B. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL
1. Une augmentation limitée des effectifs en 2022, qui ne constitue de facto qu'une pause dans la stratégie de recrutement du Gouvernement
Le Président de la République s'était engagé à créer 10 000 emplois sur la période 2018/2022 pour renforcer les forces de sécurité intérieure. Dans ce cadre, la police nationale devait bénéficier de 7 500 ETP et la gendarmerie nationale de 2 500 ETP.
Même si son bien-fondé pouvait être débattu6(*), l'« esprit » de ce plan a été pleinement respecté, puisqu'entre 2017 et 2022, 8 441 emplois de policiers et 2 052 emplois de gendarmes auront été créés.
Alors que ce plan de création de postes avait pris fin, la Première ministre Élisabeth Borne a annoncé, le 6 septembre 2022, la création de 8 500 postes de policiers et gendarmes d'ici à 2027, poursuivant ainsi sur la lancée du quinquennat précédent.
Dans ce contexte, l'année 2022 constitue une forme d'année de ralentissement au milieu de deux plans quinquennaux de recrutement. Le nombre de créations de postes a ainsi été limité en comparaison des années précédentes, avec une hausse de 154 ETP pour la gendarmerie nationale et de 756 ETP pour la police nationale.
Schémas d'emploi successifs des deux programmes
(en ETP)
Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)
2. Des dépenses de personnel marquées à la fois par un nombre élevé de départs, des tensions sur les recrutements et un risque de dérapage à l'avenir
a) Une hausse modérée, en 2022, des dépenses de personnel...
En 2022, les dépenses de personnel (dites du « titre 2 ») des deux programmes augmentent de 3,1 % (+ 552 millions d'euros) par rapport à l'exécution de l'exercice 2021. Par rapport aux crédits prévus en LFI, l'exécution est supérieure de 0,92 % (+ 167,5 millions d'euros) ; plus précisément, elle est en hausse de 2,6 % pour la gendarmerie nationale (+ 203,8 millions d'euros) tandis qu'elle est en baisse de - 0,35 % pour la police nationale (-36,4 millions d'euros).
Cette hausse (dont une part importante est liée au relèvement général du point d'indice dans la fonction publique) est relativement modérée à l'échelle des deux programmes, qui connaissent une hausse plus rapide des crédits hors titre 27(*).
Au total, la part des dépenses de personnel recule ainsi dans l'ensemble des CP des deux programmes en 2022. De 87,6 % en 2021, elle s'établit à 85,4 % en 2022, ce qui constitue une évolution positive, qui ne devrait toutefois pas pouvoir se poursuivre8(*).
b) ... qui s'explique principalement par un phénomène inquiétant de hausse des départs et de tension sur les recrutements
Cette évolution s'explique, en premier lieu, par un rythme de recrutement prévu en LFI plus faible que les années précédentes9(*).
Elle s'explique, ensuite, par le relativement faible impact, en 2022, des mesures indemnitaires et indiciaires au sein des deux programmes. En effet, d'une part, les protocoles de ressources humaines de 2016 et de 2018 sont arrivés à échéance ; d'autre part, les protocoles de mars 2022 sur la modernisation des ressources humaines, signés au sein de la police et de la gendarmerie nationales, n'auront d'importantes conséquences financières qu'à compter de 2023.
Cette situation s'explique, enfin, par des difficultés tenant tant à la fidélisation des agents qu'aux recrutements au sein de la gendarmerie nationale et de la police nationale. Le schéma d'emploi prévu en LFI n'a d'ailleurs pas été totalement exécuté puisque le nombre de créations de postes a été inférieur de 31 ETP à ce qui était prévu pour la gendarmerie nationale (+ 154 contre + 185 ETP prévus) et de 5 ETP pour la police nationale (+ 756 contre + 761 ETP prévus). Et ce, alors même que les crédits disponibles en exécution (des crédits ont été ouverts durant l'exercice 2022) ont été supérieurs aux besoins s'agissant du titre 2 : le taux d'exécution de ces CP atteint ainsi 99,2 % pour la police nationale et 99,7 % pour la gendarmerie nationale.
En effet, d'une part, les départs ont été très nombreux au sein des deux forces en 2022. Cette tendance est croissante depuis la crise du covid-19. Ainsi, l'exercice 2022 a connu le nombre le plus élevé de départs depuis 5 ans, conduisant à un taux très élevé de renouvellement annuel des personnels, atteignant 15 % pour la gendarmerie nationale. Ce phénomène, qui ne s'explique pas par les départs à la retraite qui sont stables sur la période, pourrait être imputable, selon les responsables de programme, à la concurrence avec les polices municipales, à la hausse des démissions en école et à l'augmentation des détachements dans d'autres administrations10(*). Le nombre de ces départs contribue en outre à créer des difficultés de fonctionnement pour les forces de sécurité intérieure, en ce qu'ils créent des vacances dans les services, avant que les nouveaux personnels reprennent les postes concernés par les départs. Il convient d'ailleurs de souligner que si le nombre d'ETP a augmenté en 2022, le nombre d'ETPT de la gendarmerie nationale, calculé quant à lui sur l'année entière, s'est réduit, passant de 100 086 ETPT à 99 755 ETPT.
D'autre part, la police et la gendarmerie nationales ont connu des difficultés à tenir un rythme de recrutement suffisant pour à la fois compenser les nombreux départs et augmenter les effectifs totaux. Les recrutements ont ainsi dû être augmentés par rapport à 2021 de 25 % au sein de la gendarmerie nationale et de 29 % au sein de la police nationale. Les appareils de formation font désormais face à un risque de saturation, tant en termes d'infrastructures que d'encadrants, alors qu'il est par ailleurs -opportunément - prévu d'allonger la durée de formation initiale des forces de sécurité intérieure.
Une telle situation est d'autant plus source d'inquiétudes que des objectifs très ambitieux de recrutement ont été posés, tant à l'occasion du Beauvau de la sécurité, que de la LOPMI et des annonces de la Première ministre11(*). La loi de finances initiale pour 2023 a ainsi prévu la création de 2 857 ETP pour les deux forces, dont 1 907 ETPT pour la police nationale et 950 ETPT pour la gendarmerie nationale, soit un total qui n'a pas été atteint depuis 2016 et qui peut sembler irréaliste dans ce contexte.
En outre, ces tensions sur le recrutement ont pour effet indirect de nuire potentiellement à la qualité des recrutements et des formations. Comme le soulignait un rapport de la Cour des comptes de 202112(*), le taux d'admission au concours de gardien de la paix est passé de 2 % en 2014 à 18 % en 2020, tandis que les formations de gardien de la paix et d'officier avaient été raccourcies. De même, l'exécution du schéma d'emplois de la police nationale s'est faite en 2022 largement au profit du recrutement de personnels non-actifs (+ 874 personnels administratifs, techniques et scientifiques et - 118 policiers actifs). Si cette évolution participe à la politique de substitution de personnels actifs par d'autres types de personnels sur des postes non-actifs, il convient de rester vigilant quant à ses conséquences réelles sur l'opérationnalité des forces.
Les constats sont similaires pour les réserves des deux forces. En effet, alors que des objectifs très ambitieux ont été fixés quant aux effectifs visés à l'horizon 2027 par la LOPMI (30 000 pour la réserve de la police nationale et 50 000 pour celle de la gendarmerie nationale), la réalité est bien moins reluisante. Si la gendarmerie nationale compte 30 959 réservistes opérationnels à fin 2022, la police nationale en compte seulement 4 819. En outre pour les deux forces, au rythme actuel de recrutement, il faudrait 17 ans pour atteindre l'objectif fixé, alors que les infrastructures et le vivier de recrutement semblent trop modestes pour augmenter significativement le rythme de recrutement.
Enfin, le rapporteur spécial constate, comme la Cour des comptes13(*), que le nombre de départs et les difficultés de recrutement soulignent les limites des mesures indemnitaires et indiciaires mises en place ces dernières années au sein des forces de sécurité intérieure et dont l'une des justifications principales était de revaloriser le métier de policier et de gendarme. Si le coût des mesures indemnitaires et indiciaires était limité en 2022, par rapport aux années précédentes, les mesures catégorielles nouvelles ont néanmoins coûté 182,84 millions d'euros au programme 176 « Police nationale » et 99 millions d'euros pour le programme 152 « Gendarmerie nationale ». Sur la période 2016 à 2022, les protocoles de ressources humaines de 2016 et 2018 ont engendré un coût supplémentaire de 730,3 millions d'euros, soit 4 % de la masse salariale des deux programmes. Cette hausse salariale est l'une des plus fortes et rapides de la sphère de l'État ces dernières années. Or ces dépenses très importantes ne semblent pas permettre de fidéliser les personnels.
c) Les dépenses de personnel devraient voir leur hausse s'accroître à compter de 2023 sous l'effet des protocoles de mars 2022 et de la hausse des effectifs
Si l'exécution de l'exercice 2022 est marquée par une hausse modérée des dépenses de personnel, ces dépenses devraient s'accroître fortement à l'avenir pour deux raisons principales.
En premier lieu, les deux protocoles de mars 2022 pour la modernisation des ressources humaines signés dans la police nationale et dans la gendarmerie nationale devraient conduire à des dépenses d'environ 1,5 milliard d'euros sur 5 ans, à compter de 2023.
Protocole pour la modernisation des ressources
humaines
de la police nationale de mars 2022
Le protocole pour la modernisation des ressources humaines de la police nationale a été signé à l'unanimité des organisations syndicales représentatives le 2 mars 2022. Il repose sur quatre piliers :
- revaloriser les fonctions les plus exposées ;
- responsabiliser et valoriser l'encadrement ;
- revoir les règles de mobilité pour faciliter l'affectation des policiers sur le terrain ;
- améliorer la qualité de vie au travail des policiers.
En outre, il a acté l'ouverture d'une discussion sur l'augmentation du temps de travail, afin d'accroître la présence sur la voie publique.
Parmi les principales mesures du protocole, l'on trouve :
- une revalorisation de la rémunération de ceux qui sont exposés aux difficultés de la voie publique, notamment avec la création d'une prime spécifique de 100 euros par mois et le triplement de l'indemnité de travail de nuit ;
- une valorisation des tâches des personnels administratifs et techniques de la police nationale, avec la création d'une indemnité de sujétion spécifique ;
- la création d'un statut dérogatoire pour les personnels de « police scientifique » pour permettre à ces derniers de bénéficier de mesures statutaires adaptées à la réalité de leur métier et de leurs missions ;
- la revalorisation de la filière investigation via notamment une augmentation de la prime officier de police judiciaire, qui passera de 1 300 à 1 500 euros par an et la création des fonctions d'assistant d'enquête, nouveau métier des personnels administratifs de la police, qui seront spécifiquement formés pour exercer leurs nouvelles attributions ;
- la valorisation de la prise de responsabilités en confortant les fonctions d'encadrement du corps d'encadrement et d'application et en revalorisant l'indemnité de responsabilité et de performance des officiers et des commissaires.
L'ensemble des mesures représentent un total de 783 millions d'euros sur 5 ans.
Si le rapporteur spécial souscrit à la volonté de moderniser la gestion des ressources humaines de la police et de la gendarmerie nationales et comprend le souhait de revaloriser certaines primes, il s'inquiète du coût total des mesures actées.
En effet, il estime que la dérive des dépenses de personnel constituerait un obstacle important à l'amélioration des capacités opérationnelles des forces de l'ordre, puisqu'elle limite mécaniquement les marges de manoeuvre en matière d'investissement et de fonctionnement. Cette situation avait prévalu jusqu'à très récemment et pourrait rapidement réapparaître.
Protocole pour la modernisation des ressources
humaines
de la gendarmerie nationale de mars 2022
Le protocole pour la modernisation des ressources humaines de la police nationale a été signé le 9 mars 2022. Il repose sur trois axes :
- » mieux protéger » par des mesures favorisant l'augmentation de la présence de voie publique ;
- « mieux encadrer » par des mesures soutenant la prise de responsabilité ;
- » mieux accompagner » par des mesures liées à l'action sociale et à la qualité de vie au travail.
Parmi les principales mesures du protocole, l'on trouve :
- la valorisation de l'engagement des personnels impliqués au quotidien sur la voie publique, en rénovant les parcours de carrière et la grille indiciaire des sous-officiers et en revalorisant le traitement des gendarmes adjoints volontaires ;
- la mise en place d'une indemnité d'absence missionnelle et d'une indemnité de sujétion spécifique au profit des corps militaires de soutien ;
- le soutien à la prise de responsabilité, en augmentant le contingent de la prime de qualification supérieure et en redimensionnant l'indemnité de fonction et de responsabilités ;
- en développant l'action sociale et la qualité de vie au travail, en renforçant l'aide aux blessés et à leurs familles et en densifiant le réseau de psychologues cliniciens ;
- en améliorant les conditions de vie des gendarmes et de leurs familles en portant un effort substantiel sur l'entretien des logements et des locaux de service.
L'ensemble des mesures représentent un total de 700 millions d'euros sur 5 ans.
En deuxième lieu, si les capacités de recrutement le permettent, la hausse prévue des effectifs aura un impact direct sur les dépenses de personnel. Or, comme le rapporteur spécial l'a souvent rappelé, ces hausses successives d'effectifs ne sont pas de nature à résoudre les difficultés des deux institutions, davantage marquées par un retard en matière d'investissement et de fonctionnement que de personnel.
3. La réduction du stock d'heures supplémentaires non-indemnisées dans la police nationale connait un ralentissement marqué sous l'effet d'une augmentation du flux
Contrairement aux gendarmes, les policiers bénéficient d'une compensation au titre des services supplémentaires effectués (dépassement horaire, permanences, rappels). Sauf pour les compagnies républicaines de sécurité (CRS), dont les heures supplémentaires peuvent être payées, ces services complémentaires sont en principe compensés par l'octroi d'heures récupérables14(*).
Si l'utilisation des heures supplémentaires constitue une manière de répondre à la nécessité de renforcer la présence des policiers sur le terrain, l'accroissement de l'activité opérationnelle à compter de 2014 a entrainé l'augmentation sensible de leur stock.
Ce stock est constitué des heures accomplies et des majorations horaires prévues dans les textes (ces dernières représentent en moyenne 20 % du stock).
Pour la première fois depuis l'émergence de cette problématique, une mesure nouvelle de 26,5 millions d'euros a été inscrite en loi de finances pour 2020 puis pour 2021, pour indemniser un volume identifié comme incompressible par la DGPN pour donner aux chefs de service les marges de manoeuvre opérationnelles nécessaires.
La dotation de 26,5 millions d'euros inscrite en 2020 et 2021 a été reconduite en 2022. Le stock d'heures supplémentaires à apurer avait été abaissé, au 31 décembre 2021, à 16,5 millions d'heures, soit un niveau inférieur de 28,3 % à celui de 2018 et équivalent à celui de 2008.
Stock d'heures supplémentaires de la police nationale
(en millions d'heures)
Source : commission des finances du Sénat
En 2022, 3 millions d'heures ont été indemnisées au profit de 27 431 agents, pour un montant total de 39 millions d'euros (26,5 millions d'euros initialement prévus en LFI et 12,5 millions d'euros ouverts en gestion), soit un infléchissement par rapport à 2021, année au cours de laquelle 3,5 millions d'heures avaient été indemnisées pour 45,2 millions d'euros (26,5 millions d'euros initialement prévus en LFI et 18,7 millions d'euros ouverts en gestion).
En outre, le flux de création des heures supplémentaires s'est notablement accéléré en 2022, s'établissant à 2 millions d'heures en 2022, contre 0,5 à 0,7 million d'heures par an en moyenne entre 2019 et 2021 et 1,46 million d'heures par an en moyenne entre 2014 et 2018. Une telle hausse du flux n'est pas pleinement expliquée à ce stade ; ses raisons doivent, pour le rapporteur spécial, être rapidement identifiées.
Au final si le stock d'heures supplémentaires est toujours orienté à la baisse en 202215(*), l'intensité de la baisse est beaucoup plus faible qu'en 2020 et 2021.
Or, le rapporteur spécial insiste de nouveau sur la nécessité de ne pas laisser subsister, voire croître, un compte par agent d'heures supplémentaires non indemnisables trop important, au risque de déstabiliser fortement les services. En effet, les fonctionnaires peuvent liquider leurs heures supplémentaires avant leur départ à la retraite. Ces derniers étant juridiquement en congés et non en retraite, ils ne sont pas remplacés durant cette période, ce qui contribue à creuser un véritable « trou » opérationnel, particulièrement prégnant dans certains services16(*).
Plus globalement, le rapporteur spécial considère que la mobilisation des policiers en heures supplémentaires, qui est un levier utile, implique l'attente légitime qu'une compensation soit effectivement octroyée, dans des délais raisonnables.
Pour mémoire, le projet de loi de finances pour 2023 prévoit opportunément le relèvement de l'enveloppe de crédits dédiés à la campagne d'indemnisation des heures supplémentaires de 18,7 millions d'euros, soit + 70,6 %, pour atteindre 45,2 millions d'euros, soit le niveau de crédits consommés en 2021 mais non atteint en 2022.
4. En 2022, les crédits hors titre 2 consommés ont crû plus rapidement que les dépenses de personnel...
En 2022, les CP hors titre 2 exécutés pour les deux programmes s'établissent à 3,14 milliards d'euros. Ils sont en hausse de 24,6 % par rapport à 2021 (+ 620 millions d'euros) et de 11,7 % par rapport aux crédits initiaux (+ 328,8 millions d'euros). Cette hausse est significativement plus élevée, en pourcentage, que celle des dépenses de personnel (+ 3,1 % par rapport à 202117(*)).
Cette tendance en 2022 a ainsi conduit, par rapport à 2021, à un léger rééquilibrage des dépenses hors titre 2, dont la part dans les dépenses des deux programmes passe de 12,4 % à 14,6 % en CP exécutés, par rapport aux dépenses du titre 2 (qui passent de 87,6 % à 85,4 %).
Part des dépenses de personnel dans
l'ensemble des crédits
de la « Police
nationale » et de la « Gendarmerie nationale »
(en CP, en millions d'euros,
en
exécution)
2021 |
2022 |
||
Police nationale |
Titre 2 |
9 932,49 |
10 285,40 |
Total |
11 049,88 |
11 782,40 |
|
Titre 2 / Total |
89,9 % |
87,3 % |
|
Gendarmerie |
Titre 2 |
7 819,81 |
8 019,04 |
Total |
9 219,67 |
9 659,34 |
|
Titre 2 / Total |
84,8 % |
83,0 % |
|
Total |
Titre 2 |
17 752,30 |
18 304,4 |
Total |
20 269,55 |
21 441,7 |
|
Titre 2 / Total |
87,6 % |
85,4 % |
Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)
La hausse des CP exécutés hors titre 2 en exécution s'explique par le transfert de crédits depuis le programme 363 « Compétitivité »18(*), mais également par des opérations de fongibilité asymétrique (transferts de crédits du titre 2 vers d'autres titres) d'un montant très élevé, et même jamais atteint : ces opérations ont représenté 24,7 millions d'euros pour la gendarmerie nationale et 84,5 millions d'euros pour la police nationale, soit plus de 109 millions d'euros au total.
Par rapport aux crédits exécutés en 2021, les dépenses de fonctionnement augmentent de 18,8 % en CP (+ 396,4 millions d'euros) tandis que celles d'investissement sont en hausse de 57,6 % (+ 213,4 millions d'euros).
S'agissant des dépenses de fonctionnement, les CP exécutés du programme « Police nationale » ont dépassé de 25,6 % ceux de 2021 (+228,5 millions d'euros). Pour ce qui concerne la gendarmerie nationale, la hausse est de 13,8 % (+167,9 millions d'euros).
En ce qui concerne les dépenses d'investissement, les CP exécutés du programme « Police nationale » sont en hausse de 80,8 % (+ 149,7 millions d'euros) ; la hausse est de 34,5 % (+ 63,7 millions d'euros) pour la gendarmerie nationale.
Au sein de la police nationale, ces dépenses d'investissement ont notamment permis de mobiliser des moyens en faveur de l'immobilier (163,8 millions d'euros en CP contre 55,7 millions d'euros en 2021), notamment dans le cadre de la mise en oeuvre des opérations significatives décidées lors du Beauvau de la Sécurité (hôtel des polices de Nice par exemple). Elles ont également servi à la poursuite du renouvellement de la flotte de véhicules (126,0 millions d'euros en CP, contre 89,2 millions d'euros en 2021), avec le renouvellement de 4 420 véhicules (dont 3 580 sur le programme 176).
De manière similaire, pour la gendarmerie nationale, ces dépenses d'investissement ont notamment permis de mobiliser des moyens pour entretenir le parc domanial de la gendarmerie (134,2 millions d'euros en CP contre 109,3 millions d'euros en 2021), largement sous la forme d'opérations de maintenance et de réhabilitation, par exemple s'agissant des quatre tours de logements de la caserne Nanterre-Rathelot. Elles ont, de même, servi à la poursuite du renouvellement de la flotte de véhicules (126,8 millions d'euros, contre 94,2 millions d'euros en 2021), avec la commande de 2 900 véhicules. Par ailleurs, le programme 363 « Compétitivité » a, en complément, porté l'acquisition de 10 hélicoptères.
Les deux forces ont en outre investi dans l'innovation et la digitalisation pour leurs outils, notamment s'agissant des téléphones et ordinateurs mis à disposition des agents de police et des gendarmes.
5. ... n'empêchant pas de voir réapparaître à très court terme des risques concrets d'éviction des dépenses hors titre 2
Si l'année 2022 est marquée par un léger rééquilibrage au sein des deux programmes des dépenses hors titre 2 par rapport aux dépenses de titre 2, cette évolution bénéfique pour l'opérationnalité des forces pourrait en réalité être de très courte durée.
Plusieurs risques pèsent en effet sur les crédits de fonctionnement et d'investissement.
a) Des crédits liés à de moindres hausses temporaires des dépenses de personnel qui devraient se tarir
En premier lieu, la hausse des dépenses hors titre 2 en exécution a été imputable non seulement à la hausse de ces crédits en LFI mais également aux transferts de crédits en provenance du programme 363 « Compétitivité » et aux crédits libérés par la fongibilité asymétrique des crédits de personnel non consommés. En 2022, 42 % de la sur-exécution des dépenses de fonctionnement de la police nationale ont été financés par la fongibilité asymétrique.
Or, les ambitieux plans de recrutement à venir, mis en place dès 2023, associés à la hausse des mesures indemnitaires décidées dans les protocoles de mars 202219(*) devraient vraisemblablement avoir pour effet direct de tarir les mouvements de fongibilité asymétrique, tandis que les crédits de personnel devraient accaparer une part substantielle de la hausse des crédits de la mission prévue à l'horizon 2027.
La LOPMI prévoit ainsi, pour l'année 2027, une hausse des crédits de titre 2 de 1,5 milliard d'euros par rapport au montant exécuté de 2022 pour ces deux programmes. Parallèlement, l'on peut constater que la loi de finances initiale pour 2023 prévoit une baisse des crédits d'investissement de la gendarmerie nationale, tant en AE qu'en CP, par rapport à la LFI 2022.
b) Des dépenses de fonctionnement exposées à des risques importants
En deuxième lieu, la valeur réelle, à euros constants, des crédits de fonctionnement est menacée par l'inflation et la hausse du coût de certains biens spécifiques.
Alors que les dépenses de carburant avaient représenté pour la police nationale 52,6 millions d'euros en 2021, le coût atteint 69,7 millions d'euros en 2023. Pour la gendarmerie nationale, le surcoût des carburants est plus fort, à 31,3 millions d'euros, sans que l'activité opérationnelle n'en soit la cause.
De même, les dépenses d'énergie et de fluides (électricité, eau, chauffage, etc.) sont rehaussées par l'augmentation de leur coût unitaire : ces dépenses progressent de 10,5 % pour la police et de 7 % pour la gendarmerie. La même tendance concerne les loyers et l'alimentation (hausse de 8 % du coût de l'alimentation et de 11,6 % des transports et déplacements pour les gendarmes mobiles par exemple).
Au total, l'inflation, qui impacte beaucoup plus fortement les crédits hors titre 2 que les crédits du titre 2, risque d'écrêter encore davantage le rééquilibrage temporaire constaté en 2022.
* 6 Voir infra.
* 7 Voir infra.
* 8 Idem.
* 9 Voir supra.
* 10 Cour des comptes, Analyse de l'exécution budgétaire 2022, Mission « Sécurités », avril 2023.
* 11 Voir supra.
* 12 Cour des comptes, La gestion des ressources humaines au coeur des difficultés de la police nationale, notre structurelle, novembre 2021.
* 13 Cour des comptes, Analyse de l'exécution budgétaire 2022, Mission « Sécurités », avril 2023.
* 14 Ces dernières correspondent au nombre d'heures supplémentaires, multiplié par un coefficient allant de 1 à 3 selon le moment où elles ont été effectuées.
* 15 Le rapporteur spécial n'a pas à disposition de chiffrage fiable de ce stock à fin 2022.
* 16 Comme le service de protection des hautes personnalités (SPHP).
* 17 Voir supra.
* 18 Voir supra.
* 19 Voir supra.