N° 113
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 novembre 2024
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi instituant une ordonnance de sûreté de l'enfant victime de violences,
Par Mme Marie MERCIER,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier Bitz, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, MM. Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, MM. Georges Naturel, Paul Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.Voir les numéros :
Sénat : |
530 (2023-2024) et 114 (2024-2025) |
L'ESSENTIEL
Les travaux de la commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) ont récemment mis en lumière, par la publication de son rapport en novembre 2023, l'ampleur des violences sexuelles dont les enfants seraient victimes ; le chiffre, vivement préoccupant, de 160 000 victimes présumées par an ayant été avancé.
Le fléau que représentent ces violences a pourtant été identifié de longue date par le législateur qui a souhaité, notamment à deux reprises lors de l'année 2024, renforcer les outils de protection1(*). Ainsi, la protection judiciaire de l'enfance est, en l'état du droit, assurée au moyen de nombreux dispositifs qui relèvent, en fonction des circonstances, du juge des enfants, du juge aux affaires familiales ou du procureur de la République.
En parallèle de ces dispositifs, la présente proposition de loi, présentée par Maryse Carrère et plusieurs de ses collègues du groupe RDSE, qui l'a inscrite à son espace réservé de la séance publique du 13 novembre 2024, vise à instituer une ordonnance de sûreté de l'enfant victime de violences, inspirée de l'ordonnance de protection, qui pourrait être délivrée en urgence par le juge aux affaires familiales en cas de viol incestueux, de violence sexuelle incestueuse ou de fait de violences commis par un adulte ayant une autorité de droit ou de fait sur un enfant. Il s'agit d'une mesure issue des recommandations de la Ciivise.
Constatant l'absence de consensus en faveur de la création d'une ordonnance de sûreté de l'enfant parmi les principaux acteurs de la protection de l'enfance et estimant que les limites juridiques du dispositif étaient significatives, la commission a, sur proposition de son rapporteur, Marie Mercier, rejeté la proposition de loi, sans préjudice d'adaptations éventuelles des dispositifs de protection judiciaire de l'enfance au stade de la séance publique.
I. LA PROTECTION JUDICIAIRE DE L'ENFANCE REPOSE SUR L'ARTICULATION DE PLUSIEURS DISPOSITIFS QUI ONT POUR CERTAINS FAIT L'OBJET D'ÉVOLUTIONS LÉGISLATIVES RÉCENTES
A. LES MESURES D'ASSISTANCE ÉDUCATIVE PERMETTENT D'ASSURER LA PROTECTION JUDICIAIRE D'UN ENFANT EN L'ABSENCE DE PARENT « PROTECTEUR »
La protection de l'enfance incombe en principe au juge des enfants, en vertu de l'ordonnance n° 58-1301 du 23 décembre 1958 relative à la protection de l'enfance et de l'adolescence en danger. L'ouverture ample de sa saisine2(*) et l'inscription de cette dernière dans une procédure de signalement globale favorisent l'accessibilité et, partant, l'efficacité de la protection judiciaire de l'enfant présumé victime de violences lorsque le juge des enfants estime que celui-ci est dans une situation de danger.
Le juge des enfants intervient en outre dans un cadre procédural favorable à la garantie de l'intérêt de l'enfant. Il doit ainsi « systématiquement effectuer un entretien individuel avec l'enfant capable de discernement », en application de l'article 375-1 du code civil. Il peut, au surplus et en application du même article 375-1, demander au bâtonnier la désignation d'un avocat ou, pour l'enfant non capable de discernement, d'un administrateur ad hoc.
Le juge des enfants dispose d'un large éventail de mesures d'assistance éducative afin de protéger un enfant présumé victime de violences. Ainsi peut-il, en l'absence de parent « protecteur » et en vertu de l'article 375-3 du code civil, ordonner une mesure de placement de l'enfant et, conformément à l'article 375-4 du même code, l'assortir d'un dispositif d'aide et de conseil. L'ordonnance de placement provisoire permet en outre au juge des enfants, en cours d'instance, ou au procureur de la République, en urgence, de placer un enfant présumé victime de violences. Lorsque le procureur de la République y recourt, il doit saisir le juge des enfants dans les huit jours. Le juge des enfants peut enfin exceptionnellement statuer sur les droits de visite et d'hébergement des parents3(*), sans empiéter sur la compétence de principe du juge aux affaires familiales en la matière4(*).
* 1 Par le vote de la loi n° 2024-233 du 18 mars 2024 visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales et de la loi n° 2024-536 du 13 juin 2024 renforçant l'ordonnance de protection et créant l'ordonnance provisoire de protection immédiate.
* 2 Voir l'article 375 du code civil.
* 3 Articles 375-3 et 375-7 du code civil.
* 4 Si une décision du juge aux affaires familiales a été prise antérieurement en la matière, un fait nouveau doit avoir été révélé après celle-ci pour que le juge des enfants puisse aménager les droits de visite et d'hébergement (Cour de cassation, Première chambre civile, 3 février 1987, n° 86-80.016).