III. LA POLITIQUE DU LOGEMENT PORTÉE PAR LE PROGRAMME 135 « URBANISME, TERRITOIRES ET AMÉLIORATION DE L'HABITAT » ATTEND DES ÉVOLUTIONS POUR SORTIR DE LA CRISE, DES RÉPONSES ÉTANT AU COURS DE LA NAVETTE
Le programme 135 porte des crédits consacrés à des actions diverses liées à la construction et l'habitat. Les crédits budgétés sont en très forte hausse, en lien avec des mesures de transferts structurantes. Ces crédits ne représentent cependant qu'une partie de l'effort qui est mis en oeuvre pour le logement et la construction. En effet, les politiques concernées passent également par les dépenses fiscales, les fonds de concours et l'action d'opérateurs bénéficiant du produit de taxes affectées.
A. DERRIÈRE UNE APPARENTE HAUSSE DES CRÉDITS, UNE ÉVOLUTION DU PÉRIMÈTRE MASQUE UNE RÉDUCTION IMPORTANTE DES MOYENS ALLOUÉS À LA RÉNOVATION ÉNERGÉTIQUE, NOTAMMENT JUSTIFIÉE PAR LES MARGES DE TRÉSORERIE DE L'ANAH
Les crédits budgétaires relevant du programme 135 sont de 2 688,1 millions d'euros en AE, soit une hausse de 770,2 millions d'euros et de + 40,2 %. En CP, la hausse est encore plus considérable puisqu'elle atteint 1 412,2 millions d'euros et + 89,2 %. Les CP ouverts en 2025 atteignent 2 995,8 millions d'euros en crédits de paiement.
Évolution des crédits par action du
programme 135
sans prendre en compte les évolutions de
périmètre
(en millions d'euros et en %)
LFI |
PLF 2025 |
PLF 2025 / LFI 2024 |
FDC et ADP |
||||
en valeur |
en % |
corrigé inflation |
|||||
01 - Construction locative et amélioration du parc |
AE |
415,0 |
8,0 |
- 407,0 |
- 98,1 % |
- 98,1 % |
493,5 |
CP |
74,8 |
85,7 |
10,9 |
+ 14,6 % |
+ 12,5 % |
403,1 |
|
02 - Soutien à l'accession à la propriété |
AE |
4,2 |
4,6 |
0,4 |
+ 9,5 % |
+ 7,6 % |
|
CP |
4,2 |
4,6 |
0,4 |
+ 9,5 % |
+ 7,6 % |
||
03 - Lutte contre l'habitat indigne |
AE |
20,5 |
13,2 |
- 7,3 |
- 35,7 % |
- 36,9 % |
|
CP |
20,5 |
13,2 |
- 7,3 |
- 35,7 % |
- 36,9 % |
||
04 - Réglementation, politique technique et qualité de la construction |
AE |
1 179,5 |
2 350,1 |
1 170,6 |
+ 99,2 % |
+ 95,7 % |
|
CP |
1 179,5 |
2 580,1 |
1 400,7 |
+ 118,8 % |
+ 114,9 % |
||
05 - Innovation, territorialisation et services numériques |
AE |
39,0 |
43,4 |
4,4 |
+ 11,2 % |
+ 9,3 % |
|
CP |
39,0 |
43,4 |
4,4 |
+ 11,2 % |
+ 9,3 % |
||
07 - Urbanisme et aménagement |
AE |
259,7 |
268,9 |
9,2 |
+ 3,5 % |
+ 1,7 % |
|
CP |
265,7 |
268,9 |
3,2 |
+ 1,2 % |
- 0,6 % |
||
Total programme 135 |
AE |
1 917,9 |
2 688,1 |
770,2 |
+ 40,2 % |
+ 37,7 % |
493,5 |
CP |
1 583,7 |
2 995,8 |
1 412,2 |
+ 89,2 % |
+ 85,8 % |
403,1 |
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Le programme connaît néanmoins une évolution de périmètre très importante qui fausse la lecture. En effet, les crédits budgétaires ouverts sur l'action 4, qui financent de façon très majoritaire la contribution de l'État à l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), augmentent de plus d'1 170,6 millions d'euros en AE et 1 400,7 millions d'euros en CP.
Ceci n'est pas lié à un accroissement de l'effort de l'État mais à une modification du circuit de financement dédié à l'ANAH et à la rénovation énergétique.
En effet, en 2024, l'agence était financée non seulement par une enveloppe du programme 135 mais surtout par des crédits du programme 174 de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » à hauteur de deux tiers. Le PLF pour 2025 regroupe ces deux versements en un seul, qui est désormais assumé entièrement par la mission « Cohésion des territoires ». Au total, il en résulte en 2025 une baisse de 39,4 % des AE et de 20,5 % des CP ouverts sur l'action 04, qui porte les crédits en faveur de la rénovation énergétique en 2025, à l'inverse de ce qui est présenté dans le premier tableau.
Évolution des crédits par action du
programme 135
en prenant en compte les évolutions de
périmètre
(en millions d'euros et en %)
Crédits |
PLF 2025 |
PLF 2025 / Crédits 2024 au format 2025 |
FDC et ADP |
||||
en valeur |
en % |
corrigé inflation |
|||||
01 - Construction locative et amélioration du parc |
AE |
415,0 |
8,0 |
- 407,0 |
- 98,1 % |
- 98,1 % |
493,5 |
CP |
74,8 |
85,7 |
10,9 |
+ 14,6 % |
+ 12,5 % |
403,1 |
|
02 - Soutien à l'accession à la propriété |
AE |
4,2 |
4,6 |
0,4 |
+ 9,5 % |
+ 7,6 % |
|
CP |
4,2 |
4,6 |
0,4 |
+ 9,5 % |
+ 7,6 % |
|
|
03 - Lutte contre l'habitat indigne |
AE |
20,5 |
13,2 |
- 7,3 |
- 35,7 % |
- 36,9 % |
|
CP |
20,5 |
13,2 |
- 7,3 |
- 35,7 % |
- 36,9 % |
|
|
04 - Réglementation, politique technique et qualité de la construction |
AE |
3 876,4 |
2 350,1 |
- 1 526,3 |
- 39,4 % |
- 40,4 % |
|
CP |
3 244,2 |
2 580,1 |
- 664,1 |
- 20,5 % |
- 21,9 % |
|
|
05 - Innovation, territorialisation et services numériques |
AE |
39,0 |
43,4 |
4,4 |
+ 11,2 % |
+ 9,3 % |
|
CP |
39,0 |
43,4 |
4,4 |
+ 11,2 % |
+ 9,3 % |
|
|
07 - Urbanisme et aménagement |
AE |
259,7 |
268,9 |
9,2 |
+ 3,5 % |
+ 1,7 % |
|
CP |
265,7 |
268,9 |
3,2 |
+ 1,2 % |
- 0,6 % |
|
|
Total programme 135 |
AE |
4 607,8 |
2 688,1 |
- 1 919,7 |
- 41,7 % |
- 42,7 % |
493,5 |
CP |
3 641,4 |
2 995,8 |
- 645,6 |
- 17,7 % |
- 19,2 % |
403,1 |
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
S'agissant de l'année 2024, le projet de loi de finances de fin de gestion, tel que présenté au conseil des ministres le 5 novembre, annule 302,1 millions d'euros en AE et 381,3 millions d'euros en CP sur le programme, en lien avec une sous-exécution des crédits ouverts sur la rénovation énergétique.
Cette annulation s'ajoute à celle de 358,9 millions d'euros tant en AE qu'en CP sur le programme lors du décret d'annulation du 21 février 2024. Ces annulations ont principalement concerné les crédits pour la rénovation énergétique, qui ont été sous-consommés. Le programme 135 a ainsi supporté la majeure partie des annulations concernant cette politique. Leur masse explique la révision significative du montant proposé pour la rénovation énergétique des bâtiments dans le PLF 2025.
1. Les crédits engagés pour la rénovation des logements gagnent en sincérité dans le projet de loi présenté
Le fait majeur du budget 2024 pour le programme 135 est la mise en cohérence de la subvention à l'Agence nationale pour l'habitat (ANAH) au regard des actions qu'elle a réellement subventionnées et en lien avec son niveau de trésorerie conséquent. Les crédits passent ainsi de 3 189,4 millions d'euros en LFI pour 2024, à 2 522,0 millions d'euros dans le PLF pour 2025.
Cette subvention accorde à l'ANAH des crédits qui répondent à plusieurs besoins :
- principalement, la rénovation thermique des logements privés ;
- plus accessoirement, l'adaptation des logements au vieillissement, dans le cadre de la mise en place depuis le 1er janvier 2024 d'un nouveau système d'aide intitulé MaPrimeAdapt' ;
- enfin, les besoins en fonctionnement et en investissement de l'agence.
Cette diminution des crédits budgétaires alloués à l'Anah, fait suite à plusieurs années de forte hausse, notamment depuis 2021.
Financement de l'ANAH par l'État
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires
La réduction prévue pour l'année 2025 est consécutive à une sous consommation des crédits ouverts depuis plusieurs années liée à une mise en oeuvre plus lente qu'attendue des rénovations et à une trajectoire financière dont l'objectif a été de conserver un fonds de roulement prémunissant l'agence de risques de tension financière qui pourrait ralentir ou interrompre le rythme de versement des aides
Par conséquent, la trésorerie de l'ANAH a évolué de façon significative, pour atteindre un niveau qu'il convient de maîtriser. L'évolution de la trésorerie de l'ANAH a ainsi été multipliée par 3 depuis 2019, ce qui justifie un ralentissement des crédits qui lui sont affectés.
Évolution de la trésorerie de l'ANAH depuis 2019
(en millions d'euros et en pourcentage)
Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire
Par ailleurs, le niveau d'engagement de l'ANAH s'est particulièrement réduit au cours des deux dernières années. En 2023, celui-ci atteignait 3 123,8 millions d'euros, en retrait par rapport à 2022 en raison notamment d'un contexte économique défavorable ayant pesé particulièrement sur les ménages les plus modestes, principaux bénéficiaires. En 2024, la réforme du parcours d'accompagnement, qui privilégie les rénovations d'ampleur, a réduit au cours du premier semestre de près de 50 % le nombre de rénovations en mono-geste. Par conséquent, l'exercice a été particulièrement atypique et la stabilité réglementaire que prévoit le gouvernement pour l'année 2025 doit être préservée.
En effet, le rapporteur spécial considère que la rénovation énergétique des logements est indispensable et doit se poursuivre. Les bâtiments sont responsables de près de 30 % des émissions mondiales de CO2 liées à l'énergie16(*). Les activités résidentielles sont aussi à l'origine de 44 % des émissions de particules fines (PM2.5) en moyenne dans les pays de l'OCDE.
Or l'effort de rénovation du parc de logements est encore largement devant nous. Sur les 30 millions de résidences principales, seules 1,5 million d'entre elles environ, soit 5,3 % du parc, seraient peu énergivores (étiquettes A et B du diagnostic de performance énergétique)17(*). Environ 4,8 millions de logements, soit 17,7 % du parc, seraient des « passoires énergétiques » (étiquettes F et G du DPE) et seront donc concernés par l'interdiction de location dès 2025 (classe G) et 2028 (classe F).
Le rapporteur spécial souligne toutefois qu'il ne suffit pas d'ouvrir des crédits d'un tel montant, encore faut-il être en mesure de les utiliser dans le sens d'une réelle amélioration de l'efficacité énergétique du parc de logements. Les annulations de crédits massives prévues dans le projet de loi de fin de gestion et la baisse de la subvention à l'ANAH inscrite dans le PLF pour 2025 peuvent ainsi permettre une budgétisation plus sincère de l'effort de rénovation.
2. Les actions du programme 135 sont nombreuses et portent des problématiques variées
Les actions 04 et 07 rassemblent à elles deux plus de 95 % des crédits de paiement du programme.
L'action 04 « Réglementation, politique technique et qualité de la construction » finance principalement, en autorisations d'engagement et en crédits de paiement :
- l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) pour la rénovation énergétique des logements privés (voir infra) ;
- le contentieux de l'habitat (mise en oeuvre du droit au logement opposable ou DALO, recours de bénéficiaires de l'aide personnalisée au logement, application des règlementations en vigueur dans le domaine de l'habitat) à hauteur de 43,3 millions d'euros.
L'action 07 « Urbanisme et aménagement » finance certaines actions en lien avec l'urbanisme et l'aménagement, notamment dans le cadre des opérations d'intérêt national (OIN) et de manière plus générale de la politique d'aménagement de l'État, qui bénéficie de 63,3 millions d'euros en AE et autant en CP. Depuis 2021, toutefois, ses crédits sont constitués pour une très grande part, soit 185,4 millions d'euros en 2024, par la compensation budgétaire des effets de la réforme de la fiscalité locale pour les établissements publics fonciers et autres organismes locaux assimilés.
Principaux postes du programme 135 en crédits de paiement
(en millions d'euros et en pourcentage)
Source : commission des finances, à partir du projet annuel de performances
Les autres actions portent sur des politiques auxquelles l'État ne contribue que de manière marginale par des crédits budgétaires :
- l'action 01 « Construction locative et amélioration du parc » porte en loi de finances initiale des crédits réduits de 8,0 millions d'euros en AE et de 85,7 millions d'euros en CP, destinés notamment à la rénovation des cités minières et à l'accueil des gens du voyages. Cependant, cette action est principalement alimentée par le Fonds national des aides à la pierre (FNAP), qui prévoit un concours de 493,5 millions d'euros en AE et 403,3 millions d'euros en CP.
- l'action 02 « Soutien à l'accession à la propriété » comprend des commissions de gestion versées à la société de gestion des financements et de la garantie de l'accession sociale à la propriété (SGFFAS), car cette politique passe par des dispositifs fiscaux et des crédits extra-budgétaires ;
- l'action 03 « Lutte contre l'habitat indigne » retrace certaines dépenses prises en charge directement par l'État, cette politique étant mise en oeuvre à titre principal, au niveau national, par l'Agence nationale de l'habitat (ANAH).
Enfin, l'action 05 « Innovation, territorialisation et services numériques » regroupe des crédits d'étude, de médiation, de communication, ainsi que des crédits liés aux applications informatiques et à la formation des personnels.
Par ailleurs, deux actions servent de support à la gestion de certains crédits de la mission « Plan de relance » délégués en gestion au programme 135 : les actions 09 « Crédits Relance Cohésion » et 10 « Crédits Relance Écologie ». La totalité des engagements a été achevée en 2022. Néanmoins, en gestion, des crédits seront transférés depuis la mission « Plan de relance » pour permettre la réalisation des actions démarrées.
3. L'apport de l'État par les actions budgétaires ne reflète cependant qu'une maigre fraction des politiques conduites pour le logement
Bien que le programme 135 ait pour objectif la construction et la rénovation de logements, il ne porte que 3,2 millions d'euros de crédits d'investissement (titre 5), correspondant au développement de certains dispositifs de l'action de soutien 05 et non à des projets de construction ou d'aménagement.
L'action de l'État passe en réalité principalement par des voies indirectes :
- par des dépenses fiscales reliées directement à la mission, d'un montant de 9,7 milliards d'euros en 2024 ;
- par des crédits destinés à des dépenses d'intervention (titre 6) principalement pour financer les opérateurs, notamment l'ANAH et les établissements publics fonciers ; ces dernières atteignent 2,9 milliards d'euros dans le PLF 2025 contre 1,4 milliard d'euros en LFI pour 2024, en lien avec l'évolution du périmètre du programme ;
- par l'affectation de taxes à ces mêmes opérateurs, en particulier l'ANAH qui reçoit 700 millions d'euros de la mise aux enchères des quotas carbone ;
* 16 En tenant compte des émissions indirectes attribuables à la production d'électricité. OCDE, Pierre par pierre : Bâtir de meilleures politiques du logement, 2021.
* 17 Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, Tableau de suivi de la rénovation énergétique dans le secteur résidentiel, 1er août 2023.