EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 25 OCTOBRE 2023

M. François-Noël Buffet, président. - Nous examinons le rapport de notre collègue Jean-Michel Arnaud sur la proposition de loi portant amnistie des faits commis à l'occasion de mouvements sociaux et d'activités syndicales et revendicatives, présentée, avant le dernier renouvellement sénatorial, par Cathy Apourceau-Poly, Éliane Assassi, Laurence Cohen et plusieurs de leurs collègues du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.

M. Jean-Michel Arnaud, rapporteur. - Mes chers collègues, cette proposition de loi rejoint une volonté ancienne des sénateurs de ce groupe de consacrer une « amnistie sociale », qui a notamment conduit il y a dix ans au dépôt de la proposition de loi portant amnistie des faits commis à l'occasion de mouvements sociaux et d'activités syndicales et revendicatives, adoptée par le Sénat le 27 février 2013, mais rejetée ensuite par l'Assemblée nationale.

Je commencerai par rappeler le cadre général de l'amnistie, loi d'exception dont la pratique est de plus en plus limitée.

Le quatrième alinéa de l'article 34 de la Constitution dispose qu'appartiennent au domaine de la loi « la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ; la procédure pénale ; l'amnistie ». Comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel, « sur le fondement de ces dispositions le législateur peut enlever pour l'avenir tout caractère délictueux à certains faits pénalement répréhensibles, en interdisant toute poursuite à leur égard ou en effaçant les condamnations qui les ont frappés. »

Les effets de l'amnistie sont définis aux articles 133-9 à 133-11 du code pénal. L'article 133-10 prévoit que l'amnistie ne « préjudicie pas aux tiers ». Ainsi, si la juridiction de jugement a été saisie de l'action publique avant la publication de la loi d'amnistie, cette juridiction reste compétente pour statuer, le cas échéant, sur les intérêts civils.

Les lois d'amnistie peuvent poursuivre deux finalités. L'une est le retour à la paix civile ou l'apaisement des passions après des périodes de troubles particulièrement déstabilisatrices. L'amnistie tend, par l'extinction de l'action publique et la libération des personnes détenues, à permettre le retour de tous à la vie civile ainsi qu'à la paix. C'était le but de la loi du 10 janvier 1990 portant amnistie d'infractions commises à l'occasion d'événements survenus en Nouvelle-Calédonie. La seconde finalité est le désengorgement des juridictions de contentieux de masse considérés comme de faible importance. C'est dans ce sens que peuvent être interprétées les lois d'amnistie votées après les élections présidentielles sous la Cinquième République - au moins jusqu'en 2002 : la dernière l'a été sous la présidence de Jacques Chirac.

Les lois d'amnistie, qui se sont multipliées au cours des années 1980, ont fait l'objet de critiques de plus en plus nombreuses.

De fait, depuis 1990, aucune loi d'amnistie n'a plus été adoptée en lien avec des événements ou un territoire donné, et les revendications portées en ce sens, notamment dans le cadre des discussions sur le statut de la Corse, ont été écartées par le Président de la République.

Plus récemment, la pratique des lois d'amnistie proposées par l'exécutif à la suite des élections présidentielles n'a pas été reconduite à l'occasion des élections de 2007. Elle semble avoir été abandonnée depuis.

Outre l'impression de « fait du prince », rendu plus fréquent par le passage au quinquennat, la tolérance de la société à voir des infractions rester impunies - il s'agit, pour la plupart, d'infractions « du quotidien », dont les infractions routières - semble désormais faible. Le nombre d'infractions exclues du champ des lois d'amnistie avait en conséquence progressivement augmenté, au point d'interroger sur la légitimité du choix des infractions susceptibles d'être amnistiées. Au reste, quelques mois avant l'élection présidentielle, le respect des règles de sécurité routière, notamment, était moindre, certains comptant profiter de l'aubaine.

J'en viens maintenant à l'examen de la proposition de loi qui nous est soumise. Elle combine plusieurs formes d'amnistie.

Elle prévoit d'abord une amnistie en fonction des événements - les « conflits du travail » et les « mouvements collectifs revendicatifs, associatifs ou syndicaux, relatifs aux problèmes liés à l'éducation, au logement, à la santé, à l'environnement et aux droits des migrants ». Cette amnistie est liée soit à un quantum de peine - « les délits passibles de moins de dix ans de prison », comme le prévoient les articles 1er et 2 de la proposition de loi -, soit à un type de peine - les sanctions disciplinaires, évoquées à l'article 3.

La proposition de loi comporte également une amnistie en fonction des personnes concernées : « les représentants élus du personnel » licenciés pour faute à l'occasion de l'exercice de leur mandat - c'est l'objet de l'article 4 de la proposition de loi.

L'article 5 prévoit que l'amnistie entraîne l'effacement des condamnations prononcées, l'extinction de l'action publique et la répression de toute référence à une sanction ou condamnation amnistiée, avec une extension à l'effacement de toutes empreintes, traces biologiques ou informations nominatives relatives aux infractions amnistiées et contenues dans les fichiers de police.

Enfin, l'article 6 est applicable sur l'ensemble du territoire de la République, ce qui est logique et nécessaire, car toute distinction dans l'application de la loi entre territoires serait potentiellement source d'inconstitutionnalité.

Bien que la proposition de loi tire toutes les conséquences juridiques de l'évolution de la jurisprudence relative aux lois d'amnistie et que son économie générale soit juridiquement robuste, deux critiques peuvent être adressées au texte examiné.

La première concerne le caractère mal défini de la notion de « mouvements collectifs revendicatifs, associatifs ou syndicaux », qui paraît très étendue, au point d'être insaisissable, voire de poser des difficultés d'interprétation. La loi pénale étant d'interprétation stricte, toute imprécision tend à priver un dispositif d'effet. En l'occurrence, des divergences d'interprétation sont possibles et pourraient être dommageables sur des questions d'amnistie.

La seconde, la plus importante, concerne le champ de l'amnistie prévu, qui est particulièrement large, puisqu'il concerne la plupart des délits survenus « à l'occasion » de conflits du travail ou de mouvements collectifs revendicatifs, associatifs ou syndicaux. Il ne concerne donc pas uniquement les manifestants venus pour la défense d'une cause, mais aussi ceux qui ont pu se joindre à eux dans l'intention de commettre des délits. La proposition de loi s'étend, par ailleurs, à toutes les infractions passées, sans limitation en amont dans le temps. L'amnistie s'étend non seulement aux délits, mais aussi à toutes les sanctions disciplinaires touchant les salariés du secteur privé, les fonctionnaires, les étudiants et élèves. Pour ces deux dernières catégories de personnes, l'amnistie entraîne, s'il y a eu exclusion, réintégration dans l'établissement universitaire ou scolaire.

Je regrette de n'avoir pu obtenir, malgré mes demandes à la Chancellerie, aucun élément sur le nombre d'affaires potentiellement concernées au pénal. Le système d'information statistique du ministère de la justice ne permet pas, semble-t-il, d'identifier les circonstances au cours desquelles une infraction a été commise. Faute de tels éléments, qui ne couvriraient qu'une partie du champ de l'amnistie, il est impossible d'approcher de manière incontestable le nombre de cas concernés, ne serait-ce que par l'article 1er de la proposition de loi. Je note que les services du ministère ont ouvert la perspective d'une évolution des outils pour permettre, à l'avenir, d'obtenir ce type d'informations.

Des exceptions à l'amnistie sont prévues par la proposition de loi. Ainsi l'article 3 prévoit que les étudiants ou élèves exclus à la suite de faits de violence et amnistiés ne seront pas réintégrés de droit dans l'établissement. Les fautes lourdes ayant conduit au licenciement ne seraient pas non plus comprises dans le champ de l'amnistie.

Surtout, l'article 1er dispose que ne seraient pas couverts par l'amnistie les violences à l'encontre d'un dépositaire de l'autorité publique ayant entraîné une incapacité de travail et les atteintes volontaires à l'intégrité d'un mineur de quinze ans ou d'une personne particulièrement vulnérable.

Ces exceptions paraissent cependant assez faibles. Plusieurs types d'atteintes aux personnes et aux biens, comme le vol précédé, accompagné ou suivi de violence sur autrui ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant huit jours, seraient amnistiés en application du texte s'il était adopté.

Tant du point de vue des personnes auxquelles elle pourrait s'appliquer que des infractions comprises dans son champ, la proposition de loi paraît aller bien au-delà de l'objectif - au demeurant légitime - de protection du droit à l'action collective et syndicale qui figure dans son objet.

Dès lors, la proposition de loi ne me paraît pas une réponse souhaitable à la gestion des troubles survenus au cours des dernières années, notamment à l'occasion du débat sur les retraites au printemps dernier. Je considère, en effet, que les garanties entourant l'action publique et les procédures relatives aux mesures disciplinaires touchant les salariés, fonctionnaires, étudiants et élèves permettent de prendre en compte de manière adéquate et proportionnée les événements survenus à l'occasion de conflits sociaux ou d'actions revendicatives et qu'une amnistie générale serait inadaptée.

Je vous propose donc de ne pas adopter la proposition de loi, ce qui signifie, conformément à l'article 42 de la Constitution, qu'elle sera discutée telle quelle en séance publique.

M. Olivier Bitz. - Nous considérons que les circonstances exceptionnelles qui doivent justifier une amnistie, au nom de la réconciliation et de la cohésion nationale, ne seront pas réunies.

Attachés au principe d'égalité devant la loi, mais aussi au respect des victimes, nous ne trouvons pas acceptable de vouloir effacer les actes de ceux qui n'ont pas hésité à faire usage de la violence, quand bien même celle-ci ne serait dirigée que contre les biens. Le respect de l'ordre républicain, c'est le respect de la loi.

Ce texte nous apparaît d'autant moins acceptable qu'il est encore plus généreux que celui qui a été adopté en 2013.

Le soutien à l'action syndicale ne saurait passer aujourd'hui par une loi d'amnistie.

Aussi voterons-nous contre le texte proposé par nos collègues.

M. François-Noël Buffet, président. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il nous appartient d'arrêter le périmètre indicatif du projet de loi.

Je vous propose de considérer que ce périmètre comprend les dispositions relatives à l'amnistie d'infractions et de sanctions survenues à l'occasion de mouvements sociaux ou revendicatifs.

Il en est ainsi décidé.

M. François-Noël Buffet, président. - Je précise qu'aucun amendement n'a été déposé sur le texte.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

L'article 1er n'est pas adopté.

Article 2

L'article 2 n'est pas adopté.

Article 3

L'article 3 n'est pas adopté.

Article 4

L'article 4 n'est pas adopté.

Article 5

L'article 5 n'est pas adopté.

Article 6

L'article 6 n'est pas adopté.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.

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