N° 34

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 octobre 2024

RAPPORT

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi,
rejeté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée,
relative aux
résultats de la gestion et portant approbation des comptes
de l'année 2023,

Par M. Jean-François HUSSON,
Rapporteur général,

Sénateur

TOME II
CONTRIBUTION DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

ANNEXE N° 6a
Cohésion des territoires - Logement et ville

(Programmes 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables », 109 « Aide à l'accès au logement », 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat » et 147 « Politique de la ville »)

Rapporteur spécial : M. Jean-Baptiste BLANC

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17ème législ.) : 3, 291 et T.A. 3

Sénat : 32 (2024-2025)

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Sur les principales politiques conduites dans le cadre des programmes 177, 109, 135 et 147 relatifs au logement et à l'urbanisme (logement d'abord, logement social et intermédiaire, renouvellement urbain...), le Gouvernement issu des élections du printemps 2022 n'a pas véritablement défini les axes qu'il entendait donner à l'action de l'État. Après 2022, 2023 se présente ainsi comme une seconde « année blanche », bien que certains objectifs et financements commencent à être fixés. L'incertitude politique de 2024 risque néanmoins de faire regretter ce temps perdu.

2. En particulier, le nouveau cadre des relations entre l'État et les bailleurs sociaux, d'une part, et avec le groupe Action Logement, d'autre part, n'a été que tardivement défini. L'État y fait preuve d'un manque de vision de long terme et d'engagement.

3. Le nombre de places ouvertes pour l'hébergement d'urgence atteint un record en 2023. Dès lors, il est patent que le nouveau mode de pilotage de la politique d'hébergement d'urgence ne se conjugue ni avec une diminution de la taille du parc d'hébergement ni avec une maîtrise du coût de cette politique.

4. L'accueil des réfugiés d'Ukraine s'inscrit désormais dans le temps long et fait l'objet d'une action volontariste. Néanmoins, cette politique manque toujours de lisibilité budgétaire, ce qui empêche de tracer le coût de cette action.

5. La mise en place de réformes dans le calcul et le versement des aides au logement a rendu moins précise la budgétisation de cette politique, dont le circuit de financement devra être revu d'ici 2025, en lien avec l'impossibilité à partir de cette année d'affecter au Fonds national d'aide au logement (FNAL) les cotisations employeur qui lui reviennent actuellement.

6. Les agréments de logements sociaux atteignent un niveau bas record hors crise sanitaire, démontrant la mise en place d'une tendance qui renforce encore la crise du logement. Cela est d'autant plus problématique que le financement du Fonds national d'aide à la pierre (FNAP) n'est pas assuré après 2025.

7. Face aux lourds engagements liés à la mise en oeuvre du nouveau programme de renouvellement urbain (NPNRU), la participation de l'État est à nouveau repoussée aux années futures.

I. L'EXÉCUTION DES PROGRAMMES DE LA MISSION

La mission « Cohésion des territoires » est composée de six programmes portant des politiques de natures diverses1(*), allant de la politique du logement à celle de l'aménagement du territoire :

- le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » vise à répondre aux situations d'hébergement d'urgence et à permettre l'accès au logement ;

- le programme 109 « Aide à l'accès au logement » porte principalement les crédits des aides personnelles au logement ;

- le programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat » finance, via des fonds de concours, les aides à la pierre et, au moyen de crédits budgétaires, d'autres actions relatives au logement, à la construction, à l'urbanisme et à l'aménagement ;

- le programme 112 « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire » comprend le Fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT), qui finance une partie des contrats de plan État-régions ainsi que divers dispositifs, dont les maisons France Services ;

- le programme 162 « Interventions territoriales de l'État » (PITE) portait en 2023 huit actions spécifiques de portée régionale ou interrégionale ;

- le programme 147 « Politique de la ville » porte les moyens de l'État consacrés aux quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et au nouveau programme de renouvellement urbain (NPNRU).

A. LA MISSION « COHÉSION DES TERRITOIRES » REGROUPE DES POLITIQUES VARIÉES POUR UN MONTANT DE CRÉDITS TOTAL DE PRÈS DE 18 MILLIARDS D'EUROS

Les crédits exécutés de la mission « Cohésion des territoires » se sont élevés en 2023 à 18,8 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 18,5 milliards d'euros en crédits de paiement, ce qui représente une augmentation de 554,6 millions d'euros, soit + 3,0 %, en autorisations d'engagement, et de 626,6 millions d'euros, soit + 3,5 %, en crédits de paiement par rapport à 2022.

Évolution des crédits de la mission « Cohésion des territoires » en 2023

(en millions d'euros et en pourcentage)

   

2022

2023

Exécution / LFI 2023

Exécution

   

LFI

Exécution

LFI

Exécution

en volume

en %

en volume

en %

177 - Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables

AE

2 785,8

2 976,4

+ 6,8 %

2 825,8

3 068,7

+ 242,9

+ 8,6 %

+ 92,3

+ 3,1 %

CP

2 677,5

2 885,4

+ 7,8 %

2 850,6

3 076,5

+ 225,9

+ 7,9 %

+ 191,1

+ 6,6 %

109 - Aide à l'accès au logement

AE

13 079,4

13 078,5

- 0,0 %

13 371,3

13 290,8

- 80,5

- 0,6 %

+ 212,3

+ 1,6 %

CP

13 079,4

13 079,4

- 0,0 %

13 371,3

13 290,8

- 80,5

- 0,6 %

+ 211,4

+ 1,6 %

135 - Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat

AE

1 064,5

962,1

- 9,6 %

1 567,1

1 395,6

- 171,5

- 10,9 %

+ 433,5

+ 45,1 %

CP

1 064,5

891,7

- 16,2 %

1 145,8

1 089,2

- 56,6

- 4,9 %

+ 197,5

+ 22,1 %

112 - Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire

AE

282,2

382,5

+ 35,6 %

380,8

396,8

+ 16,1

+ 4,2 %

+ 14,3

+ 3,7 %

CP

284,9

338,0

+ 18,6 %

313,8

340,1

+ 26,3

+ 8,4 %

+ 2,1

+ 0,6 %

147 - Politique de la ville

AE

558,3

551,5

- 1,2 %

597,9

565,4

- 32,5

- 5,4 %

+ 13,9

+ 2,5 %

CP

558,3

551,8

- 1,2 %

597,9

565,5

- 32,4

- 5,4 %

+ 13,7

+ 2,5 %

162 - Interventions territoriales de l'État

AE

147,1

328,1

+ 123,0 %

158,0

116,4

- 41,6

- 26,4 %

- 211,7

- 64,5 %

CP

176,4

137,7

- 21,9 %

104,5

148,5

+ 44,0

+ 42,1 %

+ 10,8

+ 7,8 %

Total mission

AE

17 917,4

18 279,1

+ 2,0 %

18 900,9

18 833,7

- 67,1

- 0,4 %

+ 554,6

+ 3,0 %

CP

17 841,1

17 884,0

+ 0,2 %

18 383,8

18 510,6

+ 126,8

+ 0,7 %

+ 626,6

+ 3,5 %

Note : AE : autorisations d'engagement. CP : crédits de paiement. LFI : budgétisation en loi de finances initiale, y compris les prévisions de fonds de concours (FDC) et attributions de produits (ADP). Exécution : consommation constatée dans le projet de loi de règlement ou de résultats de la gestion.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Cette augmentation résulte d'une augmentation en volume des crédits consommés dans tous les programmes :

- les crédits du programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » poursuivent leur augmentation (+ 191,1 millions d'euros en crédits de paiement, après une augmentation de 207,9 millions d'euros en 2022) ;

- de même les crédits des programmes 147 « Politique de la ville », 109 « Aide à l'accès au logement » et 112 « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire » sont en augmentation en volume, respectivement de 2,5 %, 1,6 % et 0,6 %. Cela correspond néanmoins à une réduction en euros constants, dans la mesure où l'inflation2(*) atteignait en 2023 4,9% ;

- le programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat », après une diminution en 2022, connaît une augmentation importante en lien notamment avec l'augmentation de la subvention allouée à l'Agence nationale d'amélioration de l'habitat (ANAH) ;

- le programme 162 « Interventions territoriales de l'État », bien que connaissant une diminution importante des autorisations d'engagement ouvertes, voit les crédits consommés progresser de 7,8 % (+ 10,8 millions d'euros), en raison d'une structure de crédits constituée en grande partie par des reports, des transferts en gestion et des crédits de fonds de concours.

La très grande majorité des crédits de la mission correspondent à des dépenses largement contraintes : dépenses de guichet (aides au logement du programme 109, qui représentent 75 % des crédits de la mission en 2023), ou fortement déterminées par l'évolution de la situation économique et sociale (dépenses d'hébergement et de veille sociale portées par le programme 177) et donc difficilement pilotables.

La mission comporte très peu de dépenses de personnel. Le montant des crédits de paiement de titre 2 exécuté en 2023 est de 1,4 million d'euros, exclusivement imputés sur le programme 147 « Politique de la ville » au titre de la masse salariale des délégués du préfet pour 275 équivalents temps plein travaillés (ETPT).

Comme chaque année, le programme 135 est celui qui a été le plus concerné par les mouvements de crédits en cours d'année, en raison du financement par fonds de concours des projets relevant du Fonds national d'aide à la pierre (FNAP, voir infra), des transferts en provenance de la mission « Plan de relance » et de la nature pluriannuelle des projets qui a pour conséquence un niveau élevé de reports de crédits d'année en année.

Enfin, la loi de finances de fin de gestion (LFG), promulguée le 30 novembre 2023, a annulé les crédits de la réserve n'ayant pas connu de dégel pour les programmes 109, 162 et 135. En revanche, elle a permis d'ouvrir 218,74 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement dans le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables », afin d'accroître le nombre de places d'hébergement d'urgence - passé de 200 000 en 2022 à 203 000. En outre, cela a permis d'ouvrir des places pour les femmes victimes de violence, de financer le soutien aux réfugiés ukrainiens et de compenser une partie des effets de l'inflation.

B. LES DÉPENSES FISCALES SE MAINTIENNENT À UN NIVEAU ÉLEVÉ PAR RAPPORT AUX CRÉDITS BUDGÉTAIRES

D'après le rapport annuel de performances, les dépenses fiscales rattachées à la mission « Cohésion des territoires » ont un coût total estimé à 8,53 milliards d'euros en 2023 après actualisation, contre 11,3 milliards prévus initialementCela représente 46,1 % des crédits consommés, montrant que l'outil de la dépense fiscale est utilisé de façon conséquente par rapport à celui des crédits budgétaires pour porter les politiques publiques de la mission « Cohésion des territoires ». La baisse importante par rapport à 2022 - où l'on comptait 15,8 milliards d'euros de dépenses fiscales afférentes à la mission - est liée à une modification du mode de calcul3(*) de ces dernières et non à une évolution de fond.

Les « niches fiscales » sont concentrées presque entièrement sur les programmes 135 (90,4 % des dépenses fiscales de la mission en montant) et 112 (5,8 %). Les dépenses fiscales du programme 135 représentent 9,8 fois le montant des crédits consommés dans ce programme, alors même que ces crédits incluent une part importante de fonds de concours (voir infra).

Ainsi, alors que les dépenses fiscales se traduisent par le même impact négatif sur le solde budgétaire que les dépenses budgétaires, il est possible d'esquisser deux cartographies très différentes de la mission « Cohésion des territoires » :

- si on considère les crédits budgétaires, les programmes 109 « Aide à l'accès au logement » et 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » dominent très largement l'exécution de la mission ;

- si l'on prend en compte les dépenses fiscales, ce sont les programmes 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat » et 112 « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire » qui occupent la première place.

Dépenses budgétaires et dépenses fiscales sur les programmes
de la mission « Cohésion des territoires »

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir du rapport annuel de performances. Crédits consommés en 2023 et chiffrage actualisé des dépenses fiscales en 2023.

II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL SUR LES CRÉDITS RELATIFS AU LOGEMENT ET À L'URBANISME

Les programmes suivis par le rapporteur spécial en charge des crédits relatifs au logement et à l'urbanisme sont les programmes 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables », 109 « Aide à l'accès au logement », 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat » et 147 » Politique de la ville ».

A. SUR LE PROGRAMME 177, LE PARC D'HÉBERGEMENT ATTEINT EN 2023 UN NOMBRE DE PLACES RECORD

Le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » porte la politique d'hébergement et d'accès au logement des personnes sans abri ou mal logées. Elle se compose de trois actions dont les crédits sont très inégaux. S'agissant pour l'essentiel de dépenses d'intervention, versés notamment aux acteurs du secteur de l'hébergement et de l'insertion, les crédits sont pratiquement égaux en autorisations d'engagement et en crédits de paiement.

L'action 11 « Prévention de l'exclusion » (36,7 millions d'euros en crédits de paiement) finance une aide au logement temporaire (dite « ALT 2 ») servie aux gestionnaires des aires d'accueil des gens du voyage et des actions en faveur de la résorption des bidonvilles et de la prévention des expulsions locatives, ainsi que des subventions à des associations en faveur des gens du voyage.

L'action 12 « Hébergement et logement adapté » (3,0 milliards d'euros, soit 98 % des crédits de paiement du programme) comprend les politiques de veille sociale, d'hébergement d'urgence et de logement adapté.

L'action 14 « Conduite et animation des politiques de l'hébergement et de l'inclusion sociale » (19,3 millions d'euros en crédits de paiement) finance des actions de pilotage du secteur de l'accueil, de l'hébergement et de l'insertion (AHI), ainsi qu'un soutien aux fédérations locales des centres sociaux.

Les crédits consommés en 2023 sont au total de 3,1 milliards d'euros en autorisations d'engagement et autant en crédits de paiement. En crédits de paiement, ils sont en hausse de 225,9 millions d'euros, soit 7,9 %, par rapport à la prévision en loi de finances initiale et croissent de 221,1 millions d'euros, soit 7,7 %, par rapport aux crédits consommés en 2022.

La hausse importante des crédits entre 2019 et 2021 - de 2,1 milliards d'euros à 2,9 milliards d'euros - semble ainsi se stabiliser en tendance.

Évolution des crédits par action du programme 177

(en millions d'euros et en %)

   

2022

2023

Exécution / prévision 2023

Exécution

2023 / 2022

Exécution

LFI

Exécution

en volume

en %

en volume

en %

11 - Prévention de l'exclusion

AE

49,9

31,8

37,3

+ 5,5

+ 17,4 %

- 12,6

- 25,2 %

CP

49,5

31,8

36,7

+ 4,9

+ 15,5 %

- 12,8

- 25,9 %

12 - Hébergement et logement adapté

AE

2 903,9

2 785,7

3 011,5

+ 225,8

+ 8,1 %

+ 107,6

+ 3,7 %

CP

2 811,6

2 810,4

3 020,4

+ 210,0

+ 7,5 %

+ 208,9

+ 7,4 %

14 - Conduite et animation des politiques de l'hébergement et de l'inclusion sociale

AE

22,6

8,4

20,0

+ 11,6

+ 138,8 %

- 2,6

- 11,7 %

CP

24,3

8,4

19,3

+ 11,0

+ 130,8 %

- 5,0

- 20,4 %

Total programme

AE

2 976,4

2 825,8

3 068,7

+ 242,9

+ 8,6 %

+ 92,3

+ 3,1 %

CP

2 885,4

2 850,6

3 076,5

+ 225,9

+ 7,9 %

+ 191,1

+ 6,6 %

Note : LFI : loi de finances initiale. La budgétisation inclut les prévisions de fonds de concours (FDC) et d'attribution de produits (ADP), ce qui n'est pas le cas des crédits votés en LFI. L'exécution constatée dans le projet de loi de règlement ou de résultats de la gestion inclut les FDC et ADP constatés.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Comme les années précédentes, le programme a fait l'objet d'ouvertures de crédits importantes en cours de gestion.

D'une part, les débats lors de l'adoption de la loi de finances initiale ont permis d'accroître les crédits ouverts de 70,2 millions d'euros avec un double objectif : absorber la hausse du point d'indice des travailleurs sociaux en lien avec les accords du Ségur et accroître le nombre de places en hébergements d'urgence.

D'autre part, la loi de finances de fin de gestion4(*) a ouvert des crédits de 218 millions d'euros supplémentaires en autorisations d'engagement et en crédits de paiement afin de pallier la sous-budgétisation du programme.

1. L'exécution du programme 177 est à la hausse, en lien avec l'atteinte d'un record dans le nombre de places ouvertes pour l'hébergement d'urgence

Après l'atteinte d'un nombre de plus de 200 000 places d'hébergement d'urgence en 2022, la Cour des comptes relève que ce nombre a encore augmenté en 2023 pour atteindre un record de 203 000.

Ainsi, après une forte augmentation des crédits de la ligne « hébergement d'urgence » en lien avec la crise sanitaire - la consommation de crédits est passée de moins de 900 millions d'euros en 2019 à 1 500 millions d'euros en 2021 -, la décrue entamée en 2022 ne se confirme pas en 2023. À l'inverse, l'inflation forte et la précarité induite ont favorisé la croissance de la demande.

Le budget du logement adapté, qui a également augmenté de plus de moitié entre 2019 et 2022 en lien avec la mise en oeuvre d'une politique désignée comme prioritaire pendant le quinquennat 2017-2022, continue à croître, dans le cadre du deuxième plan Logement d'abord. Le logement adapté devient ainsi la brique budgétaire qui a connu le taux de croissance le plus élevé (+ 104,4 %) entre 2017 et 2023. En 2023, 570,3 millions d'euros y ont été consommés.

Évolution des crédits des principaux dispositifs du programme 177

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des rapports annuels de performances)

S'agissant des crédits destinés aux centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), l'augmentation constatée en 2022 (+ 60,6 millions d'euros) se poursuit en 2023 (+ 60,1 millions d'euros). Elle intègre la compensation des employeurs par l'État du coût du « Ségur social » ainsi que le coût d'ouverture de places en CHRS.

2. La politique d'accueil des réfugiés ukrainiens, pérennisée en 2023, doit mener à une budgétisation plus lisible.

La France a accueilli près de 115 000 personnes déplacées d'Ukraine depuis le déclenchement de la guerre en février 2022, dont 29 000 ont bénéficié d'un logement au cours de l'année 2023. Si près d'un tiers de ces réfugiés sont hébergés au domicile de particuliers avec l'appui de l'État via l'association « hébergement citoyen », les autres occupent 9 000 logements mis à disposition par le Gouvernement.

Sur le plan budgétaire, l'accueil des réfugiés d'Ukraine a représenté un coût de 61,7 millions d'euros sur l'action 12 « Hébergement et logement adapté » et de 3,7 millions d'euros sur l'action 14 « Conduite et animation des politiques de l'hébergement et de l'inclusion sociale » du programme 177, soit un total de 65,4 millions d'euros.

Ce coût concerne moins l'hébergement proprement dit, pris en charge dans la plupart des cas par des dispositifs relevant du ministère de l'intérieur5(*), que des actions d'accès au logement mises en oeuvre par la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL) : intermédiation locative, accompagnement social, y compris des réfugiés en hébergement citoyen, financement d'opérations de logements en modulaire, mesures de soutien aux ménages accueillants et recrutements de chargés de mission au sein des opérateurs associatifs.

L'absence d'ouverture de crédits en loi de finances pour 2023, qui a soulevé un certain nombre de difficultés pour les associations qui manquaient de visibilité, a été partiellement comblé par le report de 51,6 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 54,2 millions d'euros en crédits de paiement non consommés en 2022. Néanmoins, il a été nécessaire d'ouvrir en loi de finances de fin de gestion 55,7 millions d'euros pour assurer la pérennité des actions.

Pour l'année 2024, la loi de finances initiale ne prévoit pas de crédits spécifiques à l'hébergement des Ukrainiens. Ainsi, la DIHAL a sollicité le report sur 2024 de 25 millions d'euros non consommés en 2023.

Ces pratiques de budgétisation peu planifiées ne sont pas satisfaisantes : l'inscription en loi de finances de crédits réalistes et l'annulation de ceux non consommés serait le gage d'une meilleure visibilité pour les associations. Ceci devrait avoir lieu d'autant plus que le conflit en Ukraine s'ancre dans le temps.

3. La mise en place du deuxième plan quinquennal « un logement d'abord » permet plusieurs évolutions favorables, malgré les limites persistantes de cette politique

Face à l'accroissement important du nombre de personnes sans domicile en France - passé de 141 500 en 2012 à près de 330 000 en 20246(*)-, le Gouvernement a mis en place le plan « un logement d'abord » en 2018. Sa première mouture, arrivée à échéance en 2022, a été remplacée en juin 2023 par un nouveau plan quinquennal.

Les quatre premières années de cette politique ont permis d'accroître de 118 % le nombre de places d'intermédiation locative et de 48 % les places en pensions de famille. Le second plan cherche à poursuivre dans cette voie, en visant l'ouverture de 30 000 places en intermédiation locative, 10 000 en pension de famille et l'agrément de 20 000 logements en résidences sociales généralistes et en foyers de jeunes travailleurs.

Pour l'année 2023, plusieurs évolutions favorables peuvent ainsi être relevées : le nombre de places en logements adaptés a cru de 7 960, soit une croissance de 5,5 %, dont 1 130 places nouvelles en pensions de famille, ce qui représente 71 % de l'objectif annuel. De même, on compte 6 700 nouvelles places en intermédiation locative, soit 112 % de l'objectif annuel.

En outre, ce plan permet de poursuivre la réduction du nombre de nuitées en hébergement d'urgence en hôtel (- 8,1 % par rapport à 2022), en échange d'un accroissement des places en centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). Le nombre de ces dernières augmente de 4 % en 2023 par rapport à 2022. Ceci est gage d'un accompagnement plus efficace vers un retour au logement.

Composition du parc d'hébergement
au 31 décembre 2023

(en nombre de places)

Source : commission des finances, à partir du rapport annuel de performances 2023

Alors que le projet de loi de finances pour 2023 cherchait à limiter à 190 000 le nombre de places en hébergement, un record historique de 203 000 places ouvertes en cours de gestion a même été atteint, sans empêcher néanmoins que le taux de réponses positives du service intégré d'accueil et d'orientation (SIAO) ne diminue par rapport à 2022. Ce service, qui a connu un début de refonte en 2021 sous l'égide de la DIHAL, est le système central qui permet le placement des personnes vulnérables qui ont besoin d'un logement. Le tassement du taux de réponses positives - passé de 66 % à 54 %, s'explique par un accroissement de la demande liée aux flux migratoires et au contexte inflationniste qui accentue la crise du logement.

Dans ce contexte de demande accrue et de difficulté à répondre positivement aux besoins, le Gouvernement échoue à résorber la taille du parc, ce qui empêche l'amélioration du pilotage budgétaire de cette brique.

Les acteurs associatifs sont en particulier affectés par le retard des annonces d'ouverture de crédits par le Gouvernement, qui limite leur capacité à se projeter à long-terme, par exemple pour recruter des personnels ou conclure des marchés. En effet, le nouveau plan « un logement d'abord » n'a été présenté qu'en juin 2023 et l'augmentation des crédits pourrait n'avoir que peu d'effets compte tenu de l'inflation qui demeure soutenue ; enfin, les objectifs chiffrés de ce nouveau plan ne semblent pas financés.

Or la situation risque de ne pas s'améliorer en 2024 : alors que le ministre chargé du logement a annoncé l'ouverture de 120 millions d'euros supplémentaires pour l'hébergement d'urgence le 8 janvier dernier, remettant en cause un budget qui venait à peine d'être promulgué, cette annonce n'a toujours pas été traduite dans les faits par un décret d'avance ou une loi de finances rectificative, alors même que la commission des finances a identifié un manque de crédits supérieur à 250 millions d'euros sur le programme 1777(*). Une telle situation est très problématique, car elle pourrait mettre les associations en charge des actions dans une situation de trésorerie très difficile en fin d'année, dans l'attente d'une probable ouverture de crédits en loi de fin de gestion, en contradiction avec les intentions affichées ces dernières années par le Gouvernement d'une meilleure gestion budgétaire des crédits du programme 177.

Dans ces conditions, comme il le fera pour les autres aspects de la politique du logement8(*), le rapporteur ne peut que constater que le nouveau Gouvernement issu des élections du printemps 2022 n'a pas su définir des moyens adéquats pour répondre aux besoins d'hébergement et de logement adapté.

B. LE VERSEMENT DES AIDES AU LOGEMENT DU PROGRAMME 109 A CONNU PLUSIEURS RÉFORMES MISES EN oeUVRE EN 2023

Le programme 109 « Aide à l'accès au logement » comprend à titre principal les crédits destinés au financement des aides personnelles au logement (APL). Ses dépenses en 2023 sont de 13,3 milliards d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement.

L'action 01 « Aides personnelles », qui porte la quasi-totalité des crédits du programme, assure le versement de la subvention d'équilibre de l'État au Fonds national d'aide au logement (FNAL), qui compense lui-même le montant des aides versées aux bénéficiaires finaux par les organismes de sécurité sociale.

L'action 02 « Information relative au logement et accompagnement des publics en difficulté » apporte un soutien financier au réseau des associations nationale (ANIL) et départementales (ADIL) d'information sur le logement.

Évolution des crédits par action du programme 109

(en millions d'euros et en %)

   

2022

2023

Exécution / prévision 2023

Exécution

2023 / 2022

Exécution

Prévision LFI

Exécution

en volume

en %

en volume

en %

01 - Aides personnelles

AE

13 069,7

13 362,0

13 281,8

- 80,2

- 0,6 %

+ 212,1

+ 1,6 %

CP

13 070,6

13 362,0

13 281,8

- 80,2

- 0,6 %

+ 211,3

+ 1,6 %

02 - Information relative au logement et accompagnement des publics en difficulté

AE

8,8

9,3

9,0

- 0,3

- 3,2 %

+ 0,2

+ 2,2 %

CP

8,8

9,3

9,0

- 0,3

- 3,2 %

+ 0,2

+ 2,2 %

Total programme

AE

13 078,5

13 371,3

13 290,8

- 80,5

- 0,6 %

+ 212,3

+ 1,6 %

CP

13 079,4

13 371,3

13 290,8

- 80,5

- 0,6 %

+ 211,4

+ 1,6 %

Note : LFI : loi de finances initiale.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

1. Le programme 109 connaît une sous-consommation inédite des crédits votés, malgré la revalorisation des paramètres du barème d'aide au logement

Après plusieurs exercices sous-budgétés puis des exercices 2021 et 2022 à la budgétisation réaliste, la valeur des crédits ouverts en 2023 s'est avérée supérieure à l'exécution finale. En effet, la réserve de précaution de 70 millions d'euros a été annulée en loi de finances de fin de gestion et le surgel de 10 millions d'euros n'a pas été mobilisé, ce qui conduit à une exécution inférieure de 0,6 % à ce qui avait été budgété en loi de finances initiale.

L'écart entre les estimations de dépenses et celles constatées par la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) est lié à deux facteurs principaux. D'une part, la base des ménages retenue dans le projet de loi de finances pour 2023 ne prenait en compte ni la contemporanéisation du calcul des aides au logement dans le calcul des crédits nécessaires ni la réduction de loyer de solidarité (RLS)9(*). D'autre part, la Cour des comptes relève l'absence d'un retraitement du périmètre de référence en infra-annuel pour le calcul des crédits nécessaires, alors que les mesures en faveur du pouvoir d'achat prises en 2022 rendaient cette année atypique.

Cette légère sous-consommation n'empêche pas l'accroissement en tendance des crédits ouverts dans le programme, en particulier pour l'action 1 « Aides personnelles » qui alimente le Fonds national d'aide au logement (FNAL), structure qui verse aux administrations de Sécurité sociale les fonds nécessaires au paiement de ces aides.

Les recettes du FNAL ont augmenté en 2023 de 285 millions d'euros et ont atteint le montant de 16 243 millions d'euros. La dotation ouverte en loi de finances initiale provient en très grande majorité des 13 362 millions d'euros de crédits d'équilibre versés par l'État via l'action 1 du programme 109, de 2 815 millions d'euros issus des cotisations employeur et de 66,2 millions d'euros issus d'une fraction de la taxe sur les bureaux et autres locaux professionnels en Île-de-France.

Évolution des charges et des ressources du FNAL

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

L'accroissement des recettes du FNAL, hors dotation d'équilibre de l'État, est lié à l'augmentation de la masse salariale qui a provoqué une augmentation de 135 millions d'euros des cotisations employeur.

Le rapporteur spécial attire l'attention sur la nécessité à venir d'accroître encore la valeur des crédits issus du budget de l'État pour financer le FNAL. En effet, un amendement du Gouvernement, présenté lors du projet de loi de finances pour 2024, a abaissé la fraction de la taxe sur les bureaux (TSB) affectée au FNAL afin d'améliorer le financement de la Société du Grand Paris10(*) : le FNAL ne devrait donc recevoir que 24,2 millions d'euros à ce titre en 2024, contre 66 millions d'euros en 2023. Cette redirection partielle vers un autre organisme des ressources du FNAL a nécessairement comme corollaire un investissement croissant de l'État, via le programme 109, dans le financement de ce fonds.

De même, les charges sont en croissance, pour la première fois depuis 2017. Cela est lié principalement à la revalorisation du barème des aides et au contexte inflationniste qui a accru les besoins en aide pour le logement, de nombreuses personnes étant touchées par la précarité.

Évolution du montant des charges du FNAL depuis 2017

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

Enfin, le rapporteur spécial salue la poursuite de la rationalisation des frais de gestion du FNAL : ces derniers demeurent stables - de 208 millions d'euros en 2022 à 212 millions d'euros en 2023 - malgré le contexte économique inflationniste. Ainsi, la hausse des charges est gage d'une action plus appuyée en faveur du logement, après un quinquennat 2017-2022 de réduction des aides.

2. Les réformes du financement et du versement des aides doivent être entièrement appliquées pour assurer plus de lisibilité et une budgétisation adéquate dans les années à venir.

L'année 2023 a été marquée par l'intégration de différentes réformes des aides au logement dans le calcul de ces dernières. Ainsi, la réduction de loyer de solidarité (RLS) et la contemporanéisation du calcul des aides sont désormais prises en compte pour le calcul des besoins.

La RLS permet de réaliser 1,3 milliard d'euros d'économies chaque année. Ce système, qui consiste à ce que les bailleurs sociaux réduisent le loyer qu'ils demandent aux habitants pour que l'État puisse réduire les aides au logement, provoque un transfert de charge de l'État vers les bailleurs, tout en étant pratiquement neutre pour les occupants.

La DHUP, qui avait demandé une réduction de la RLS de 300 millions d'euros pour permettre aux bailleurs de financer des rénovations, n'a pas eu gain de cause selon la Cour des comptes. Les effets à long terme de ce dispositif, qui tend à réduire la marge de manoeuvre des bailleurs, pourraient être de conduire à une baisse de la qualité et du nombre de logements disponibles.

La contemporanéisation du calcul des aides au logement a permis aussi d'effectuer environ 1,3 milliard d'euros d'économies. L'année 2024 devrait permettre le déploiement du partage des aides pour les parents avec enfant en résidence alternée, pour un coût de 22 millions d'euros.

Ces évolutions qui favorisent une rationalisation budgétaire cachent néanmoins des difficultés que le rapporteur spécial souligne. En effet, la trajectoire future du financement des aides demeure soumise à plusieurs incertitudes.

D'une part, la RLS a une incidence directe sur le montant des aides et la contemporéanisation du calcul de ces dernières provoque une sensibilité accrue du montant des prestations à verser à la conjoncture.

D'autre part, l'absence de vision de long terme sur le montant de la RLS pénalise le secteur du logement social. Le Gouvernement, qui a pris deux décrets successifs et rapprochés au deuxième semestre 202311(*) pour revaloriser le montant mensuel de l'aide, semble naviguer à vue et empêche un pilotage serein de ce dispositif.

Enfin, la loi organique relative aux lois de finances12(*) prévoit qu'à partir de 2025 une imposition de toute nature ne pourra plus être affectée à un fonds dépourvu de la personnalité morale. Le financement du FNAL, qui dépend à hauteur de 2,8 milliards d'euros des cotisations des employeurs, est donc incertain pour les années à venir. Cela était déjà dénoncé lors du dernier exercice et le rapporteur spécial alerte sur la nécessité de prendre des orientations rapidement afin d'assurer la pérennité du financement du FNAL.

3. Des efforts demeurent nécessaires pour assurer la fiabilité du versement de certaines aides, dont les aides au logement

Alors que la Cour des comptes avait refusé de certifier les comptes 2022 de la branche famille (réseau des caisses d'allocation familiales) et de la Caisse nationale d'assurance familiale13(*), elle a indiqué en 2023 l'impossibilité14(*) de statuer sur ces comptes.

Si ce jugement met en cause l'action des organismes de sécurité sociale en charge de l'attribution de ces aides et non celle de l'administration de l'État gestionnaire du programme 10915(*), les dépenses de ce programme sont directement affectées dans la mesure où il assure une subvention d'équilibre à ce régime.

La Cour estime que les dispositifs de contrôle interne, bien qu'en cours d'amélioration pour certains, demeurent insuffisants. En particulier, l'estimation bisannuelle de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) sur la fraude sociale indique en 2023 - sur des données 2022 - que les aides au logement font partie des prestations les plus concernées. La CNAF note un accroissement important de la fraude estimée par rapport à l'étude précédente (+ 38,8 %).

Par conséquent, le rapporteur spécial dénonce ces manques de fiabilité dans le versement des aides au logement et demande une accélération de la mise en oeuvre de méthodes efficaces contre la fraude.

C. LE PROGRAMME 135 CONNAÎT UNE HAUSSE IMPORTANTE DE CRÉDITS SANS POUR AUTANT RÉPONDRE EFFICACEMENT À LA CRISE DU LOGEMENT.

Le programme 135 porte des crédits consacrés à des actions liées à la construction et l'habitat, en particulier par les aides à la pierre pour la construction de logements sociaux, la rénovation thermique des logements privés et, désormais, le financement des établissements publics fonciers. La quasi-totalité des crédits est portée par les actions 01, 04 et 07.

L'action 01 « Construction locative et amélioration du parc » porte en loi de finances initiale des crédits budgétaires très réduits (18 millions d'euros) destinés à la rénovation des cités minières et à l'accueil des gens du voyage mais accueille surtout, en exécution, des fonds de concours reversés au Fonds national des aides à la pierre (FNAP). Ses crédits consommés sont ainsi de 262,9 millions d'euros en crédits de paiement (voir infra).

L'action 04 « Réglementation, politique technique et qualité de la construction » a consommé en 2023 des crédits de 442,7 millions d'euros, correspondant principalement aux crédits budgétaires destinés à l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) pour la rénovation thermique des logements privés à hauteur de 389,2 millions d'euros. Les dépenses liées au contentieux de l'habitat sont de 47,5 millions d'euros, ce qui correspond majoritairement aux astreintes à la charge de l'État versées au Fonds national d'accompagnement vers et dans le logement (FNAVDL), dans le cadre de la mise en oeuvre du droit au logement opposable (DALO).

L'action 07 « Urbanisme et aménagement » finance certaines actions en lien avec l'urbanisme et l'aménagement. Ses crédits ont augmenté de manière très importante depuis 2021 en raison de la mise en oeuvre d'une compensation budgétaire à destination, notamment, des établissements publics fonciers, suite à la diminution du produit de la taxe spéciale d'équipement (TSE) résultant de la réforme de la fiscalité locale de 2020. Les crédits de paiement exécutés en 2023 sont de 254,9 millions d'euros, dont 175,2 millions d'euros au titre de la compensation budgétaire, les autres dépenses correspondant à des actions diverses de soutien à l'urbanisme et à l'aménagement.

Par ailleurs, deux actions sont dotées uniquement en exécution, par transfert depuis la mission « Plan de relance » : les actions 09 « Crédits Relance Cohésion » (8,2 millions d'euros de crédits de paiement) et 10 « Crédits Relance Écologie » (92,7 millions d'euros).

S'agissant des autres actions, l'action 02 « Soutien à l'accession à la propriété » comprend des commissions de gestion versées à la société de gestion des financements et de la garantie de l'accession sociale à la propriété (SGFFAS), car cette politique passe par des dispositifs fiscaux et des crédits extrabudgétaires. L'action 03 « Lutte contre l'habitat indigne » retrace certaines dépenses prises en charge directement par l'État, cette politique étant mise en oeuvre à titre principal par l'ANAH. L'action 05 « Soutien » regroupe des crédits d'étude, de médiation, de communication, ainsi que des crédits liés aux applications informatiques et à la formation des personnels.

Évolution des crédits par action du programme 135

(en millions d'euros et en %)

   

2022

2023

Exécution / prévision 2023

Exécution

2023 / 2022

Exécution

Crédits votés LFI

Prévision LFI

Exécution

en volume

en %

en volume

en %

01 - Construction locative et amélioration du parc

AE

357,1

43,0

807,0

675,8

- 131,2

- 16,3 %

+ 318,7

+ 89,2 %

CP

298,9

18,0

383,0

262,9

- 120,1

- 31,3 %

- 36,0

- 12,0 %

02 - Soutien à l'accession à la propriété

AE

3,8

4,1

4,1

3,7

- 0,4

- 9,5 %

- 0,1

- 2,2 %

CP

3,8

4,1

4,1

3,7

- 0,4

- 9,5 %

- 0,1

- 2,2 %

03 - Lutte contre l'habitat indigne

AE

10,8

15,5

15,5

10,3

- 5,2

- 33,7 %

- 0,5

- 4,4 %

CP

11,2

15,5

15,5

12,1

- 3,4

- 22,0 %

+ 0,9

+ 8,2 %

04 - Réglementation, politique technique et qualité de la construction

AE

214,7

455,3

455,3

439,5

- 15,8

- 3,5 %

+ 224,8

+ 104,7 %

CP

212,5

455,3

455,3

442,7

- 12,6

- 2,8 %

+ 230,2

+ 108,3 %

05 - Soutien

AE

43,2

35,3

35,3

36,8

+ 1,5

+ 4,1 %

- 6,4

- 14,9 %

CP

42,2

33,0

33,0

35,8

+ 2,8

+ 8,5 %

- 6,3

- 15,0 %

07 - Urbanisme et aménagement

AE

234,3

249,9

249,9

232,2

- 17,7

- 7,1 %

- 2,1

- 0,9 %

CP

238,2

254,9

254,9

230,4

- 24,5

- 9,6 %

- 7,8

- 3,3 %

09 - Crédits Relance Cohésion

AE

19,3

0,0

0,0

1,6

+ 1,6

+ 0,0 %

- 17,7

- 91,5 %

CP

11,2

0,0

0,0

8,9

+ 8,9

+ 0,0 %

- 2,3

- 20,6 %

10 - Crédits Relance Écologie

AE

79,0

0,0

0,0

-4,3

- 4,3

+ 0,0 %

- 83,3

- 105,4 %

CP

73,7

0,0

0,0

92,7

+ 92,7

+ 0,0 %

+ 19,0

+ 25,7 %

Total programme

AE

962,1

803,1

1 567,1

1 395,6

- 171,5

- 10,9 %

433,5

+ 45,1 %

CP

891,7

780,8

1 145,8

1 089,2

- 56,6

- 4,9 %

197,5

+ 22,1 %

Note : LFI : loi de finances initiale. La prévision en LFI inclut les prévisions de fonds de concours (FDC) et d'attribution de produits (ADP), ce qui n'est pas le cas des crédits votés en LFI. L'exécution constatée dans le projet de loi de règlement ou de résultats de la gestion inclut les FDC et ADP constatés.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Après une forte diminution des crédits consommés en 2022, qui étaient en baisse de 433,5 millions d'euros par rapport à 2021, l'exercice 2023 retrouve une exécution proche de la tendance. Ainsi, les crédits sont en augmentation de 433,5 millions d'euros, soit + 45,1 %, en autorisations d'engagement et de 197,5 millions d'euros en crédits de paiement, soit + 22,1 %.

Ce retour à la trajectoire en tendance résulte pour l'essentiel de l'augmentation de la subvention à l'ANAH, qui passe en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement de 220 millions d'euros en 2022 à 384 millions d'euros en 2023, et des 200 millions d'euros d'autorisations d'engagement de crédits d'aide à la rénovation énergétique de logements sociaux.

1. La gestion budgétaire du programme 135 demeure peu lisible du fait de mouvements de crédits nombreux et massifs.

Les crédits consommés par le programme 135 dépassent très largement ceux ouverts en loi de finances initiale, du fait de mouvements de crédits de toutes natures structurellement élevés. Pour une large part, ces crédits sont issus de fonds de concours versés au Fonds national des aides à la pierre (FNAP).

Évolution des crédits en cours d'exercice

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir des données CHORUS

Ces mouvements de crédits tendent à s'accroître d'année en année. Cependant, l'exercice 2023 porte plusieurs inflexions de dynamiques.

Principaux mouvements de crédits de 2013 à 2023

(en millions d'euros)

Note : les reports de N vers N+1 correspondent à des crédits non consommés l'année N et sont donc représentés avec un signe négatif. Le même montant vient alimenter (avec un signe positif) les crédits lors de l'année N+1.

Source : commission des finances, à partir des restitutions Chorus

L'année 2023 voit les montants de crédits transférés, annulés et reportés hors fonds de concours diminuer par rapport à 2022, ce qui permet de constater un effort de rationalisation de la gestion.

Ces évolutions sont liées à divers facteurs. D'abord, la fin de la mise en place du plan de relance permet la diminution des transferts. En effet, ces derniers avaient crû en 2021 et 2022, avec un transfert de crédits depuis les programmes 362 « Écologie »et 364 « Cohésion » de la mission « Plan de relance » vers le programme 135 pour alimenter respectivement les actions 09 « Crédits Relance Cohésion » et 10 « Crédits Relance Écologie ». En 2023, les autorisations d'engagement sont nulles pour ces deux programmes et ne demeurent que des crédits de paiement dont 17,2 millions d'euros proviennent de transferts depuis les programmes 362 et 364.

Le niveau des reports hors fonds de concours diminue également fortement par rapport à 2022, brisant la dynamique qui se mettait en place depuis quelques années. Le rapporteur espère que la limitation des reports de crédits budgétaires redeviendra la norme : en effet, il revient au Gouvernement d'annuler les crédits non consommés en fin de gestion afin de faire vivre le principe de l'annualité de l'autorisation parlementaire.

Ensuite, la gestion des crédits issus des fonds de concours connaît quelques améliorations cette année mais demeure problématique. Si les ouvertures de crédits diminuent pour atteindre 371,9 millions d'euros, ce qui permet de réduire les annulations de crédit, il n'en demeure pas moins que la valeur des reports continue sa croissance d'année en année pour atteindre 696,4 millions d'euros. Le rapporteur spécial encourage une budgétisation plus adaptée d'année en année pour favoriser une stabilisation de la trésorerie des fonds de concours du programme, même si l'existence de reports plus importants est moins problématique pour les fonds de concours que pour les crédits budgétaires : les projets sont souvent pluriannuels, les crédits non utilisés ne peuvent être recyclés pour d'autres usages.

La nouvelle double règle de dépense du FNAP16(*), issue d'une réforme de ce qui était appelé la règle d'or17(*) avant 2023, n'a pas permis de réduire ces reports ni d'en retenir la croissance.

Le rapporteur spécial indique enfin sa préoccupation devant l'accroissement continu des restes à payer, malgré les efforts entrepris par la DHUP pour les réduire. Alors qu'ils étaient auparavant à un niveau stable d'environ 2 milliards d'euros, ils ont augmenté de 39,9 % entre 2020 et 2023.

Restes à payer du programme 135

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

L'augmentation considérable de ces restes à payer est liée à la mise en oeuvre des actions 09 « Crédits Relance Cohésion » et 10 « Crédits Relance Écologie ». En effet, les autorisations d'engagement ouvertes, parfois massives, - avec 402 millions d'euros en 2021 pour l'action 10 - en 2021 et 2022 n'ont pas été couvertes par des crédits de paiement.

Il est cependant probable que la situation se résorbe : les autorisations d'engagement dans ces deux actions sont nulles en 2021 et les crédits de paiement continuent à être mis en oeuvre, même si leur rythme d'utilisation notamment sur l'action 10 demeure lent.

2. En outre, des risques pèsent sur le financement du FNAP après 2025.

Le Fonds national des aides à la pierre (FNAP) est un établissement public d'un type particulier. Opérateur du programme 135, il ne reçoit pas de crédits budgétaires depuis plusieurs années, mais est alimenté par des fonds de concours versés principalement, ces dernières années, par les bailleurs sociaux et le groupe Action Logement. L'ensemble de ses fonds sont toutefois versés au programme 135 avant d'être distribués entre les régions en fonction des priorités définies par son conseil d'administration. Le volume de ces fonds de concours vient donc accroître considérablement, en exécution, le montant des crédits du programme 135.

La participation volontaire d'Action logement, qui l'engageait jusqu'en 2022, a été reconduite en 2023 à hauteur de 300 millions d'euros, imposée alors de manière unilatérale par l'État, mais s'éteindra après un dernier versement de 150 millions d'euros en 2024. Si la trésorerie du FNAP et les reports accumulés lui permettront en 2024 de faire face à ses engagements, il sera nécessaire à partir de 2025 de trouver une solution de financement pérenne. En vue du projet de loi de finances pour 2025, des échanges interministériels sous l'égide de la DHUP devraient avoir lieu.

Dans l'optique de gagner en lisibilité et en simplicité mais aussi d'assurer le financement de la construction, le rapporteur spécial se joint à la Cour des comptes pour recommander une meilleure budgétisation des crédits alloués au FNAP. Le système de financement actuel, en effet, souffre d'une programmation peu réaliste et manque d'efficacité pour l'allocation des ressources.

3. La crise du logement, en particulier du logement social, s'accentue et montre que le programme manque d'efficacité

Loin de l'objectif fixé de 110 000 logements sociaux agréés, seuls 82 183 agréments ont été émis en 2023, soit 74,7 % de la cible. Ce chiffre est en deçà du seuil bas de 87 501 atteint en 2020 en lien avec la crise sanitaire et montre que la crise du logement social demeure.

Agréments de logements sociaux depuis 2016

(en nombre de logements financés ou agréés)

Note : France métropolitaine, hors zone ANRU. PLAI : prêt locatif aidé d'intégration. PLUS : prêt locatif à usage social. PLS : prêt locatif social.

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

En particulier, la cible de 40 000 logements très sociaux (PLAI) agréés est très loin d'être atteinte et pénalise particulièrement les publics les plus en difficultés par le contexte inflationniste. De même, la cible d'agrément de logement PLUS est loin d'être atteinte avec seulement 62 % du chiffre cible.

Après la pandémie, et alors que les années 2021 et 2022 étaient loin de marquer une reprise de la construction, l'exercice 2023 confirme la diminution tendancielle très nette depuis 2016 de la production de logements sociaux.

4. La définition d'une politique du logement cohérente doit être une priorité pour le prochain Gouvernement

Dans une situation aussi délicate, le gouvernement issu des dernières élections législatives devra prioritairement fixer des objectifs et des moyens cohérents pour mener à bien une politique du logement, notamment social et abordable.

Le rapporteur spécial appelait, l'an passé, à la conclusion rapide d'une nouvelle convention quinquennale entre le Gouvernement alors récemment nommé et le groupe Action Logement. En effet, la précédente convention couvrait la période 2018-2022. La signature tardive, le 16 juin 2023 alors qu'elle aurait dû prendre effet le 1er janvier, de celle couvrant la période 2023-2027, démontrait un manque de volonté politique du Gouvernement pour mettre en oeuvre une véritable politique du logement.

Ceci est d'autant plus dommageable que les acteurs de cette politique ont besoin de vision claire et stable sur le financement de leurs projets et qu'Action logement en apporte une part importante.

La nouvelle convention prévoit la sortie d'Action Logement du financement du FNAP à horizon 2025 (cf. supra), sans que soit encore prévue la compensation de cette réduction du financement. Le nouveau gouvernement, pour asseoir la stabilité de la politique de création de nouveaux logements, devra favoriser la conclusion d'un accord sur les moyens qui lui sont alloués.

Alors que 2,6 millions de ménages sont en attente d'un logement social et que le nombre des agréments est en diminution constante depuis dix ans, le Gouvernement n'a en outre pas pris la mesure de l'ampleur des besoins de rénovation et de nouvelles constructions. Le « pacte de confiance » annoncé pour décembre 2023 avec les acteurs du logement social n'a finalement pas mené à des prises d'engagements pluriannuels et chiffrés de la part du Gouvernement.

Enfin, de façon plus large, le rapporteur spécial alerte à nouveau sur la difficulté de mettre en oeuvre les règles de sobriété foncière ou « zéro artificialisation nette » (ZAN) imposées aux collectivités par la loi Climat-résilience du 22 août 2021 sans un volet de financement budgétaire ou fiscal. En effet, une telle mesure engendre des coûts directs ou indirects pour les territoires qu'il faudra combler par des recettes. Or, la mise en oeuvre de cette politique dans un contexte où la demande en logement est très forte est par défaut difficile : le rapporteur spécial appelle dès lors de nouveau le prochain gouvernement à être force de propositions concrètes.

Le rapporteur spécial regrette une nouvelle année perdue pour résoudre la crise du logement. Face à une situation très difficile du secteur, notamment du logement social, il est essentiel de tracer des objectifs dotés de moyens cohérents pour que la politique du logement retrouve une efficacité.

D. LA POLITIQUE DE LA VILLE CONDUITE PAR LE PROGRAMME 147 PÂTIT D'UN ENGAGEMENT INSUFFISANT DE L'ÉTAT

Le programme 147 « Politique de la ville » porte des crédits relatifs à la politique de la ville. Ils n'incluent toutefois qu'une faible part du financement des opérations de renouvellement urbain, dont les crédits proviennent à titre principal d'Action Logement et des bailleurs sociaux, ainsi que des collectivités locales qui lancent les projets.

Les crédits consommés par le programme 147 en 2023 sont de 565,4 millions d'euros en autorisations d'engagement, en augmentation de 13,9 millions d'euros (+ 2,5 %) par rapport à la loi de finances initiale pour 2023, et de 565,4 millions d'euros en crédits de paiement, en augmentation de 13,7 millions d'euros (+ 2,5 %).

Le programme 147 comprend quatre actions d'importance très inégale.

L'action 01 « Actions territorialisées et dispositifs spécifiques de la politique de la ville » regroupe les crédits à destination des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), dans le cadre des contrats de ville ou de dispositifs spécifiques tels que le programme de réussite éducative et les adultes-relais. Elle comprend 90 % des crédits du programme.

L'action 02 « Revitalisation économique et emploi » apporte la subvention de l'Établissement public d'insertion de la défense (EPIDe) et les crédits dédiés à la compensation auprès des régimes de sécurité sociale des exonérations de charges sociales en zones franches urbaines (ZFU).

Les crédits de personnel, limités à la masse salariale des délégués des préfets, sont retracés dans l'action 03 « Stratégie, ressources et évaluation ».

Enfin l'action 04 « Rénovation urbaine et amélioration du cadre de vie » retrace la contribution de l'État au financement du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU).

Évolution des crédits du programme 147 par action

(en millions d'euros et en %)

   

2022

2023

Exécution / prévision 2023

Exécution

2023 / 2022

Exécution

LFI

Exécution

en volume

en %

en volume

en %

01 - Actions territorialisées et Dispositifs spécifiques de la politique de la ville

AE

498,1

523,1

508,6

- 14,5

- 2,7%

+ 10,5

+ 2,1%

CP

497,9

523,1

508,7

- 14,4

- 2,7%

+ 10,8

+ 2,2%

02 - Revitalisation économique et emploi

AE

33,5

40,9

39,8

- 1,1

- 2,8%

+ 6,3

+ 18,9%

CP

33,5

40,9

39,8

- 1,1

- 2,8%

+ 6,3

+ 18,9%

03 - Stratégie, ressources et évaluation

AE

5,6

18,9

2,7

- 16,2

- 85,6%

- 2,8

- 51,0%

CP

6,0

18,9

2,8

- 16,1

- 85,1%

- 3,2

- 53,6%

04 - Rénovation urbaine et amélioration du cadre de vie

AE

14,4

15,0

14,3

- 0,8

- 5,0%

- 0,2

- 1,0%

CP

14,4

15,0

14,3

- 0,8

- 5,0%

- 0,2

- 1,0%

Total programme

AE

551,5

597,9

565,4

- 32,5

- 5,4%

+ 13,9

+ 2,5%

CP

551,8

597,9

565,5

- 32,4

- 5,4%

+ 13,7

+ 2,5%

Note : LFI : loi de finances initiale. La prévision en LFI inclut les prévisions de fonds de concours (FDC) et d'attribution de produits (ADP), ce qui n'est pas le cas des crédits votés en LFI. L'exécution constatée dans le projet de loi de règlement inclut les FDC et ADP constatés.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Les crédits du programme 147 connaissent une exécution presque intégrale, avec un taux d'exécution de 99,6 % en autorisation d'engagement et de 99,3 % en crédits de paiement.

Comme chaque année, des crédits ont été transférés ou virés, à hauteur de 15,2 millions d'euros, pour rembourser à différents ministères les salaires des délégués du préfet, qui représentent l'État dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville et proviennent d'autres administrations ou organismes divers.

Les émeutes urbaines de l'été 2023 ont conduit au dégel de la réserve à hauteur de 20 millions d'euros en fin d'exercice, afin d'assurer le financement de mesures d'urgences, de la mise en place des bataillons de la prévention et l'expérimentation de la force d'action républicaine (FAR). 

1. Les moyens réels de la politique de la ville demeurent difficiles à évaluer

Les crédits budgétaires du programme 147 ne constituent qu'une part de ceux réellement consacrés à la politique de la ville.

S'y ajoutent des dépenses fiscales, d'un montant estimé à 259 millions d'euros en 2023, résultant pour l'essentiel de deux dispositifs :

- l'exonération plafonnée à 50 000 euros du bénéfice réalisé par les entreprises qui exercent une activité dans une zone franche urbaine (ZFU) de troisième génération ou qui ont créé une activité dans une zone franche urbaine-territoire entrepreneur entre 2006 et 2023 (130 millions d'euros) ;

- l'abattement de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) en faveur des immeubles en zone urbaine sensible (ZUS, jusqu'en 2015) puis dans les QPV (121 millions d'euros).

Ces politiques sont également cofinancées par d'autres acteurs, en premier lieu les collectivités territoriales, mais aussi l'Union européenne et, pour ce qui concerne le renouvellement urbain, Action Logement (voir infra).

Enfin et surtout, la politique de la ville doit coordonner sur certains territoires l'action de plusieurs ministères sectoriels. Les crédits de droit commun doivent être mobilisés en premier lieu, mais, comme le reconnaissent les documents budgétaires18(*), le chiffrage de ces moyens est difficile car les ministères n'adoptent pas toujours une approche territorialisée de leur action, de sorte qu'il n'est souvent pas possible d'indiquer avec précision le montant des crédits mis en oeuvre dans les QPV et les comparer avec l'action menée dans les autres quartiers.

2. Les émeutes de juin 2023 démontrent à nouveau l'incapacité de la politique de la ville à assurer le rapprochement des quartiers concernés avec leur agglomération

L'objectif de la politique de la ville est notamment de rapprocher les quartiers de la politique de la ville (QPV) de l'agglomération dont ils font partie.

Or le revenu fiscal moyen dans les QPV tend plutôt à s'éloigner de celui constaté dans les autres quartiers, s'écartant jusqu'en 2020 de la cible fixée qui était pourtant elle-même éloignée de l'égalité, puisqu'elle visait un revenu fiscal moyen égal à la moitié de celui de l'agglomération. Après une légère augmentation de l'écart de revenu en 2022 pour atteindre 45,9 %, la réalisation pour 2023 n'a pas encore été rendue disponible. La baisse de la cible depuis 2020, pour se fixer autour de 48,4 % en 2023, indique cependant que l'ambition portée par le Gouvernement sur ce sujet tend à se réduire.

Rapport entre le revenu fiscal moyen par unité de consommation des QPV et celui de leurs agglomérations

(en pourcentage)

Écart entre le taux de chômage des QPV et celui de leurs agglomérations

(en pourcentage)

 
 

Source : commission des finances, à partir des rapports annuels de performance. Les données de réalisation pour 2023 sont indisponibles dans le rapport annuel de performance.

De même, l'ambition de la cible pour l'écart entre le taux de chômage mesuré dans les quartiers et celui mesuré dans leur agglomération a été revue à la baisse depuis 2020. La baisse de l'indicateur depuis 2020 est d'ailleurs trompeuse : comme l'indique le rapport annuel de performances, la baisse de plus de trois points de pourcentage de l'indicateur correspond plus à la dégradation du marché de l'emploi dans les unités urbaines lié à la crise sanitaire qu'à son amélioration dans les quartiers.

Les émeutes qui ont débuté le 27 juin 2023 dans de nombreux quartiers sont un symptôme de la difficulté à résoudre ces écarts de revenu et d'activité économique entre les agglomérations et leurs quartiers. La réponse, principalement sécuritaire avec une augmentation de 115,2 % soit 15,34 millions d'euros des dépenses dans le dispositif « Tranquillité et sécurité publique », n'est cependant pas la plus adaptée à long terme.

Ainsi, le dispositif « adultes -relais », par lequel des employeurs du secteur non lucratif reçoivent une aide de l'État pour employer des personnes à des fins de médiation sociale ou culturelle et de prévention de la délinquance, souffre d'une sous-budgétisation. Par conséquent, le responsable de programme s'est vu forcé de demander le ralentissement des recrutements en cours d'exercice.

Le rapporteur regrette ainsi que les ambitions en berne au regard des cibles d'indicateurs se conjuguent avec une gestion peu sincère et insuffisamment tournée vers la prévention et l'amélioration à long-terme de la vie dans les quartiers concernés.

3. La signature tardive des contrats de ville, finalement prévue en 2024, et la définition de la feuille de route pour le financement du nouveau programme de renouvellement urbain (NPNRU) démontrent un manque d'investissement de l'État

La loi de programmation pour la ville de 2014 prévoyait une mise à jour de la liste des QPV et la signature de nouveaux contrats de ville l'année du renouvellement général des conseils municipaux19(*). Or ces dispositions n'ont pas été mises en oeuvre en 2020 et l'échéance a été repoussée d'année en année par les lois de finances successives, dès avant la crise sanitaire20(*).

L'année 2023 a, une fois de plus, vu la mise à jour des dispositifs de la politique de la ville repoussée malgré l'évolution des conditions locales depuis leur définition en 2014.

Néanmoins, une circulaire datée du 31 août 2023 a finalisé un calendrier pour la signature des nouveaux contrats de ville, qui ont eu lieu avant le 31 mars 2024. Ces derniers ont fait suite à la consultation « Quartiers 2030 » qui a permis la définition des objectifs de ces nouveaux contrats jusqu'en octobre 2023. La circulaire précisait que la programmation budgétaire pour 2024 pouvait être initiée sans attendre la signature effective des futurs contrats de ville.

Le rapporteur regrette qu'un tel retard ait été pris dans la définition des nouveaux objectifs pour la politique des QPV et appelle à ce que la prochaine mouture des contrats de ville soit préparée en amont de l'échéance afin de faciliter la gestion budgétaire et la continuité du programme.

S'agissant en particulier du nouveau programme de renouvellement urbain (NPNRU), l'État, comme les années précédentes, n'a apporté qu'une contribution limitée, voire symbolique, de 14,3 millions d'euros. Ce montant correspond aux crédits ouverts en loi de finances initiale, soit 15 millions d'euros, étêtés de la mise en réserve à hauteur de 5 %.

Le montant qui doit être apporté par l'État sur l'ensemble de la durée du programme, de 2018 à 2030, est de 1,2 milliard d'euros. En particulier, sur la période 2023-2027, l'engagement prévu est de 300 millions d'euros, soit une moyenne de 60 millions d'euros par an. Or les montants apportés depuis 2018 et particulièrement celui apporté en 2023 sont bien en deçà de ce qui est nécessaire pour accompagner le programme de façon progressive. L'État devra, s'il veut honorer ses engagements, accroître considérablement les crédits de l'action 04, et donc du programme 147, dans les années à venir.

Financement du NPNRU par l'État

(crédits de paiement, en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

Le financement de l'Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU) est donc apporté presque entièrement par le secteur du logement lui-même, avec le groupe Action Logement (324 millions d'euros en 2023) et les cotisations des bailleurs sociaux à la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS, 184 millions d'euros). Le budget 2023 diminue de plus de 200 millions d'euros - il atteignait 741 millions d'euros en 2022-, en lien avec la réduction de la dotation d'Action Logement, qui s'élevait à 540 millions d'euros en 2022.

Financement de l'ANRU en 2023

(en millions d'euros)

Note : Budget rectificatif 2023 de l'ANRU, hors 4,3 millions d'euros de recettes propres et fléchées.

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

Les dépenses de l'Agence se sont établies en 2023 à un niveau de 1,85 milliard d'euros en autorisations d'engagement, contre 1,36 milliard d'euros en 2022, et 780,1 millions d'euros en crédits de paiement, contre 688,8 millions d'euros en 2022, ce qui témoigne de la réalisation progressive des projets du NPNRU. De nombreux projets engagés n'ont pas encore mené au paiement complet du solde prévu. Le premier programme national de rénovation urbaine (PNRU), lancé en 2003, est quant à lui presque entièrement soldé : seules cinq opérations sont inachevées, pesant pour 0,94 millions d'euros en 2023.

Les engagements contractualisés sur le NPNRU sont d'ores et déjà de 6,07 milliards d'euros et les paiements de 1,78 milliard d'euros.

Si l'Agence dispose actuellement d'un niveau de trésorerie satisfaisant, le rapporteur spécial fait observer que c'est en raison des versements importants faits par Action Logement et les bailleurs sociaux.

En particulier, la lenteur avec laquelle la nouvelle convention quinquennale pour la période 2023-2027 a été mise en place entre l'État et Action Logement indique un manque de suivi sur le long terme de la politique de la ville. Le rapporteur spécial dénonce combien cela est préjudiciable à la stabilité du déroulement des programmes de rénovation.

Finalement, sur la politique de la ville comme sur les autres aspects de la politique du logement et de l'urbanisme, le rapporteur spécial regrette que le Gouvernement nommé à l'issue des élections du printemps 2022 ait perdu du temps dans la définition d'une politique à long-terme dotée d'objectifs et de moyens cohérents.


* 1 Après une présentation générale des crédits de l'ensemble de la mission, ce rapport spécial portera spécifiquement sur les observations du rapporteur spécial sur l'exécution des programmes 177, 109, 135 et 147 relatifs au logement et à l'urbanisme.

* 2 Indice des prix à la consommation, mesuré par l'Insee.

* 3 Depuis 2023, le Gouvernement décompte les dépenses fiscales attachées à la TVA au prorata de la part de TVA nette revenant in fine à l'État, ne prenant en compte dès lors ni la part transférée aux collectivités territoriales ni celle réservée aux organismes de sécurité sociale. La Cour des comptes et la commission des finances (rapport général n° 128 (2023-2024), tome I, déposé le 21 novembre 2023) se montrent critiques envers cette nouvelle méthode.

* 4 LOI n° 2023-1114 du 30 novembre 2023 de finances de fin de gestion pour 2023.

* 5 Le programme 303 « Immigration et asile » de la mission « Immigration, asile et intégration » a consommé en crédits de paiement 326 millions d'euros en 2023.

* 6 Estimation Fondation Abbé Pierre, Rapport annuel 2024. La Cour des comptes, dans le Rapport annuel 2021, retenait une estimation de 300 000 personnes sans domicile.

* 7 Voir Dégradation des finances publiques : entre pari et déni, rapport d'information n° 685 (2023--2024), présenté par Jean-François Husson, rapporteur au nom de la commission des finances du Sénat, déposé le 12 juin 2024.

* 8 Voir infra l'analyse de l'exécution des programmes 109, 135 et 147.

* 9 Cour des comptes, Analyse de l'exécution budgétaire 2023, Mission « Cohésion des territoires », avril 2024.

* 10 Amendement n° I-2297 du Gouvernement sur le projet de loi de finances pour 2024, présenté au Sénat.

* 11 Arrêté du 21 septembre 2023 modifiant l'arrêté du 27 février 2018 relatif à la réduction de loyer de solidarité et Arrêté du 29 décembre 2023 relatif à la revalorisation des plafonds de ressources et des montants de réduction de loyer de solidarité applicables, modifiant l'arrêté du 27 février 2018 relatif à la réduction de loyer de solidarité.

* 12 Article 2 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, version en vigueur à compter du dépôt du projet de loi de finances pour 2024 en application de la loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques.

* 13 Cour des comptes, Certification des comptes 2022 du régime général de sécurité sociale et du conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI), 16 mai 2023.

* 14 Cour des comptes, Certification des comptes 2023 du régime général de sécurité sociale et du conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI), mai 2024.

* 15 Les aides au logement sont attribuées par les caisses d'allocations familiales (CAF), principalement visées par le rapport de la Cour des comptes, et, pour une part mineure, par la Mutualité sociale agricole (MSA). Le gestionnaire du programme 109 est la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN).

* 16 Décret 2023-125 du 21 février 2023, et arrêté de gestion des ministres du logement, de l'économie et du budget du 21 février 2023, en application du décret 2023-125 :

Le montant des versements annuels du Fnap devra être supérieur ou égal :

· à la moitié du montant des actions engagées (AE nouvelles) dans l'année par le Fnap ;

· au 6ème (puis au 5ème à partir de 2026) du montant des restes à payer sur le fonds de concours « offre nouvelle »au 31 décembre de l'année précédente.

* 17 Cette règle imposait au FNAP de verser chaque année un montant de crédits de paiements au moins égal à la somme des subventions correspondant aux nouvelles opérations agréées.

* 18 Ville, document de politique transversale, annexé au projet de loi de finances pour 2023.

* 19 Articles 5 et 6 de la loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine.

* 20 La loi de finances pour 2019 avait déjà repoussé de deux années la mise à jour de ces dispositifs.

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