II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL PAR PROGRAMME
A. LE PROGRAMME 165 « CONSEIL D'ÉTAT ET AUTRES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES »
Le principal enjeu de la mission Conseil et contrôle de l'État demeure l'adéquation des moyens du programme 165 avec la croissance continue du contentieux administratif, en particulier pour la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Les dépenses sont en hausse de 6 % en CP et 21,3 % en AE par rapport à 2021. Si les AE sont bien supérieures à celles anticipées en LFI 2022, les CP sont eux établis à un niveau inférieur à la prévision.
Évolution des crédits du programme 165
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
1. Une exécution complète du schéma d'emplois en rupture avec les reports annuels récurrents des années précédentes
Les dépenses de personnel sont en hausse de 5,6 % par rapport à 2021. Cette augmentation est due à deux facteurs, d'une part, la réalisation du schéma d'emplois et, d'autre part, la revalorisation du régime indemnitaire des magistrats.
En 2022, les créations nettes d'emplois dans les juridictions administratives se sont établies à 72 ETP. Elles s'inscrivent dans une tendance de fond de renforcement des effectifs des juridictions pour faire face à la hausse du contentieux administratif.
Le schéma d'emplois initial était fixé à + 41 ETP, majoré en gestion de + 31 ETP au titre du rattrapage de la sous-exécution du schéma d'emplois de 2021. En effet, seuls 42 ETP avaient été pourvus sur le schéma d'emplois de + 73 ETP, lui aussi rehaussé de + 45 ETP du fait de la sous-exécution du schéma d'emplois de 2020. Ainsi, contrairement aux précédents exercices, le schéma d'emplois a été complètement exécuté en 2022. Aucun report ne sera donc possible sur l'année 2023.
Corollaire de l'exécution complète du schéma d'emplois, la répartition des emplois créés ne s'écarte pas négativement du projet annuel de performance du programme, sauf pour les membres du Conseil d'État, où un écart de l'ordre de - 3 ETP est constaté par rapport à la prévision. Les créations d'emploi en 2022 ont notamment concerné les magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel (+ 36 ETP), avec 12 postes créés en plus par rapport au schéma d'emplois du projet annuel de performance (+ 24 ETP).
La Cour des comptes1(*) mentionne, à défaut de figurer formellement dans le rapport annuel de performance, que, sur l'ensemble des créations de postes, 3 ETP concernent la mise à disposition de magistrats auprès de la commission du contentieux du stationnement payant. Par ailleurs, trois agents ont été mis à disposition de la Commission européenne et de la Cour européenne des droits de l'homme.
Exécution du schéma d'emplois du programme 165 en 2022
(en ETP)
Catégorie d'emploi |
Sorties |
Entrées |
Créations nettes d'emploi |
||||
Prévues |
Réalisées |
Prévues |
Réalisées |
Prévues PAP |
Réalisées |
||
Membres du Conseil d'État |
30 |
47 |
32 |
31 |
+ 2 |
- 0,6 |
|
Magistrats de l'ordre administratif |
130 |
171,3 |
154 |
119 |
+ 24 |
+ 36 |
|
Catégorie A |
200 |
242,9 |
203 |
337,13 |
+ 3 |
+ 13,8 |
|
Catégorie B |
85 |
95,8 |
91 |
75,06 |
+ 6 |
+ 11,9 |
|
Catégorie C |
180 |
254,3 |
186 |
264,48 |
+ 6 |
+ 10,9 |
|
Total |
625 |
811,30 |
666 |
883,3 |
+ 41 |
+ 72 |
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Malgré un relèvement de 4 253 ETPT à 4 286 ETPT, le plafond d'autorisation d'emplois est quant à lui de nouveau légèrement sous-consommé en 2022. Cet écart entre le plafond autorisé et le plafond consommé de 4 219 ETPT est conjoncturel et s'explique principalement par des recrutements intervenus plus tardivement que prévu ayant ainsi une incidence moins forte en ETPT. Toutefois, la consommation 2022 connait une augmentation de 24 ETP par rapport à la consommation 2021, qui résulte d'une part, de l'impact du schéma d'emplois réalisé en 2022 (+ 51 ETPT pour 72 créations d'emplois) et, d'autre part, de l'extension en année pleine du schéma d'emplois 2021 (- 27 ETPT).
Ainsi, les crédits de titre 2 ouverts en LFI étaient de 377,9 millions d'euros, en progression de 10,5 millions d'euros par rapport à 2021, pour une consommation de 380,5 millions d'euros.
Le rapporteur spécial salue l'exécution complète pour l'année 2022 du schéma d'emplois, qui met un terme pour 2023 aux nouveaux reports liés aux sous-exécutions des années précédentes.
2. Une exécution des autorisations d'engagement largement supérieure à la prévision pour les dépenses d'investissement
Le programme 165 concentre l'essentiel des dépenses d'investissement de la mission, avec 130,2 millions d'euros exécutés en AE et 32,5 millions d'euros en CP. Ces montants représentent respectivement 97,6 % et 94 % des dépenses d'investissement de la mission en AE et en CP.
Alors que la programmation initiale ne prévoyait qu'une hausse de l'ordre de 2,3 millions d'euros des dépenses d'investissement en AE, le différentiel entre la programmation et l'exécution est de 121,5 millions d'euros. S'agissant des CP, ils avaient été revalorisés de 18,1 millions d'euros, participant ainsi à une exécution conforme aux prévisions, avec une consommation qui s'élève à 32,5 millions d'euros pour une prévision initiale de 31,9 millions d'euros.
Cet écart s'explique par le fait que le Conseil d'État a obtenu la totalité des AE affectées non engagées en 2021, soit 137,9 millions d'euros en AE, au bénéfice particulièrement de l'opération de relogement de la CNDA et du tribunal administratif de Montreuil représentant 111,5 millions d'euros en AE, du fait de perturbations des opérations immobilières des juridictions administratives suite à la crise sanitaire. Ces reports ont permis de financer en 2022 des opérations non prévues en loi de finances initiale telles que la poursuite de la restructuration du rez-de-chaussée de l'aile Colette du Palais-Royal, le traitement des façades du tribunal administratif de Nîmes, l'extension du tribunal administratif de Dijon, le renouvellement du bail du tribunal administratif de Toulon et des refontes d'applications informatiques et outils statistiques.
Les crédits hors titre 2 du programme sont toutefois sous-consommés à raison des dépenses de fonctionnement, en AE comme en CP. Le montant des crédits de paiement ouverts et non exécutés est ainsi de 8,2 millions d'euros pour les dépenses de fonctionnement, qui sont d'ailleurs en baisse de 1,3 million d'euros en CP entre 2021 et 2022. Cette sous-consommation résulte principalement d'une exécution moindre des frais de justice et de la renégociation de certains baux, en particulier celui du tribunal administratif de Toulon. Par ailleurs, comme le relève la Cour des comptes, les accords-cadres de fourniture d'énergie ont préservé tous les programmes des effets de l'inflation, limitant ainsi les dépenses d'énergie du programme 165.
3. Une dégradation mesurée des délais moyens de jugement en 2022 et consubstantielle à la baisse des référés devant les juridictions administratives
Le rapporteur spécial est particulièrement vigilant concernant la maîtrise des délais de jugement, qui a été l'enjeu majeur des juridictions administratives ces vingt dernières années, et qui doit être conjugué avec le maintien de la qualité des décisions juridictionnelles. Outre bien sûr le coût humain et social que peuvent représenter des procédures trop longues, la réduction des délais de jugement génère des économies importantes. Un gain d'un mois de délai moyen de jugement se traduit par une baisse des dépenses de 14 millions euros.
Entre 2002 et 2022, le délai prévisible moyen de jugement a été divisé par deux, passant de près de 20 mois à 10 mois environ en première instance.
Pour l'année 2022, une légère dégradation des délais moyens de jugement devant les juridictions administratives de droit commun est constatée par rapport à l'année 2021. En première instance, le délai moyen a progressé de quatre jours, même s'il se situe toujours en deçà du délai cible. En appel, le délai moyen a lui aussi augmenté, de trois jours. En cassation, le délai moyen constaté de jugement des affaires a augmenté de six jours.
Cette hausse des délais moyens de jugement est toutefois minime et s'explique aussi par des délais moyens artificiellement bas en 2020 et 2021, du fait d'une augmentation exceptionnelle du nombre de référés, provoquant une baisse mécanique du délai moyen. En 2021 par exemple, sur 233 254 affaires jugées, 46 100 l'ont été en urgence.
Délai moyen de jugement par niveau de
juridiction
y compris procédures d'urgence
2020 |
2021 |
Prévision |
Réalisation 2022 |
|
Tribunaux administratifs |
10 mois |
9 mois et 16 jours |
10 mois et 15 jours |
9 mois et 20 jours |
Cours administratives d'appel |
1 an et 3 jours |
11 mois et 15 jours |
11 mois |
11 mois et 18 jours |
Conseil d'État |
7 mois et 29 jours |
7 mois et 8 jours |
9 mois |
7 mois et 14 jours |
CNDA - procédures ordinaires |
10 mois et 19 jours |
8 mois et 16 jours |
7 mois |
7 mois et 5 jours |
CNDA - procédures accélérées |
16 semaines |
17 semaines |
7 semaines |
5 mois et 8 jours |
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Devant la CNDA, juridiction administrative spécialisée, la sortie de crise sanitaire a permis en 2022 de tendre vers les délais fixés par le législateur pour les procédures ordinaires. En effet, le délai moyen constaté est de 7 mois et 5 jours, pour un délai de 7 mois fixé par la loi. La crise sanitaire avait en effet fortement dégradé les capacités de jugement de la CNDA et les délais moyens de jugement des affaires en procédure ordinaire en 2020 et 2021 s'établissaient respectivement à 10 mois et 19 jours et 8 mois et 16 jours. Une baisse significative de plus d'un mois est donc observée de 2021 à 2022. Pour les procédures accélérées, le délai moyen constaté est toujours largement supérieur à l'objectif de 7 semaines fixé par le législateur. De plus, il est passé de 4 mois en 2021 à 5 mois et 8 jours en 2022, notamment eu égard au mouvement social des avocats en début d'année 2022.
L'amélioration globale du délai moyen constaté à l'échelle de la juridiction a été principalement permise par une baisse des recours de 10 % par rapport à 2021, avec 61 552 nouveaux recours enregistrés en 2022, même si ce chiffre est toutefois en hausse de 4 % par rapport à 2019, dernière année d'activité « normale » avant la pandémie.
S'agissant du stock des dossiers anciens, il est en diminution pour les cours administratives d'appel. La proportion d'affaires en stock depuis plus de deux ans est passée de 5,2 % en 2021 à 4,7 % en 2022, ce qui est toutefois en deçà de l'objectif cible pour 2022 fixé à 3,6 %. Une hausse sensible est constatée pour le Conseil d'État et les tribunaux administratifs.
Ces chiffres sont aussi à mettre en parallèle avec les saisines des juridictions. En effet, sur les 281 405 recours effectués devant les juridictions administratives en 2022, en légère baisse au niveau agrégé de toutes les juridictions administratives de droit commun, 241 187 ont été exercés devant les tribunaux administratifs. Les tribunaux administratifs ont donc absorbé, pour 2022, 86 % des recours, soit une hausse de l'ordre de 2 % par rapport à 2021.
* 1 Note d'analyse de l'exécution budgétaire de la mission Conseil et contrôle de l'État pour 2022.