C. LA SUBVENTION VERSÉE À LA POSTE : LA RELATIVE STABILISATION DES CRÉDITS NE PERMET PAS DE REMÉDIER À LA SITUATION DE SOUS-COMPENSATION DES MISSIONS DE SERVICES PUBLICS QU'ELLE ASSURE

Le groupe La Poste est chargé de quatre missions de service public et d'intérêt général, en application de l'article 2, modifié, de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et à France Télécom :

- la contribution, par son réseau de points de contact, à l'aménagement et au développement du territoire ;

- le service universel postal ;

- le transport et la distribution de la presse dans le cadre du régime spécifique prévu par le code des postes et des communications électroniques ;

- l'accessibilité bancaire dans les conditions prévues par le code monétaire et financier.

Chacune de ces missions fait l'objet d'une compensation budgétaire par la mission « Économie », celle de la mission d'accessibilité bancaire y étant intégrée depuis 2023. Les compensations sont portées par le programme 134 pour les trois premières et par le programme 305 s'agissant de l'accessibilité bancaire.

Les engagements au titre de ces missions du groupe La Poste sont définis dans le nouveau contrat d'entreprise pluriannuel conclu avec l'État pour la période 2023-2027. En outre, a été récemment conclu un contrat de présence postale territoriale pour la période 2023-2025.

1. La stabilisation de la subvention au titre de l'aménagement et du développement du territoire ne permet pas de remédier à la situation de sous-compensation dont fait l'objet cette mission de service public

La Poste bénéficie d'une compensation du coût net de sa mission d'aménagement et de développement du territoire (maintien de points de contact sur l'ensemble du territoire) via un allégement de fiscalité locale en application de l'article 6 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, abondant un fonds postal national de péréquation territoriale. Cet allègement prend la forme d'un abattement sur la cotisation foncière des entreprises (CFE), la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et la taxe foncière.

Alors que les conséquences de la réforme des impôts de production sur le financement du fonds de péréquation postale n'avaient pas été anticipées par le Gouvernement dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021, les rapporteurs spéciaux avaient proposé, lors de l'examen de ce texte, un amendement créant une dotation de 66 millions d'euros au profit du fonds postal national de péréquation territoriale. Ces ressources reviennent aux commissions départementales de la présence postale territoriale (CDPPT) et au financement des points de contact éligibles.

Cet amendement, adopté par le Sénat et conservé dans le texte final, a permis de financer les instruments de péréquation indispensables entre les collectivités. Les rapporteurs spéciaux considèrent en effet que les services des points de contact de La Poste doivent être préservés sur l'ensemble du territoire.

Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023, s'était posée la question du montant de la dotation dans un contexte où la réforme de la CVAE avait pour conséquence de réduire le produit des abattements dont bénéficiait le fonds postal. Par amendement, le Gouvernement avait finalement majoré la dotation de 31 millions d'euros, la portant à 105 millions d'euros. Cette hausse devait permettre de maintenir le niveau total de la compensation à 174 millions d'euros, conformément au contrat signé entre l'État, la Poste et l'Association des maires de France.

En 2024, la dotation budgétaire a été maintenue au même montant, dans un contexte où le rendement des abattements fiscaux continue de se réduire, notamment à l'occasion de la nouvelle baisse de la CVAE en 2024. D'après les informations recueillis par les rapporteurs spéciaux, le rendement de l'abattement des taxes locales pour La Poste s'est établi à 59 millions d'euros en 2023 et devrait s'établir à 54 millions d'euros en 2024. La dotation budgétaire de 105 millions d'euros fixé par le PLF 2025 est donc insuffisante pour respecter la compensation de 174 millions d'euros.

Les rapporteurs spéciaux envisagent de proposer, au stade de la séance publique, un amendement visant à renforcer cette dotation.

2. Une compensation stable pour la mission de service postal universel

La loi du 9 février 201020(*) qui a transformé le groupe La Poste en société anonyme à capitaux publics et a libéralisé le marché du courrier depuis au 1er janvier 2011, a confirmé l'attribution de la mission de service postal universel à La Poste, pour une durée de 15 ans à compter du 1er janvier 2011.

La baisse continue des volumes du service universel, aggravée par la crise sanitaire, rend cette mission de service public fortement déficitaire. Le compte du service universel en coûts complets s'établissait à + 146 millions d'euros en 2017 puis à - 365 millions d'euros en 2018, à - 526 millions d'euros en 2019, à - 782 millions d'euros en 202021(*) et à - 617 millions d'euros22(*) en 2021.

Il est donc apparu nécessaire de mettre en oeuvre une dotation spécifique. Dans le rapport sénatorial sur l'avenir de La Poste, MM. Patrick Chaize, Pierre Louault et Rémi Cardon23(*) avaient estimé qu'une dotation budgétaire était nécessaire pour que La Poste continue à assurer un service postal universel de qualité sur le territoire national.

À ce titre, La Poste doit fournir « une offre de services postaux de qualité déterminée, de manière permanente en tout point du territoire à des prix abordables pour tous les utilisateurs »24(*). D'après les rapporteurs de la commission des affaires économiques du Sénat, « la France se caractérise par des obligations de service public à valeur légale ou réglementaire qui n'ont pas été modifiées depuis dix ans et qui permettent d'assurer la distribution du courrier et la livraison des colis six jours sur sept sur l'ensemble du territoire pour un périmètre élargi de services postaux. »

Ainsi la loi de finances pour 2022 a tiré les conséquences de ce besoin de financement en établissant, pour la première fois et dans la continuité des recommandations du Sénat, une compensation d'un montant de 520 millions d'euros à compter de 2021.

En 2022, l'enveloppe devait atteindre 500 à 520 millions d'euros, la part variable de 20 millions d'euros étant attribuée en fonction du taux de lettres vertes effectivement livrées à J+ 2. En 2023, la compensation avait été fixée à 520 millions d'euros, mais a été ramené à 500 millions en LFI 2024. Cette baisse de 20 millions d'euros constituait une mesure d'économie sans lien avec d'éventuels mauvais résultats du groupe s'agissant des lettres vertes. La compensation est reconduite à 500 millions d'euros en PLF 2025, alors même que le taux de lettres vertes effectivement livrées à J+ 2 devrait être au-delà des objectifs fixés.

Les rapporteurs spéciaux estiment qu'il convient d'être prudent quant à ces coupes budgétaires, qui affectent une mission essentielle pour nos territoires.

3. Le transport postal de presse : une compensation en baisse, alors que la réforme globale de la distribution de la presse n'a pas permis de remédier à la situation de sous-compensation de cette mission

La loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et à France Télécom met à la charge de La Poste une mission de service public de transport et de distribution de la presse. La loi du 9 février 201025(*) a confirmé l'attribution de cette mission à La Poste. Elle a pour objectif de permettre à chaque citoyen un égal accès à l'information.

Ce dispositif constitue l'un des principaux mécanismes de soutien à la presse écrite papier. En contrepartie de cette mission, l'État verse à La Poste une contribution budgétaire.

Une réforme globale du transport de la presse a été actée à la suite de la présentation du rapport Giannesini-Scotté en avril 2020. Cette réforme, mise en oeuvre à compter du 1er janvier 2023, a notamment pour objectif de réduire les volumes de presse postés - c'est à-dire la presse distribuée par les services de la Poste - en incitant les éditeurs de presse à se tourner davantage vers le portage.

La réforme devait ainsi se traduire par une moindre sollicitation des services postaux par les éditeurs de presse, une diminution des charges pesant sur les services postaux, et par conséquent, une réduction du déficit du compte presse du Groupe la Poste. Toutefois il semblerait que le report vers le transport porté n'ait pas eu lieu en 2023. En parallèle, le montant de la compensation versée par l'État au titre de cette mission a été divisé par deux entre 2022 et 2024 pour tirer les conséquences de cette réforme. Le PLF pour 2025, qui prévoit une subvention de 38,5 millions d'euros (- 4,3 millions d'euros par rapport à 2024) pour la Poste au titre de cette mission, s'inscrit dans cette trajectoire baissière.

Évolution de la compensation versée par l'État à La Poste
au titre de la mission « transport postal de presse »

(en millions d'euros)

Source : Inspection générale des finances, revue de dépenses du les aides aux entreprises, avril 2024

Le maintien du volume d'exemplaires postés et la diminution de la compensation, sans réforme interne à La Poste, a donc augmenté la situation de sous-compensation de cette mission de service public. D'après les informations transmises par la Poste aux rapporteurs spéciaux, le déficit de la mission aurait ainsi atteint 500 millions d'euros en 2023. Les rapporteurs spéciaux estiment que cette situation n'est pas soutenable et qu'il sera nécessaire de mener une réflexion approfondie sur des nouvelles modalités de compensation de cette mission de service public.

4. La mission d'accessibilité bancaire : une compensation réduite, conformément à la trajectoire prévue

La loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008 a généralisé la distribution du Livret A par toutes les banques au 1er janvier 2009. Elle a toutefois fixé des obligations spécifiques pour La Banque Postale en matière de distribution et de fonctionnement du Livret A au titre de sa mission d'accessibilité bancaire.

Cette mission consiste à offrir gratuitement à toute personne qui en fait la demande un livret A ayant des caractéristiques spécifiques permettant de l'utiliser comme un quasi-compte courant. La mission vise un objectif d'insertion bancaire et sociale en permettant à certaines populations, dont les besoins spécifiques en termes de moyens de paiement et d'utilisation du compte ne sont pas couverts par les autres dispositifs, d'avoir accès à un support bancaire simple dont le mode de fonctionnement est adapté à leurs besoins (domiciliations de certains revenus et de certains prélèvements, montant minimum des opérations individuelles de retraits et de dépôts fixé à 1,50 euro contre 10 euros dans les autres établissements, absence de carte de paiement, etc.).

En 2021, La Banque Postale recensait 1,04 million de clients relevant de la mission d'accessibilité bancaire. Cette mission représente un coût élevé pour La Banque Postale lié à l'absence de moyens de paiement associés au livret A, d'une part, et au besoin d'un accompagnement humain renforcé, d'autre part, qui entraînent une consommation accrue de services de guichet.

En contrepartie de sa mission d'accessibilité bancaire, La Banque Postale reçoit donc une compensation. Celle-ci était débudgétisée jusqu'à 2023 : c'était le Fonds d'épargne de la Caisse des dépôts et consignations qui en assumait la charge.

La loi de finances pour 2023 a transféré au budget général de l'État le financement de la mission d'accessibilité bancaire, conformément à une recommandation de la Cour des comptes dans son rapport sur l'épargne réglementée26(*) de 2022.

La budgétisation de la compensation n'aura en principe pas d'effet sur son montant. La convention passée pour cette mission entre l'État et La Banque Postale et formalisée par un arrêté du 9 août 2021 qui prévoit la trajectoire dégressive, afin de répondre à l'exigence d'incitation à l'efficience de la mission prévue par la réglementation européenne, est la suivante :

Montant de la compensation annuelle
au titre de la mission d'accessibilité bancaire de 2021 à 2026

(en millions d'euros)

2021

2022

2023

2024

2025

2026

338

321

303

287

269

252

En 2025, la compensation prévue est bien de 269 millions d'euros, portée par le programme 305 « Stratégies économiques ». Cette compensation n'est que partielle, en cohérence avec les orientations et les obligations fixées par la Commission européenne en matière d'aides d'État. Ainsi malgré des gains d'efficience réalisés pour réduire les coûts d'exploitation, la rémunération spécifique ne couvre pas la totalité des coûts de la mission d'accessibilité bancaire supportés par La Banque Postale.


* 20 Loi n° 2010-123 du 9 février 2010 relative à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales.

* 21 Hors provisions comptables pour dépréciations des actifs du courrier ou du colis.

* 22 Hors provisions comptables pour reprise de dépréciations des actifs du courrier ou du colis.

* 23 Compenser, contrôler, améliorer, détecter : pour une Poste partout et pour tous, rapport d'information de MM. Patrick Chaize, Pierre Louault et Rémi Cardon, fait au nom de la commission des affaires économiques, n° 499 (2020-2021) - 31 mars 2021.

* 24 Article 3 de la directive 97/67/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 1997 concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l'amélioration de la qualité du service.

* 25 Loi n° 2010-123 du 9 février 2010 relative à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales.

* 26 L'Épargne réglementée (2016-2021), observations définitives, Cour des comptes, septembre 2022.

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