B. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Il est regrettable que la DGAC ait revu à la baisse l'ambition de la trajectoire de désendettement du BACEA

En 2023, la dette colossale contractée par le BACEA durant les années de crise a entamé sa décrue. Au cours de l'exécution 2023, le BACEA n'a eu recours à l'emprunt qu'à hauteur de 50 millions d'euros tandis que l'autorisation prévue en loi de finances initiale pour 2023 atteignait 257 millions d'euros. Au 31 décembre 2023, l'encours de dette du budget annexe s'est ainsi replié à 2,4 milliards d'euros après avoir atteint un pic de 2,7 milliards d'euros à la fin de l'année 2022.

Évolution de l'encours de dette du budget annexe de 2008 à 2023

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Alors que l'année dernière la DGAC prévoyait de réduire sa dette à 1,3 milliard d'euros en 2027, elle se montre désormais moins ambitieuse et n'a plus qu'un objectif de 1,5 milliard d'euros à cet horizon, soit un montant qui resterait encore plus de deux fois supérieur à son niveau d'avant crise.

Le rapporteur spécial rappelle le caractère impératif de la résorption de la dette du BACEA. Elle revêt un enjeu de crédibilité majeur pour la DGAC et conditionne les investissements considérables qu'elle doit réaliser par ailleurs pour se moderniser. La révision à la baisse significative des objectifs de désendettement du BACEA constitue à cet égard un mauvais signal.

Le rapporteur considère aussi que la trajectoire de désendettement ne peut s'envisager sans des réformes ambitieuses visant à accroître la performance de la DGAC, notamment en matière d'organisation du travail de ses personnels.

2. En augmentation, les dépenses de personnel du BACEA vont être stimulées à l'avenir par les revalorisations prévues par le nouveau protocole social signé au printemps 2024

Le schéma d'emploi nul prévu pour l'année 2023 a été respecté en exécution. Toutefois, comme au cours des gestions précédentes, des écarts significatifs entre les entrées et les sorties programmées et celles effectivement constatées ont cependant été observés.

La période de formation des contrôleurs aériens s'étend aujourd'hui sur cinq années. Cette situation rend impérative la réalisation par la DGAC d'un exercice rigoureux de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). De ce dernier dépend la capacité des services du contrôle aérien à traiter le trafic, un facteur absolument déterminant de la compétitivité économique des compagnies ainsi que du secteur dans son ensemble.

Du fait de la crise sanitaire et de ses répercussions sur le trafic aérien, les recrutements de contrôleurs aériens (les ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne ou « ICNA ») avaient été très sensiblement réduits en 2021 et 2022, le nombre de promotions annuelles passant de quatre en 2020, à deux en 2021 puis à l'équivalent d'une seule en 2022. La reprise vigoureuse du trafic démontre une nouvelle fois qu'une approche conjoncturelle et court-termiste de la gestion des recrutements de contrôleurs aériens n'a pas de sens. Ce constat se vérifie d'autant plus aujourd'hui dans la mesure où une vague de départs à la retraite de contrôleurs aériens doit intervenir à la fin de la décennie 2030.

Ce contexte a conduit la DGAC à négocier en 2022 avec la direction du budget une trajectoire pluriannuelle (2023-2027) d'évolution de ses effectifs. Le rapporteur spécial a déjà eu l'occasion dans des rapports précédents de saluer cette initiative indispensable. Le nombre de nouvelles promotions annuelles d'ICNA a ainsi été réévalué à trois en 2023 puis à quatre en 2024.

Les dépenses de personnel du BACEA ont augmenté de 3 % par rapport à 2022 pour s'établir à 1 259 millions d'euros en 2023, soit 60 % du total des dépenses du budget annexe.

Depuis la fin des années 1980, la DGAC conclut à intervalles réguliers des « protocoles sociaux » avec les organisations syndicales représentatives de ses personnels. Ces accords pluriannuels ont pour principe d'octroyer des avantages catégoriels aux agents de la DGAC en contrepartie de mesures de productivité, principalement s'agissant du niveau de performance du contrôle aérien. Le coût des mesures catégorielles du dernier protocole social en date, pour la période 2016-2019, s'est élevé à près de 50 millions d'euros par an.

Du fait de la crise sanitaire les négociations du nouveau protocole social prévu initialement sur la période 2020-2024 avaient dû être interrompues. Au début de l'année 2023, la DGAC avait relancé sa négociation avec les organisations syndicales représentatives de ses personnels. Au terme d'un processus laborieux, un nouveau protocole a été signé en mai dernier, pour la période 2023-2027, par trois des cinq syndicats représentatifs de personnel.

Plus ambitieux que les précédents en matière de performance du contrôle aérien, ce protocole sera également plus coûteux en termes de contreparties financières pour les personnels de la DGAC. Ses dispositions tireront ainsi à la hausse les charges de personnel du BACEA dans les années à venir. Dans un rapport d'information qu'il a présenté le 2 octobre 2024, le rapporteur a évalué cette incidence, à l'horizon 2027, à près de 100 millions d'euros par an7(*).

2023 a par ailleurs été l'année de concrétisation du programme de réorganisation et de mutualisation des fonctions supports de la DGA. L'ensemble des secrétariats interrégionaux (SIR) ont ainsi été mis en service. La DGAC s'attend à économiser 200 ETP d'ici 2025 en raison de cette réorganisation.

3. La « douloureuse » modernisation des outils de la DSNA

L'essentiel des dépenses d'investissements du BACEA (184 millions d'euros) sont portées par le programme 612 « Navigation aérienne » pour financer les grands programmes de modernisation du contrôle de la navigation aérienne.

L'évolution des dépenses d'investissement entre 2013 et 2023

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Dans un rapport d'information de juin 2023 intitulé « la navigation aérienne fait atterrir en urgence son programme de modernisation »8(*), le rapporteur spécial a mis en lumière le fait qu'en termes d'investissements, « la direction des services de la navigation aérienne (DSNA) se trouve actuellement, et pour au moins encore quelques années, dans une phase critique dans laquelle elle doit tout à la fois assumer le coût financier des dérives constatées sur ses différents programmes de modernisation, assurer leur aboutissement, anticiper les projets de modernisation à venir et combler des années de sous-investissement dans des infrastructures aujourd'hui en situation d'obsolescence avérée ».

Dans ce contexte, au cours de l'année 2023, la DGAC a négocié auprès de la direction du budget une trajectoire d'investissements nettement réévaluée à compter de l'année 2024. Celle-ci comprend notamment les coûts prévisionnels de la transition du programme 4-Flight vers un système mutualisé (à travers un nouveau programme de modernisation technologique baptisé « 4-Flight révolution ») et les investissements nécessaires pour remédier à l'obsolescence de certaines infrastructures de la DSNA.

Comme il a pu le souligner au cours de l'examen du projet de loi de finances pour 2024, le rapporteur spécial estime que cette réévaluation à la hausse de la trajectoire prévisionnelle d'investissements de la DSNA était nécessaire. Cependant, elle doit s'accompagner de contreparties strictes à travers lesquelles la DSNA devra donner des garanties renforcées en matière de transparence, de performance ou encore de pilotage opérationnel et budgétaire de ses projets. Dans cette perspective, le rapporteur spécial formule une série de recommandations9(*) :

- garantir une régulation réellement indépendante et efficace des performances de la DSNA et mettre en oeuvre un comité de suivi financier des grands programmes ;

- améliorer le pilotage budgétaire des programmes de la DSNA, notamment en généralisant la budgétisation AE ? CP ;

- instaurer un contrat d'objectifs et de performance pluriannuel entre la direction générale de l'aviation civile (DGAC) et la direction du budget ;

- tenir les engagements pris par la DGAC au titre de la trajectoire de désendettement du BACEA.

Pour se prémunir d'un déclassement technologique, la DSNA poursuit des programmes de modernisation des outils du contrôle aérien. Comme le rapporteur spécial a pu le souligner dans son rapport d'information précité de juin 2023, la réalisation de ces programmes s'est traduite par des dérapages majeurs tant en termes de délais que de surcoûts financiers. Les principaux programmes de modernisation ont ainsi connu des surcoûts d'environ un milliard d'euros.

Évolution des coûts d'investissement
des programmes 4-Flight, Coflight et Sysat

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les annexes budgétaires aux lois de finances

En intégrant le nouveau projet « 4-Flight révolution », le coût total des programmes de modernisation du contrôle aérien atteint environ 2,3 milliards d'euros. Sur ce montant total, 850 millions d'euros sont consacrés au seul projet « 4-Flight révolution », dont 342 millions d'euros resteront encore à décaisser dans les années à venir.

Coût des programmes techniques de modernisation
du contrôle de la navigation aérienne

(en millions d'euros)

Programme

Durée du programme

Coût total fin 2023 (en CP)

Coût total programme après 2023 (en CP)

Coût total programme

4-Flight

2011-2026

818,3

80,7

899,0

4-Flight Révolution

2024-2030

0,0

342,0

342,0

Coflight

2003-2026

270,6

35,1

305,7

Sysat

2012-2032

135,7

294,3

430,0

Erato

2002-2015

127,2

-

127,2

NVCS

2012-2027

75,6

24,6

99,6

CATIA

2020-2025

10,9

26,6

37,5

Data Link

2006-2022

32,6

-

32,6

Seaflight

2012-2027

25,0

6,0

31,0

Autres programmes

-

81,6

39,6

121,2

Total

-

1 467,9

848,9

2 316,8

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires


* 7 Rapport d'information n° 5 (2024-2025) fait au nom de la commission des finances sur les protocoles sociaux, l'organisation du travail des personnels de la direction générale de l'aviation civile (DGAC) et la performance du contrôle aérien français par M. Vincent Capo-Canellas, octobre 2024.

* 8 Rapport d'information n° 758 (2022-2023) fait au nom de la commission des finances sur les programmes de modernisation de la navigation aérienne 4-Flight, Co-Flight et Sysat par M. Vincent Capo-Canellas, juin 2023.

* 9 Formalisées dans son rapport d'information précité de juin 2023.

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