D. LA POLITIQUE DE LA VILLE CONDUITE PAR LE PROGRAMME 147 PÂTIT D'UN ENGAGEMENT INSUFFISANT DE L'ÉTAT

Le programme 147 « Politique de la ville » porte des crédits relatifs à la politique de la ville. Ils n'incluent toutefois qu'une faible part du financement des opérations de renouvellement urbain, dont les crédits proviennent à titre principal d'Action Logement et des bailleurs sociaux, ainsi que des collectivités locales qui lancent les projets.

Les crédits consommés par le programme 147 en 2023 sont de 565,4 millions d'euros en autorisations d'engagement, en augmentation de 13,9 millions d'euros (+ 2,5 %) par rapport à la loi de finances initiale pour 2023, et de 565,4 millions d'euros en crédits de paiement, en augmentation de 13,7 millions d'euros (+ 2,5 %).

Le programme 147 comprend quatre actions d'importance très inégale.

L'action 01 « Actions territorialisées et dispositifs spécifiques de la politique de la ville » regroupe les crédits à destination des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), dans le cadre des contrats de ville ou de dispositifs spécifiques tels que le programme de réussite éducative et les adultes-relais. Elle comprend 90 % des crédits du programme.

L'action 02 « Revitalisation économique et emploi » apporte la subvention de l'Établissement public d'insertion de la défense (EPIDe) et les crédits dédiés à la compensation auprès des régimes de sécurité sociale des exonérations de charges sociales en zones franches urbaines (ZFU).

Les crédits de personnel, limités à la masse salariale des délégués des préfets, sont retracés dans l'action 03 « Stratégie, ressources et évaluation ».

Enfin l'action 04 « Rénovation urbaine et amélioration du cadre de vie » retrace la contribution de l'État au financement du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU).

Évolution des crédits du programme 147 par action

(en millions d'euros et en %)

   

2022

2023

Exécution / prévision 2023

Exécution

2023 / 2022

Exécution

LFI

Exécution

en volume

en %

en volume

en %

01 - Actions territorialisées et Dispositifs spécifiques de la politique de la ville

AE

498,1

523,1

508,6

- 14,5

- 2,7%

+ 10,5

+ 2,1%

CP

497,9

523,1

508,7

- 14,4

- 2,7%

+ 10,8

+ 2,2%

02 - Revitalisation économique et emploi

AE

33,5

40,9

39,8

- 1,1

- 2,8%

+ 6,3

+ 18,9%

CP

33,5

40,9

39,8

- 1,1

- 2,8%

+ 6,3

+ 18,9%

03 - Stratégie, ressources et évaluation

AE

5,6

18,9

2,7

- 16,2

- 85,6%

- 2,8

- 51,0%

CP

6,0

18,9

2,8

- 16,1

- 85,1%

- 3,2

- 53,6%

04 - Rénovation urbaine et amélioration du cadre de vie

AE

14,4

15,0

14,3

- 0,8

- 5,0%

- 0,2

- 1,0%

CP

14,4

15,0

14,3

- 0,8

- 5,0%

- 0,2

- 1,0%

Total programme

AE

551,5

597,9

565,4

- 32,5

- 5,4%

+ 13,9

+ 2,5%

CP

551,8

597,9

565,5

- 32,4

- 5,4%

+ 13,7

+ 2,5%

Note : LFI : loi de finances initiale. La prévision en LFI inclut les prévisions de fonds de concours (FDC) et d'attribution de produits (ADP), ce qui n'est pas le cas des crédits votés en LFI. L'exécution constatée dans le projet de loi de règlement inclut les FDC et ADP constatés.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Les crédits du programme 147 connaissent une exécution presque intégrale, avec un taux d'exécution de 99,6 % en autorisation d'engagement et de 99,3 % en crédits de paiement.

Comme chaque année, des crédits ont été transférés ou virés, à hauteur de 15,2 millions d'euros, pour rembourser à différents ministères les salaires des délégués du préfet, qui représentent l'État dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville et proviennent d'autres administrations ou organismes divers.

Les émeutes urbaines de l'été 2023 ont conduit au dégel de la réserve à hauteur de 20 millions d'euros en fin d'exercice, afin d'assurer le financement de mesures d'urgences, de la mise en place des bataillons de la prévention et l'expérimentation de la force d'action républicaine (FAR). 

1. Les moyens réels de la politique de la ville demeurent difficiles à évaluer

Les crédits budgétaires du programme 147 ne constituent qu'une part de ceux réellement consacrés à la politique de la ville.

S'y ajoutent des dépenses fiscales, d'un montant estimé à 259 millions d'euros en 2023, résultant pour l'essentiel de deux dispositifs :

- l'exonération plafonnée à 50 000 euros du bénéfice réalisé par les entreprises qui exercent une activité dans une zone franche urbaine (ZFU) de troisième génération ou qui ont créé une activité dans une zone franche urbaine-territoire entrepreneur entre 2006 et 2023 (130 millions d'euros) ;

- l'abattement de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) en faveur des immeubles en zone urbaine sensible (ZUS, jusqu'en 2015) puis dans les QPV (121 millions d'euros).

Ces politiques sont également cofinancées par d'autres acteurs, en premier lieu les collectivités territoriales, mais aussi l'Union européenne et, pour ce qui concerne le renouvellement urbain, Action Logement (voir infra).

Enfin et surtout, la politique de la ville doit coordonner sur certains territoires l'action de plusieurs ministères sectoriels. Les crédits de droit commun doivent être mobilisés en premier lieu, mais, comme le reconnaissent les documents budgétaires18(*), le chiffrage de ces moyens est difficile car les ministères n'adoptent pas toujours une approche territorialisée de leur action, de sorte qu'il n'est souvent pas possible d'indiquer avec précision le montant des crédits mis en oeuvre dans les QPV et les comparer avec l'action menée dans les autres quartiers.

2. Les émeutes de juin 2023 démontrent à nouveau l'incapacité de la politique de la ville à assurer le rapprochement des quartiers concernés avec leur agglomération

L'objectif de la politique de la ville est notamment de rapprocher les quartiers de la politique de la ville (QPV) de l'agglomération dont ils font partie.

Or le revenu fiscal moyen dans les QPV tend plutôt à s'éloigner de celui constaté dans les autres quartiers, s'écartant jusqu'en 2020 de la cible fixée qui était pourtant elle-même éloignée de l'égalité, puisqu'elle visait un revenu fiscal moyen égal à la moitié de celui de l'agglomération. Après une légère augmentation de l'écart de revenu en 2022 pour atteindre 45,9 %, la réalisation pour 2023 n'a pas encore été rendue disponible. La baisse de la cible depuis 2020, pour se fixer autour de 48,4 % en 2023, indique cependant que l'ambition portée par le Gouvernement sur ce sujet tend à se réduire.

Rapport entre le revenu fiscal moyen par unité de consommation des QPV et celui de leurs agglomérations

(en pourcentage)

Écart entre le taux de chômage des QPV et celui de leurs agglomérations

(en pourcentage)

 
 

Source : commission des finances, à partir des rapports annuels de performance. Les données de réalisation pour 2023 sont indisponibles dans le rapport annuel de performance.

De même, l'ambition de la cible pour l'écart entre le taux de chômage mesuré dans les quartiers et celui mesuré dans leur agglomération a été revue à la baisse depuis 2020. La baisse de l'indicateur depuis 2020 est d'ailleurs trompeuse : comme l'indique le rapport annuel de performances, la baisse de plus de trois points de pourcentage de l'indicateur correspond plus à la dégradation du marché de l'emploi dans les unités urbaines lié à la crise sanitaire qu'à son amélioration dans les quartiers.

Les émeutes qui ont débuté le 27 juin 2023 dans de nombreux quartiers sont un symptôme de la difficulté à résoudre ces écarts de revenu et d'activité économique entre les agglomérations et leurs quartiers. La réponse, principalement sécuritaire avec une augmentation de 115,2 % soit 15,34 millions d'euros des dépenses dans le dispositif « Tranquillité et sécurité publique », n'est cependant pas la plus adaptée à long terme.

Ainsi, le dispositif « adultes -relais », par lequel des employeurs du secteur non lucratif reçoivent une aide de l'État pour employer des personnes à des fins de médiation sociale ou culturelle et de prévention de la délinquance, souffre d'une sous-budgétisation. Par conséquent, le responsable de programme s'est vu forcé de demander le ralentissement des recrutements en cours d'exercice.

Le rapporteur regrette ainsi que les ambitions en berne au regard des cibles d'indicateurs se conjuguent avec une gestion peu sincère et insuffisamment tournée vers la prévention et l'amélioration à long-terme de la vie dans les quartiers concernés.

3. La signature tardive des contrats de ville, finalement prévue en 2024, et la définition de la feuille de route pour le financement du nouveau programme de renouvellement urbain (NPNRU) démontrent un manque d'investissement de l'État

La loi de programmation pour la ville de 2014 prévoyait une mise à jour de la liste des QPV et la signature de nouveaux contrats de ville l'année du renouvellement général des conseils municipaux19(*). Or ces dispositions n'ont pas été mises en oeuvre en 2020 et l'échéance a été repoussée d'année en année par les lois de finances successives, dès avant la crise sanitaire20(*).

L'année 2023 a, une fois de plus, vu la mise à jour des dispositifs de la politique de la ville repoussée malgré l'évolution des conditions locales depuis leur définition en 2014.

Néanmoins, une circulaire datée du 31 août 2023 a finalisé un calendrier pour la signature des nouveaux contrats de ville, qui ont eu lieu avant le 31 mars 2024. Ces derniers ont fait suite à la consultation « Quartiers 2030 » qui a permis la définition des objectifs de ces nouveaux contrats jusqu'en octobre 2023. La circulaire précisait que la programmation budgétaire pour 2024 pouvait être initiée sans attendre la signature effective des futurs contrats de ville.

Le rapporteur regrette qu'un tel retard ait été pris dans la définition des nouveaux objectifs pour la politique des QPV et appelle à ce que la prochaine mouture des contrats de ville soit préparée en amont de l'échéance afin de faciliter la gestion budgétaire et la continuité du programme.

S'agissant en particulier du nouveau programme de renouvellement urbain (NPNRU), l'État, comme les années précédentes, n'a apporté qu'une contribution limitée, voire symbolique, de 14,3 millions d'euros. Ce montant correspond aux crédits ouverts en loi de finances initiale, soit 15 millions d'euros, étêtés de la mise en réserve à hauteur de 5 %.

Le montant qui doit être apporté par l'État sur l'ensemble de la durée du programme, de 2018 à 2030, est de 1,2 milliard d'euros. En particulier, sur la période 2023-2027, l'engagement prévu est de 300 millions d'euros, soit une moyenne de 60 millions d'euros par an. Or les montants apportés depuis 2018 et particulièrement celui apporté en 2023 sont bien en deçà de ce qui est nécessaire pour accompagner le programme de façon progressive. L'État devra, s'il veut honorer ses engagements, accroître considérablement les crédits de l'action 04, et donc du programme 147, dans les années à venir.

Financement du NPNRU par l'État

(crédits de paiement, en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

Le financement de l'Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU) est donc apporté presque entièrement par le secteur du logement lui-même, avec le groupe Action Logement (324 millions d'euros en 2023) et les cotisations des bailleurs sociaux à la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS, 184 millions d'euros). Le budget 2023 diminue de plus de 200 millions d'euros - il atteignait 741 millions d'euros en 2022-, en lien avec la réduction de la dotation d'Action Logement, qui s'élevait à 540 millions d'euros en 2022.

Financement de l'ANRU en 2023

(en millions d'euros)

Note : Budget rectificatif 2023 de l'ANRU, hors 4,3 millions d'euros de recettes propres et fléchées.

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

Les dépenses de l'Agence se sont établies en 2023 à un niveau de 1,85 milliard d'euros en autorisations d'engagement, contre 1,36 milliard d'euros en 2022, et 780,1 millions d'euros en crédits de paiement, contre 688,8 millions d'euros en 2022, ce qui témoigne de la réalisation progressive des projets du NPNRU. De nombreux projets engagés n'ont pas encore mené au paiement complet du solde prévu. Le premier programme national de rénovation urbaine (PNRU), lancé en 2003, est quant à lui presque entièrement soldé : seules cinq opérations sont inachevées, pesant pour 0,94 millions d'euros en 2023.

Les engagements contractualisés sur le NPNRU sont d'ores et déjà de 6,07 milliards d'euros et les paiements de 1,78 milliard d'euros.

Si l'Agence dispose actuellement d'un niveau de trésorerie satisfaisant, le rapporteur spécial fait observer que c'est en raison des versements importants faits par Action Logement et les bailleurs sociaux.

En particulier, la lenteur avec laquelle la nouvelle convention quinquennale pour la période 2023-2027 a été mise en place entre l'État et Action Logement indique un manque de suivi sur le long terme de la politique de la ville. Le rapporteur spécial dénonce combien cela est préjudiciable à la stabilité du déroulement des programmes de rénovation.

Finalement, sur la politique de la ville comme sur les autres aspects de la politique du logement et de l'urbanisme, le rapporteur spécial regrette que le Gouvernement nommé à l'issue des élections du printemps 2022 ait perdu du temps dans la définition d'une politique à long-terme dotée d'objectifs et de moyens cohérents.


* 18 Ville, document de politique transversale, annexé au projet de loi de finances pour 2023.

* 19 Articles 5 et 6 de la loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine.

* 20 La loi de finances pour 2019 avait déjà repoussé de deux années la mise à jour de ces dispositifs.

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