N° 615
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024
Enregistré à la Présidence du Sénat le 22 mai 2024
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, encadrant l'intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques,
Par Mme Cécile CUKIERMAN,
Sénatrice
(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Philippe Bonnecarrère, Thani Mohamed Soilihi, Mme Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Mme Nathalie Delattre, vice-présidents ; Mmes Agnès Canayer, Muriel Jourda, M. André Reichardt, Mme Isabelle Florennes, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. Olivier Bitz, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Michel Masset, Mmes Marie Mercier, Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Olivia Richard, M. Pierre-Alain Roiron, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.
Voir les numéros :
Première lecture : 720 (2021-2022), 38, 39 et T.A. 4 (2022-2023)
Deuxième lecture : 310 et 616 (2023-2024) |
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Assemblée nationale (16ème législ.) : |
Première lecture : 366, 2112 et T.A. 236 |
L'ESSENTIEL
Inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale plus d'un an après son adoption par le Sénat, malgré l'engagement pris par le Gouvernement en faveur de la poursuite rapide de la navette parlementaire1(*), la proposition de loi encadrant l'intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques a été adoptée par l'Assemblée nationale le 1er février 2024.
Légitimement très attendu, l'examen par l'Assemblée nationale a néanmoins abouti à la réécriture de la plupart des dispositions de la proposition de loi, dans un sens souvent opposé au vote du Sénat. Sur les dix-neuf articles que comportait le texte à l'issue du vote au Sénat, un seul a été adopté conforme par l'Assemblée nationale, tandis que cinq ont été supprimés et treize autres ont été modifiés.
Si l'Assemblée nationale a dans l'ensemble allégé les obligations s'imposant aux prestataires de conseil et aux consultants, elle a, dans le même temps, étendu le champ d'application de la proposition de loi aux principales collectivités territoriales, sur proposition du Gouvernement.
Tout en rappelant que l'encadrement du recours aux cabinets de conseil par l'État a fait l'objet d'avancées significatives depuis la publication, en mars 2022, du rapport de la commission d'enquête du Sénat sur l'influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques, la commission a souligné la nécessité qui demeure à légiférer sur le sujet. Elle a, de plus, tenu à garantir l'effectivité et l'opérationnalité de la proposition de loi, par des aménagements dont certains visent à rétablir le dispositif voté par le Sénat en première lecture, et d'autres permettent de tenir compte des évolutions intervenues à l'Assemblée nationale.
Par ailleurs, maintenant sa position exprimée en première lecture, elle n'a pas jugé justifié d'intégrer dans le champ d'application du texte les collectivités territoriales : d'une part, l'influence des cabinets de conseil sur les politiques menées par les collectivités n'a fait, à ce jour, l'objet d'aucune étude étayée et aucune donnée agrégée fiable sur le recours aux cabinets de conseil par les collectivités territoriales n'existe2(*). La mission « flash » de l'Assemblée nationale consacrée à ce sujet a d'ailleurs préconisé, non pas de légiférer à court terme, mais de réaliser une « étude complémentaire ». D'autre part, tout un ensemble de mécanismes, aussi bien juridiques et administratifs que politiques, permettent d'ores et déjà d'encadrer et de contrôler le recours aux cabinets de conseil par les collectivités territoriales. Pour la commission, la nécessité de légiférer à cette fin ne se pose donc assurément pas dans les mêmes termes que pour la sphère étatique, a fortiori alors que le Gouvernement n'a effectué aucune consultation des associations d'élus locaux avant de proposer l'intégration des collectivités territoriales dans le champ de la proposition de loi.
Sur la proposition de sa rapporteure, la commission des lois a adopté la proposition de loi, modifiée par 15 amendements.
I. DÉMONTRANT LA PERTINENCE DES ALERTES INITIALES DU SÉNAT, DES PROGRÈS ONT ÉTÉ REALISÉS DEPUIS 2022 AFIN DE MIEUX ENCADRER LE RECOURS PAR L'ÉTAT AUX CABINETS DE CONSEIL, SANS REMPLACER LA NÉCESSITÉ D'UN CADRE UNIFIÉ, CONTRÔLÉ ET SANCTIONNÉ
Le rapport de la commission d'enquête du Sénat, publié en mars 2022, a permis de prendre la mesure de l'influence exercée par les cabinets de conseil sur la décision publique et les risques que cette emprise fait peser sur la démocratie et la légitimité des responsables publics. La plupart des recommandations de la commission d'enquête ont été retranscrites dans la présente proposition de loi, adoptée en première lecture par le Sénat en octobre 2022. La prompte réaction du Gouvernement aux travaux du Sénat illustre la justesse du constat ainsi dressé et la nécessité d'établir un cadre légal à l'intervention des cabinets de conseil dans la sphère publique, dans un double objectif de transparence de l'usage des derniers publics et de renforcement des exigences en matière de déontologie.
A. LES TRAVAUX DU SÉNAT ET LA PRESSION DE L'ACTUALITÉ ONT CONTRAINT LE GOUVERNEMENT À AGIR RAPIDEMENT POUR DÉVELOPPER UNE STRATÉGIE DE PILOTAGE DES DÉPENSES DE CONSEIL ET D'INTERNALISATION DES COMPÉTENCES DE CONSEIL
Le jour même de l'audition, le 19 janvier 2022, par la commission d'enquête du Sénat de la ministre de la transformation et de la fonction publiques, alors Amélie de Montchalin, le Premier ministre, alors Jean Castex, a publié une circulaire relative à l'encadrement du recours par les administrations et les établissements publics de l'État aux prestations intellectuelles. L'accord-cadre de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) a quant à lui été établi à l'été 2022 en tenant compte de certaines préconisations sénatoriales3(*).
En outre, la volonté affichée par le Gouvernement d'une internalisation de la fonction conseil s'est traduite par la création d'un service de « conseil interne » au sein de la DITP, ainsi que par l'inauguration, en mars 2024, de l'Agence de conseil interne de l'État4(*).
Visant à répondre à l'impératif de transparence appelé de ses voeux par la commission d'enquête, un jaune budgétaire consacré au recours aux conseils extérieurs et reprenant partiellement les informations visées à l'article 3 de la présente proposition de loi a été annexé pour la première fois au projet de loi de finances pour 20245(*).
* 1 Lors de la discussion générale au Sénat, Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques, avait déclaré : « Ma volonté est que le texte chemine : je l'ai dit publiquement et le réaffirme ici devant vous. La proposition de loi pourra être examinée soit dans le cadre d'une niche parlementaire, dont la programmation est à la main de chaque groupe, soit sur le temps réservé au Gouvernement. Je le redis, il est important pour le Gouvernement que la proposition de loi soit examinée » (Journal officiel de la République française, compte rendu intégral de la séance du 18 octobre 2022, p. 3972).
* 2 La direction générale des collectivités locales (DGCL) du ministère de l'intérieur et des outre-mer ayant elle-même indiqué à la rapporteure ne pas disposer de ces données.
* 3 Les cahiers des clauses administratives particulières prévoient ainsi, entre autres, l'interdiction pour les cabinets de conseil d'utiliser les sceaux, timbres, cachets et marques de l'administrations ; l'obligation pour les cabinets de conseil d'intervenir avec probité et intégrité ; l'obligation d'employer la langue française dans les échanges avec l'administration et la rédaction des documents.
* 4 Rattachée à la DITP, l'Agence devrait compter 75 agents à la fin de l'année 2024.
* 5 Le document qui a été publié en annexe au projet de loi de finances pour 2023 ne constituait pas un « jaune budgétaire » à proprement parler, puisqu'il n'avait pas été formellement créé par une loi de finances.