II. LA POSITION DE LA COMMISSION : PARFAIRE LE DISPOSITIF ET GARANTIR SON APPLICABILITÉ AUX ACTIVITÉS AGRICOLES
Favorable en son principe à la codification à laquelle procède la présente proposition de loi, déjà appelée de leurs voeux par plusieurs propositions de loi d'origine sénatoriale, la commission a néanmoins souhaité apporter plusieurs modifications au dispositif.
A. UNE NÉCESSAIRE PRÉCISION DES CONDITIONS D'APPLICATION AUX ACTIVITÉS AGRICOLES
Consciente de la nécessité d'adapter ce droit au contexte particulier des activités agricoles, dont l'actualité récente a souligné la particulière difficulté, la commission a prévu une modalité spécifique d'application du régime juridique ainsi créé à ces activités.
Souhaitant répondre au cas d'un exploitant agricole voyant sa responsabilité engagée pour un trouble anormal de voisinage résultant de la modification des conditions d'exercice de son activité en raison de la nécessaire mise en conformité de son exploitation à des normes obligatoires, particulièrement nombreuses et exigeantes en matière agricole, la commission a prévu une cause exonératoire spécifique, insérée au sein du code rural et de la pêche maritime : dès lors qu'une exploitation agricole modifierait les conditions d'exercice de son activité pour mettre en conformité celles-ci aux lois et règlements, le trouble anormal en résultant serait insusceptible d'engager la responsabilité de l'exploitant.
B. SÉCURISER LE DISPOSITIF
La commission s'est également attachée à sécuriser juridiquement la rédaction de la disposition exonératoire de responsabilité, à deux égards.
D'une part, l'indétermination relative de la notion d'activité pourrait poser une difficulté d'interprétation pour la jurisprudence. En effet, une
« activité » génératrice d'un trouble anormal mais exercée à titre privé, au domicile d'un particulier, y compris lorsqu'elle ne peut être connue du
« voisin » s'installant à proximité du fonds sur lequel ladite activité s'exerce, ne paraît pas devoir bénéficier de la disposition exonératoire prévue.
La commission a en conséquence souhaité apporter une précision nécessaire en limitant aux seules activités « économiques » le bénéfice de cette cause exonératoire. Déjà envisagée par certains avant-projets de réforme de la responsabilité civile, la limitation aux seules activités économiques paraît davantage conforme à la philosophie sous-tendant actuellement la cause exonératoire, qui repose sur la recherche d'une conciliation équilibrée entre les principes de liberté d'entreprendre, d'une part, et de libre jouissance de son bien et de droit à l'indemnisation de son préjudice, d'autre part.
D'autre part, la commission a jugé utile de préciser la notion d'« installation », qui présentait l'inconvénient de ne pas renvoyer à un acte
juridique mais à un critère factuel sujet à interprétation. Afin de pallier cette difficulté, la commission a renvoyé à « l'acte ouvrant le droit de jouissance de la personne qui allègue subir le dommage », notion qui présente le double avantage de prévoir une datation précise et de renvoyer à une réalité juridique plus objective et conforme au principe selon lequel
« celui qui vient aux nuisances ne peut s'en plaindre » que celle d'installation.
C. COMPLÉTER L'EFFORT DE CODIFICATION ENTREPRIS
Enfin, la commission a souhaité compléter la codification de la jurisprudence à laquelle procède la présente proposition de loi, en prévoyant les conditions, actuellement déterminées par la jurisprudence, dans lesquelles le juge judiciaire saisi d'une action mettant en jeu de la responsabilité civile pour trouble anormal de voisinage peut accorder des dommages et intérêts au demandeur et ordonner au défendeur des mesures visant la réduction ou la cessation du trouble lorsque ce dernier résulte d'une activité autorisée par l'administration.
La limitation de la compétence du juge judiciaire sur les activités autorisées par l'administration
Les prescriptions édictées et les autorisations délivrées par l'administration en matière d'installations classées, notamment au regard de la protection de l'environnement ou de la santé et de la salubrité publiques, ont régulièrement posé la question de l'ordre de juridiction compétent dès lors que de telles installations peuvent être à l'origine de troubles anormaux de voisinage.
Particulièrement complexe, le contentieux des antennes-relais a conduit le Tribunal des conflits à se prononcer, par six arrêts du 14 mai 2012 à la motivation identique, pour préciser la compétence du juge judiciaire. Il a ainsi jugé que ce dernier n'est pas compétent pour connaître des actions introduites « aux fins d'obtenir l'interruption de l'émission, l'interdiction de l'implantation, l'enlèvement ou le déplacement d'une station radioélectrique régulièrement autorisée et implantée sur une propriété privée ou sur le domaine public » : en effet, « le principe de la séparation des pouvoirs s'oppose à ce que le juge judiciaire, auquel il serait ainsi demandé de contrôler les conditions d'utilisation des fréquences radioélectriques au regard des nécessités d'éviter les brouillages préjudiciables et de protéger la santé publique et, partant, de substituer, à cet égard, sa propre appréciation à celle que l'autorité administrative a portée sur les mêmes risques ainsi que, le cas échéant, de priver d'effet les autorisations que celle-ci a délivrées, soit compétent pour connaître d'une telle action. »
En revanche, le juge judiciaire demeure compétent pour connaître des actions,
« d'une part, aux fins d'indemnisation des dommages causés par l'implantation ou le fonctionnement d'une station radioélectrique qui n'a pas le caractère d'un ouvrage public, d'autre part, aux fins de faire cesser les troubles anormaux de voisinage liés à une implantation irrégulière ou un fonctionnement non conforme aux prescriptions administratives ou à la preuve de nuisances et inconvénients anormaux autres que ceux afférents à la protection de la santé publique et aux brouillages préjudiciables. »
En conséquence, la commission a prévu que le juge judiciaire pourrait ordonner des mesures visant à réduire ou faire cesser le trouble
« sous réserve qu'elles n'aient ni pour objet ni pour effet de contrarier les prescriptions édictées ou de priver d'effet les autorisations ainsi délivrées par l'autorité administrative ». Conformément aux décisions du Tribunal des conflits le 14 mai 2012, le juge judiciaire ne serait donc pas conduit à substituer son appréciation à celle de l'administration, enfreignant ainsi le principe de séparation des pouvoirs.
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La commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.