EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er
Avancement de la date de clôture
des négociations commerciales
pour l'année 2024
Cet article vise à avancer de six semaines la date de clôture des négociations commerciales en dérogeant aux dispositions du code de commerce pour l'année 2024. La date limite de conclusion des conventions entre fournisseurs de produits de grande consommation et distributeurs, fixée au 1er mars par le code de commerce, serait ainsi avancée au 15 janvier cette année pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 150 millions d'euros. Les autres entreprises continueraient à négocier jusqu'au 1er mars.
L'Assemblée nationale a introduit une date de négociation anticipée pour les plus petites entreprises, en fixant une date butoir de négociation au 31 décembre 2023 pour les entreprises dont le chiffre d'affaires réalisé en France est inférieur à 350 millions d'euros.
La commission a souhaité améliorer le dispositif proposé. Elle a donc adopté 4 amendements visant à :
- fixer les dates limites de clôture des négociations au 15 et 31 janvier 2024, en lieu et place des dates du 31 décembre 2023 et du 15 janvier 2024 qui faisaient courir un risque important de goulot d'étranglement aux PME et ETI qui auraient négocié de manière anticipée ;
- rendre plus opérationnel et pertinent le seuil de chiffre d'affaires choisi afin qu'il puisse se fonder sur une information publique et opérer une distinction claire entre filiales de multinationales et PME ou ETI ;
- centrer le dispositif sur les négociations entre acteurs de la grande distribution et leurs fournisseurs, tout en incluant les pharmacies qui sont en concurrence avec les enseignes sur une série de produits parapharmaceutiques entrant dans le champ des produits de grande consommation ;
- ne pas appliquer l'avancement de la date butoir des négociations au « bouclier qualité-prix » négocié chaque année sous l'égide du préfet dans les territoires d'outre-mer, afin de prendre en compte les spécificités de cet accord et de ne pas empiéter sur le domaine réglementaire.
I. La situation actuelle - Un calendrier des négociations commerciales de plus en plus remis en cause par le contexte de volatilité des prix
A. Les négociations commerciales sont enserrées dans un calendrier annuel fixé par le code de commerce
Le calendrier des négociations commerciales annuelles entre les distributeurs et leurs fournisseurs en produits de grande consommation est aujourd'hui fixé par le titre IV du livre IV du code de commerce.
Le cycle de négociation débute en pratique par l'envoi des conditions générales de vente (CGV) des fournisseurs aux distributeurs. Ces CGV, qui incluent le tarif demandé par l'industriel, sont le socle unique de la négociation commerciale1(*). Après réception, le distributeur peut, cas extrêmement rare, les accepter ou, cas plus général, motiver leur refus, actant de ce fait le début des négociations.
Ces négociations doivent aboutir à la conclusion d'une convention unique incluant les obligations réciproques des parties, dont le contenu est fixé par les articles L.441-3, L.441-4 et L.443-8 du code de commerce. Depuis la loi dite « Chatel » de 20082(*), cette convention doit être conclue au plus tard le 1er mars de chaque année. Cette date s'applique à toutes les conventions, qu'il s'agisse de produits de grande consommation ou non.
Les conventions relatives à des produits de grande consommation et parmi eux, les produits alimentaires ou destinés à l'alimentation des animaux de compagnie, présentent en outre d'autres spécificités calendaires :
- pour tous les produits de grande consommation, en vertu de l'article L.441-4 du code de commerce, le fournisseur communique ses CGV au distributeur trois mois avant la date butoir de clôture des négociations, soit en pratique le 1er décembre3(*) ;
- pour les produits alimentaires ou destinés à l'alimentation des animaux de compagnie, le distributeur doit répondre aux CGV envoyées par le fournisseur dans un délai d'un mois4(*).
Tout manquement à ces dispositions - délai d'envoi des CGV, délai de réponse du distributeur, date de conclusion des conventions - est passible d'une amende administrative, dans les conditions prévues à l'article L.441-6 du code de commerce. Il précise notamment que pour les produits de grande consommation, le non-respect de l'échéance du 1er mars est passible d'une amende administrative dont le montant peut atteindre 200 000 € pour une personne physique et 1 000 000 € pour une personne morale, plafonds qui avaient été doublés par le Sénat en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans lors de l'examen de la loi dite « Egalim 3 » en février 2023.
Ces dispositions s'appliquent de manière indifférenciée selon la taille du fournisseur à toute convention entre un fournisseur et un distributeur portant sur des produits commercialisés sur le territoire français5(*).
Pour les produits de grande consommation, dont les produits alimentaires, la négociation commerciale s'étale donc sur trois mois entre le 1er décembre de l'année n-1 et le 1er mars de l'année n.
En pratique toutefois, la durée des négociations varie selon le nombre de références proposées par un fournisseur et donc par construction, selon la taille de l'entreprise - la négociation sera généralement plus rapide pour une petite ou moyenne entreprise (PME) proposant une quinzaine de références que pour un grand groupe multi-produits fournissant aussi bien des boissons, du café, des céréales que de la nourriture infantile ou des confiseries.
Les PME clôturent ainsi généralement leurs négociations de manière anticipée par rapport aux grandes entreprises : cela permet en outre de garantir leur accès au « linéaire »6(*). De nombreuses PME négocient donc chaque année de manière anticipée par rapport aux grands groupes, en concluant leurs conventions uniques avant le 31 décembre - et non avant le 1er mars. Ces négociations anticipées se déroulent pour une large part sur la base d'accords volontaires conclus entre la Fédération des entrepreneurs de France (FEEF) et les distributeurs de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD). Selon la FEEF, 24 % de ses adhérents ont clôturé l'année dernière leurs négociations au 31 décembre sur la base de ces chartes fournisseurs-distributeurs.
B. Malgré des instruments censés prendre en compte la volatilité des cours, l'obsolescence des tarifs négociés a remis en cause ce calendrier ces deux dernières années
Cette organisation des négociations commerciales avec la grande distribution, autour d'un calendrier annuel, est davantage adaptée à un contexte de stabilité des prix qu'à la période de volatilité des cours que nous connaissons depuis début 2022.
Plusieurs instruments juridiques, encore insuffisamment appliqués, devraient pourtant permettre d'ajuster les prix entre deux cycles de négociations annuelles :
- depuis la loi dite « Egalim 2 »7(*), l'article L.443-8 du code de commerce prévoit que la convention unique entre un distributeur et un fournisseur de produits alimentaires ou destinés à l'alimentation des animaux de compagnie comporte obligatoirement une clause de révision automatique du prix en fonction de la variation du coût de la matière première agricole ;
- à l'initiative du Sénat, la même loi a également étendu le champ des clauses de renégociation automatique du prix permettant de prendre en compte des fluctuations du prix des matières premières agricoles et de certaines matières industrielles (énergie, emballage, transport). En vertu de l'article L.441-8 du code de commerce, cette clause doit être présente dans tous les contrats d'une durée supérieure à trois mois portant sur la vente de produits agricoles et alimentaires. Librement définie par les parties, elle précise les conditions et les seuils de déclenchement de la renégociation : à la différence de la clause de révision qui entraîne automatiquement une revalorisation du prix en cas d'augmentation du coût de la matière première agricole, la clause de renégociation, si elle est activée, n'entraîne pour les parties qu'une obligation de retourner à la table des négociations, sans garantie de parvenir à un accord. Il s'agit d'une obligation de moyen et non de résultat.
Alors qu'elles devraient en théorie atténuer la rigidité inhérente au calendrier annuel en permettant une actualisation des prix en cours de contrat en fonction de la conjoncture économique, la mise en oeuvre de ces clauses reste largement insatisfaisante. En 2023, l'Observatoire des négociations commerciales a pour la première fois inclus les clauses de révision automatique dans son questionnaire annuel. Il en ressort que ces clauses font l'objet d'une application contrastée, avec des seuils de déclenchement parfois beaucoup trop élevés (par exemple, 20 %) et une fréquence d'activation parfois insuffisante (dans 40 % des cas, son déclenchement est prévu une seule fois dans l'année).
En 2022 comme en 2023, l'utilisation de ces clauses n'a pas pu éviter l'obsolescence des prix négociés lors du cycle annuel face aux fluctuations des cours des matières premières. C'est donc le calendrier annuel qui a été ajusté afin que les parties reviennent plus rapidement à la table des négociations :
- le cycle de négociations achevé en mars 2022 avait abouti à une hausse de 3,5 % des tarifs - une augmentation déjà inédite dans un contexte de déflation des prix alimentaires et de compression des marges industrielles depuis 9 années. Or, la guerre en Ukraine conduisant à des fortes hausses des matières premières agricoles et industrielles, ces revalorisations ont très rapidement été rendues caduques. Le Gouvernement a donc appelé les industriels et les distributeurs à s'engager dans des renégociations volontaires afin de procéder à des revalorisations tarifaires, soit dans le cadre de leurs clauses de renégociations automatiques, soit dans le cadre de « chartes fournisseurs » - ce qui a été majoritairement choisi par les fournisseurs ;
- le cycle de négociations achevé en mars 2023 a quant à lui abouti à une hausse de 9 %, considérée dès avril 2023 comme caduque par le Gouvernement à l'aune du ralentissement de la hausse des matières premières. Les 75 plus gros industriels agroalimentaires ont ainsi été invités à rouvrir les négociations avec les distributeurs lorsqu'ils avaient connu :
i) une augmentation de plus de 10 % du prix de cession de leurs produits dans les conventions signées au 1er mars 2023 par rapport aux précédentes en vigueur ;
ii) une baisse du coût d'un de leurs intrants de plus de 20 % depuis le 1er mars 2023.
Notamment compte tenu des critères choisis, les réouvertures de négociations ont été peu nombreuses. En parallèle, les opérations du trimestre « anti-inflation » lancé en mars 2023 par le Gouvernement ont conduit les grandes enseignes à proposer des paniers de produits à bas prix, sélectionnant souvent quasi-exclusivement des produits de « marque de distributeur » (MDD).
II. Le dispositif envisagé - Déroger au calendrier annuel pour avancer, au nom de la lutte contre l'inflation, la date de clôture des négociations commerciales pour l'année 2024
Les dispositions du projet de loi ne sont pas codifiées : il s'agit de mesures dérogatoires au régime fixé par le code de commerce, qui n'ont vocation à s'appliquer qu'au cycle de négociations 2023-2024. Selon l'exposé des motifs, le but est de permettre aux distributeurs d'afficher plus rapidement que prévu des baisses de prix dans les rayons, compte tenu du ralentissement de l'inflation.
Le projet de loi initial comporte un article unique qui vise à fixer au 15 janvier, et non au 1er mars, la date limite de conclusion des conventions entre fournisseurs de produits de grande consommation et distributeurs. Cet avancement de la clôture du cycle annuel des négociations commerciales ne concernerait que les fournisseurs ayant réalisé un chiffre d'affaires hors taxes de plus de 150 millions d'euros au cours du dernier exercice clos. Dans le cas de comptes consolidés ou combinés, ce seuil est fixé à un milliard d'euros.
Pour les industriels concernés, la négociation commerciale relative aux produits de grande consommation serait enserrée dans un délai de 45 jours, et non de 3 mois comme ce que prévoit l'article L.441-4 du code de commerce. En pratique, ce délai revient à garder inchangée la date d'envoi des CGV des fournisseurs aux distributeurs le 1er décembre. Dès lors, les parties disposeront de 45 jours pour négocier jusqu'à la date limite de conclusion des conventions uniques, fixée au 15 janvier 2024.
Après réception des CGV, le distributeur
disposerait d'un délai de 15 jours pour y répondre en ce qui
concerne les produits alimentaires
- contre un mois d'après le code
de commerce. Pour les produits de grande consommation non-alimentaires, le
délai de réponse des distributeurs reste inchangé.
Le projet de loi applique au cycle de négociations commerciales à venir les sanctions existantes dans le droit commun des négociations commerciales en ce qui concerne le non-respect des délais d'envoi des CGV par les fournisseurs, de réponse des distributeurs et de conclusion des conventions8(*). Pour relever les manquements, le projet de loi habilite les agents de la DGCCRF.
Il prévoit aussi que l'expérimentation prévue à l'article 9 de la loi Egalim 3 puisse s'appliquer à ce cycle de négociations commerciales : en cas de rupture des relations commerciales en l'absence d'accord au 15 janvier, il sera possible pour l'industriel d'avoir recours à une médiation pour définir les conditions d'un préavis sous un mois.
Enfin, ses dispositions s'appliquent à toute convention portant sur des produits de grande consommation commercialisés sur le territoire français, dans l'esprit de l'article L.444-1A introduit par la loi Egalim 3 qui inscrit dans la loi le principe de soumission des centrales d'achat au droit français.
III. Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale
Le 4 octobre, la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale a adopté 5 amendements :
- deux amendements rédactionnels ;
- un amendement visant à exclure du champ d'application du texte les officines de pharmacie ainsi que les groupements de pharmacie. Les laboratoires pharmaceutiques négocieront ainsi de manière anticipée avec la grande distribution, mais pas avec les groupements de pharmacie et les officines ;
- un amendement de coordination du Gouvernement garantissant la cohérence entre les dérogations accordées pour les négociations 2024 et la signature des conventions des années suivantes ;
- un amendement modifiant le titre du projet de loi, l'intitulant « projet de loi portant mesures d'urgence pour lutter contre l'inflation concernant les produits de grande consommation ».
Le 9 octobre, lors de l'examen en séance publique du projet de loi, l'Assemblée nationale a adopté les 4 amendements suivants :
- un amendement fixant une date de clôture des négociations au 31 décembre pour les industriels dont le chiffre d'affaires est inférieur à 350 millions d'euros (et non 150 millions) et celle du 15 janvier pour ceux dont le chiffre d'affaires est supérieur à 350 millions d'euros ;
- un amendement visant à rappeler que le présent projet de loi ne remet en cause ni le principe d'annualité des négociations ni la mise en oeuvre du bouclier qualité prix (BQP) dans les territoires d'outre-mer ;
- un amendement visant également à inclure les conventions BQP dans les conventions dont la date de clôture est avancée.
IV. La position de la commission - Une loi « pulsion », aux effets incertains sur le portefeuille des Français, qu'il est nécessaire d'enrichir pour protéger nos entreprises
La commission des affaires économiques déplore que ce projet de loi ne soit qu'une réponse très modeste et passagère face à l'enjeu du soutien au pouvoir d'achat des ménages français.
Depuis fin 2021, la France fait face à une inflation inédite : alors qu'elle n'avait dépassé les 2 % qu'à quatre reprises au cours des quinze dernières années, elle a connu une hausse quasi continue depuis fin 2021, atteignant 6,2 % sur un an en février 2023. Elle est particulièrement marquée sur les produits de grande consommation dans la grande distribution, qui ont augmenté de 10,2 % sur un an en septembre malgré un ralentissement depuis avril. Cette inflation pèse donc fortement sur le pouvoir d'achat des ménages français qui ne peuvent qu'arbitrer à la marge sur ces dépenses contraintes.
Or, la lutte contre l'inflation au sein de ce projet de loi repose uniquement sur l'avancement de six semaines des négociations commerciales : une mesure dont les effets réels paraissent très incertains à la commission. Certes, les prix des matières premières agricoles (MPA) ont baissé cette année, mais ce constat est loin d'être homogène : certaines MPA, comme le lait, qui constitue l'essentiel de la matière première de bon nombre de produits quotidiens des Français, ont récemment augmenté. Il faut également prendre en compte un effet de rattrapage sur les matières premières industrielles (MPI) dont une part significative des hausses n'avaient pas été « passées » en 2022 et en 2023. Enfin, dans un contexte de retour de l'inflation où les guerres et les crises internationales ont montré leur capacité à influer sur la volatilité des cours, il semble difficile et risqué de prétendre prévoir telle ou telle variation des prix de vente au consommateur.
Une baisse généralisée des
prix en rayon :
un pari qui demeure hasardeux à plus d'un
titre
L'indice général mensuel des prix agricoles à la production (IPPAP) a diminué de 9,6 % entre août 2022 et août 2023, mais celui-ci demeure 13,6 % plus élevé qu'en août 2021. La diminution est donc certes notable, mais les prix agricoles demeurent globalement à un niveau bien plus élevé que pendant la période précédant la crise inflationniste.
Ainsi, si l'on observe une baisse de 7 % de l'IPPAP blé dur entre août 2022 et août 2023, ce dernier n'en demeure pas moins 19,4 % plus élevé qu'en août 2021 et même 61,3 % plus élevé qu'en août 2020. Plus encore, l'IPPAP lait de vache a connu une hausse de 2,9 % entre août 2022 et août 2023. Or, le lait constitue fort logiquement l'essentiel de la matière première de nombre de produits du quotidien des Français à l'instar du beurre, du fromage ou encore des yaourts.
Si les prix des intrants agricoles sont globalement à la baisse, les coûts de production en agriculture demeurent à un niveau élevé. Après une baisse de l'indice des prix d'achat des moyens de production agricole (Ipampa) courant 2023, ce dernier est de nouveau à la hausse en août 2023. Au global, l'Ipampa a augmenté de 15,4 % entre août 2021 et août 2023.
Par ailleurs, il ressort des auditions conduites par la rapporteure que si les hausses de tarif demandées dans le cadre de la MPA ont globalement, du fait de la loi, été acceptées par les distributeurs en 2022 et 2023, il n'en va pas nécessairement de même pour les hausses demandées concernant les MPI. Dès lors, il est possible que la baisse actuellement observable de nombreux intrants non-alimentaires tels que l'énergie, le transport ou encore le papier ne puisse qu'en partie être répercutée sur le prix de vente aux distributeurs, dans la mesure où la hausse initiale de ces mêmes intrants n'avait été qu'imparfaitement prise en compte.
Les auditions ont aussi permis de constater que dans le cadre des clauses de révision et de renégociation automatique, un certain nombre de produits pour lesquels le cours des matières premières a sensiblement baissé courant 2023, a d'ores et déjà fait l'objet d'un réajustement à la baisse des tarifs de vente de l'industriel au distributeur. Il a ainsi été fait état de l'activation de telles clauses, au bénéfice des consommateurs, concernant notamment les huiles végétales, le colza ou encore la volaille.
Enfin, si l'on observe indiscutablement une tendance à la baisse d'un certain nombre d'intrants, le Gouvernement semble négliger l'impact sur les industries agroalimentaires des fortes augmentations de salaire intervenues en 2022 et 2023, consécutivement à l'inflation. Ainsi, le salaire minimum de croissance (SMIC) a augmenté de 0,9 % en janvier 2022, de 2,65 % en mai 2022, de 2,01 % en août 2022, de 1,81 % en janvier 2023 et de 2,22 % en mai 2023. Au total, entre le 1er janvier 2022 et le 1er mai 2023, le SMIC a augmenté de 9,9 %. Ce dernier augmentera au 1er janvier 2024, durant les renégociations souhaitées par le Gouvernement.
De façon plus globale, dans un contexte international particulièrement dégradé, les fluctuations des intrants agricoles et industriels paraissent difficilement prévisibles. Le ministre de l'économie a d'ailleurs souligné, le 12 octobre, en marge des réunions annuelles du FMI et de la Banque mondiale à Marrakech, que la géopolitique est devenue « le risque économique majeur », en référence aux attentats ayant touché Israël à partir du 7 octobre. Ainsi, début octobre, le cours du gaz européen a atteint son point le plus haut depuis avril 2023, augmentant de 26,9 % entre le 6 octobre et le 13 octobre.
Au total, d'après l'ensemble des auditionnés, industriels comme distributeurs, la négociation s'annonce difficile, et l'intégralité des premières CGV d'ores et déjà reçues par les distributeurs comportent d'importantes demandes de hausses. S'il est tout à fait logique que dans le cadre de l'ouverture d'une négociation commerciale, une hausse des tarifs soit systématiquement demandée, rien ne dit que l'issue de ces négociations se traduira finalement par une baisse généralisée des prix en rayon, au bénéfice des consommateurs.
Au-delà, ce projet de loi d'urgence souligne l'absence de stratégie pérenne du Gouvernement en matière de soutien au pouvoir d'achat des Français : il paraît intenable de modifier le calendrier législatif des négociations commerciales chaque fois qu'une variation significative du cours des matières premières apparaîtra. Cette législation de conjoncture contribue à l'instabilité législative, préjudiciable aux entreprises qui, dans le cas présent, ont dû commencer à se préparer à envoyer leurs CGV deux semaines plus tôt que prévu alors que le projet de loi n'avait même pas encore été présenté.
Pour lutter contre l'inflation et redonner du pouvoir d'achat aux Français, il semble plus opportun pour le Gouvernement d'agir avec vigueur contre les pratiques des centrales d'achat basées à l'étranger qui entendent s'affranchir du cadre protecteur des lois Egalim ou encore de s'intéresser de près aux marges de la grande distribution. À ce sujet, la commission ne peut que rappeler que le rapport présentant la part du surplus de chiffre d'affaires enregistré à la suite de la mise en oeuvre de la majoration de 10 % du seuil de revente à perte (SRP + 10 %) n'a toujours pas été remis au Parlement alors qu'il devait l'être au 1er octobre. De manière générale, une véritable réflexion s'impose sur l'opportunité de la refonte du cadre des négociations commerciales dans un contexte où les instruments prévus pour lutter contre l'obsolescence des prix en période de volatilité ne fonctionnent malheureusement que très imparfaitement.
Dans un esprit constructif, la commission a néanmoins décidé d'enrichir le texte, en prenant pour boussole la protection de nos PME.
La commission estime qu'il est impératif que les PME puissent négocier de manière anticipée par rapport aux grands groupes, sous peine de les contraindre à « ramasser les miettes » des multinationales qui rempliraient les rayons avec une multitude de références. Toutefois, ni les dates de négociation ni les seuils de chiffre d'affaires retenus ne permettent de garantir une protection effective des PME durant les négociations prochaines.
Le seuil de chiffre d'affaires retenu à l'Assemblée nationale pour déterminer les entreprises qui négocieront de manière anticipée par rapport aux grands industriels n'est pas satisfaisant : en se fondant sur un chiffre d'affaires réalisé en France, il ne permet pas de distinguer les PME et petites ETI par rapport aux filiales des grands groupes dont les comptes sont consolidés.
Les dates inscrites dans le texte adopté par l'Assemblée nationale, à savoir le 31 décembre 2023 et le 15 janvier 2024, font courir un grand risque de goulot d'étranglement, préjudiciable au bon déroulement des négociations pour les PME et petites ETI que la définition d'une date anticipée avait justement vocation à protéger. En effet, au vu du seuil retenu de 350 millions d'euros de chiffre d'affaires, les distributeurs devront absorber environ 4 000 contrats avant le 31 décembre 2023, ce qui obérera sûrement l'équilibre de la négociation et fait courir un risque juridique et financier significatif aux PME et petites ETI puisque le non-respect de la date butoir des négociations est passible d'amendes administratives pouvant aller jusqu'à un million d'euros. Par ailleurs, le maintien d'un délai de deux mois entre l'envoi des CGV et la date butoir du 31 décembre conduisait à demander aux industriels d'envoyer leurs CGV le 1er novembre : une date à laquelle le présent projet de loi ne sera probablement même pas promulgué.
La commission a également souhaité circonscrire le texte à la grande distribution à prédominance alimentaire, c'est-à-dire aux grandes et moyennes surfaces distribuant des produits de grande consommation. Pour autant, elle a souhaité redonner la possibilité - supprimée à l'Assemblée nationale - aux pharmacies de négocier de manière anticipée avec leurs fournisseurs afin de ne pas les désavantager par rapport à la grande distribution avec laquelle elle est en concurrence en ce qui concerne la vente de certains produits parapharmaceutiques inclus dans la liste des produits de grande consommation, comme les pansements, les limes à ongles, les articles d'hygiène corporelle, les produits de beauté ou encore les produits hygiéniques.
Elle a donc adopté les 4 amendements suivants :
- l'amendement COM-8 visant à fixer les dates limites de clôture des négociations au 15 et 31 janvier 2024, au lieu des 31 décembre 2023 et 15 janvier 2024 qui faisaient courir un risque non-négligeable de goulot d'étranglement, préjudiciable aux PME et ETI qui auraient négocié de manière anticipée. Avec ce report, la commission permet aux industriels de l'agroalimentaire de bénéficier de délais acceptables de négociations, en maintenant un délai de deux mois entre l'envoi des CGV et la date butoir de conclusion des conventions ;
- l'amendement COM-7 de la rapporteure visant à rendre plus opérationnel le seuil de chiffre d'affaires choisi afin qu'il puisse se fonder sur une information publique : il est donc introduit un seuil de chiffre d'affaires figurant dans les comptes consolidés ou combinés d'une entreprise, ce qui permet de mieux distinguer PME et ETI d'une part et filiales de grands groupes d'autre part ;
- l'amendement COM-5 de la rapporteure visant à centrer le dispositif sur les négociations entre acteurs de la grande distribution et leurs fournisseurs, tout en incluant les pharmacies afin de ne pas désavantager les officines : celles-ci sont en effet en concurrence avec les moyennes et grandes surfaces en ce qui concerne la vente de certains produits parapharmaceutiques de grande consommation ;
- l'amendement COM-6 de la rapporteure visant à ne pas inscrire au niveau de la loi l'avancement de la date butoir des négociations du bouclier qualité-prix menées par le préfet dans les territoires d'outre-mer, qui relève du domaine réglementaire ;
- l'amendement COM-4 visant à renforcer les sanctions applicables en cas de non-respect de la date butoir des négociations commerciales.
La commission a adopté l'article ainsi modifié.
Article 2
(non modifié)
Demande de rapport évaluant les effets de la loi
sur les prix de vente
des produits en grande distribution et sur le partage
de la valeur
entre les différents acteurs économiques
Cet article vise à demander la remise d'un rapport du Gouvernement au Parlement, sous trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, évaluant les effets de l'avancée des négociations commerciales sur les prix de vente en magasin ainsi que la répartition de la valeur entre les différents acteurs économiques.
I. La situation actuelle - Une forte incertitude sur les effets du projet de loi en matière de lutte contre l'inflation
Comme le souligne le Conseil d'État dans son avis sur le présent projet de loi9(*), l'étude d'impact fournie par le Gouvernement est « succincte ». Et pour cause, nul n'est capable d'anticiper les effets réels que pourrait éventuellement avoir ce texte sur le pouvoir d'achat des Français, tout comme sur la bonne tenue de négociations commerciales menées tambour battant.
De plus, le Gouvernement s'était engagé, dans le cadre de la loi dite « Egalim 3 »10(*) à remettre au Parlement avant le 1er octobre un rapport évaluant la mise en oeuvre de la majoration de 10 % du seuil de revente à perte (dit SRP + 10 %) sur les profits des distributeurs.
Il est ainsi demandé au Parlement de légiférer dans l'urgence, sans disposer d'une pleine information sur la formation des prix et des marges dans la grande distribution dans un contexte d'inflation et de difficultés pour le pouvoir d'achat des Français.
II. Le dispositif proposé - Une demande de rapport sur l'effet du présent projet de loi
À l'initiative du groupe Socialistes et apparentés, l'Assemblée nationale a adopté un amendement portant article additionnel après l'article unique.
L'article 2 ainsi adopté prévoit que le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la loi, un rapport évaluant :
- les effets de l'avancée des négociations commerciales prévue par le présent texte sur les prix de vente en grande distribution ;
- le partage de la valeur entre les différents acteurs économiques, et particulièrement l'évolution des marges des industriels, par filière, ainsi que des acteurs de la grande distribution.
III. La position de la commission - Assurer une pleine information du législateur
La commission des affaires économiques partage la volonté de voir le Gouvernement évaluer les effets du présent texte dans la mesure où de très importantes incertitudes planent autant sur l'opportunité de légiférer en urgence sur l'avancement des négociations commerciales, que sur la réelle plus-value, en bout de chaîne, de cet avancement pour le consommateur.
La compression des délais de négociations entre industriels et distributeurs rend l'issue de cette négociation particulièrement incertaine. Comme l'indiquait une personne auditionnée par la rapporteure, il est impossible de savoir « de quel côté la pièce va retomber ».
Par ailleurs, par cette demande de rapport, la commission souhaite rappeler au Gouvernement que le rapport11(*) présentant la part du surplus de chiffre d'affaires enregistré à la suite de la mise en oeuvre de la majoration de 10 % du seuil de revente à perte (SRP + 10 %) n'a toujours pas été remis au Parlement par le Gouvernement alors qu'il devait l'être au 1er octobre.
La commission a adopté l'article conforme.
* 1 Article L.441-1 du code de commerce.
* 2 Loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs.
* 3 Pour les autres produits, l'article L441-3 du code de commerce précise que ces CGV doivent être transmises au distributeur « dans un délai raisonnable » avant la date du 1er mars.
* 4 Pour les produits de grande consommation non-alimentaires, l'article L441-4 du code de commerce indique que le distributeur dispose d'un « délai raisonnable » pour motiver explicitement et de manière détaillée par écrit son refus ou son acceptation ou, le cas échéant, les dispositions qu'il souhaite mettre à la négociation.
* 5 Conformément à l'article L444-1A introduit par la loi du 30 mars 2023 dite Egalim 3.
* 6 Le linéaire désigne, en grande distribution, le rayon dédié à la présentation d'un produit en libre-service.
* 7 Loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs.
* 8 Article L.441-6 du code de commerce.
* 9 Conseil d'État, Avis sur un projet de loi portant mesures d'urgence pour lutter contre l'inflation concernant les produits de grande consommation, 28 septembre 2023.
* 10 Loi n° 2023-221 du 30 mars 2023 tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs.
* 11 Prévu par l'article 125 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique.