C. LE PROGRAMME 135 CONNAÎT UNE HAUSSE IMPORTANTE DE CRÉDITS SANS POUR AUTANT RÉPONDRE EFFICACEMENT À LA CRISE DU LOGEMENT.

Le programme 135 porte des crédits consacrés à des actions liées à la construction et l'habitat, en particulier par les aides à la pierre pour la construction de logements sociaux, la rénovation thermique des logements privés et, désormais, le financement des établissements publics fonciers. La quasi-totalité des crédits est portée par les actions 01, 04 et 07.

L'action 01 « Construction locative et amélioration du parc » porte en loi de finances initiale des crédits budgétaires très réduits (18 millions d'euros) destinés à la rénovation des cités minières et à l'accueil des gens du voyage mais accueille surtout, en exécution, des fonds de concours reversés au Fonds national des aides à la pierre (FNAP). Ses crédits consommés sont ainsi de 262,9 millions d'euros en crédits de paiement (voir infra).

L'action 04 « Réglementation, politique technique et qualité de la construction » a consommé en 2023 des crédits de 442,7 millions d'euros, correspondant principalement aux crédits budgétaires destinés à l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) pour la rénovation thermique des logements privés à hauteur de 389,2 millions d'euros. Les dépenses liées au contentieux de l'habitat sont de 47,5 millions d'euros, ce qui correspond majoritairement aux astreintes à la charge de l'État versées au Fonds national d'accompagnement vers et dans le logement (FNAVDL), dans le cadre de la mise en oeuvre du droit au logement opposable (DALO).

L'action 07 « Urbanisme et aménagement » finance certaines actions en lien avec l'urbanisme et l'aménagement. Ses crédits ont augmenté de manière très importante depuis 2021 en raison de la mise en oeuvre d'une compensation budgétaire à destination, notamment, des établissements publics fonciers, suite à la diminution du produit de la taxe spéciale d'équipement (TSE) résultant de la réforme de la fiscalité locale de 2020. Les crédits de paiement exécutés en 2023 sont de 254,9 millions d'euros, dont 175,2 millions d'euros au titre de la compensation budgétaire, les autres dépenses correspondant à des actions diverses de soutien à l'urbanisme et à l'aménagement.

Par ailleurs, deux actions sont dotées uniquement en exécution, par transfert depuis la mission « Plan de relance » : les actions 09 « Crédits Relance Cohésion » (8,2 millions d'euros de crédits de paiement) et 10 « Crédits Relance Écologie » (92,7 millions d'euros).

S'agissant des autres actions, l'action 02 « Soutien à l'accession à la propriété » comprend des commissions de gestion versées à la société de gestion des financements et de la garantie de l'accession sociale à la propriété (SGFFAS), car cette politique passe par des dispositifs fiscaux et des crédits extrabudgétaires. L'action 03 « Lutte contre l'habitat indigne » retrace certaines dépenses prises en charge directement par l'État, cette politique étant mise en oeuvre à titre principal par l'ANAH. L'action 05 « Soutien » regroupe des crédits d'étude, de médiation, de communication, ainsi que des crédits liés aux applications informatiques et à la formation des personnels.

Évolution des crédits par action du programme 135

(en millions d'euros et en %)

   

2022

2023

Exécution / prévision 2023

Exécution

2023 / 2022

Exécution

Crédits votés LFI

Prévision LFI

Exécution

en volume

en %

en volume

en %

01 - Construction locative et amélioration du parc

AE

357,1

43,0

807,0

675,8

- 131,2

- 16,3 %

+ 318,7

+ 89,2 %

CP

298,9

18,0

383,0

262,9

- 120,1

- 31,3 %

- 36,0

- 12,0 %

02 - Soutien à l'accession à la propriété

AE

3,8

4,1

4,1

3,7

- 0,4

- 9,5 %

- 0,1

- 2,2 %

CP

3,8

4,1

4,1

3,7

- 0,4

- 9,5 %

- 0,1

- 2,2 %

03 - Lutte contre l'habitat indigne

AE

10,8

15,5

15,5

10,3

- 5,2

- 33,7 %

- 0,5

- 4,4 %

CP

11,2

15,5

15,5

12,1

- 3,4

- 22,0 %

+ 0,9

+ 8,2 %

04 - Réglementation, politique technique et qualité de la construction

AE

214,7

455,3

455,3

439,5

- 15,8

- 3,5 %

+ 224,8

+ 104,7 %

CP

212,5

455,3

455,3

442,7

- 12,6

- 2,8 %

+ 230,2

+ 108,3 %

05 - Soutien

AE

43,2

35,3

35,3

36,8

+ 1,5

+ 4,1 %

- 6,4

- 14,9 %

CP

42,2

33,0

33,0

35,8

+ 2,8

+ 8,5 %

- 6,3

- 15,0 %

07 - Urbanisme et aménagement

AE

234,3

249,9

249,9

232,2

- 17,7

- 7,1 %

- 2,1

- 0,9 %

CP

238,2

254,9

254,9

230,4

- 24,5

- 9,6 %

- 7,8

- 3,3 %

09 - Crédits Relance Cohésion

AE

19,3

0,0

0,0

1,6

+ 1,6

+ 0,0 %

- 17,7

- 91,5 %

CP

11,2

0,0

0,0

8,9

+ 8,9

+ 0,0 %

- 2,3

- 20,6 %

10 - Crédits Relance Écologie

AE

79,0

0,0

0,0

-4,3

- 4,3

+ 0,0 %

- 83,3

- 105,4 %

CP

73,7

0,0

0,0

92,7

+ 92,7

+ 0,0 %

+ 19,0

+ 25,7 %

Total programme

AE

962,1

803,1

1 567,1

1 395,6

- 171,5

- 10,9 %

433,5

+ 45,1 %

CP

891,7

780,8

1 145,8

1 089,2

- 56,6

- 4,9 %

197,5

+ 22,1 %

Note : LFI : loi de finances initiale. La prévision en LFI inclut les prévisions de fonds de concours (FDC) et d'attribution de produits (ADP), ce qui n'est pas le cas des crédits votés en LFI. L'exécution constatée dans le projet de loi de règlement ou de résultats de la gestion inclut les FDC et ADP constatés.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Après une forte diminution des crédits consommés en 2022, qui étaient en baisse de 433,5 millions d'euros par rapport à 2021, l'exercice 2023 retrouve une exécution proche de la tendance. Ainsi, les crédits sont en augmentation de 433,5 millions d'euros, soit + 45,1 %, en autorisations d'engagement et de 197,5 millions d'euros en crédits de paiement, soit + 22,1 %.

Ce retour à la trajectoire en tendance résulte pour l'essentiel de l'augmentation de la subvention à l'ANAH, qui passe en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement de 220 millions d'euros en 2022 à 384 millions d'euros en 2023, et des 200 millions d'euros d'autorisations d'engagement de crédits d'aide à la rénovation énergétique de logements sociaux.

1. La gestion budgétaire du programme 135 demeure peu lisible du fait de mouvements de crédits nombreux et massifs.

Les crédits consommés par le programme 135 dépassent très largement ceux ouverts en loi de finances initiale, du fait de mouvements de crédits de toutes natures structurellement élevés. Pour une large part, ces crédits sont issus de fonds de concours versés au Fonds national des aides à la pierre (FNAP).

Évolution des crédits en cours d'exercice

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir des données CHORUS

Ces mouvements de crédits tendent à s'accroître d'année en année. Cependant, l'exercice 2023 porte plusieurs inflexions de dynamiques.

Principaux mouvements de crédits de 2013 à 2023

(en millions d'euros)

Note : les reports de N vers N+1 correspondent à des crédits non consommés l'année N et sont donc représentés avec un signe négatif. Le même montant vient alimenter (avec un signe positif) les crédits lors de l'année N+1.

Source : commission des finances, à partir des restitutions Chorus

L'année 2023 voit les montants de crédits transférés, annulés et reportés hors fonds de concours diminuer par rapport à 2022, ce qui permet de constater un effort de rationalisation de la gestion.

Ces évolutions sont liées à divers facteurs. D'abord, la fin de la mise en place du plan de relance permet la diminution des transferts. En effet, ces derniers avaient crû en 2021 et 2022, avec un transfert de crédits depuis les programmes 362 « Écologie »et 364 « Cohésion » de la mission « Plan de relance » vers le programme 135 pour alimenter respectivement les actions 09 « Crédits Relance Cohésion » et 10 « Crédits Relance Écologie ». En 2023, les autorisations d'engagement sont nulles pour ces deux programmes et ne demeurent que des crédits de paiement dont 17,2 millions d'euros proviennent de transferts depuis les programmes 362 et 364.

Le niveau des reports hors fonds de concours diminue également fortement par rapport à 2022, brisant la dynamique qui se mettait en place depuis quelques années. Le rapporteur espère que la limitation des reports de crédits budgétaires redeviendra la norme : en effet, il revient au Gouvernement d'annuler les crédits non consommés en fin de gestion afin de faire vivre le principe de l'annualité de l'autorisation parlementaire.

Ensuite, la gestion des crédits issus des fonds de concours connaît quelques améliorations cette année mais demeure problématique. Si les ouvertures de crédits diminuent pour atteindre 371,9 millions d'euros, ce qui permet de réduire les annulations de crédit, il n'en demeure pas moins que la valeur des reports continue sa croissance d'année en année pour atteindre 696,4 millions d'euros. Le rapporteur spécial encourage une budgétisation plus adaptée d'année en année pour favoriser une stabilisation de la trésorerie des fonds de concours du programme, même si l'existence de reports plus importants est moins problématique pour les fonds de concours que pour les crédits budgétaires : les projets sont souvent pluriannuels, les crédits non utilisés ne peuvent être recyclés pour d'autres usages.

La nouvelle double règle de dépense du FNAP16(*), issue d'une réforme de ce qui était appelé la règle d'or17(*) avant 2023, n'a pas permis de réduire ces reports ni d'en retenir la croissance.

Le rapporteur spécial indique enfin sa préoccupation devant l'accroissement continu des restes à payer, malgré les efforts entrepris par la DHUP pour les réduire. Alors qu'ils étaient auparavant à un niveau stable d'environ 2 milliards d'euros, ils ont augmenté de 39,9 % entre 2020 et 2023.

Restes à payer du programme 135

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

L'augmentation considérable de ces restes à payer est liée à la mise en oeuvre des actions 09 « Crédits Relance Cohésion » et 10 « Crédits Relance Écologie ». En effet, les autorisations d'engagement ouvertes, parfois massives, - avec 402 millions d'euros en 2021 pour l'action 10 - en 2021 et 2022 n'ont pas été couvertes par des crédits de paiement.

Il est cependant probable que la situation se résorbe : les autorisations d'engagement dans ces deux actions sont nulles en 2021 et les crédits de paiement continuent à être mis en oeuvre, même si leur rythme d'utilisation notamment sur l'action 10 demeure lent.

2. En outre, des risques pèsent sur le financement du FNAP après 2025.

Le Fonds national des aides à la pierre (FNAP) est un établissement public d'un type particulier. Opérateur du programme 135, il ne reçoit pas de crédits budgétaires depuis plusieurs années, mais est alimenté par des fonds de concours versés principalement, ces dernières années, par les bailleurs sociaux et le groupe Action Logement. L'ensemble de ses fonds sont toutefois versés au programme 135 avant d'être distribués entre les régions en fonction des priorités définies par son conseil d'administration. Le volume de ces fonds de concours vient donc accroître considérablement, en exécution, le montant des crédits du programme 135.

La participation volontaire d'Action logement, qui l'engageait jusqu'en 2022, a été reconduite en 2023 à hauteur de 300 millions d'euros, imposée alors de manière unilatérale par l'État, mais s'éteindra après un dernier versement de 150 millions d'euros en 2024. Si la trésorerie du FNAP et les reports accumulés lui permettront en 2024 de faire face à ses engagements, il sera nécessaire à partir de 2025 de trouver une solution de financement pérenne. En vue du projet de loi de finances pour 2025, des échanges interministériels sous l'égide de la DHUP devraient avoir lieu.

Dans l'optique de gagner en lisibilité et en simplicité mais aussi d'assurer le financement de la construction, le rapporteur spécial se joint à la Cour des comptes pour recommander une meilleure budgétisation des crédits alloués au FNAP. Le système de financement actuel, en effet, souffre d'une programmation peu réaliste et manque d'efficacité pour l'allocation des ressources.

3. La crise du logement, en particulier du logement social, s'accentue et montre que le programme manque d'efficacité

Loin de l'objectif fixé de 110 000 logements sociaux agréés, seuls 82 183 agréments ont été émis en 2023, soit 74,7 % de la cible. Ce chiffre est en deçà du seuil bas de 87 501 atteint en 2020 en lien avec la crise sanitaire et montre que la crise du logement social demeure.

Agréments de logements sociaux depuis 2016

(en nombre de logements financés ou agréés)

Note : France métropolitaine, hors zone ANRU. PLAI : prêt locatif aidé d'intégration. PLUS : prêt locatif à usage social. PLS : prêt locatif social.

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

En particulier, la cible de 40 000 logements très sociaux (PLAI) agréés est très loin d'être atteinte et pénalise particulièrement les publics les plus en difficultés par le contexte inflationniste. De même, la cible d'agrément de logement PLUS est loin d'être atteinte avec seulement 62 % du chiffre cible.

Après la pandémie, et alors que les années 2021 et 2022 étaient loin de marquer une reprise de la construction, l'exercice 2023 confirme la diminution tendancielle très nette depuis 2016 de la production de logements sociaux.

4. La définition d'une politique du logement cohérente doit être une priorité pour le prochain Gouvernement

Dans une situation aussi délicate, le gouvernement issu des dernières élections législatives devra prioritairement fixer des objectifs et des moyens cohérents pour mener à bien une politique du logement, notamment social et abordable.

Le rapporteur spécial appelait, l'an passé, à la conclusion rapide d'une nouvelle convention quinquennale entre le Gouvernement alors récemment nommé et le groupe Action Logement. En effet, la précédente convention couvrait la période 2018-2022. La signature tardive, le 16 juin 2023 alors qu'elle aurait dû prendre effet le 1er janvier, de celle couvrant la période 2023-2027, démontrait un manque de volonté politique du Gouvernement pour mettre en oeuvre une véritable politique du logement.

Ceci est d'autant plus dommageable que les acteurs de cette politique ont besoin de vision claire et stable sur le financement de leurs projets et qu'Action logement en apporte une part importante.

La nouvelle convention prévoit la sortie d'Action Logement du financement du FNAP à horizon 2025 (cf. supra), sans que soit encore prévue la compensation de cette réduction du financement. Le nouveau gouvernement, pour asseoir la stabilité de la politique de création de nouveaux logements, devra favoriser la conclusion d'un accord sur les moyens qui lui sont alloués.

Alors que 2,6 millions de ménages sont en attente d'un logement social et que le nombre des agréments est en diminution constante depuis dix ans, le Gouvernement n'a en outre pas pris la mesure de l'ampleur des besoins de rénovation et de nouvelles constructions. Le « pacte de confiance » annoncé pour décembre 2023 avec les acteurs du logement social n'a finalement pas mené à des prises d'engagements pluriannuels et chiffrés de la part du Gouvernement.

Enfin, de façon plus large, le rapporteur spécial alerte à nouveau sur la difficulté de mettre en oeuvre les règles de sobriété foncière ou « zéro artificialisation nette » (ZAN) imposées aux collectivités par la loi Climat-résilience du 22 août 2021 sans un volet de financement budgétaire ou fiscal. En effet, une telle mesure engendre des coûts directs ou indirects pour les territoires qu'il faudra combler par des recettes. Or, la mise en oeuvre de cette politique dans un contexte où la demande en logement est très forte est par défaut difficile : le rapporteur spécial appelle dès lors de nouveau le prochain gouvernement à être force de propositions concrètes.

Le rapporteur spécial regrette une nouvelle année perdue pour résoudre la crise du logement. Face à une situation très difficile du secteur, notamment du logement social, il est essentiel de tracer des objectifs dotés de moyens cohérents pour que la politique du logement retrouve une efficacité.


* 16 Décret 2023-125 du 21 février 2023, et arrêté de gestion des ministres du logement, de l'économie et du budget du 21 février 2023, en application du décret 2023-125 :

Le montant des versements annuels du Fnap devra être supérieur ou égal :

· à la moitié du montant des actions engagées (AE nouvelles) dans l'année par le Fnap ;

· au 6ème (puis au 5ème à partir de 2026) du montant des restes à payer sur le fonds de concours « offre nouvelle »au 31 décembre de l'année précédente.

* 17 Cette règle imposait au FNAP de verser chaque année un montant de crédits de paiements au moins égal à la somme des subventions correspondant aux nouvelles opérations agréées.

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