mais il n'est pas certain qu'elle compense les effets délétères résultant de l'instabilité politique actuelle. L'incertitude pèserait en effet sur les décisions des entreprises et freinerait la reprise de l'investissement, tout en ayant également pour effet d'encourager les comportements de précaution des consommateurs, qui conserveraient un taux d'épargne élevé au détriment de la consommation. La composition de la croissance, davantage portée par le déficit public que par la demande des entreprises et des ménages, aurait un effet néfaste sur les recettes, ce qui signifie que le solde public pourrait être encore plus dégradé que l'estimation mise en avant ci-dessus.

En cas d'adoption d'un budget, et éventuellement d'un budget rectificatif, pour l'année 2025, le solde public pourrait s'en trouver moins dégradé en fonction des choix politiques qui seront portés par ces textes. Il est toutefois très vraisemblable qu'il soit inférieur au solde initialement envisagé de - 5 % du PIB. Dans ces conditions se posera la question d'une révision du plan budgétaire et structurel de moyen terme qui avait été présenté fin octobre par le précédent Gouvernement.

Le respect de nos engagements européens dans le cadre politique et budgétaire actuel

Le 31 octobre 2024, la France a soumis à la Commission européenne son plan budgétaire structurel à moyen terme (PSMT), qui comporte une trajectoire d'ajustement budgétaire et un paquet d'investissements et de réformes pour justifier une période d'ajustement sur sept ans au lieu de quatre. Le PSMT de la France a été établi parallèlement au projet de loi de finances pour 2025, et en cohérence avec lui. Il prescrit ainsi une évolution de 0,0 % de la dépense primaire nette des mesures nouvelles en recette en 2025. En moyenne, l'ajustement structurel primaire sur la période du plan est de 0,78 point de PIB par an.

Le 26 novembre, la Commission a rendu un avis favorable sur ce plan et a proposé au Conseil une trajectoire de correction des finances publiques françaises, dans le cadre de la procédure pour déficit excessif (PDE), qui est cohérente avec le PSMT et qui prévoit notamment un retour du déficit public sous les 3 % du PIB en 2029.

Le Conseil de l'UE sera invité à se prononcer sur ce plan et sur la trajectoire de correction le 21 janvier 2025. Il pourrait, dans ces conditions, adopter une trajectoire de recommandation qui correspondrait probablement au PSMT. Sous cette réserve et sous réserve que le PSMT ne soit pas révisé par la France d'ici là, le respect par la France du volet préventif des règles budgétaires européennes sera observé à l'aune de l'évolution de la dépense primaire nette des mesures nouvelles en recettes prescrite dans cette trajectoire (dont 0,0 % en 2025). Retenir, dans la prochaine loi de finances, un objectif de consolidation moins ambitieux que celui recommandé pourrait conduire le Conseil à considérer que les actions à prendre pour respecter cette recommandation n'ont pas été prises. Dans ce cadre, une mise en demeure puis des sanctions financières pourront être imposées à la France.

De plus, la France fera l'objet d'une surveillance au titre du volet correctif des règles budgétaires européennes et devra rendre compte des mesure prises dans le cadre de la procédure pour déficits excessifs d'ici le printemps 2025.

Le nouveau Gouvernement aura la possibilité de transmettre un PSMT révisé. Le cas échéant, pour respecter les nouvelles règles européennes, ce plan devra à la fois présenter une trajectoire d'ajustement suffisamment ambitieuse et crédible et un paquet d'investissements et de réformes justifiant une extension à sept ans. À défaut, les règles européennes permettent d'imposer à un État-membre une trajectoire d'ajustement sur quatre ans, établie à partir de la trajectoire de référence de la Commission européenne. La France étant sous procédure pour déficits excessifs, son ajustement structurel ne peut, en tout état de cause, être inférieur à 0,5 % du PIB annuellement, jusqu'au retour de son déficit sous les 3 % du PIB.

Source : commission des finances, à partir des réponses du ministère de l'économie et des finances au questionnaire du rapporteur général


* 27 Selon le plan budgétaire et structurel de moyen terme (PSMT) 2025-2029, les mesures nouvelles en recettes dues au PLF et au PLFSS pour 2025 représentent 24,4 milliards d'euros, à comparer avec le montant total des mesures nouvelles en recettes, qui était de 29,5 milliards d'euros.

* 28 Article liminaire du projet de loi de finances pour 2025.

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