EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er
Affectation des biens meubles saisis dont la conservation
n'est plus nécessaire à la manifestation de la
vérité et simplification de la procédure d'appel
L'article 1er vise à :
- simplifier la procédure d'appel contre les décisions prises, selon les cas, par le procureur ou par le juge d'instruction quant à la destruction ou à la remise à l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués aux fins d'aliénation des biens meubles saisis dont la conservation n'est plus nécessaire à la manifestation de la vérité ;
- élargir la liste des organismes pouvant bénéficier d'une affectation à titre gratuit de certains bien saisis, en y intégrant les fédérations sportives délégataires, les associations et fondations reconnues d'utilité publique et les organismes gestionnaires d'un parc naturel national ou régional.
La commission a adopté cet article en rationalisant la liste des nouvelles entités affectataires, en ménageant un droit de priorité dans les affectations aux services d'enquête et aux services judiciaires et en prévoyant que cette nouvelle possibilité d'affectation s'appliquerait aux biens confisqués plutôt qu'aux biens saisis.
1. L'état du droit
Les articles 41-5 (pour l'enquête) et 99-2 (pour l'instruction) du code de procédure pénale fixent le régime applicable, avant jugement, aux biens meubles saisis dont la conservation n'est plus utile à la manifestation de la vérité.
Ces articles, créés par la loi n° 2007-1544 du 29 octobre 2007de lutte contre la contrefaçon, autorisent le procureur de la République ou le juge d'instruction, face à de tels biens, à décider :
- lorsque la restitution est impossible (notamment lorsque le propriétaire des biens ne peut pas être identifié ou lorsqu'il n'a pas donné suite, dans un délai d'un mois, à une mise en demeure adressée à son domicile), de leur destruction ou de leur remise à l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) aux fins d'aliénation ;
- lorsque la confiscation est prévue par la loi et que le maintien de la saisie serait de nature à diminuer la valeur des biens concernés, à remettre lesdits biens à l'Agrasc23(*) en vue de leur aliénation ou de leur affectation à certains services publics (services judiciaires, services de police, unités de gendarmerie, Office français de la biodiversité ou services placés sous l'autorité du ministre chargé du budget qui effectuent des missions de police judiciaire) à titre gratuit24(*).
Le procureur de la République ou le juge d'instruction doivent par ailleurs ordonner la destruction des biens concernés, dès lors qu'il s'agit d'objets qualifiés par la loi de dangereux ou nuisibles, ou dont la détention est illicite.
Aux termes des articles précités, les décisions du procureur de la République et du juge d'instruction peuvent être contestées devant la chambre de l'instruction dans des délais, respectivement, de 5 et de 10 jours. Ces délais, suspensifs, sont ramenés à 24 heures en cas de notification orale d'une décision de destruction de produits stupéfiants.
Selon le rapport « Investir pour mieux saisir, confisquer pour mieux sanctionner » remis par les députés Jean-Luc Warsmann et Laurent Saint-Martin au Premier ministre Edouard Philippe en novembre 2019, ce système est générateur de lourds frais de gestion eux-mêmes liés, entre autres, à « la durée trop longue des procédures, encore accrue par le développement des contentieux liés aux saisies et confiscations » qui pousse les juridictions à engager une véritable « course contre la montre » pour limiter autant que possible le temps écoulé entre la saisie d'un bien et la prise de décision sur le devenir de celui-ci.
2. La proposition de loi : simplifier l'appel contre les décisions de destruction ou d'aliénation et élargir la liste des bénéficiaires d'une affectation à titre gratuit
L'article 1er de la présente proposition de loi prévoit, en premier lieu, de simplifier la procédure d'appel contre les décisions prises par le procureur ou par le juge d'instruction quant à la destruction ou à la remise à l'Agrasc des biens meubles saisis dont la conservation n'est plus nécessaire à la manifestation de la vérité.
En effet, et comme l'ont confirmé les auditions conduites par le rapporteur, le système actuel de recours devant la chambre de l'instruction génère des délais particulièrement importants, notamment dans un contexte où les recours contre les décisions de saisie sont fréquents : l'Association française des magistrats instructeurs (AFMI) rappelait ainsi que les délais de traitement des appels sur de telles décisions atteignaient fréquemment un an, voire deux.
Analysant cette situation comme une source de complexité susceptible de mettre en péril l'affectation ou la vente avant jugement d'une proportion importante de biens saisis, l'article 1er prévoit de substituer à la compétence de la chambre de l'instruction celle d'un magistrat unique, à savoir le premier président de la cour d'appel ou un conseiller désigné par celui-ci. Cette évolution permettrait, selon les députés, de gagner en rapidité et en efficacité dans le traitement des recours contre les décisions de saisie.
Le même article viendrait, par ailleurs, étendre la liste des organismes susceptibles de bénéficier d'une mise à disposition à titre gracieux de biens meubles saisis.
La première de ces extensions, qui résulte de l'adoption par la commission des lois de l'Assemblée nationale d'un amendement de son président Sacha Houlié, concernerait les fédérations sportives délégataires d'une mission de service public : selon le rapport établi de Jean-Luc Warsmann, une telle innovation permettrait « par exemple » d'affecter à la Fédération française de motocyclisme « des véhicules deux-roues, qui sont régulièrement saisis et font l'objet de frais de gardiennage importants », ces véhicules pouvant être employés pour « la formation des citoyens en matière de sécurité routière - ce qui apparaît relever d'une logique vertueuse ».
D'autres extensions sont intervenues en séance publique, à la suite de l'adoption d'amendements permettant l'affectation gratuite des biens meubles saisis :
- aux gestionnaires de parcs naturels nationaux ou régionaux, dans le prolongement de la possibilité déjà ouverte par le code de procédure pénale de les attribuer à l'Office français de la biodiversité ;
- aux associations et fondations reconnues
d'utilité publique
- cette possibilité ayant,
étonnamment, été limitée par les auteurs de
l'amendement correspondant, membres du groupe Renaissance, aux biens saisis par
le procureur de la République et non par un juge d'instruction.
Aucune de ces mesures n'est la traduction d'une préconisation du rapport précité des députés Jean-Luc Warsmann et Laurent Saint-Martin qui, sur le sujet de la gestion des biens saisis avant jugement, recommandait en revanche de rendre possible une telle vente « dans l'ensemble des situations rencontrées par le juge, ce qui suppose de supprimer la condition de dépréciation de la valeur du bien dans le temps prévue aux [articles] 41-5 et 99-2 du code de procédure pénale » et qui proposait, lorsque cette vente n'est pas possible, non pas d'attribuer les biens saisis aux fédérations sportives ou aux gestionnaires de parcs naturels, mais d'attribuer les biens « de faible valeur » à des associations ou de prévoir leur rachat par le mis en cause, sur le modèle des droits belge et néerlandais.
3. La position de la commission : recentrer le dispositif d'affectation gratuite pour garantir son efficacité
La commission ne s'est pas opposée au transfert à un juge unique de la compétence pour connaître des recours sur les décisions de saisie, une telle évolution lui ayant semblé inévitable au vu de la croissance tendancielle du volume de ces recours comme de la charge de travail à laquelle les chambres de l'instruction sont aujourd'hui confrontées.
Dans un esprit de cohérence, elle a appliqué une procédure identique aux autres recours analogues prévus par le code en matière de saisies : saisies d'objet dangereux ou illicites, saisies d'animaux, ou encore refus de restitution de biens saisis par le juge d'instruction. Elle a également, à des fins de simplification des procédures, transféré au président de la cour d'appel la compétence actuellement confiée, toujours en matière de saisies, au président de la chambre de l'instruction en cas recours contre les ordonnances du juge d'instruction en matière de restitution (amendement COM-16 du rapporteur).
Par ailleurs, par le même amendement COM-16 du rapporteur, la commission a apporté une triple modification au système d'affectation gratuite des biens proposée par l'Assemblée nationale.
En premier lieu, elle a supprimé la possibilité donnée par la proposition de loi d'une affectation gratuite de biens à des fédérations sportives délégataires : contrairement à celui des gestionnaires de parcs naturels nationaux et régionaux (dont l'ajout est cohérent avec la possibilité déjà donnée par la loi à l'Office français de la biodiversité de bénéficier d'affectations à titre gratuit) et des fondations et associations reconnues d'utilité publique (qui peuvent déjà bénéficier d'une procédure analogue pour les biens immeubles), l'ajout de ces fédérations poserait problème dans la mesure où, d'une part, leurs missions sont sans lien avec la pratique des saisies et des confiscations et où, d'autre part, le nombre potentiellement important d'affectations pouvant leur être consenties impose a minima une évaluation fine de l'impact d'une telle mesure préalablement à toute initiative législative.
Dans le même temps, la commission des lois a souhaité rappeler que l'affectation gratuite des biens gérés par l'Agrasc devait bénéficier en priorité aux services d'enquête et aux services judiciaires, dont les besoins sont considérables et pour lesquels une telle affectation constitue un puissant levier de motivation. Elle a en conséquence prévu que les biens concernés seraient affectés par priorité à ces services, l'affectation aux autres bénéficiaires s'effectuant par défaut.
Enfin, suivant une préconisation formulée par les représentants de l'Agrasc, la commission a recentré cette possibilité nouvelle sur les biens non pas saisis, mais confisqués. En effet, l'affectation étendue de biens saisis aurait soulevé des difficultés :
- juridiques, les décisions d'affectation de biens saisis étant motivées en fonction d'éléments concrets du dossier, ce qui fait que seuls certains services peuvent valablement en être destinataires sans violer le secret de l'instruction ;
- pratiques : les biens saisis, même lorsqu'ils sont affectés à des tiers, restent la propriété des personnes mises en cause et sont susceptibles d'être restitués en fin de procédure si la confiscation n'est pas prononcée, une telle restitution pouvant au surplus s'accompagner d'une indemnisation du propriétaire en cas de perte de valeur du bien.
Ce recentrage du dispositif sur les biens confisqués permettra ainsi de donner à la nouvelle procédure d'affectation gratuite créée par le texte ait un caractère non plus seulement provisoire, mais définitif.
La commission a adopté l'article 1er ainsi modifié.
Article 1er bis AA (nouveau)
Caractère non
suspensif des recours contre les décisions de saisie ou de
non-restitution
À la suite de l'adoption d'un amendement du rapporteur, la commission des lois a harmonisé le régime des recours contre les décisions de saisie ou de non-restitution afin que ceux-ci n'aient pas de caractère suspensif.
Les décisions de saisie ou de non-restitution sont toutes susceptibles de recours dont les caractéristiques sont définies par le code de procédure pénale et tous enserrés dans des délais brefs, tant pour le requérant que pour l'entité appelée à statuer sur le recours.
Si certains de ces recours sont suspensifs, d'autres ne le sont pas, y compris lorsqu'ils portent sur des saisies importantes : tel est par exemple le cas des recours prévus par les articles 706-148 (saisie sur le patrimoine par le juge des libertés et de la détention ou le juge d'instruction), 706-150 (saisie de biens immeubles par les mêmes magistrats) et 706-153 (saisie des biens et droits incorporels) du code de procédure pénale. Or, selon les auditions conduites par le rapporteur, l'effectivité immédiate des saisies est un point essentiel de leur efficacité : les représentants de l'Association française des magistrats instructeurs soulignaient à cet égard que les saisies de comptes bancaires - qui font l'objet d'un transfert immédiat à l'Agrasc - sont moins fréquemment contestées que des décisions portant sur d'autres types de biens.
C'est pourquoi la commission des lois a, à l'initiative du rapporteur, adopté un amendement portant article additionnel et mettant fin au caractère suspensif des recours formés contre les décisions de saisie ou de non-restitution (amendement COM-18) prises par le procureur de la République ou le juge d'instruction : cette évolution rendra les saisies plus efficaces, contribuera à l'objectif de dynamisation des scellés et viendra protéger l'exercice par le juge du fond de son office en matière de confiscation. Aux yeux du rapporteur, cette modification constituera une harmonisation bienvenue, puisqu'en l'état du droit les recours contre les décisions de saisies sont d'ores et déjà non-suspensifs dans de nombreux cas (à titre d'illustration, l'appel n'est pas suspensif en matière de saisies spéciales de biens immobiliers - article 706-150). Elle ne semble, en outre, se heurter à aucun obstacle constitutionnel ou conventionnel, le caractère suspensif ou non du recours n'ayant pas d'impact sur l'effectivité de la possibilité donnée au mis en cause ou aux tiers de contester la décision rendue, a fortiori dans un contexte où l'autorité d'appel est tenue au respect de délais resserrés pour se prononcer.
La commission a adopté l'article 1er bis AA ainsi rédigé.
Article 1er bis AB (nouveau)
Élargissement
des cas de vente avant jugement
À la suite de l'adoption d'un amendement du rapporteur, la commission a élargi les cas de vente avant jugement des biens saisis par l'Agrasc.
Aux termes des articles 41-5 et 99-2 du code de procédure pénale, le procureur de la République et le juge d'instruction respectivement peuvent confier à l'Agrasc pour alinéation, dès l'enquête ou l'instruction, des biens saisis qui ne sont plus utiles à la manifestation de la vérité « lorsque le maintien de la saisie serait de nature à diminuer la valeur du bien ». Si le bien est vendu, le fruit de cette vente est consigné pour être ensuite restitué au propriétaire lorsque la confiscation n'est in fine pas prononcée.
Cette procédure présente des avantages financiers non négligeables non seulement parce qu'une vente rapide des biens saisis est plus rémunératrice (et donc favorable à l'État comme, en cas de restitution de la somme perçue, au propriétaire), mais aussi parce qu'elle évite la constitution de stocks « dormants » générateurs de coûts.
Dans ce contexte, et reprenant une suggestion formulée par l'Agrasc au cours de son audition, la commission a adopté l'amendement COM-17 du rapporteur afin d'élargir les cas d'alinéation avant jugement des biens saisis et d'ouvrir la possibilité d'une telle alinéation dans deux hypothèses : en cas de frais conservatoires (gardiennage, stockage...) disproportionnés par rapport à la valeur économique du bien, et lorsque l'entretien du bien requiert une expertise particulière.
La commission a adopté l'article 1er bis AA ainsi rédigé.
Article 1er
bis A
Réalisation d'enquêtes patrimoniales par les officiers de
police judiciaire
L'article 1er bis A complète la liste des missions dévolues aux officiers de police judiciaire pour prévoir que ceux-ci réalisent des enquêtes patrimoniales aux fins d'identification des avoirs criminels.
La commission a adopté l'article sans modification.
1. L'ajout d'une dimension patrimoniale aux missions des officiers de police judiciaire
L'article 17 du code de procédure pénale énumère les missions dévolues aux officiers de police judiciaire et les charge :
- de constater les infractions à la loi pénale, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs ainsi que, lorsqu'une information est ouverte, d'exécuter les délégations des juridictions d'instruction et de déférer à leurs réquisitions ;
- de recevoir les plaintes et dénonciations ;
- de procéder à des enquêtes préliminaires dans les conditions définies par les articles correspondants du code de procédure pénale ;
- d'exercer certains pouvoirs en cas d'infraction flagrante (information du procureur de la République, constatations sur les lieux de l'infraction, prélèvements externes, perquisitions, premières saisies...).
L'article 1er bis A, issu d'un
amendement du rapporteur Jean-Luc Warsmann adopté en séance
publique, vise à compléter cette liste pour
prévoir que les officiers de police judiciaire
« réalisent les enquêtes patrimoniales aux fins
d'identification des avoirs criminels ». Il s'agit
là d'une forme de paradoxe, puisque le rapport rédigé par
le même parlementaire en 2019 considérait à l'inverse qu'il
n'était « pas opportun de
rendre l'enquête
patrimoniale obligatoire dans tous les dossiers », ce dont on
peut déduire qu'il n'est pas opportun de faire de l'enquête
patrimoniale une mission générale des officiers de police
judiciaire.
M. Warsmann concède d'ailleurs que la valeur de cette innovation est davantage incitative que normative, l'objectif affiché étant d'« encourager l'identification systématique des avoirs criminels dans le cadre des enquêtes ».
2. La position de la commission
En dépit des limites du dispositif proposé par l'article 1er bis A, les auditions menées par le rapporteur attestent que cette évolution est ressentie positivement par les représentants de la police et de la gendarmerie nationales. Les deux directions générales compétentes s'accordent ainsi pour considérer, comme le rapport précité, que l'identification des avoirs criminels « est encore trop souvent perçue comme chronophage et vécue comme une charge supplémentaire dans une procédure pénale complexifiée depuis plusieurs années » et voient dans la modification de la réfaction de l'article 17 du code un signal positif envoyé à l'ensemble des officiers de police judiciaire pour les inciter à s'interroger, dans chaque dossier, sur l'opportunité de mener ou non une enquête patrimoniale.
En conséquence, la commission n'a, à ce stade, pas jugé opportun de modifier le dispositif adopté par les députés.
La commission a adopté l'article sans modification.
Article 1er
bis B
Obligations applicables dans le cadre d'une convention judiciaire
d'intérêt public
L'article 1er bis B ouvre la possibilité, dans le cadre d'une convention judiciaire d'intérêt public, d'imposer à la personne morale mise en cause de se dessaisir de tout ou partie des biens saisis au cours de la procédure au profit de l'État.
La commission a adopté cet article en prévoyant, par analogie, un dispositif similaire pour les conventions judiciaires d'intérêt public dites « environnementales ».
1. Une volonté d'élargir les obligations applicables en cas de convention judiciaire d'intérêt public
Prévues par l'article 41-1-2 du code de procédure pénale et introduites par la loi n° 2016-1691 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique du 9 décembre 2016, dite « Sapin II », les conventions judiciaires d'intérêt public (CJIP) permettent, pour certaines infractions (principalement la corruption, le trafic d'influence, le blanchiment de certaines infractions) et tant que l'action publique n'a pas été mise en mouvement, au procureur de la République de proposer à une personne morale mise en cause un accord qui, sous réserve de la validation du président du tribunal judiciaire à la suite d'une audition en audience publique de la personne morale précitée et des éventuelles victimes, éteint l'action publique. Cette extinction intervient en contrepartie du respect de certaines obligations, alternatives ou cumulatives, qui prennent en l'état du droit les formes suivantes :
- verser (avec une possibilité d'échelonnement) au Trésor public une amende d'intérêt public, dont le montant est fixé de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30 % du chiffre d'affaires moyen annuel calculé sur les trois derniers chiffres d'affaires annuels connus à la date du constat de ces manquements ;
- se soumettre, pour une durée maximale de trois ans et sous le contrôle de l'Agence française anticorruption, à un programme de mise en conformité destiné à s'assurer de l'existence et de la mise en oeuvre de certaines mesures et procédures (code de conduite, dispositif d'alerte interne, cartographie des risques, procédures d'évaluation de la situation des clients, fournisseurs de premier rang et intermédiaires, procédures de contrôle comptable, formation, régime disciplinaire visant à sanctionner les salariés en cas de violation du code de conduite)25(*).
À l'initiative du rapporteur Jean-Luc Warsmann, un amendement a été adopté en séance publique par l'Assemblée nationale afin de compléter la liste de ces obligations. Le présent article vise ainsi à permettre au procureur, dans le cadre d'une CJIP, d'obliger la personne morale mise en cause à se dessaisir au profit de l'État de tout ou partie des biens saisis dans le cadre de la procédure.
Cette mesure traduit - partiellement - l'une des recommandations du rapport précité de MM. Warsmann et Saint-Martin, qui « invit[ait] le ministère de la justice à engager des réflexions » pour prévoir un dessaisissement dans plusieurs cas : comme obligation d'un contrôle judiciaire ; « dans les procédures alternatives aux poursuites, sur le modèle de la convention judiciaire d'intérêt public » ; dans les procédures de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) ; dans les procédures de libération anticipée.
2. La position de la commission
La commission des lois n'a pas souhaité adopter de modification de fond au dispositif adopté par les députés ; à l'initiative de son rapporteur (amendement COM-19), elle l'a toutefois enrichi en prévoyant, par coordination, que l'obligation de se dessaisir de tout ou partie des biens confisqués pourrait également être imposée aux personnes morales mises en cause dans le cadre des conventions judiciaires d'intérêt public dites « environnementales » de l'article 41-1-3 du code de procédure pénale.
La commission a adopté l'article 1er bis B ainsi modifié.
Article 1er
bis C
Notification à l'Agrasc des décisions de saisie et de
confiscation
L'article 1er bis C prévoit la notification à l'Agrasc de l'ensemble des décisions de saisie et de confiscation, y compris pour les saisies probatoires ou pour les biens sur lesquels l'Agence n'est pas compétente aux termes du code de procédure pénale.
La commission a adopté cet article en limitant, par cohérence, cette obligation de notification aux décisions susceptibles d'entrer dans le champ légal de compétences de l'Agrasc.
1. Le périmètre de compétence de l'Agrasc en matière de saisies et confiscations
L'article 760-160 du code de procédure pénale confie à l'Agrasc une compétence sur certains biens saisis et confisqués. Cette compétence s'exerce seulement sur mandat de justice, le seul monopole de l'Agence portant sur les sommes saisies, qui lui sont automatiquement transférées.
L'article 706-161, pour sa part, autorise l'Agence à mettre en oeuvre un traitement de données à caractère personnel pour garantir le bon suivi des biens dont elle est saisie.
Lors de leur audition, les représentants de l'Agrasc ont relevé que le système d'attribution à celle-ci des biens saisis ou confisqués présentait encore de réelles failles dans la transmission des informations : ils ont indiqué que des biens lui étaient parfois confiés sans que leur soit communiquée l'ordonnance de saisie correspondante (y compris pour les comptes bancaires qui sont obligatoirement gérés par l'Agence, si bien qu'il lui arrive de recevoir des virements dont elle ne connaît pas la provenance...), imposant un travail long et fastidieux pour retracer l'origine des biens en question ; ils ont également souligné que tous les biens corporels saisis ou confisqués ne leur étaient pas remis, y compris s'agissant des biens saisis qui ne sont plus utiles à la manifestation de la vérité, et qu'ils restaient « dormants » dans les juridictions, créant à la fois une charge pour les entités qui continuent de les stocker et, en l'absence de vente ou de réaffectation, une perte sèche pour l'État.
Le manque d'informations communiquées à l'Agrasc porte ainsi atteinte à son objectif de dynamisation des scellés et, si la création d'antennes territoriales semble avoir produit des résultats probants, l'Agence estime qu'une partie non-négligeable des biens qui relèvent de sa compétence ne lui sont pas confiés. Sur ce terrain, Nicolas Bessone, entendu en tant que représentant de la Conférence nationale des procureurs de la République et par ailleurs ancien directeur général de l'Agrasc, a rappelé qu'à son arrivée à la tête de l'Agence en 2020, une opération « cold case » lancée par ses soins avait mis au jour un différentiel notable entre les prérogatives théoriques de l'Agence et la réalité de ses compétences : avaient ainsi été identifiés 350 millions d'euros d'avoirs non-confiés à l'Agrasc, dont 150 millions d'euros d'avoirs confisqués qui pouvaient être transférés directement à l'État pour peu qu'on les mette en regard avec le jugement correspondant.
C'est dans ce contexte que l'Assemblée nationale a adopté, en séance publique, deux amendements identiques du rapporteur et des membres du groupe LIOT afin de rendre systématique la communication à l'Agrasc de toutes les saisies opérées et de toutes les décisions de confiscation prises par les juridictions.
Si cette évolution vise à répondre à une défaillance objective, le rapporteur relève qu'elle concerne l'intégralité des saisies et confiscations - y compris, donc, les saisies strictement probatoires qui n'ont pas vocation à être gérées par l'Agrasc ou les décisions portant sur des biens sur lesquels l'Agence n'est pas compétente aux termes du code de procédure pénale.
2. La position de la commission
Le rapporteur a accueilli l'article 1er bis C avec une certaine circonspection.
En effet, les auteurs justifient la transmission de toutes les décisions de saisie et de confiscation à l'Agrasc par une volonté de permettre à l'Agence « d'assurer un suivi statistique fiable et une gestion optimale des biens saisis et confisqués ». On peut douter de la pertinence de cette proposition dans un contexte où, comme on l'a vu, l'Agrasc n'a pas de compétence universelle en matière de biens saisis et confisqués26(*) ; or, faute d'une telle compétence, on voit mal comment l'Agence pourrait valablement être chargée de collecter et de traiter l'ensemble des statistiques qui s'y rapportent.
En outre, et de l'aveu même des députés concernés, une telle évolution suppose des développements informatiques importants (l'objet de l'amendement du groupe LIOT précise ainsi qu'« il appartiendra au Gouvernement de transcrire cette obligation sur le plan opérationnel, en prévoyant une évolution des applicatifs pénaux pour permettre l'automatisation de cette transmission des décisions ») : outre qu'ils ne relèvent pas du domaine de la loi, ces développements gagneraient à être pensés dans le cadre du projet « procédure pénale numérique » (PPN), en cours de déploiement, et non de manière isolée.
Le dispositif soulève, au surplus, de réelles difficultés de mise en oeuvre et de coordination, car il s'articule mal avec d'autres dispositions du code de procédure pénale non modifiées par l'article 1er bis C, et notamment avec celles qui :
- bornent le périmètre du traitement de données à caractère personnel que l'Agrasc est autorisée à mettre en oeuvre en le limitant aux décisions de saisie et de confiscation dont elle est saisie (article 706-161), ce qui lui interdit mécaniquement de mettre en oeuvre un traitement analogue pour les décisions qui portent sur des biens pour lesquels elle n'est pas compétente : dans ce contexte, on peut légitimement s'interroger sur le devenir des décisions qui, transmises à l'Agrasc, ne correspondront pas à des biens dont elle est gestionnaire, décisions qu'elle ne pourra ni traiter, ni conserver, ni exploiter ;
- accordent à l'Agence, pour les besoins
liés à l'accomplissement de ses missions (article 706-60), un
droit d'accès à certains fichiers dont la nature est
étroitement liée à son périmètre actuel de
compétences (pour la gestion des sommes saisies, fichiers
recueillant les déclarations d'ouverture et de clôture des comptes
de toute nature et de location de coffres-forts, ainsi que de souscription et
de dénouement des contrats de capitalisation ou des placements de
même nature, notamment des contrats d'assurance vie ; pour
l'évaluation de la valeur des biens immobiliers, données
relatives aux
mutations à titre onéreux ou à
titre gratuit et aux actes relatifs aux sociétés et
références cadastrales, adresse, superficie, type et
caractéristiques des biens immobiliers visés par l'article L. 107
B du livre des procédures fiscales).
Le rapporteur relève enfin que, comme l'ont confirmé au cours de leur audition les représentants de la conférence nationale des procureurs de la République et de la conférence nationale des procureurs généraux, le dispositif de l'article 1er bis C concerne l'intégralité des saisies, y compris celles qui ont une valeur strictement probatoire - ce qui correspond à une gigantesque masse de données dont la plupart n'auront aucun intérêt opérationnel pour l'Agence. Certes, ceux-ci ont déclaré préférer un excès d'informations plutôt que laisser subsister un système dans lequel l'Agrasc peine à exercer ses compétences faute de disposer d'une vision exhaustive des biens sur lesquels elle pourrait exercer ses compétences ; interrogés sur l'opportunité d'une limitation du dispositif proposé aux biens sur lesquels l'Agence est compétente, ils ont par ailleurs craint qu'une notification de toutes les décisions soit la seule manière d'éviter un défaut de transmission des informations pertinentes par les greffes. Pour autant, la manière dont ces notifications vont être transmises puis exploitées et les conséquences de ce nouveau système sur les ressources de l'Agence restent nébuleuses.
Pour ces raisons, et suivant l'analyse du rapporteur, la commission a limité le périmètre de cette nouvelle obligation de notifications aux décisions sur lesquelles l'Agrasc est susceptible d'être compétente - c'est-à-dire, pour reprendre la formule figurant à l'article 706-160 du code de procédure pénale, à celles qui portent sur des biens « qui nécessitent, pour leur conservation ou leur valorisation, des actes d'administration » (amendement COM-20).
La commission a adopté l'article 1er bis C ainsi modifié.
Article 1er
bis D
Possibilité pour les collectivités territoriales de
bénéficier d'une affectation sociale des immeubles saisis ou
confisqués
L'article 1er bis D ouvre la possibilité d'une affectation sociale des immeubles saisis ou confisqués aux collectivités territoriales.
La commission a adopté cet article en y ajoutant la possibilité pour les services d'enquête, les services judiciaires et l'Office français de la biodiversité de bénéficier eux aussi d'une affectation de biens immobiliers.
1. Le dispositif d'affectation sociale des immeubles saisis ou confisqués
L'affectation sociale des immeubles confisqués, prévue par le neuvième alinéa de l'article 706-160 du code de procédure pénale, repose en pratique sur la faculté donnée à l'Agrasc de mettre, le cas échéant à titre gratuit, à disposition de certains organismes un bien immobilier saisi ou confisqué et dont la gestion lui a été confiée en application du deuxième alinéa du même article.
En l'état, peuvent être bénéficiaires d'une telle mesure :
- les associations dont les activités ont un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel, ou concourant à l'égalité entre les femmes et les hommes, à la mise en valeur du patrimoine artistique, à la défense de l'environnement naturel ou à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises ;
- les associations et fondations reconnues d'utilité publique ;
- les organismes exerçant des activités de maîtrise d'ouvrage et concourant aux objectifs de la politique d'aide au logement.
En adoptant les amendements identiques déposés en séance publique par le Gouvernement, le groupe Liberté, Indépendantes, Outre-mer et Territoires et le groupe Horizon et apparentés, les députés ont souhaité que le bénéfice de l'affectation sociale des immeubles confisqués soit étendu aux collectivités territoriales.
2. La position de la commission
La commission des lois a salué une évolution bienvenue qui permettra d'aller plus loin dans la mise en oeuvre du dispositif d'affectation sociale des biens immobiliers, étant rappelé que ce dispositif ne concerne en l'état qu'un très faible nombre de biens (cinq, selon l'Agrasc), et de valoriser l'action de terrain des collectivités territoriales.
L'association Crim'Halt comme l'Agrasc ont, à ce propos, relevé qu'une affectation sociale d'immeubles confisqués aux collectivités territoriales pourrait permettre à celles-ci de mettre les biens concernés à la disposition de « petites » associations locales, de coopératives citoyennes ou d'autres structures qui ne bénéficient pas aujourd'hui d'une possibilité d'affectation directe : cette faculté nouvelle contribuera ainsi aux objectifs initiaux de l'article 706-160 et dynamisera l'affectation de biens confisqués au secteur associatif.
Dans la droite ligne de ces évolutions, la commission a adopté deux amendements identiques de Paul Toussaint Parigi (COM-4 rect. ter) et Nathalie Delattre (COM-10 rect. ter) permettant aux services d'enquête, aux services judiciaires et à l'Office français de la biodiversité, qui peuvent déjà se voir affecter des biens meubles saisis et confisqués, de se voir affecter gratuitement des biens immeubles.
La commission a adopté l'article 1er bis D ainsi modifié.
Article 1er
bis E
Compétence de l'Agrasc pour vendre les biens dévolus
à l'État
ou non-restitués
L'article 1er bis E consacre une compétence nouvelle de l'Agrasc en matière de vente des biens dévolus à l'État ou non-restitués.
La commission a adopté cet article en y apportant une amélioration rédactionnelle.
1. Une extension de la compétence de l'Agrasc aux biens dévolus à l'État ou non restitués
Comme on l'a déjà indiqué, l'Agrasc ne dispose pas, à ce jour, d'une compétence globale sur les biens saisis et confisqués. Selon l'article 706-160 du code de procédure pénale, elle est ainsi compétente pour assurer, sur l'ensemble du territoire et seulement sur mandat de justice, c'est-à-dire en vertu d'une décision expresse du magistrat ou de la juridiction compétent(e) :
- la gestion de tous les biens, quelle que soit leur nature, saisis, confisqués ou faisant l'objet d'une mesure conservatoire au cours d'une procédure pénale, qui lui sont confiés et qui nécessitent, pour leur conservation ou leur valorisation, des actes d'administration ;
- la gestion centralisée de toutes les sommes saisies lors de procédures pénales ;
- l'aliénation ou la destruction des biens dont elle a été chargée d'assurer la gestion ;
- la gestion des biens affectés à titre gratuit par l'autorité administrative.
La pleine mise en oeuvre des préconisations du rapport de MM. Warsmann et Saint-Martin aurait voulu que soit reconnue à l'Agrasc une compétence universelle pour l'intégralité des biens saisis et confisqués à des fins patrimoniales, qu'elle dispose pour ce faire de moyens renforcés y compris par la mise en place de nouvelles antennes territoriales et que, dans le même temps, soit créée sous l'égide de l'Agence une véritable enquête post-sentencielle ayant pour but d'identifier le patrimoine de la personne condamnée et, ce faisant, de permettre l'exécution des peines de confiscation même en l'absence de saisie préalable. Toutefois, le Gouvernement n'ayant pas le souhait, et le Parlement pas la possibilité constitutionnelle, de déployer les moyens requis pour assurer une telle évolution, le présent article se limite à une solution de compromis : elle consiste, en l'espèce, à rendre l'Agrasc compétente pour « suivre » l'exécution des décisions de non-restitution et la mise en oeuvre des dispositions de l'article 41-4 du code de procédure pénale prévoyant que, lorsque la restitution n'a pas été demandée ou décidée dans un délai de six mois, les objets non restitués deviennent propriété de l'État.
2. La position de la commission
La commission a souscrit aux objectifs poursuivis par cet article et n'y a apporté qu'une modification de forme (amendement COM-21) visant à en préciser la rédaction.
La commission a adopté l'article 1er bis E ainsi modifié.
Article 1er
bis (supprimé)
Compétence de l'Agrasc en matière de
formation des membres des services de police judiciaire et des magistrats
L'article 1er bis rappelle que l'Agrasc peut former régulièrement les services d'enquête et les services judiciaires.
Constatant que cet article était dépourvu de portée normative, la commission l'a supprimé.
1. Présentation
L'article 706-161 du code de procédure pénale fixe la liste des missions « support » de l'Agrasc dans le domaine de l'assistance aux juridictions et aux officiers de police judiciaire et de la formation. Ainsi, aux termes de cet article, l'Agence :
- fournit aux juridictions pénales et aux procureurs de la République, à leur demande ou à son initiative, les orientations ainsi que l'aide juridique et pratique utiles à la réalisation des saisies et confiscations envisagées ou à la gestion des biens saisis et confisqués ;
- mène toute action d'information ou de formation destinée à faire connaître son action et à promouvoir de bonnes pratiques en matière de saisie et de confiscation ;
- veille à l'abondement du fonds de concours de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) par les recettes provenant de la confiscation des biens des personnes reconnues coupables d'infractions en matière de trafic de stupéfiants, l'Agence ayant par ailleurs la faculté de verser à l'État des contributions pour financer la lutte contre la délinquance et la criminalité ainsi que la prévention de la prostitution et l'accompagnement des personnes prostituées ;
- informe les services compétents et les victimes des biens restitués sur décision de justice ;
- centralise, par la mise en oeuvre d'un traitement de données à caractère personnel, les décisions de saisie et de confiscation dont elle est saisie.
L'article 1er bis prévoit de préciser la nature de la compétence de l'Agrasc en matière de formation en lui confiant la tâche de « [mener] des actions de formation régulière des magistrats et des services de police judiciaire ». Il s'inscrit dans la logique de la proposition n° 21 du rapport des députés Warsmann et Saint-Martin, « Poursuivre les efforts de formation continue à destination des magistrats n'occupant pas des fonctions spécialisées et pouvant néanmoins être amenés à connaître du contentieux de la saisie et de la confiscation au travers de leurs fonctions de juge des libertés et de la détention ou de juge correctionnel » : en effet, selon ce même rapport, de telles formations (qui seraient destinées par priorité aux juges correctionnels) devraient permettre de pallier « une certaine méconnaissance du dispositif législatif relatif aux saisies et aux confiscations », elle-même susceptible de « fragiliser la décision en cas d'appel (voire de cassation) ou [de] soulever des difficultés d'exécution ».
Il ressort des auditions menées par le rapporteur que cet ajout ne vaudrait pas exclusivité de la compétence de l'Agence sur les formations : en particulier, cette disposition nouvelle ne serait pas de nature à faire obstacle au maintien des initiatives de la PIAC et de la CeNAC en matière de formation aux enquêtes patrimoniales des personnels de la filière judiciaire dans la police et la gendarmerie nationales.
2. La position de la commission
Constatant que l'article 1er bis était dépourvu de portée normative et ne donnait pas à l'Agrasc de nouvelles prérogatives de quelque nature que ce soit, la commission des lois a adopté un amendement de suppression (COM-22) présenté par le rapporteur.
La commission a supprimé l'article 1er bis.
Article 1er
ter
Facilitation des confiscations en valeur
L'article 1er ter allège la motivation des confiscations prononcées en valeur.
Faisant le constat que cette évolution, opportune et utile, devait cependant faire l'objet d'une coordination visant à tenir compte de la mise en place par l'article 3 d'une confiscation « de droit » - et donc faite sans motivation spécifique - des biens saisis qui sont l'instrument, l'objet ou le produit de l'infraction, la commission a adopté un amendement visant à mettre en cohérence les dispositions relatives à la motivation des décisions de confiscation selon la nature du bien visé.
1. La motivation des décisions de confiscation
La confiscation est une peine complémentaire encourue, selon l'article 131-21 du code pénal, dans tous les cas prévus par la loi ou le règlement, et de plein droit pour les crimes et pour les délits punis d'une peine d'emprisonnement d'une durée supérieure à un an, à l'exception des délits de presse. Elle peut, aux termes du même article 131-21, prendre plusieurs formes et porter sur :
- « tous les biens qui sont l'objet ou le produit direct ou indirect de l'infraction » ;
- les biens acquis par un mélange de fonds illicites et licites, pour lesquels la confiscation est possible à concurrence de la valeur estimée du produit de l'infraction ;
- tout bien meuble ou immeuble défini par la loi ou règlement qui réprime l'infraction ;
- pour les crimes ou les délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement et ayant procuré un profit direct ou indirect, les biens meubles ou immeubles de toute nature lorsque la personne qui en est responsable (le condamné lui-même ou le propriétaire d'un bien dont le condamné est le bénéficiaire effectif, cette seconde hypothèse permettant de surmonter le recours à des « prête-noms »), mise en demeure de s'expliquer sur les biens en question, n'a pas pu en justifier l'origine ;
- lorsque la loi qui réprime le crime ou le délit le prévoit, tout ou partie des biens appartenant au condamné ou dont il a la libre disposition, quelle qu'en soit la nature : on parle alors de confiscation « générale » du patrimoine ;
- à titre obligatoire, les objets qualifiés de dangereux ou nuisibles par la loi ou le règlement, ou dont la détention est illicite ;
- une valeur. Les biens confisqués en valeur peuvent être de toute nature, et la confiscation peut concerner toutes les propriétés dont le condamné est propriétaire ou tous les biens dont il a la libre disposition. La confiscation doit, dans cette hypothèse, atteindre une somme « représentative » de la valeur à confisquer.
La forme de la confiscation
Suivant l'économie générale de l'article 131-21 du code pénal, la confiscation a d'abord vocation à être prononcée en nature. Les deuxième à quatrième alinéas de cet article prévoient à cet égard que, lorsqu'elle est encourue de plein droit ou en raison d'une disposition expresse, la confiscation peut porter spécialement sur les biens suivants (on parle alors de confiscation « spéciale ») :
- les biens meubles ou immeubles, quelle qu'en soit la nature, divis ou indivis, « ayant servi à commettre l'infraction ou qui étaient destinés à la commettre » (deuxième alinéa). Sont ici visés les biens utilisés comme instruments de la réalisation effective ou projetée de l'infraction, par exemple l'arme du voleur ou l'immeuble géré par le proxénète ;
- les biens « qui sont l'objet ou le produit direct ou indirect de l'infraction » (troisième alinéa). L'objet de l'infraction correspond, par exemple, à la chose volée. Le produit de l'infraction peut quant à lui désigner l'argent retiré d'une activité prohibée, comme la vente de stupéfiants, l'exploitation illicite d'une maison de jeux ou d'un lieu de proxénétisme. La confiscation ne peut toutefois porter sur les « biens susceptibles de restitution à la victime », c'est-à-dire ceux appartenant au véritable propriétaire ou détenteur régulier pouvant faire valoir ses droits sur le bien ;
- « tout bien meuble ou immeuble défini par la loi ou le règlement qui réprime l'infraction » (quatrième alinéa).
Le cinquième alinéa de l'article 131-21 du code pénal prévoit une autre forme de confiscation spéciale applicable uniquement en cas de crime ou de délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement « et ayant procuré un profit direct ou indirect » à la personne condamnée, qui peut alors conduire à priver cette dernière de tous « les biens meubles ou immeubles, quelle qu'en soit la nature, divis ou indivis », dont elle n'a pu justifier l'origine.
Le sixième alinéa de ce même article prévoit la forme de confiscation la plus grave, à savoir la confiscation générale du patrimoine, qui peut porter sur « tout ou partie des biens appartenant au condamné ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition, quelle qu'en soit la nature, meubles ou immeubles, divis ou indivis », sous réserve que la loi réprimant le crime ou le délit le prévoie expressément (tel est par exemple le cas de l'article 225-25 du code pénal, dont le Conseil avait été saisi dans la décision n° 2021-899 QPC, en matière de traite des êtres humains ou de proxénétisme).
Enfin, et à la différence des hypothèses qui précèdent où la confiscation de la chose demeure facultative pour la juridiction de jugement, le septième alinéa de l'article 131-21 prévoit que celle-ci est tenue d'ordonner la confiscation des objets qualifiés de dangereux ou nuisibles, ou dont la détention est illicite, quand bien même la personne condamnée n'en serait pas propriétaire.
Si le principe est celui de la confiscation en nature, il résulte du neuvième alinéa de l'article 131-21 du code pénal, depuis sa modification par la loi du 27 mars 2012, que la confiscation peut toujours être ordonnée en valeur. Elle peut alors « être exécutée sur tous biens, quelle qu'en soit la nature, appartenant au condamné ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition ».
Auparavant, une confiscation ne pouvait être ordonnée en valeur que lorsque la chose confisquée n'avait pas été saisie ou ne pouvait être représentée. Le champ des confiscations en valeur présentait donc un caractère résiduel.
Source : Conseil constitutionnel, commentaire de la décision 2021-932 QPC
De telles confiscations en valeur doivent, en l'état du droit, faire l'objet d'une motivation spécifique, prévue par l'article 485-1 du code de procédure pénale - qui n'exempte d'une telle obligation que la confiscation du produit ou de l'objet de l'infraction. Cette particularité a pour conséquence de complexifier substantiellement les confiscations en valeur puisque, comme l'a récemment rappelé la chambre criminelle de la Cour de cassation27(*), « le juge qui prononce une peine de confiscation en valeur à titre de produit de l'infraction doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte portée au respect de la vie privée et familiale du propriétaire du bien confisqué, au regard de la situation personnelle de l'intéressé et de la gravité concrète des faits ».
C'est pour faciliter le prononcé par le juge d'une confiscation en valeur que l'Assemblée nationale a adopté en séance publique un amendement du rapporteur Jean-Luc Warsmann étendant la dérogation au principe de motivation des décisions qui portent sur la confiscation en valeur du produit de l'infraction.
Cette disposition, si elle revient sur une jurisprudence de la chambre criminelle, ne semble pas soulever de difficulté juridique : comme le relève la chambre elle-même, l'obligation de motivation actuelle résulte non pas d'une norme constitutionnelle ou conventionnelle, mais bien de la seule rédaction des lois en vigueur et du principe d'interprétation stricte de la loi pénale28(*).
2. La position de la commission
La commission a constaté que la nouvelle peine obligatoire de confiscation des biens saisis qui sont (entre autres) l'objet ou le produit de l'infraction, introduite par l'article 3 du texte, rendait obsolète la disposition « cible » du présent article, qui dispense de motivation spéciale le prononcé de la confiscation des mêmes biens.
Cette discordance fait en revanche apparaître le besoin d'une coordination, ce qui a conduit la commission à adopter un amendement du rapporteur (COM-23) réécrivant les articles 365-1 et 485-1 du code de procédure pénale pour faire échapper la confiscation en valeur du produit ou de l'objet de l'infraction à l'exigence de motivation spéciale.
La commission a adopté l'article 1er ter ainsi modifié.
Article 2
Utilisation des biens confisqués
pour l'indemnisation des victimes
L'article 2 facilite l'exercice par les victimes de leur droit à être indemnisées par le biais des biens confisqués.
La commission a adopté cet article sans modification.
1. Les modalités actuelles d'utilisation des biens confisqués aux fins d'indemnisation des victimes
Le code de procédure pénale ouvre la possibilité d'utiliser les biens confisqués pour l'indemnisation des personnes s'étant portées partie civile et bénéficiant d'une décision définitive leur accordant des dommages et intérêts ou une prise en charge de frais.
Cette possibilité, consacrée par l'article 706-164 du code, s'exerce sous l'égide de l'Agrasc : saisie par la partie civile dans un délai - court - de deux mois à compter du jour où la décision de confiscation a acquis un caractère définitif, l'Agence peut en effet effectuer un prélèvement sur les fonds ou sur la valeur liquidative des biens de la personne condamnée.
C'est dans ce contexte que l'article 2, qui n'a subi que des modifications formelles en commission puis en séance publique à l'Assemblée nationale, vient :
- étendre le périmètre des biens pouvant servir à l'indemnisation des victimes, en y intégrant les biens non-restitués ;
- faciliter l'exercice par les victimes de leur droit en portant à six mois, contre deux actuellement, le délai dont elles disposent pour saisir l'Agrasc.
2. La position de la commission
Souscrivant pleinement aux objectifs poursuivis par l'article 2, la commission des lois a adopté celui-ci sans modification.
La commission a adopté l'article 2 sans modification.
Article 2 bis
(nouveau)
Modalités de saisie spéciale
Issu d'un amendement du rapporteur, l'article 2 bis facilite l'exercice par les officiers de police judiciaire du pouvoir d'opérer certaines saisies spéciales.
Aux termes de l'article 706-154 du code de procédure pénale, les officiers de police judiciaire peuvent être autorisés par le magistrat en charge de diriger les investigations à saisir les sommes d'argent versées sur un compte de dépôt ou d'actifs numériques ; cette saisie, qui vise à éviter la disparition des fonds sous l'effet d'un transfert effectué par un tiers, est ensuite confirmée par le juge d'instruction lui-même (en cas d'instruction) ou par le juge des libertés et de la détention sur saisine du parquet (en cas d'enquête).
Reprenant des suggestions faites au cours des auditions, la commission a adopté un amendement COM-24 du rapporteur tendant à :
- étendre ce dispositif aux sommes déposées sur ces comptes de paiement (donc dans des « néo-banques »), ce cas étant loin - selon les praticiens - de constituer une hypothèse d'école ;
- prévoir un mécanisme analogue de saisie conservatoire par un officier de police judiciaire des biens meubles susceptibles de disparaître s'ils ne sont pas immédiatement saisis, pour les seules infractions punies d'au moins cinq ans d'emprisonnement.
La commission a adopté l'article 2 bis ainsi rédigé.
Article 3
Caractéristiques et effets de la peine
complémentaire de confiscation
L'article 3 vise, d'une part, à rendre obligatoire (sauf décision spécialement motivée) la confiscation des biens saisis qui sont l'objet, le produit ou l'instrument de l'infraction et, d'autre part, à prévoir que la confiscation d'un bien immobilier vaut expulsion du condamné et des occupants de son chef.
La commission a apporté à cet article des modifications essentiellement formelles puis a procédé à son adoption.
1. Une évolution substantielle du régime des confiscations
a) La non-automaticité de la confiscation
Peine complémentaire « classique », la confiscation n'est aujourd'hui appliquée qu'à la suite d'une décision explicite de la juridiction de jugement avec, comme on l'a vu (voir supra, commentaire de l'article 1er ter), une motivation spécifique dans de nombreux cas.
Avec l'absence de systématicité des enquêtes patrimoniales, à laquelle l'article 1er bis A se propose par ailleurs de répondre, ce régime paraît être l'une des explications du « décrochage » entre les saisies et les confiscations : on estime en effet - avec un biais statistique dont il convient de ne pas négliger l'effet, puisque les biens confisqués en année « n » ont en général été saisis plusieurs années auparavant - que seuls 30 % des biens saisis sont in fine réellement confisqués. Plus largement, le rapport des députés Jean-Luc Warsmann et Laurent Saint-Martin relevait que, « Malgré une augmentation constante du nombre de confiscations, tous les acteurs auditionnés s'accordent à dire que cette peine est encore insuffisamment prononcée ».
Pour répondre à cette difficulté, et traduisant la proposition n° 18 du rapport précité29(*), l'article 3 prévoit de rendre obligatoire, sous les réserves habituelles (droits du propriétaire de bonne foi, notamment) et sauf décision spécialement motivée de la juridiction de jugement « en considération des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur », la confiscation des biens qui ont été saisis au cours de la procédure et qui sont l'instrument de l'infraction, son objet ou son produit direct ou indirect.
Bien que relativement rare, une telle formule de confiscation obligatoire existe déjà dans le droit en vigueur, avec un objet limité : elle est par exemple applicable aux véhicules dont un condamné s'est servi pour commettre un délit routier grave ou en cas de condamnation définitive pour certaines infractions au code de la route30(*) (13° de l'article 222-44 du code pénal) ; d'autres types de peines complémentaires sont obligatoirement prononcés pour certaines condamnations devenues définitives, à l'instar de l'interdiction définitive d'exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs en cas de condamnation pour un viol, un inceste ou une autre agression sexuelle commise sur un mineur (article 222-48-4 du code pénal).
b) Les effets de la confiscation des biens immobiliers
Le régime actuel des confiscations, par ailleurs, ne prévoit pas que la décision définitive de confiscation d'un bien immobilier vaut titre d'expulsion à l'encontre de la personne condamnée. Ce silence constitue, selon l'auteur et rapporteur de la proposition de loi, une lacune qui génère des pertes de temps et d'argent conséquentes pour l'Agrasc : le député Warsmann estime ainsi que cette situation est « l'une des explications de [la] durée [moyenne de 18 mois entre le jugement de confiscation et la vente du bien] » puisque, si le condamné refuse de libérer l'immeuble confisqué, l'Agrasc se trouve obligée de saisir la justice civile pour obtenir son expulsion et de s'engager dans une procédure longue au cours de laquelle elle engage des frais importants, qui « incluent à la fois les coûts de la procédure d'expulsion et les frais d'entretien courant de l'immeuble, que l'[Agence] est tenue d'assurer en tant que gestionnaire du bien »31(*).
Au cours de son audition au Sénat, l'Agrasc a par ailleurs confirmé au rapporteur qu'elle obtenait systématiquement le titre d'expulsion requis auprès du juge civil.
C'est ainsi que, dans sa rédaction initiale, l'article 3 de la proposition de loi prévoyait d'insérer à l'article 131-21 du code pénal une précision selon laquelle « La décision définitive de confiscation d'un bien immobilier constitue un titre d'expulsion à l'encontre de la personne condamnée ». À l'initiative du rapporteur Jean-Luc Warsmann et du député Renaissance Jean Terlier, ce dispositif a été complété en séance publique : l'article vise ainsi à faire de la décision d'expulsion définitive un titre d'expulsion valable non seulement à l'encontre du condamné, mais aussi des « occupants de son chef » ce qui, selon les auteurs, permet d'inclure dans le champ de la mesure les « personnes qui occupent le logement en raison du titre de propriété de la personne condamnée, sans qu'elles soient elles-mêmes propriétaires », donc les membres de la famille du condamné.
Il s'agirait ainsi, comme l'a rappelé la direction des affaires criminelles et des grâces lors de son audition, d'éviter que les personnes condamnées ne fassent occuper l'immeuble qui leur a été confisqué par des tiers aux seules fins d'éviter l'expulsion et ne mettent en échec, par des manoeuvres dilatoires, l'effectivité de la sanction pénale.
Cet ajout, qui concerne les conditions d'exécution de la décision de confiscation mais non les modalités selon lesquelles elle est prise par la juridiction de jugement, ne remet pas en cause la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation - qui impose aux juges du fond de motiver la confiscation d'un immeuble abritant le domicile familial de la personne condamnée en justifiant de sa nécessité et de sa proportionnalité au regard de l'atteinte à la vie privée et familiale. Comme la chambre criminelle l'a rappelé dans un arrêt récent32(*), « il se déduit des articles 131-21, alinéas 3 et 9, du code pénal, 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et 1er du premier Protocole additionnel à ladite Convention que le juge doit contrôler le caractère proportionné de l'atteinte portée par la confiscation au droit au respect de la vie privée et familiale du propriétaire du bien confisqué, lorsque cette garantie est invoquée ». Rappelons que ce contrôle doit s'effectuer, toujours selon la chambre criminelle, « au regard de la situation personnelle de l'intéressé et de la gravité concrète des faits », ce premier critère dépendant notamment du statut de l'immeuble saisi (domicile du condamné, ou non) et du fait, pris en compte en l'espèce, que le condamné y héberge des membres de sa famille33(*).
La disposition ne remet pas davantage en cause la possibilité pour les personnes concernées de se tourner vers un juge pour contester leur expulsion : en effet, elle permettrait à l'Agrasc de ne pas faire appel au juge civil pour obtenir un arrêté d'expulsion, mais elle n'empêcherait en rien un condamné de solliciter la juridiction compétente pour demander l'annulation du même arrêté.
2. La position de la commission
La commission des lois a relevé que le nouveau
mécanisme de confiscation « de droit » de certains
biens saisis constituait un véritable renversement de la logique
actuelle des confiscations et une évolution très positive qui ne
manquera pas de donner à cette peine un caractère encore plus
dissuasif. Par conséquent, elle n'a adopté à
l'article 3, sur ce point, que des amendements de précision visant,
notamment, à expliciter la portée de
la modification opérée en prévoyant que la
confiscation « obligatoire » des biens saisis
concernés emportera l'absence d'obligation de motiver la
décision correspondante (amendement COM-25).
Le rapporteur appelle le ministère de la justice à mettre en place sans délai des mécanismes, notamment informatiques, visant à faciliter l'application de cette mesure et à faire en sorte que l'identification par le parquet ou le juge d'instruction des biens saisis comme étant l'objet, le produit ou l'instrument de l'infraction soit automatiquement communiquée à la juridiction de jugement, évitant un fastidieux travail de « re-saisie » qui risquerait de limiter indûment la portée de cette innovation.
S'agissant des dispositions relatives aux effets des confiscations de biens immobiliers, le rapporteur a indiqué que, contrairement à l'analyse mise en avant par les députés, la notion d'« occupant [du] chef [du condamné] » ne concernait pas seulement les proches de celui-ci, mais bien toute personne présente dans le bien du fait d'une décision du condamné, y compris sur la base d'un bail régulièrement signé par les deux parties. La rédaction adoptée par l'Assemblée nationale aurait donc pour conséquence l'expulsion de tous les occupants présents à l'initiative du condamné, qu'ils soient ou non de bonne foi.
Si elle a adhéré aux objectifs poursuivis par la proposition de loi sur ce sujet, qui consistent à faire obstacle aux manoeuvres dilatoires déployées par certaines personnes condamnées, le rapporteur a estimé que la condamnation ne pouvait pas valablement porter préjudice aux locataires qui, liés au condamné par un contrat de bail conforme aux règles applicables et s'acquittant régulièrement de leur loyer, ne sauraient subir les conséquences d'une peine dont ils ne sont pas responsables.
À son initiative, la commission a ainsi adopté un amendement COM-26 prévoyant que la confiscation vaudrait titre d'expulsion à l'encontre du condamné et des occupants de son chef, à l'exception des titulaires d'une convention d'habitation conclue à titre onéreux dès lors que cette convention est antérieure à la confiscation et que le locataire s'est acquitté de ses obligations contractuelles.
La commission a adopté l'article 3 ainsi modifié.
Article 4
Extension des biens « mal acquis »
susceptibles d'être restitués
L'article 4 étend le dispositif de restitution des biens « mal acquis » à tous les types de biens, y compris ceux qui ne supposent pas une cession préalable à la restitution et qui sont en l'état ignorés par la loi.
La commission a adopté cet article sans modification.
1. Les modalités actuelles de restitution des biens « mal acquis »
La notion de « biens mal acquis » recouvre « les avoirs et biens détournés du budget d'une organisation internationale, d'un État ou d'une entreprise publique par une personnalité `politiquement exposée' et placés à l'étranger à des fins personnelles »34(*) ; la mise en place d'un mécanisme permettant la restitution de tels biens est prévue par la convention de Merida de 2003, ratifiée par la France, mais n'a été effectivement appliquée qu'à compter de 2021, avec la loi n° 2021-1031 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales du 4 août 2021. Le mécanisme de restitution prévu par son article 2, d'initiative parlementaire, est largement inspiré par le texte déposé par l'ancien sénateur Jean-Pierre Sueur et adopté par le Sénat dès 201935(*).
Le dispositif adopté en 2021 (XI de l'article 2 de la loi précitée) prévoit ainsi que sont restituées, « au plus près de la population de l'État étranger concerné, les recettes provenant de la cession des biens confisqués aux personnes définitivement condamnées » dès lors que ces personnes ont commis l'infraction en tant que dépositaires de l'autorité publique ou en tant qu'elles étaient chargées d'un mandat électif public ou d'une mission de service public dans un État étranger. Cette disposition s'applique pour une série d'infractions pénales (abus de confiance, corruption passive, trafic d'influence, prise illégale d'intérêts, favoritisme, détournement de fonds publics, corruption active, soustraction et détournement de biens publics), leur blanchiment, leur recel, le recel de leur blanchiment ou le blanchiment de leur recel.
Le mécanisme, s'il concerne - comme on l'a vu - les recettes provenant de la cession des biens confisqués, ne touche paradoxalement pas les comptes bancaires où sont hébergés des fonds « mal acquis ».
Pour pallier cette lacune, le rapporteur Jean-Luc
Warsmann a déposé un amendement, adopté en séance
publique, permettant de substituer à la notion de
« recettes provenant des biens
confisqués » celle, plus
large,
de « confiscation »
qui autorise à restituer tous types de biens, qu'ils aient ou
non été préalablement cédés, et
donc d'intégrer les produits bancaires et les numéraires.
2. La position de la commission
L'article 4 procédant à la correction bienvenue d'une lacune de toute évidence non voulue par le législateur, la commission des lois l'a approuvé sur le fond comme sur la forme.
La commission a adopté l'article 4 sans modification.
* 23 Lorsque l'Agence vend les biens en cause avant le jugement, le produit de cette vente est consigné et peut être réclamé par le mis en cause en cas de classement sans suite, de non-lieu ou de relaxe, ou lorsque la peine de confiscation n'est pas prononcée.
* 24 Dans un tel cas, la valeur du bien affecté gratuitement à un service public fait l'objet d'une estimation avant affectation et le propriétaire dudit bien peut, en cas de classement sans suite, de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement, ou lorsque la confiscation n'est pas prononcée, en réclamer la restitution, assortie d'une indemnité compensant une éventuelle perte de valeur.
* 25 Il s'agit des mesures énumérées au II de l'article 131-39-2 du code pénal.
* 26 La proposition tendant à doter l'Agence d'une telle compétence figurait bel et bien dans le rapport de MM. Warsmann et Saint-Martin en 2019, elle s'inscrivait dans un cadre plus large dans lequel l'Agence, renforcée et dotée d'antennes régionales plus nombreuses, avait vocation à traiter « l'ensemble des missions de gestion des saisies et des confiscations des avoirs criminels : vente avant jugement, destruction, restitution (y compris contre paiement), attribution, réaffectation sociale et mise en oeuvre de l'enquête post-sentencielle », ainsi que « l'ensemble des missions d'expertise, d'élaboration, de collecte et de traitement des statistiques, de soutien, de bureau de recouvrement des avoirs et de formation », mais n'a pas été reprise dans le cadre du présent texte.
* 27 Cour de cassation, chambre criminelle, 19 avril 2023, 22-82.994.
* 28 Arrêt précité, point 8.
* 29 Cette proposition était ainsi libellée : « Compléter les dispositions législatives existantes pour rendre obligatoire, sauf motivation contraire, la confiscation des biens meubles et immeubles en relation directe avec l'infraction : produit direct ou indirect, objet ou instrument de l'infraction ».
* 30 Articles L. 221-2, L. 224-16, L. 234-1, L. 234-8, L. 235-1, L. 235-3, L. 413-1 du code de la route.
* 31 Rapport n°1911 (2023-2024) de l'Assemblée nationale sur la proposition de loi, améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels, fait par Jean-Luc Warsmann.
* 32 Arrêt précité du 19 avril 2023.
* 33 Paragraphe 19 de l'arrêt précité : « En l'espèce, pour rejeter l'argument tiré de l'atteinte disproportionnée portée à la vie privée et familiale de M. [K] par la confiscation du bien constituant son domicile, l'arrêt attaqué énonce que la résidence de la fille majeure du prévenu à son domicile est inopérante en elle-même à démontrer l'atteinte à la vie privée et familiale, étant observé que celle-ci peut également être hébergée par sa mère ».
* 34 Rapport précité de MM. Warsmann et Saint-Martin.
* 35 Proposition de loi relative à l'affectation des avoirs issus de la corruption transnationale, déposée le 6 novembre 2018 et adoptée le 2 mai 2019.