II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL
A. UN COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE DONT LA TRAJECTOIRE DES RECETTES À LONG TERME INTERROGE TOUJOURS
En 2021, les produits de cessions avaient augmenté de près de 25 % par rapport à 2020, passant de 157,5 millions d'euros à 195 millions d'euros, hausse à laquelle a notamment participé une cession exceptionnelle de 30,2 millions d'euros.
Cette progression s'interrompt en 2022. Si la baisse des produits de cession s'explique en partie par la non-réalisation d'une cession exceptionnelle d'un immeuble parisien, il faut noter qu'elle s'inscrit dans une tendance globale observée depuis 2015.
Ces chiffres masquent des pratiques parfois très problématiques dans la gestion de certaines cessions immobilières. Ainsi, dans le cadre du déménagement de l'école d'agronomie AgroParisTech au plateau de Saclay, des meubles du château de Grignon ont été vendus à des prix très inférieurs à leur valeur réelle, lors d'une enchère réalisée en juin 2022, en raison d'une estimation défectueuse6(*). Les agents de la direction nationale d'interventions domaniales (DNID) - qui relève de la direction de l'immobilier de l'État (DIE) - qui ont été missionnés sur place n'ont en effet pu procéder au récolement du mobilier, remisé dans un grenier mal éclairé. Au total, l'ensemble des meubles, divisés en quatre lots, ont été adjugés 6 240 euros alors qu'ils en valaient probablement entre 300 000 et 500 000. Si les sommes en jeu n'affectent pas les équilibres financiers, elles dénotent une négligence hautement préjudiciable7(*). Pour définir les responsabilités des différents intervenants, le Procureur général près la Cour des comptes a saisi, le 22 février 2023, la Cour des comptes en vue de l'ouverture d'une instruction contentieuse concernant la vente du mobilier du château de Grignon et a décidé de prendre, dans le cadre du régime de responsabilité financière des gestionnaires publics, un réquisitoire d'initiative sur la base des informations publiées dans la presse. Sur cette base, le Procureur général décidera si l'affaire doit faire l'objet d'un classement ou d'un renvoi devant la chambre du contentieux8(*).
Sur le long terme, les produits de cessions sont sur une pente descendante, pour deux raisons principales :
- les biens susceptibles de faire l'objet d'une « cession exceptionnelle » sont en nombre limité. Ils ne peuvent pas servir de ressource pérenne pour le compte d'affectation spéciale : on le constate cette année, où la non-réalisation d'une de ces cessions entraîne une baisse de 38 millions d'euros des produits de cessions ;
- les biens encore en stock sont les plus difficiles à céder. Cela s'explique par le fait que les biens les plus liquides ont déjà été vendus. L'indicateur portant sur la surface de bureaux remis au Domaine et inoccupés depuis 36 mois (ou plus) est ainsi bien supérieur à la prévision actualisée (47,4 % contre 38 %). Il est certes inférieur au résultat « plafond » atteint en 2021 (57,6 %) mais demeure supérieur au résultat atteint en 2020 (39,2 %) et en 2019 (21,2 %). Cette progression rapide de l'indicateur indique un risque potentiel important pour la soutenabilité du CAS à moyen et long terme.
Les redevances domaniales sont dynamiques, mais elles ne suffisent pas à assurer un niveau constant de recettes pour le CAS. Le risque est à terme que les recettes du CAS deviennent insuffisantes pour garantir la mise en oeuvre de toutes les opérations structurantes ou de gros entretien nécessaires à la valorisation du parc immobilier de l'État.
Évolution des produits de cessions
immobilières
et de redevances domaniales depuis 2015
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Note : le sursaut de l'année 2019 s'explique essentiellement par trois cessions exceptionnelles : celle d'une partie de l'îlot Saint-Germain (Paris, 7e arrondissement) pour 368,1 millions d'euros, celle de l'hôtel de Seignelay (idem) pour 61 millions d'euros et celle du site de l'école normale supérieure Paris-Saclay pour 31,8 millions d'euros
Le rapporteur spécial réitère son soutien à la volonté de sortir de la logique du « tout cession », qui caractérisait la stratégie immobilière de l'État. Néanmoins, pour que cette stratégie soit viable, elle nécessite une véritable politique de valorisation des biens de l'État.
* 6 Ces informations, découvertes par Julien Lacaze, président de l'association Sites&Monuments, ont d'abord été révélées par le magazine La Tribune de l'Art fin novembre 2022.
* 7 « Vente des meubles du château de Grignon : quand l'État brade un patrimoine inestimable », 14 janvier 2023, France Info.
* 8 Cour des comptes, 22 février 2023 « Vente des meubles du château de Grignon : un réquisitoire d'initiative pris par le Procureur général près la Cour des comptes ».