EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 5 JUIN 2024

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M. Laurent Lafon, président. - Nous nous réunissons ce matin pour l'examen de deux propositions de loi d'initiative sénatoriale. Nous débutons par le rapport de notre collègue Stéphane Piednoir sur la proposition de loi visant à assurer le respect du principe de laïcité dans le sport, déposée par Michel Savin et plusieurs de ses collègues.

Je vous rappelle que l'examen de ce texte est programmé en séance publique lundi prochain après l'examen de la proposition de loi consacrée à la prise en charge des maladies évolutives graves.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - La proposition de loi de notre collègue Michel Savin traite d'un sujet essentiel, celui de la laïcité - souvent évoqué au sein de notre commission -, qui est l'un des fondements de la République, inscrit à l'article 1er de la Constitution.

La laïcité implique de trouver un équilibre entre la liberté de conscience dans la sphère privée et la neutralité dans la sphère publique. Ce principe a toute sa place dans le domaine du sport, qui est l'un des vecteurs de l'apprentissage de la citoyenneté.

Il faut savoir que 58 % des sportifs licenciés ont moins de 20 ans ; 6,3 millions d'entre eux ont moins de 13 ans. Au même titre que l'école, le sport les initie à la coopération et au respect des règles communes. Les valeurs fondamentales du sport sont des valeurs citoyennes. Les seules règles, les seules différences admissibles sur le terrain sont celles qui sont induites par le sport lui-même. Les revendications politiques ou religieuses n'y ont pas leur place. C'est la raison pour laquelle la charte olympique énonce un principe de neutralité, dans sa règle 50.2 : « Aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n'est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique. »

Les atteintes à la laïcité dans le sport sont une réalité trop longtemps occultée.

Il y a vingt ans, le rapport de M. Bernard Stasi sur l'application du principe de laïcité dans la République faisait déjà le constat inquiétant de la formation d'« équipes communautaires » et du déclin de la pratique sportive féminine dans certains quartiers.

La loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics a réglé la question de la laïcité pour les établissements scolaires publics. Mais le sport est resté un terrain de ce que l'on appelle aujourd'hui le « séparatisme ».

Plusieurs rapports parlementaires récents l'ont montré, notamment le rapport de la commission d'enquête du Sénat de 2020 sur la radicalisation islamiste.

Toutes les atteintes à la laïcité ne sont évidemment pas du même ordre. Mais tous les acteurs que nous avons auditionnés, de l'ancienne ministre des sports Marie-George Buffet aux représentants des collectivités territoriales et des fédérations sportives, font le même constat : celui d'une diffusion générale de comportements remettant en cause le vivre-ensemble et l'universalisme du sport.

Ces phénomènes sont dispersés, au sein d'un réseau de 360 000 associations sportives, et extrêmement difficiles à quantifier. Quelques chiffres permettent toutefois d'illustrer les phénomènes les plus graves.

En cinq ans, 592 alertes ont été rapportées aux cellules de lutte contre l'islamisme radical et le repli communautaire (Clir). Ces contrôles ont abouti à neuf fermetures d'établissements.

En 2022-2023, 100 contrôles ont été effectués par le ministère des sports. Ces contrôles ont permis d'identifier six cas de séparatisme.

En 2021, Mme Roxana Maracineanu, alors ministre déléguée chargée des sports, déclarait que 127 associations sportives avaient été identifiées comme étant en relation avec une mouvance séparatiste, parmi lesquelles 29 étaient tenues par l'islam radical. Seulement cinq de ces clubs ont été fermés, et souvent pour d'autres raisons, de santé publique notamment. Donc, 122 clubs resteraient ouverts. Cela représente, potentiellement, 11 000 sportifs pratiquant dans des clubs en lien avec la mouvance séparatiste.

Un seul retrait d'agrément a été effectué en application de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, au titre du non-respect du contrat d'engagement républicain (CER).

Ces chiffres sont évidemment très partiels. De nombreux acteurs de terrain témoignent d'atteintes à la laïcité, telles que l'extension du port du voile, des prières collectives dans les vestiaires et sur les terrains, des demandes de modification d'horaires, un refus de la mixité, le refus de saluer l'adversaire, etc. Les sports les plus concernés sont le football, les sports de combat, le tir à l'arc ou encore la musculation.

Dans ce contexte, cette proposition de loi est bienvenue.

En effet, les mesures prises à ce jour sont insuffisantes. Le contrat d'engagement républicain est un outil qui est intéressant, mais trop peu mobilisé. Loin d'être un véritable engagement, il est trop souvent une simple formalité, une case à cocher sur un formulaire administratif.

Par ailleurs, l'État est affaibli, par manque de moyens, que ce soit dans les préfectures ou au sein des services déconcentrés du ministère des sports.

Ces services ont subi de fortes réductions d'effectifs. Ils ont été rapprochés des services de l'éducation nationale, ce qui ne permet plus d'avoir une vision claire de leurs moyens. En tout état de cause, 220 emplois sont aujourd'hui consacrés par le ministère des sports au contrôle des établissements d'activités physiques et sportives, toutes problématiques confondues - hygiène, sécurité, assurance, etc. Une prise de conscience a lieu, puisque ces effectifs ont été augmentés de 56 en deux ans, pour la prévention de la radicalisation et des violences sexistes et sexuelles. Mais ces moyens restent limités.

D'un point de vue juridique, la jurisprudence a validé des extensions ciblées du principe de neutralité, désormais opposable dans certains cas aux usagers du service public, pour permettre le bon fonctionnement du service, prévenir toute confrontation sans lien avec le sport et garantir l'égalité de traitement des usagers.

Le Conseil d'État a validé cette approche à deux reprises.

D'une part, il a confirmé l'interdiction par la fédération française de football (FFF) de « tout port de signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale » en compétition : le Conseil d'État affirme dans sa décision du 29 juin 2023 que des limitations à la liberté des licenciés sont possibles « si cela est nécessaire au bon fonctionnement du service public ou à la protection des droits et libertés d'autrui ».

D'autre part, dans une ordonnance du 21 juin 2022, le Conseil d'État a validé la suspension du règlement intérieur des piscines de la ville de Grenoble, qui autorisait le port du « burkini ».

Par la suite, plusieurs fédérations sportives ont pris des mesures d'interdiction du port de signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse lors des compétitions : c'est le cas, outre la FFF, des fédérations françaises de basket-ball (FFBB) et de volley.

D'autres fédérations ont entamé une réflexion, sans prendre de mesures à ce stade. Les pressions sont multiples. Par exemple, 70 clubs de basket franciliens ont adressé une pétition à la fédération française de basket-ball. Des campagnes sont menées sur les réseaux sociaux.

Aujourd'hui, si les fédérations sportives ont la faculté de mettre en place des limitations, elles n'en ont pas l'obligation. Or rien ne peut justifier qu'un principe aussi fondamental que la laïcité s'applique différemment d'une discipline à l'autre.

C'est pourquoi de nombreuses fédérations sont demandeuses d'un cadre législatif clair qui les protège. Rappelons que ces fédérations sont la plupart du temps délégataire d'une mission de service public et que l'extension de la loi de 2004 est envisagée et a été souhaitée par plusieurs acteurs, dont Marie-George Buffet.

Je vous propose donc d'adopter la proposition de loi de notre collègue Michel Savin en y apportant quelques compléments.

L'article 1er reprend quasiment à l'identique une disposition qui a déjà été adoptée par le Sénat à deux reprises, en 2021 puis en 2022.

Il s'agit d'interdire le port de signes religieux ostensibles dans les compétitions sportives. Je vous propose de préciser le champ de l'interdiction afin qu'elle s'applique aux 120 fédérations agréées, et qu'elle porte non seulement sur les signes et tenues d'ordre religieux, mais aussi sur ceux d'ordre politique.

Je vous propose, par ailleurs, de prévoir la possibilité d'une sanction, afin de rendre la mesure plus effective, mais aussi pour disposer d'un instrument de comptabilisation des atteintes relevées.

L'article 2 interdit les prières collectives dans les locaux mis à disposition par les collectivités territoriales en vue d'une pratique sportive. Un tel usage constitue en effet un détournement de finalité. Je vous proposerai, là aussi, d'adopter cet article, en précisant qu'il s'applique non seulement à l'équipement sportif, mais aussi à tous les locaux attenants.

L'article 3 impose le respect des principes de neutralité et de laïcité dans les piscines et les espaces de baignade artificiels publics. Je vous proposerai, ici, de préciser la portée du principe d'égalité de traitement des usagers afin d'être plus explicite et de ne prêter à aucune ambiguïté.

Enfin, je vous propose de compléter cette proposition de loi afin de permettre la réalisation d'enquêtes administratives préalables à la délivrance de la carte professionnelle d'éducateur sportif. En l'état actuel du droit, un individu fiché dans le cadre de la prévention de la radicalisation à caractère terroriste peut se voir délivrer une carte professionnelle d'éducateur sportif. Aucun recoupement n'est effectué puisque le fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) n'est pas un fichier de personnes condamnées, contrairement au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijais). En revanche, il existe une procédure de criblage préalable au recrutement dans certains emplois de souveraineté ou de sécurité, ou pour l'accès à des sites sensibles, tels que ceux des prochains jeux Olympiques.

Je propose, par conséquent, qu'une enquête administrative puisse être demandée préalablement à la délivrance de la carte professionnelle d'éducateur sportif.

Pour l'application des irrecevabilités prévues par l'article 45 de la Constitution, je vous propose un périmètre incluant les dispositions relatives à la prévention, à l'interdiction et au contrôle des atteintes à la laïcité dans le sport.

M. Pierre Ouzoulias. - Je trouve le périmètre un peu restreint. Il aurait été intéressant de mettre à profit ce texte pour travailler sur la notion de service public, tel que les fédérations en sont délégataires par l'État. J'évoquerai ce point en séance publique.

M. Laurent Lafon, président. - Je prends acte de votre remarque.

Le périmètre est adopté.

Mme Agnès Evren. - Je tiens tout d'abord à remercier le président Retailleau d'avoir versé au débat cette proposition de loi fondamentale. Le groupe Les Républicains salue Michel Savin, auteur de ce texte, pour la qualité de ses travaux, ainsi que le rapporteur Stéphane Piednoir pour les auditions qu'il a menées et qui, nous l'espérons tous, réussiront à convaincre de l'absolue nécessité de défendre le principe de laïcité dans le sport.

Cette proposition de loi se fonde sur un constat issu de différents rapports et d'enquêtes qui ont souligné la faiblesse du sport face à la radicalisation et aux dérives contre les principes de la République. Si la laïcité garantit la liberté de conscience et la liberté religieuse de chacun, elle pose un cadre à l'exercice de ces libertés, qui est de ne pas troubler l'ordre public. Cette condition sine qua non n'étant pas toujours respectée, les acteurs du sport s'accordent sur l'urgence de renforcer certains dispositifs afin d'assurer à tous une pratique sereine et pacifiée. Les valeurs de dépassement de soi, d'intégration, d'émancipation et d'universalité inhérentes au sport permettent d'étendre son accès à tous, quelles que soient l'origine, la religion ou les convictions politiques de chacun.

Certains préfèrent encore éluder le problème de l'ingérence religieuse dans le sport. Pourtant, le communautarisme est un péril qui menace la République dans son ensemble. Cette proposition de loi a le mérite de regarder les choses de façon lucide. Le sport est un terrain de jeu privilégié de ceux qui souhaitent voir appliquer une loi religieuse diamétralement opposée aux valeurs d'émancipation et d'universalité portées par le sport. C'est à l'État qu'il revient d'affirmer son soutien inconditionnel aux acteurs des milieux sportifs pour qu'ils puissent, enfin ! faire respecter le principe de laïcité. Cette proposition vise donc à lutter contre la progression rampante de ce phénomène contraire à la sanctuarisation du domaine sportif et à la neutralité.

Je rappelle brièvement les trois objectifs poursuivis au travers de cette proposition de loi : interdire le port de signes religieux ostentatoires lors des compétitions organisées par les fédérations sportives et les associations affiliées ; préserver l'utilisation des équipements sportifs d'un dévoiement cultuel contraire à leurs objectifs ; enfin, consacrer le principe de neutralité dans les règlements d'utilisation des piscines ou des espaces de baignades artificiels publics à usage collectif.

Naturellement, les propositions d'amendements qui s'inscrivent dans cet état d'esprit seront les bienvenues.

Mme Sylvie Robert. - Je remercie le rapporteur pour son rapport.

La France est une République laïque. Comment répondre au défi d'une société pluriculturelle sans renoncer à la neutralité de l'État et des services publics, au respect des principes d'égalité des cultes et des personnes et à la consécration de la liberté de croire ou de ne pas croire ? Je pense intimement que le concept français de laïcité reste encore pleinement opérant.

Par cette proposition de loi, vous rompez les équilibres des grandes lois de 1905 et de 2004. Mais vous entamez aussi l'État de droit. Cela fait sept fois que nous légiférons sur la question du voile, pour les accompagnatrices de sorties scolaires ou dans le cadre de l'examen de la loi visant à démocratiser le sport en France. Je reconnais là de la constance - pour ne pas dire de l'obsession. Depuis, nombre d'évolutions législatives et jurisprudentielles ont eu lieu ; la question du Conseil d'État sera évoquée en séance.

À entendre les fédérations, les personnes auditionnées, j'estime que cette proposition de loi ne répondra pas à ces défis, car elle déplace plusieurs curseurs. La dernière audition était intéressante, car on a parlé, pour la première fois, du sport comme vecteur d'intégration. Ici, l'équilibre entre intégration et exclusion n'est plus assuré.

Par ailleurs, vous avez fermement défendu le CER.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - C'est le moment des reproches !

Mme Sylvie Robert. - Pas du tout, mais vous l'avez voté. Or vous dites aujourd'hui qu'il n'est pas suffisamment puissant. J'aimerais simplement qu'il soit appliqué. Les municipalités ont passé des contrats avec les associations. Le principe de laïcité figure dans le CER. Je fais confiance aux maires pour que les choses aillent dans le bon sens.

Qui plus est, les fédérations disposent d'un pouvoir réglementaire qui leur permet d'interdire le port de signes religieux, selon une jurisprudence du Conseil d'État. Il aurait été beaucoup plus intéressant de renforcer les contrôles, de permettre l'application du CER, de favoriser la formation et l'accompagnement des acteurs, notamment les éducateurs sportifs.

J'ai l'impression que cette proposition de loi a d'autres visées politiques. Or, en l'espèce, il faut légiférer avec beaucoup de prudence : rompre les équilibres de grands principes comme celui de laïcité peut nous faire perdre beaucoup.

M. Pierre-Antoine Levi. - À mon tour de féliciter Michel Savin, auteur de cette proposition de loi, et Stéphane Piednoir, rapporteur, pour la qualité de leur travail.

La laïcité est l'un des piliers de notre République, qui garantit la neutralité de l'État et assure l'égalité de tous les citoyens, quelles que soient leurs croyances. Pourtant, nous ne comptons plus les atteintes envers ce principe. Certains promoteurs d'une vision radicale et politique de la religion tentent d'imposer des pratiques incompatibles avec notre société.

Le sport en tant qu'espace public de rassemblement et de cohésion sociale doit être le reflet de cette neutralité. Je salue donc Michel Savin pour son initiative visant à remettre sur le devant de la scène cette problématique cruciale. Cette proposition de loi est donc la bienvenue.

L'article 1er introduit une nouvelle disposition dans le code du sport, interdisant le port de signes religieux ostensibles lors des compétitions sportives organisées par les fédérations et associations affiliées. Cette mesure, inspirée par la réglementation en vigueur dans l'éducation, vise à garantir que les terrains de sport demeurent des espaces de neutralité et de respect mutuel. Les récents incidents, tels que ceux qui sont survenus au Sète Olympique Football Club, montrent que cette question est loin d'être théorique. Des maillots arborant des symboles religieux ont suscité des sanctions et des débats intenses, révélant des tensions sous-jacentes.

La FFF a pris des mesures depuis 2016 pour interdire ces signes. Elle cherche à prévenir toute instrumentalisation du sport à des fins religieuses, garantissant ainsi que le terrain de jeu reste un espace neutre et inclusif. Ces bonnes pratiques sont aujourd'hui au bon vouloir des fédérations avec le risque d'interprétations différentes. Inscrire ce principe dans la loi permettra la stricte application par l'ensemble des acteurs du sport de notre pays.

L'amendement COM-3 concernant les sanctions financières est difficile à mettre en oeuvre. Je proposerai plutôt une suspension de licence temporaire de six mois pour l'auteur de l'infraction, avec une gradation dans le temps en cas de récidive.

L'article 2 permet aux collectivités territoriales de déterminer les conditions d'utilisation des équipements sportifs. Il exclut leur usage comme salle de prière collective, sauf disposition temporaire et non préférentielle. Cette mesure est très importante pour éviter que les infrastructures sportives publiques ne deviennent des lieux de culte, ce qui pourrait exacerber les divisions communautaires.

Enfin, l'article 3 renforce le respect des principes de neutralité et de laïcité dans les piscines et les espaces de baignades artificiels publics. L'autorisation à Grenoble du port du « burkini » dans ses piscines municipales démontre l'utilité de telles dispositions.

Garantir l'égalité de traitement des usagers dans cet espace est essentiel pour préserver la cohésion sociale et éviter toute forme de discrimination. Nous devons également considérer les chiffres du ministère des sports qui indiquent que, sur 3 449 contrôles effectués en 2022, plusieurs ont révélé des signes de séparatisme ou de radicalisation nécessitant des mesures correctives.

Ces données illustrent bien la réalité et l'ampleur des défis que nous devons relever. Il est important de comprendre que la laïcité vise non pas à exclure, mais à protéger ; elle garantit que chacun puisse pratiquer son sport librement, sans subir de pression religieuse ou communautaire. Le sport doit rester un lieu de rencontres et de partages au-delà des différences individuelles. Les incidents observés, tels que les annulations de matchs, montrent la nécessité de règles claires et uniformes pour préserver la paix sociale et l'unité nationale.

Vous l'aurez compris, le groupe Union Centriste soutient cette proposition de loi.

Nous croyons fermement que la laïcité est un socle indispensable pour une République unique, unie et solidaire. En renforçant la neutralité dans le sport, nous faisons un pas important pour garantir que cet espace reste un lieu de convivialité, de respect et d'égalité pour tous.

M. Ahmed Laouedj. - Cette proposition de loi, qui semble motivée par une volonté de promouvoir la laïcité, risque en réalité de stigmatiser davantage certaines communautés.

La laïcité ne signifie pas l'exclusion du fait religieux de notre société, surtout dans le domaine du sport. Elle ne peut être interprétée comme la stigmatisation des pratiques religieuses des individus ni brandie comme un prétexte pour réduire les libertés individuelles.

D'abord, au nom de la liberté de conscience, on ne peut interdire le port d'une tenue vestimentaire en raison de son caractère religieux. Une interdiction ne peut être prononcée qu'en cas de trouble à l'ordre public manifeste. Elle doit être adaptée et proportionnée.

Par ailleurs, le principe de neutralité ne s'applique pas de la même manière aux agents et aux usagers du service public. Ainsi, si les obligations de neutralité concernent les personnes exerçant une mission de service public dans le sport, comme les dirigeants ou les salariés d'une fédération, les bénévoles et les sportifs non salariés, bien qu'ils jouent un rôle essentiel, ne peuvent y être directement soumis.

Enfin, je m'interroge sur la pertinence de cette proposition de loi, étant donné que les maires et les fédérations sportives disposent déjà des outils nécessaires pour intervenir en cas de trouble avéré à l'ordre public.

La laïcité est un principe fondamental de notre République. Toutefois, celle-ci ne cesse pas d'exister parce que les individus sont différents. Aussi, ne cédons en aucun cas à la tentation de son instrumentalisation.

Pour toutes ces raisons, je vous invite à reconsidérer cette proposition de loi et toutes les implications qu'elle aurait sur la cohésion sociale. Réfléchissons à d'autres solutions pour garantir la laïcité dans le sport sans porter atteinte aux libertés individuelles de nos concitoyens.

M. Pierre Ouzoulias. - En France comme ailleurs dans le monde, nos sociétés manquent d'universalisme.

L'alinéa 2 de l'article 50 de la charte olympique veille précisément à garantir ce principe dans le domaine du sport. La République islamique d'Iran est la première à avoir combattu cet article, en négociant des dérogations auprès du Comité international olympique (CIO) après avoir refusé d'envoyer des athlètes féminines aux jeux Olympiques (JO). À ce titre, je regrette vivement que l'olympisme mondial ait cédé aux pressions financières des États du Golfe pour oublier une partie de la charte. Je ne supporte pas que la France ait accepté que ce texte soit ainsi foulé aux pieds à l'occasion des jeux Olympiques de Paris. Nous aurions dû nous battre bien davantage pour veiller à son application...

Nous avons entendu Marie-George Buffet en audition, et nous voterons l'article 1er. Je m'interroge néanmoins sur son champ d'application, qui se limite aux compétitions. J'aurais préféré qu'il s'applique à toute la pratique sportive, en ce qu'elle représente une mission de service public d'ordre éducatif auprès des jeunes. Il est désormais clair pour tous que la loi de 2004 a pour objet la protection des mineurs envers toute forme de prosélytisme. Nous pourrions donc voter un texte équivalent à destination des clubs sportifs. Cet article ne me satisfait donc pas totalement.

Concernant les articles 2 et 3, si j'en comprends l'objectif, leur formulation légistique ne me convient pas, pour différentes raisons.

Je vous mets en garde : la loi française ne reconnaît que les cultes. Le mot « prière » n'apparaît dans aucun texte, à l'exception du code pénitentiaire. Il serait dommage de l'utiliser dans une proposition de loi relative au sport !

L'expression « port de signes religieux », à l'article 1er, est un peu limitée. Je suis offusqué qu'un joueur fasse un signe de croix avant d'entrer sur le terrain. Or il s'agit d'une manifestation religieuse - et non d'un signe religieux -, laquelle devrait également être proscrite.

L'article 3 est une transposition de la décision du Conseil d'État à propos des piscines municipales de Grenoble autorisant le port du burkini. Je salue cette juste décision, qui précise qu'on ne peut changer le règlement d'une piscine, celui-ci étant motivé par des règles d'hygiène, en fonction de desiderata religieux. Mais là aussi, la rédaction pose problème.

Mme Mathilde Ollivier. - Votre rapport évoque à de multiples reprises le séparatisme. Nous devrions plutôt parler de la discrimination et de la stigmatisation d'une partie de la communauté française, particulièrement visée par cette proposition de loi, à laquelle nous nous opposons.

Ce texte est révélateur d'une incompréhension - que je pense délibérée - envers le principe de laïcité. La neutralité s'applique avant tout aux agents du service public, et non à ses usagers. Le Conseil d'État, saisi par les hijabeuses qui contestaient le règlement de la FFF, a redéfini les contours de la laïcité dans le sport. Or sa décision précise que le principe de neutralité s'applique lorsque la fédération exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de décision sur les joueurs et joueuses - et non à tous les autres licenciés. Toutefois, les fédérations sont libres d'édicter des règles internes, tant que celles-ci sont proportionnées et adaptées. La restriction du port des signes religieux peut être décidée pour le bon fonctionnement du service public et contre les troubles à l'ordre public. Par cette proposition de loi, vous souhaitez étendre le principe de laïcité à des usagers qui ne sont actuellement pas concernés.

Lors de leur audition, certains représentants de fédérations sportives ont fait part de leur inquiétude, à quelques semaines de l'ouverture des jeux Olympiques et Paralympiques, à propos de cette proposition de loi qui envoie un signal d'exclusion à l'égard d'une partie des citoyens et citoyennes français. Pourtant, leur accès à la pratique du sport devrait être garanti. Il est d'ailleurs dommage que les associations qui oeuvrent dans ce domaine n'aient pu être entendues.

Nous nous opposons fortement à cette proposition de loi. Nous avons déposé des amendements de suppression sur les trois articles. Il est important, dans un climat de stigmatisation de certaines communautés, de ne pas porter atteinte aux libertés individuelles.

M. Martin Lévrier. - Je n'avais pas prévu de m'exprimer aujourd'hui, tant il est difficile de porter une parole qui ne soit pas enfermée dans le discours d'un parti politique, dès lors qu'il est question de laïcité.

D'un côté, les tentatives d'utiliser le sport à des fins de prosélytisme sont une réalité dont je fais régulièrement l'expérience dans mon département. De l'autre, en France, la laïcité est, selon moi, davantage une valeur qu'un principe : c'est l'accumulation des lois qui fait les principes grâce auxquels cette valeur s'applique. Or cette situation donne lieu à une course à l'échalote : ne sachant pas comment résoudre le problème, nous multiplions les textes pour remettre le sujet à l'ordre du jour.

Pourtant, si nous appliquions fermement le droit existant, nous éviterions une telle situation. Ne vous y trompez pas : si cette loi est adoptée et qu'elle est appliquée, ceux qui sont à l'origine de ce prosélytisme trouveront de nouveaux chemins d'attaque et nous rédigerons une nouvelle loi ! À la fin, nous perdrons l'idée même de ce qu'est la valeur de laïcité. Je sais que nous ne sommes pas tous d'accord sur la définition de celle-ci, mais c'est de cette manière que je la conçois.

Concernant le texte, l'article 1er mériterait d'être repensé. Je m'interroge sur sa constitutionnalité. Quant aux articles suivants, contentons-nous d'appliquer et d'évaluer le droit existant : nous porterions ainsi une parole politique bien plus forte qu'en adoptant une nouvelle proposition de loi, qui sera rapidement battue en brèche pour laisser place à un autre texte.

M. Jacques Grosperrin. - Je remercie l'auteur de cette proposition de loi pour son courage, car le sujet est important.

À ceux qui doutent de la portée politique de cette proposition de loi, je le redis : si, pour vous, le port du hijab est une marque d'émancipation, ce n'est pas notre point de vue. Accepter que les pratiquantes le portent sur un terrain de sport est en totale contradiction avec notre vision de la liberté des femmes.

S'agissant des hommes, un sociologue a raconté lors d'une audition qu'un match de football a été retardé pour permettre aux joueurs de faire leur prière. La maire a prétexté une coupure d'électricité pour justifier la situation. Les choses sont graves. Pourtant, certains sont dans le déni. J'entends dire que cette proposition de loi favoriserait un système d'exclusion et de différenciation. Vous oubliez que les femmes que vous mentionnez sont précisément exclues par ceux qui les placent dans une telle situation. En aucun cas, le sport ne doit être le lieu d'expression et de revendication religieuses.

Monsieur le rapporteur, pourquoi les 120 fédérations agréées par le ministère font-elles appliquer 120 règles différentes ? Dans un tel contexte, il est très complexe de veiller au respect du principe de laïcité sur notre territoire : alors que le football interdit le port de signes religieux, le rugby l'autorise. Pourtant, les deux fédérations bénéficient du même agrément ministériel. Nous faisons face à une incohérence républicaine. Il revient au Sénat de la résoudre.

M. Patrick Kanner. - Vous avez évoqué à plusieurs reprises l'audition de Mme Buffet, ancienne ministre très respectable - comme d'autres ministres des sports (Rires.) qui, contrairement à elle, ont été confrontés à la salafisation de certains clubs. C'était le cas à l'époque où j'occupais ce poste. Nous n'y avons alors pas répondu par une caporalisation, mais par une intervention des services de l'État - ils sont malheureusement dans une piètre situation aujourd'hui - pour enquêter, avec une équipe dédiée, sur d'éventuels phénomènes de radicalisation.

Il ne faut pas uniformiser la réponse de l'État aux sujets qui concernent l'intime. N'oublions jamais cette phrase d'Aristide Briand, que le président du Sénat rappelle régulièrement : « La loi doit protéger la foi, aussi longtemps que la foi ne prétendra pas dire la loi. »

C'est cela qui fait l'originalité du système laïc français, qui n'a rien à voir avec le système des pays anglo-saxons. Tant que la menace à l'ordre public n'existe pas, il ne faut pas imaginer une réponse uniforme qui risquerait d'exclure, de stigmatiser, tout en empêchant l'inclusion des femmes françaises de confession musulmane - car, arrêtons de tourner autour du pot, c'est bien de cela qu'il s'agit.

La laïcité n'est pas la caporalisation : c'est une liberté organisée pour chacun de nos concitoyens.

M. Max Brisson. - Notre débat dépasse largement le texte proposé par M. Savin. L'intervention de M. Kanner montre bien que le coeur de la discussion porte sur la loi de 1905, sur laquelle nous avons une approche différente.

C'est sans doute une nouveauté dans notre République : le large consensus sur la loi de 1905 est en train de vaciller sous les coups de boutoir d'un projet politique totalitaire. Nous pensons qu'il faut au contraire le défendre, dans l'esprit de la citation d'Aristide Briand qui vient d'être rappelée. Mais certains voudraient que la religion passe avant la loi de la République, et tentent d'imposer leur vision à chaque fois qu'ils en ont l'occasion.

C'est pourquoi il est nécessaire de conforter ceux qui, au quotidien, sur le terrain, défendent la laïcité. C'est ce qui nous sépare profondément : nous ne pensons pas que la loi de 1905 discrimine ou stigmatise qui que ce soit. Au contraire, elle protège les libertés et préserve les mineurs du prosélytisme.

Nous avons aussi entendu le discours du représentant du parti présidentiel, qui était un summum de « en même temps », de « pas de vague » - et de déni absolu !

M. Martin Lévrier. - Et voilà !

M. Max Brisson. - Surtout, ne rien faire, par peur que quelque chose ne bouge !

J'ai d'ailleurs entendu une affirmation surprenante. La laïcité est un principe constitutionnel, et non une valeur. La loi de 1905 ne se débat pas, elle s'applique. Pour cela, nous devons armer celles et ceux qui, au quotidien, ont sa défense pour mission.

Comparons la situation à celle de l'éducation il y a quelques années. Combien de personnes nous ont dit que la loi de 2004 sur le port de signes religieux ostensibles - mais c'était bien le voile qui était en cause - ne serait pas applicable ? Nous avons alors fait preuve de fermeté, et la question a été réglée. Il en ira de même pour le sport. Mais si nous restons dans une discussion permanente, ceux qui veulent remettre en cause la laïcité gagneront.

Le rôle du législateur est d'apporter aux dirigeants sportifs les outils qui leur manquent. Madame Robert, ce n'est pas une obsession de notre part. J'y vois au contraire la marque d'un problème permanent que la loi actuelle ne suffit pas à résoudre. Nous devons - et c'est l'objet du texte de Michel Savin - aider les éducateurs et tous ceux qui cherchent à faire du sport ce qu'il est - un lieu de vivre-ensemble, où l'on va vers l'autre, en le respectant. C'est aussi ce qu'est la laïcité - et c'est aussi ce qu'est notre pays.

Je remercie le rapporteur d'avoir défendu ce texte important, et son auteur de l'avoir porté avec force et conviction.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - La diversité d'opinions est bien normale au sein d'une assemblée. Je constate que c'est le retour des clivages. Notre différence d'appréciation est manifeste.

Je remercie tous ceux qui ont salué le travail qui a été réalisé en un temps très réduit. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous n'avons pas pu auditionner certaines associations ni l'ensemble des ministres des sports, qui sont très nombreux !

Je salue les sénateurs qui soutiennent ce texte et en ont compris les enjeux. Je veux néanmoins répondre à ceux qui ont un avis différent.

En 2004, j'étais enseignant quand la loi encadrant le port de signes religieux a été adoptée. On nous disait alors qu'elle serait inapplicable, que la neutralité des agents du service public devait se cantonner là, et qu'on ne pourrait jamais contrôler celle de ses usagers - dans ce cas précis, des élèves. Cela ne s'est pas fait en un coup de baguette magique, madame Robert, ni en une seule loi. Il a fallu quinze ans, après l'affaire des foulards de Creil, en 1989, pour arriver à un consensus sur cette loi. Quinze années, et combien de propositions en ce sens, avant qu'un gouvernement ne finisse par faire adopter ce texte ! Et aujourd'hui, nul ne le conteste ni dans les établissements ni au niveau du Conseil constitutionnel, alors qu'il est régulièrement attaqué par des hijabeuses qui voudraient réinvestir le champ de l'école. Le Conseil constitutionnel le dit : la pratique individuelle de sa propre religion n'est pas menacée par la loi de 2004.

Depuis quelques années, nous vous proposons de faire de même dans le sport. La pratique de la religion relève de la sphère privée. Les fédérations qui chapeautent les compétitions visées par l'article 1er de la proposition de loi participent à l'exécution d'une mission de service public. À ce titre, monsieur Ouzoulias, je ne suis pas opposé à l'extension du champ de cet article à l'ensemble des activités sportives encadrées par une fédération, en vue de la discussion en séance publique.

À ceux qui estiment qu'on légifère avec répétition, je réponds que c'est précisément l'art de la pédagogie. À titre personnel comme au nom de mon groupe, je continuerai à porter cette parole pour qu'on ne puisse pas distinguer la religion des pratiquants sur un terrain de sport.

Quant à la discrimination, que certains ont invoquée, elle a lieu quand, dans un club de basket féminin, petit à petit, les foulards deviennent la norme, et que ce sont celles qui ne le portent pas qui finissent par considérer qu'elles doivent quitter le club ! Face à ces situations, la fédération française de basket a appelé à l'instauration d'un cadre législatif.

Enfin, dans un récent débat sur un tout autre sujet, on nous a dit qu'il était plus important d'inscrire un principe dans la loi que de se fier à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Nous vous proposons aujourd'hui une rédaction qui s'appuie sur celle du Conseil d'État. Je trouve donc vos positions bien contradictoires !

Mme Mathilde Ollivier. - On ne parle pas de la même chose !

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - Bien sûr, mais je fais quand même le parallèle. En inscrivant ce principe dans la loi, nous aiderons chacun à prendre les mesures nécessaires.

Les troubles à l'ordre public ne peuvent être un motif d'interdiction a priori. Par définition, le trouble à l'ordre public se constate une fois qu'il s'est manifesté.

Enfin, je rappelle à tous ceux qui considèrent que la loi de 2004 a mis du temps à aboutir qu'elle a fini par régler un problème qui paraissait insurmontable. Vingt ans après, il ne l'est plus. Je vous propose donc de faire la même chose dans le domaine du sport.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Mme Mathilde Ollivier. - Nous nous opposons à l'interdiction générale et absolue du port de signes qui manifestent ostensiblement une appartenance religieuse pour l'ensemble des pratiquants et pratiquantes lors des compétitions sportives. La loi de 1905 de séparation des Églises et de l'État, interprétée par le juge administratif depuis plusieurs décennies, fournit une boussole claire : le principe de neutralité et de laïcité des services publics s'impose aux agents du service public, et non à ses usagers.

Attachés à l'équilibre centenaire de l'application du principe de laïcité à l'action publique et au service public en France, nous proposons, par l'amendement COM-7, la suppression de cet article.

Enfin, concernant le parallèle avec la loi de 2004 qui vise à protéger la liberté de conscience des enfants, je rappelle que ceux-ci sont des citoyens en construction. Ils doivent développer leur propre jugement dans le sanctuaire républicain de l'école. Ce n'est pas l'objet de cette loi, qui vise à interdire le port de signes religieux à des adultes. Cette extension n'est donc pas nécessaire.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - Chacune des 120 fédérations applique des règles différentes. Elles réclament désormais un cadre unique. C'est l'objet de ce texte.

La loi de 2004 s'applique à beaucoup de majeurs. Les étudiants des classes préparatoires ou des BTS, dans les lycées, doivent respecter cette loi, quand bien même ils sont majeurs. De même, sur un terrain de sport, on trouve des mineurs et des majeurs. Cet argument ne tient donc pas.

Nous voulons donner un cadre universel à tous les sports. Il s'agit aussi de répondre à une forme de dichotomie entre la situation à l'école et celle au sein des associations sportives. En effet, il arrive qu'un jeune pratique un sport dans le cadre des cours d'éducation physique et sportive au sein de son collège, puis, deux heures plus tard, dans un contexte associatif, parfois avec le même enseignant ! Et pourtant, la règle n'est pas la même. Comment voulez-vous qu'il puisse identifier un cadre de référence, dans de telles conditions ?

Avis défavorable à cet amendement.

M. Michel Savin, auteur de la proposition de loi. - Je n'ai pas souhaité intervenir plus tôt pour laisser mes collègues s'exprimer. Néanmoins, concernant cet amendement, le Conseil d'État a précisé que l'interdiction du port de signes religieux apparaît nécessaire pour prévenir tout affrontement ou confrontation sans lien avec le sport, montrant là sa sensibilité à l'égard des difficultés rencontrées sur le terrain. Même si certaines fédérations mettent en place des règlements, leur application par les clubs et les éducateurs est très complexe.

Par ailleurs, la suppression de l'article 1er alimenterait les divergences entre les fédérations sur la réglementation en la matière. M. Ouzoulias l'a dit, l'esprit de la charte olympique, qui défend la neutralité, serait complètement remis en cause. Il faut donc s'opposer à cet amendement.

M. Max Brisson. - Nous aurions sans doute intérêt, en vue de l'examen du texte en séance, à élargir le champ de l'interdiction à toutes les activités pratiquées dans le cadre des clubs et associations sportives, au lieu de la restreindre aux seules compétitions.

L'amendement COM-7 n'est pas adopté.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - L'amendement COM-2 réécrit l'alinéa 2 de l'article 1er en s'inspirant de la rédaction de la FFF.

M. Pierre Ouzoulias. - J'aurais aimé que l'alinéa 2 fasse référence à l'article 50 de la charte olympique, car ce texte n'est pas reconnu par le droit français. L'inclure dans le dispositif par l'ajout d'une simple phrase - « dans l'esprit de l'article 50 de la charte olympique » - donnerait de la valeur aux dispositions législatives que nous examinons.

Mme Mathilde Ollivier. - L'extension de l'interdiction à des signes d'appartenance politique est problématique et liberticide. Le sport est souvent l'occasion d'exprimer des revendications politiques : c'était le cas des footballeurs iraniens, qui ont protesté contre le régime des mollahs à l'occasion de la dernière Coupe du monde.

Cette interdiction n'a rien à voir avec la laïcité dans le sport, qui est l'objet même de cette proposition de loi - il n'y a qu'à regarder son titre.

Mme Sylvie Robert. - La mention de signes politiques me semble problématique au regard du périmètre de la proposition de loi, qui traite de laïcité et de sport. Sur quels fondements peut-on étendre cette interdiction ?

Mme Monique de Marco. - Quelle est la définition d'un signe politique ? Les joueurs du club de football de Saint-Étienne pourront-ils continuer à porter le maillot vert, qui ressemble fortement à la couleur du groupe politique écologiste ? C'est une boutade, mais la question mérite d'être posée !

M. Michel Savin. - L'alinéa 2 de l'article 50 de la charte olympique mentionne bien toute « sorte de démonstration ou de propagande politique ou religieuse » : le rapporteur fait donc référence à ce texte.

M. Max Brisson. - D'où la proposition de M. Ouzoulias.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - Je répondrais bien à Mme de Marco que tout ce qui est excessif est insignifiant ! Nous n'avons pas inventé cette formulation : c'est celle de la charte olympique.

Mme Mathilde Ollivier. - Donc on élargit le périmètre.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - Non, on reste dans le cadre de la neutralité, qui figure bien dans le périmètre.

La formulation retenue dans la charte olympique a été rédigée après les JO de 1968 et les attentats survenus lors des JO de Munich en 1972. Voilà son origine : n'est-elle pas politique ?

Désormais, nous voulons faire appliquer cette charte en France, car la laïcité y fait l'objet d'une conception un peu particulière.

Monsieur Ouzoulias, cet amendement pourrait en effet être complété en vue de la séance.

L'amendement COM-2 est adopté.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - Il nous a plusieurs fois été demandé comment nous comptions veiller au respect de l'interdiction imposée par la proposition de loi.

Les contrats d'engagements réciproques sont insuffisamment contrôlés. D'ailleurs, ils ne sont pas systématiquement mis en place. Je propose donc de punir par l'amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe tout manquement aux dispositions prévues par l'alinéa 2 de l'article 1er.

L'amendement COM-3 vise surtout à engager une réflexion sur une mesure de sanction individuelle à l'encontre de ceux qui contreviendraient à l'article 1er. Pierre-Antoine Levi a formulé une autre proposition, que je n'avais pas envisagée au cours des auditions. Un débat en commission serait donc utile.

Mme Sylvie Robert. - Une fois que les outils sont instaurés, il faut contrôler leur application, et il est bien normal de prononcer une sanction lorsqu'ils ne sont pas respectés.

Mais pour que le régime de sanction s'applique, encore faut-il qu'il y ait un contrôle ! Or vous évoquez un contrôle insuffisant des CER. J'identifie dans vos propos un paradoxe que je ne m'explique pas.

M. Pierre-Antoine Levi. - Les clubs attendent des mesures fortes. En raison des recours, l'amende financière met beaucoup de temps à produire ses effets.

Des équipes du ministère ou des éducateurs pourraient s'engager à contrôler les manquements à la loi. C'est ensuite l'efficacité de la mesure qui est en question.

En revanche, une suspension de six mois, par exemple, de la pratique du sport me paraîtrait plus dissuasive qu'une sanction financière.

M. Max Brisson. - Le rapporteur indique à raison qu'il n'y a pas d'interdiction sans sanction. Sans cela, nous restons dans une posture de principe. Pour autant, la sanction doit être efficace et dissuasive, et entrer dans le cadre de la pratique sportive. Je suis donc assez sensible à la proposition de M. Levi. Nous avons encore quelques jours pour faire évoluer le texte en ce sens.

M. Michel Savin. - Je suis favorable à la mise en place d'outils de contrôle. Nous constatons un manque de moyens humains au sein du ministère pour contrôler les fédérations. Dans le même temps, les préfets indiquent ignorer les situations en question, en raison de l'absence de sanctions et de règles. Les dirigeants ne savent pas à qui s'adresser. Les maires, qui sont témoins de ce qui se passe dans les équipements sportifs, peinent à effectuer ces contrôles. Ainsi, une obligation de contrôle assortie de sanctions serait pertinente.

Faut-il instaurer une sanction financière ou une suspension de la pratique ? Il serait utile d'en discuter dans les prochains jours. De même, faudra-t-il sanctionner le joueur ou le club qui n'a pas réagi face à l'infraction ? Nous devons prendre en compte les responsabilités de chacun.

M. Pierre Ouzoulias. - Je suis plutôt favorable à la proposition du rapporteur, car il faut faire attention aux possibilités de désaffiliation des associations sportives. Celles-ci pourraient parfaitement sortir du cadre de la fédération pour appliquer les règles qu'elles souhaitent, et, surtout, échapper à la sanction qui serait prévue pour le sportif mis en cause.

Face à cet important danger de contournement, l'amende me paraît plus pertinente.

M. Laurent Lafon, président. - Cet amendement mérite d'être retravaillé d'ici à la séance.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - Le temps imparti ne nous a pas permis de mûrir complètement notre réflexion. Pour répondre à ceux qui réclamaient une sanction en contrepartie des interdictions que nous énonçons, mon premier réflexe a été de proposer une amende forfaitaire. Je souhaite en tout cas que l'interdiction soit assortie d'une sanction. Consultons-nous pour réfléchir à la meilleure formulation.

L'amendement COM-3 est retiré.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

Mme Mathilde Ollivier. - Par l'amendement de suppression COM-8, nous exprimons notre opposition à l'article 2 de la présente proposition de loi.

Son objectif - interdire l'usage exclusif d'un équipement sportif à des fins cultuelles - est déjà satisfait par le droit en vigueur. Le Conseil d'État estime en effet de jurisprudence constante qu'une commune peut autoriser, dans le respect du principe de neutralité à l'égard des cultes et du principe d'égalité, l'utilisation, par une association pour l'exercice d'un culte, d'un local communal, « à l'exclusion de toute mise à disposition exclusive et pérenne ».

Dès lors, en dehors de la volonté de son auteur de réagir à des polémiques, l'objectif d'interdire un usage exclusif des équipements sportifs comme « salle de prière collective » - le terme faisant d'ailleurs référence à une religion en particulier - est déjà satisfait et ne requiert donc pas l'intervention du législateur.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - Je pense tout le contraire. On ne peut accepter qu'un match de football soit interrompu pour que les joueurs aillent faire leur prière dans les vestiaires. Au lieu d'attendre que de telles situations se généralisent, prenons dès maintenant des mesures législatives.

L'amendement COM-8 n'est pas adopté.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - L'amendement COM-4 est rédactionnel. Il précise, d'une part, que les locaux attenant à l'équipement sportif sont aussi concernés, et, d'autre part, que tout usage religieux, et non seulement la prière, y est interdit.

L'amendement COM-4 est adopté.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 2

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - L'amendement COM-1 appuie la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. Les associations sportives agréées sont tenues de souscrire au contrat d'engagement républicain. Si elles le méconnaissent, le préfet suspend ou retire leur agrément, comme le prévoit l'article 121-4 du code du sport.

Cet amendement prévoit que le préfet puisse suspendre ou retirer l'agrément d'une association sportive qui se soustrairait délibérément aux obligations instituées par les articles 1er et 2 de la présente proposition de loi.

L'amendement COM-1 est adopté et devient article additionnel.

Article 3

Mme Mathilde Ollivier. - L'article 3 méconnaît les principes de neutralité et de laïcité qui s'appliquent aux agents, et non aux usagers du service public.

Le Conseil d'État a déjà indiqué qu'un règlement intérieur ne peut pas déroger aux règles de port de tenues de bain près du corps pour adapter le service à des revendications religieuses, sous peine de méconnaître son obligation de neutralité et d'égalité des usagers devant le service public.

En plus d'être déjà satisfait, le présent article porte atteinte à la libre administration des collectivités territoriales, qui doivent rester libres d'adopter, sous le contrôle du juge, le règlement intérieur des piscines pour organiser le bon fonctionnement du service.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement de suppression COM-9. La libre administration des collectivités territoriales s'exerce dans le cadre fixé par le législateur.

L'amendement COM-9 n'est pas adopté.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - L'amendement COM-5 précise cet article en se fondant sur la jurisprudence du Conseil d'État, dans son ordonnance du 21 juin 2022, aux termes de laquelle « le gestionnaire d'un service public est tenu, lorsqu'il définit ou redéfinit les règles d'organisation et de fonctionnement de ce service, de veiller au respect de la neutralité du service et notamment de l'égalité de traitement des usagers ».

L'amendement COM-5 est adopté.

L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 3

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - L'amendement COM-6 prévoit que les candidats au métier d'éducateur sportif puissent faire l'objet d'une enquête administrative.

Le code de la sécurité intérieure prévoit le criblage des personnes amenées à exercer certains métiers sensibles. À cette liste serait ajoutée la fonction d'éducateur sportif, chargé notamment de mineurs.

M. Patrick Kanner. - La question du criblage est intéressante. Nous sommes en effet favorables au renforcement des contrôles. Néanmoins, nous devons nous interroger sur le périmètre du texte.

Le criblage se fonde sur trois fichiers différents. Il se pratique notamment pour les éducateurs dans les colonies de vacances. Bien entendu, le risque zéro n'existe jamais. Il arrive, malgré tous les contrôles, qu'un individu commette un acte de déviance sexuelle.

Outre les éducateurs officiels, de nombreux bénévoles sont présents dans les clubs. Il sera difficile de cribler tout le monde. Sur le principe, il est intéressant de renforcer les contrôles en amont, mais jusqu'où pouvons-nous concrètement aller, au regard du fonctionnement actuel des clubs ?

Mme Mathilde Ollivier. - Je m'interroge sur la pertinence de cet amendement qui a davantage trait au domaine sécuritaire et à la prévention du terrorisme, alors que la proposition de loi est relative à la laïcité dans le sport.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - Madame Ollivier, pour vous éclairer, je vous invite à lire le rapport d'Éric Diard et d'Éric Poulliat de 2019 sur les services publics face à la radicalisation. Celui-ci établit que l'entrisme islamiste s'effectue prioritairement à travers le sport, notamment les sports de combat, où l'on compte quasiment un éducateur par pratiquant.

Monsieur Kanner, l'amendement fait référence à la carte professionnelle d'éducateur sportif. Nous nous sommes demandé comment empêcher un éducateur inscrit au FSPRT ou au fichier des personnes recherchées (FPR) d'exercer sa mission auprès de jeunes. Nous avons déjà évoqué ce sujet. Mme Robert nous dira que c'est une obsession de notre part. En réalité, nous revenons à cette question précisément parce que nous ne trouvons pas de solution. Ces fichiers sont des fichiers de renseignement qui ne sanctionnent pas un délit. Au regard du droit, on ne peut interdire aux personnes fichées d'exercer une activité en tant qu'éducateur sportif. Néanmoins, il est ici question de la délivrance d'une carte professionnelle. Plus de 1 million de contrôles sont réalisés chaque année par le service national des enquêtes administratives de sécurité. Mais nous n'avons pas trouvé de solution pour les bénévoles.

L'amendement COM-6 est adopté et devient article additionnel.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

N° 

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er 

Mme OLLIVIER

7

Amendement de suppression

Rejeté

M. PIEDNOIR, rapporteur

2

Interdiction du port de signes ou tenues manifestant une appartenance politique ou religieuse lors des compétitions

Adopté

M. PIEDNOIR, rapporteur

3

Instauration d'un dispositif de sanction

Retiré

Article 2

Mme OLLIVIER

8

Amendement de suppression

Rejeté

M. PIEDNOIR, rapporteur

4

Précisions rédactionnelles 

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 2

M. PIEDNOIR, rapporteur

1

Permettre la suspension ou le retrait de l'agrément d'une association sportive en cas de non respect des dispositions de la proposition de loi

Adopté

Article 3 

Mme OLLIVIER

9

Amendement de suppression

Rejeté

M. PIEDNOIR, rapporteur

5

Préciser la portée du principe d'égalité de traitement des usagers des piscines

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 3

M. PIEDNOIR, rapporteur

6

Permettre le criblage des candidats à la fonction d'éducateur sportif

Adopté

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