EXAMEN EN COMMISSION
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Réunie le mercredi 14 juin 2023, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission examine le rapport de Mme Catherine Procaccia, rapporteur, sur la proposition de loi (n° 469, 2022-2023) visant à lutter contre le dumping social sur le Transmanche.
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Cette proposition de loi traite d'un sujet rarement abordé par notre commission : celui du droit du travail des gens de mer embarqués sur des navires assurant le transport international de passagers.
Je tiens à remercier notre présidente, qui m'a fait plonger, pour mes dernières semaines de mandat, dans une proposition de loi qui n'est pas aussi simple qu'il n'y paraît, surtout quand seules la Marne et la Seine traversent votre département. De plus, j'ai découvert un ovni : la loi de police, sur laquelle je reviendrai.
Je remercie également Nadège Havet, rapporteure pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, avec laquelle nous avons conduit l'ensemble des auditions, ainsi que Jean-Marie Vanlerenberghe, qui m'a donné des pistes de réflexion intéressantes.
Le droit du travail applicable au personnel embarqué sur des navires assurant le transport international de passagers est différent de celui que nous connaissons. Il est encadré par le droit international et le droit de l'Union européenne (UE), qui laissent peu de marges de manoeuvre aux États pour imposer des normes sociales aux armateurs.
Les compagnies maritimes choisissent librement le pavillon de leurs navires et donc l'État dans lequel ces derniers sont immatriculés.
La Convention des Nations unies sur le droit de la mer, adoptée en 1982 et dite de Montego Bay, stipule que chaque État fixe les conditions auxquelles il soumet l'attribution de sa nationalité aux navires, les conditions d'immatriculation des navires ainsi que celles qui sont requises pour battre son pavillon. Dans l'UE, le principe de la libre prestation des services permet aux navires de choisir librement leur pavillon.
Concernant le droit social applicable aux employés embarqués sur ces navires, le droit de l'UE prévoit que le contrat individuel de travail est régi par la loi choisie par les parties. La loi applicable au contrat de travail peut donc être celle d'un autre État que celui du pavillon. Les navires battant pavillon français sont tenus de respecter le droit du travail français, mais certains pavillons n'imposent presque aucune garantie sociale.
En matière de salaire, il existe seulement une recommandation de l'Organisation internationale du travail (OIT), qui indique que le salaire minimum mensuel des marins doit s'élever au moins à 658 dollars américains. Dans ce cadre, certaines compagnies assurant des liaisons entre la France et le Royaume-Uni ont opté pour des pavillons n'offrant que de faibles garanties en matière de droits sociaux, leur permettant ainsi d'optimiser leurs coûts et de baisser leurs tarifs. Si ces choix ont été faits pour le transport de passagers, ils affectent aussi le fret maritime, particulièrement les navires opérant sur la ligne Calais-Douvres, qui combinent généralement les deux prestations.
Le 17 mars 2022, la compagnie P&O Ferries a licencié 786 marins, avec effet immédiat. Ils ont été remplacés par des employés qui sont rémunérés à des niveaux bien inférieurs au salaire minimum britannique et qui subissent des conditions de travail dégradées.
Selon Armateurs de France, les compagnies P&O Ferries et Irish Ferries, dont les navires battent pavillon chypriote, utilisent un modèle social « moins disant » pour leurs liaisons transmanche. Elles font appel à du personnel très faiblement rémunéré, recruté par des sociétés de placement des gens de mer. Les salaires de base pourraient être inférieurs de 60 % aux salaires français et le coût de production du transport est inférieur de 35 % à celui des navires battant pavillon français.
En outre, dans ces compagnies, la durée d'embarquement du personnel navigant est bien supérieure à la durée de repos à terre, alors que Brittany Ferries et DFDS, dont les navires battent pavillon français et britannique, respectent une équivalence entre ces deux durées, sur le fondement d'accords d'entreprise.
Si ces pratiques sont légales, elles perturbent significativement le marché du transport maritime transmanche. Elles se traduisent par des droits sociaux très limités pour le personnel employé et fragilisent la sécurité de la navigation sur l'un des détroits les plus fréquentés au monde.
Que peut faire le législateur français face à cette situation ?
Le droit international et le droit européen offrent la possibilité aux États de faire valoir leurs intérêts nationaux pour imposer certaines règles impératives, dans un cadre bien limité.
Ainsi, l'article 25 de la Convention de Montego Bay prévoit que, pour les navires qui se rendent dans les eaux intérieures ou dans une installation portuaire située en dehors de ces eaux, l'État côtier a le droit de prendre les mesures nécessaires pour prévenir toute violation des conditions auxquelles est subordonnée l'admission de ces navires dans ces eaux ou cette installation portuaire.
En outre, le droit européen donne la possibilité aux États membres d'adopter des lois de police, qui comportent des dispositions impératives dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit, par ailleurs, la loi applicable au contrat.
Une telle restriction des libertés économiques garanties par le droit de l'UE revêt le caractère d'une loi de police conforme au droit de l'Union si elle répond à la sauvegarde d'un intérêt national essentiel qui ne serait pas protégé par une norme déjà applicable et si elle est proportionnée à l'objectif poursuivi.
Dans le contexte du dumping social constaté sur les liaisons transmanche et sur le fondement de la possibilité offerte par le droit européen d'édicter une loi de police, l'article 1er de la proposition de loi vise à imposer deux obligations aux employeurs du personnel embarqué sur les navires assurant le transport de passagers sur certaines liaisons entre la France et un pays étranger, quelle que soit la loi applicable aux contrats de travail des salariés concernés : le versement du salaire minimum horaire de branche applicable en France et une organisation du travail fondée sur l'équivalence entre la durée d'embarquement et le temps de repos à terre.
Si les liaisons transmanche sont visées, la proposition de loi renvoie à un décret en Conseil d'État le soin de fixer les critères qui permettront de déterminer les lignes internationales concernées. Ce décret devra donc veiller à bien circonscrire le dispositif pour rester dans le cadre d'une loi de police.
Le Royaume-Uni s'est engagé dans une démarche analogue et son Parlement a adopté un projet de loi qui rend l'obligation de respecter le salaire minimum horaire britannique applicable aux navires assurant un service international de transport de passagers ou de marchandises, sous réserve que ces navires entrent dans un port britannique au moins 120 fois au cours de l'année considérée. Ce texte, qui n'est pas tout à fait identique aux dispositions de la proposition de loi, devrait entrer en vigueur au début de l'année 2024.
En cas de manquement aux nouvelles obligations, l'article 1er instaure un double régime de sanctions.
D'abord, il prévoit des sanctions pénales. Les employeurs et armateurs en infraction seraient passibles d'une amende de 7 500 euros par salarié concerné. En cas de récidive, ils risqueraient une amende de 15 000 euros par salarié et une peine de six mois d'emprisonnement. À la troisième infraction, le texte prévoit qu'une peine d'interdiction d'accoster dans un port français pourrait être infligée à tous les navires de la compagnie fautive.
Ensuite, en l'absence de poursuites pénales, des sanctions administratives sont prévues, qui peuvent aller jusqu'à 4 000 euros d'amende par salarié concerné.
Les pratiques à l'oeuvre déstabilisent le marché du transport maritime transmanche. En outre, la dégradation des conditions de rémunération et de travail du personnel employé sur ces navires n'est pas acceptable. Ces conditions de travail dégradées, notamment par la diminution du temps de repos, fragilisent la sécurité de la navigation dans une zone très fréquentée. Cette situation compromet la sauvegarde de l'organisation sociale et économique de notre pays, portant ainsi atteinte à un intérêt crucial de la France.
Les dispositions de l'article 1er me semblent justifiées et pourraient revêtir le caractère d'une loi de police. Cependant, pour limiter les risques qu'une juridiction considère cet article comme non conforme au droit de l'UE, je me suis attachée à mesurer la proportionnalité des obligations envisagées. J'ai sollicité l'avis des administrations centrales compétentes, d'universitaires spécialistes du droit européen et du droit maritime, ainsi que des services de la Commission européenne. Cette dernière n'a pas voulu nous répondre et a indiqué qu'elle devait analyser en profondeur la proposition de loi.
Le risque de recours ne pouvant être écarté, je proposerai de le limiter en proportionnant l'article 1er à son objectif. Notre préoccupation est que cette loi soit effective.
À cette fin, je suggérerai de supprimer la peine d'interdiction d'accoster dans un port français prononcée en cas de troisième infraction. Cette sanction risque de méconnaître les principes constitutionnels d'individualisation des peines et de légalité des délits et des peines, et de revêtir un caractère manifestement disproportionné. Les peines prévues en cas de première infraction puis de récidive, qui peuvent aller jusqu'à six mois d'emprisonnement, semblent suffisamment dissuasives.
Je proposerai également que la sécurité de la navigation et la lutte contre les pollutions marines soient concrètement prises en compte pour déterminer par décret la durée maximale d'embarquement. En alternative à une amende, l'autorité administrative pourrait adresser un avertissement à l'employeur ou à l'armateur en cas de manquement aux obligations posées par cet article, afin d'aligner le régime de sanctions administratives créé à l'article 1er sur le droit commun du travail.
En outre, je proposerai de fixer au 1er janvier 2024 l'entrée en vigueur de cet article, afin de donner aux employeurs une prévisibilité suffisante pour tirer les conséquences des règles de droit du travail imposées au personnel à bord des navires.
L'Assemblée nationale a souhaité aller au-delà du sujet déjà complexe du dumping social sur le transmanche en insérant, par voie d'amendements adoptés en séance publique, deux articles additionnels, qui ont trait aux sanctions pouvant être prononcées dans le cadre du dispositif dit de l'État d'accueil.
Ce dispositif, prévu par le règlement européen du 7 décembre 1992, constitue un aménagement au principe de libre prestation des services, qui garantit l'application de règles uniformes en matière de droit du travail et de protection sociale à bord des navires opérant sur certaines liaisons de cabotage maritime, ou réalisant certaines prestations de services à l'intérieur des eaux d'un État membre. Les lignes reliant la Corse et la France continentale relèvent de ce dispositif.
Quel que soit leur pavillon, ces navires sont soumis aux mêmes dispositions que les navires battant pavillon français. En ce qui concerne le droit du travail, les dispositions légales et les stipulations conventionnelles sont celles qui s'appliquent aux salariés employés dans les entreprises de la même branche d'activité établies en France, en matière de salaire minimum, de durée de travail, de santé et de sécurité au travail, ainsi que des libertés individuelles et collectives dans la relation de travail.
Par ailleurs, les gens de mer bénéficient obligatoirement du régime de protection sociale d'un État membre de l'UE.
Il existe bien des enjeux de concurrence entre une compagnie opérant sous pavillon français et une entreprise qui, bien qu'établie en France, a recours au pavillon international italien et bénéficie de conditions fiscales et sociales plus favorables. Mais les liaisons maritimes entre la Corse et le continent sont protégées des pratiques de dumping social contre lesquelles l'article 1er de la proposition de loi entend lutter.
Dans ce contexte, l'article 1er bis vise à renforcer les sanctions pénales applicables en cas de non-respect du salaire minimum légal ou conventionnel et à les aligner sur celles qui sont prévues dans le cadre de la loi de police, s'écartant ainsi du droit commun du travail.
Quant à l'article 1er ter, il crée un régime de sanctions administratives dans d'autres domaines que celui du salaire minimum, pour lequel elles existent déjà.
L'alignement des sanctions applicables pour les liaisons Corse-continent avec le régime proposé pour le transmanche ne va pas de soi et apparaît en décalage avec l'objet du texte. En effet, si de réelles problématiques de concurrence existent sur ce marché, les mesures proposées, qui ne portent que sur les sanctions et ne modifient pas les normes sociales applicables sur les navires concernés, ne sont pas de nature à y répondre, et ce pour deux raisons.
D'une part, ces enjeux de concurrence relèvent essentiellement du niveau de l'UE, notamment en ce qui concerne l'harmonisation de l'encadrement du recours aux pavillons internationaux pour les liaisons internes. D'autre part, il serait plus efficace de renforcer les moyens de contrôle et d'appliquer effectivement les sanctions existantes pour veiller au respect des règles de l'État d'accueil et lutter contre d'éventuelles fraudes.
Les auditions que j'ai menées n'ont pas permis de mettre en évidence la nécessité d'introduire ces mesures adoptées à l'Assemblée nationale en séance publique, dont la rédaction aurait nécessité des travaux plus approfondis. Intégrer des mesures concernant le cabotage en Méditerranée dans un texte visant à lutter contre le dumping social sur les liaisons transmanche risque de brouiller les intentions du législateur, alors que les situations des deux marchés sont difficilement comparables. Je proposerai donc de supprimer ces deux articles, qui fragilisent le texte.
Le dernier volet de la proposition de loi vise à sécuriser le contrôle de l'aptitude médicale des marins.
En principe, leur aptitude est contrôlée par le service de santé des gens de mer, un service de médecine préventive relevant du secrétariat d'État chargé de la mer. Cependant, un certificat d'aptitude médicale établi à l'étranger peut être reconnu sous certaines conditions.
L'armateur ou le capitaine qui admet à bord de tout navire battant pavillon français un membre d'équipage ne disposant pas d'un certificat d'aptitude médicale valide, délivré dans les conditions de droit commun, est passible de six mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende. Toutefois, cette sanction pénale n'est pas applicable en présence d'un certificat non valide établi à l'étranger.
Afin de pallier cette lacune, l'article 2 prévoit que la sanction pénale soit également applicable lorsque le certificat d'aptitude a été établi à l'étranger. Ce dispositif me semble bienvenu. Il serait toutefois opportun de l'étendre aux gens de mer autres que les marins.
En cohérence avec l'objet de cet article, dont la portée ne se limite pas aux liaisons transmanche, mais concerne tout navire battant pavillon français, ainsi qu'avec les objectifs poursuivis à l'article 1er, je présenterai un amendement visant à modifier l'intitulé de la proposition de loi pour indiquer qu'elle tend également « à renforcer la sécurité du transport maritime ».
Enfin, suivant la position constante de notre commission, je proposerai de supprimer les articles 3 et 4, qui prévoient la remise de rapports par le Gouvernement au Parlement.
Pour terminer, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Ce périmètre comprend des dispositions relatives à la rémunération des salariés employés sur des navires assurant le transport de passagers sur des liaisons maritimes internationales touchant un port français et aux documents mis à la disposition de ces salariés, ainsi qu'aux sanctions applicables en cas d'admission à bord d'un navire d'un marin présentant un certificat médical d'aptitude non valide. En revanche, des amendements relatifs à la réglementation de la navigation maritime et du statut des navires, aux ports maritimes, à la régulation des entreprises de transport maritime, ainsi qu'au droit commun du travail et à la protection sociale des marins ne me semblent pas présenter de lien, même indirect, avec le texte déposé et seront considérés comme irrecevables.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Ce texte présente effectivement des fragilités, sachant que nous avons, face à nous, des personnes qui ne s'embarrassent ni de considération ni de valeurs, se montrent très attentives à ce texte et ont déjà annoncé qu'elles feraient des recours si la proposition de loi devait être adoptée. Mme Procaccia a donc raison de tenter de sécuriser le texte au maximum.
M. Jean-Luc Fichet. - Il s'agit d'un sujet très important. On imagine la violence de ce qui s'est passé dans l'entreprise P&O Ferries quand près de 800 marins ont appris, par visioconférence, qu'ils étaient licenciés sans préavis. De plus, un tel licenciement a pu avoir lieu sans que l'employeur ne commette de faute, puisqu'il est sous pavillon chypriote. Le Brexit a conduit à ce genre de comportements.
Le trafic transmanche représente un camion toutes les secondes et un navire toutes les trois minutes. Traverser le rail d'Ouessant pour un petit bateau revient à traverser une quatre voies en courant pour un piéton.
Cette proposition de loi contient trois sujets importants. D'abord, elle prévoit le versement du salaire minimum français aux équipages de toutes les compagnies maritimes, peu importe le pavillon, dès lors que des liaisons régulières internationales touchent un port français. Les lignes en question devant être définies par décret, il faudra s'assurer que ces derniers soient pris en temps et en heure.
Ensuite, le texte se penche sur le temps de repos. Dans le cas de Brittany Ferries, les marins passent huit jours en mer et huit jours au sol. Les deux durées sont donc équivalentes, ce qui n'est pas le cas pour d'autres compagnies et crée une concurrence déloyale.
Enfin, le texte prévoit le contrôle du certificat d'aptitude médicale pour l'ensemble des marins. En effet, les compétences et capacités physiques ne sont pas toujours testées, ce qui pose problème, sachant notamment que les conditions de vie sur les navires peuvent être terribles.
Nous soutenons cette proposition de loi, qui représente une première étape importante. Elle constitue également un appel lancé vers l'UE, pour qu'elle fasse évoluer sa législation.
Il s'agit aussi de bien coordonner le processus avec celui que les Britanniques ont entamé, pour que les deux législations soient applicables. Depuis le Brexit, le Royaume-Uni n'est pas tenu d'appliquer la législation européenne, ce qui a contribué à ces dérives.
Dans un deuxième temps, il faudra revenir sur certains sujets, dont l'application du registre international français (RIF).
Considérant qu'il n'était pas nécessaire de complexifier les choses, nous n'avons pas proposé d'amendements et nous soutiendrons le rapport.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Notre objectif est de protéger à la fois les marins et le droit de la concurrence, ce qui est compliqué.
British Ferries a bouleversé les règles qui étaient appliquées, ce qui n'est pas sans lien avec le licenciement d'une grande partie du personnel de P&O Ferries.
Aujourd'hui, la plupart des compagnies travaillent avec des étrangers et notre droit ne s'applique qu'en partie sur les eaux territoriales françaises et dans les ports français, mais pas sur les bateaux lorsqu'ils assurent des liaisons internationales. Brittany Ferries travaille avec une grande partie de marins français ; Irish Ferries emploie essentiellement des Britanniques, en Irlande, mais aussi entre Douvres et Calais, et dit appliquer le droit européen. Cette complexité méritait qu'on s'attarde sur le sujet, ce que fait cette proposition de loi, qui ne pourra pas répondre à toutes les questions.
J'approuve largement l'analyse de Catherine Procaccia. Ses propositions de suppression semblent bienvenues, car il ne faut pas mélanger les sujets. De plus, étendre aux gens de mer le dispositif sur les certificats médicaux me semble souhaitable. En ce qui concerne les demandes de rapports, notre commission a toujours adopté une position claire. Notre groupe soutiendra la proposition de loi ainsi modifiée.
Mme Frédérique Puissat. - Je remercie Catherine Procaccia de vouloir rendre opérationnelle cette proposition de loi. Dans cette perspective, la prise effective et rapide des décrets constituera un enjeu très important.
La question de la cohérence avec le projet de loi britannique se pose, en termes de contenu et de délai. Le processus avance vite au Royaume-Uni, la mise en application du texte étant prévue pour début 2024. Dans quels délais la proposition de loi française, si elle n'était pas votée conforme, pourrait-elle être mise en application ?
Mme Mélanie Vogel. - J'aurai deux questions. D'abord, l'intitulé de la proposition de loi fait référence aux liaisons transmanche, mais, dans le champ d'application, on lit que le texte est applicable « aux navires transporteurs de passagers assurant des lignes régulières internationales touchant un port français ». S'il s'agit de traiter d'autres liaisons entre la France et des pays tiers, il faudrait peut-être l'adapter.
Ensuite, il est écrit à l'article 1er : « Le présent article ne s'applique que pour les périodes au cours desquelles les navires sont exploités sur les lignes régulières internationales mentionnées à l'article L. 5591-1. » Comment cette application fonctionnera-t-elle d'un point de vue pratique ? Si un navire opère des liaisons transmanche pendant une semaine et fait autre chose la semaine suivante, faut-il respecter le salaire minimum pendant une semaine, et plus la suivante ? Comment détermine-t-on la période du transport régulier ?
M. Olivier Henno. - J'avais produit un rapport au nom de la commission des affaires européennes sur la question du droit de la concurrence. L'UE s'est largement construite sur ce droit, auquel une importante direction est consacrée à Bruxelles. Ce droit de la concurrence européen s'est d'abord construit pour assurer un moindre prix au consommateur, ce qui a fonctionné pour certains sujets. Il s'est donc davantage fondé sur cette préoccupation, sur les ententes et les monopoles que sur le souci du respect du droit social.
Ce droit participe-t-il à l'uberisation de la société ? N'est-il pas davantage responsable des difficultés actuelles que le Brexit ?
Mme Brigitte Devésa. - J'ignore si j'aurais soutenu vos amendements de suppression il y a encore quelques jours. En effet, l'alignement des sanctions dans le cadre du dispositif de l'État d'accueil, qui sont intra-européennes, aux sanctions de transmanche, qui sont extra-européennes, ne me semblait pas entraîner de confusion. L'alignement paraissait justifié et nécessaire, d'autant que les propositions de loi portant sur la mer ne sont pas fréquentes.
Néanmoins, un événement a modifié mon raisonnement : un préavis de grève a été déposé. La grève, qui s'annonce musclée, aura lieu la semaine prochaine et sera liée au sujet transmanche. Corsica Linea nous a signalé son inquiétude, les salariés n'ayant pas compris que la proposition de loi n'aurait aucun impact sur eux. J'ai donc décidé de ne pas m'opposer aux amendements de suppression, pour que le texte soit simplifié. La situation est déjà tendue, et je ne voudrais pas en rajouter.
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Le texte a été voté à l'unanimité à l'Assemblée nationale et nous ne le modifions pas pour le plaisir de le modifier ; un vote conforme ne m'aurait posé aucun problème. Cependant, les auditions ont démontré la fragilité de cette proposition de loi. Nous craignons tous qu'elle s'applique au 1er janvier et que, deux mois plus tard, elle ne soit annulée par un juge pour des raisons juridiques. Nous avons donc tenté de sécuriser le texte, dont je ne garantis pas qu'il le soit entièrement.
En découvrant le texte, j'ai tout de suite été frappée par la présence de la question de la Méditerranée dans un texte portant initialement sur les liaisons transmanche.
Le Brexit a fragilisé le trafic transmanche, qui a été fortement réduit pendant deux ans. Les navires français et britanniques ont diminué le nombre de navires opérant ces liaisons et, quand le trafic a repris, la compagnie irlandaise a saisi cette occasion pour arriver sur le marché. La fragilisation actuelle vient davantage de cette évolution liée au Brexit qu'au Brexit lui-même.
En ce qui concerne les décrets, j'ai rencontré le secrétaire d'État chargé de la mer, qui rêve d'un accord international et européen alors que, hormis la France, personne n'applique les normes françaises. Penser pouvoir harmoniser toutes ces normes semble optimiste. Par ailleurs, je lui ai demandé si les décrets étaient déjà prêts, le texte ayant été travaillé de manière rapprochée avec le Gouvernement. Il m'a répondu que son ministère y travaillait et que les décrets seraient prêts pour le 1er janvier.
Quant au modèle d'organisation de Brittany Ferries - une semaine à bord, une semaine à terre -, il ne doit pas s'appliquer à toutes les compagnies. Certaines n'emploient que des Européens et, quand ceux-ci viennent par exemple des pays de l'Est, ils ne veulent pas rester une semaine à terre et préfèrent travailler deux ou trois semaines sur le bateau pour rentrer ensuite chez eux. Il s'agit d'étendre à tous les navires un type d'organisation reposant sur une équivalence entre temps de travail et temps de repos, mais le décret ne doit pas imposer un modèle.
J'en viens au certificat d'aptitude médicale, pour lequel les contrôles sont insuffisants. Les représentants de la direction générale du travail (DGT) nous ont expliqué que décortiquer des contrats de travail correspondant aux normes d'autres pays leur prenait un temps fou. Nous souhaitons protéger les marins. Passer sept ou huit semaines sur un bateau, sans temps de repos, c'est beaucoup. Ce n'est pas le Brexit mais le droit européen qui permet ce dumping social, qui existe dans toute la mer du Nord, mais pas vraiment en Méditerranée. Nous voulons aussi privilégier les marins français, mais j'ai compris au cours des auditions qu'il y avait pénurie en la matière. Des marins étrangers sont aussi employés sur nos navires parce qu'on ne parvient pas à recruter en France.
En ce qui concerne la période d'application de l'article 1er, les conditions sociales seront applicables sur toute la durée des traversées transmanche effectuées par les navires concernés. Lorsqu'ils effectueront d'autres traversées, ces obligations ne s'appliqueront pas. Cependant, ces navires sont affectés à une liaison et il est très rare qu'ils en opèrent plusieurs.
L'intention est bien de viser les liaisons entre la France et le Royaume-Uni. Néanmoins, en écrivant « Royaume-Uni », nous fragiliserions la proposition de loi, raison pour laquelle des critères objectifs devront être fixés par décret.
EXAMEN DES ARTICLES
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - L'amendement COM-16 vise à proposer que l'article 1er soit exclusivement applicable aux lignes régulières internationales entre la France et le Royaume-Uni ou les îles anglo-normandes. Les liaisons transmanche sont effectivement visées, mais il ne me paraît ni juridiquement possible ni opportun d'apporter cette précision dans la loi.
En vertu du principe d'égalité, ne viser qu'un seul pays poserait un problème en matière de concurrence. Il est préférable que le décret détermine les lignes concernées en prenant en compte des critères qui ne seront pas exclusivement géographiques, comme les enjeux de sécurité maritime et la fréquence des liaisons. Avis défavorable.
L'amendement COM-16 est retiré.
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - L'amendement COM-1 vise à supprimer la mention du Conseil supérieur de la marine marchande, l'article 2 du décret n° 2002-647 prévoyant déjà que ce conseil doit être obligatoirement consulté sur les projets de décret.
L'amendement COM-1 est adopté.
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - L'amendement de coordination COM-2 vise à ajuster le champ d'application des dispositions de l'article.
L'amendement COM-2 est adopté.
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - L'amendement COM-3 a trait à la règle d'équivalence entre le temps d'embarquement et le temps de repos, qui nous paraît pouvoir justifier la loi de police. Il s'agit de contribuer à la sécurité de la navigation et de lutter contre les pollutions marines. Il est préférable que ces considérations soient prises en compte pour déterminer le décret portant sur la durée maximale d'embarquement, plutôt que de l'affirmer dans les objectifs de la loi.
L'amendement COM-3 est adopté.
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - L'amendement COM-4 vise à supprimer l'interdiction d'accoster dans un port français prononcée à l'encontre des navires appartenant à la compagnie fautive. Il s'agit d'un des éléments qui fragilisent le texte.
L'amendement COM-4 est adopté.
L'amendement rédactionnel COM-5 est adopté.
L'amendement de correction COM-6 est adopté.
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - L'amendement COM-7 vise à introduire la possibilité pour l'autorité administrative de prononcer un avertissement au lieu d'une amende, dans le cadre des sanctions administratives.
L'amendement COM-7 est adopté.
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - L'amendement COM-8 vise à proposer une entrée en vigueur de l'article 1er au 1er janvier 2024.
L'amendement COM-8 est adopté.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 1er bis (nouveau)
L'amendement de suppression COM-9 est adopté.
L'article 1er bis est supprimé.
Article 1er ter (nouveau)
L'amendement de suppression COM-10 est adopté.
L'article 1er ter est supprimé.
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - L'amendement COM-11 vise à étendre les sanctions en cas de certificat non valide établi à l'étranger à tous les gens de mer.
L'amendement COM-11 est adopté.
L'amendement de correction COM-15 est adopté.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - L'amendement COM-12 vise à supprimer cet article, qui prévoit la remise par le Gouvernement d'un rapport au Parlement.
L'amendement COM-12 est adopté.
L'article 3 est supprimé.
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Mon argumentation est identique pour l'amendement COM-13.
L'amendement COM-13 est adopté.
L'article 4 est supprimé.
Intitulé de la proposition de loi
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - L'amendement COM-14 vise à proposer cet intitulé, qui est plus complet : « Proposition de loi visant à lutter contre le dumping social sur le transmanche et à renforcer la sécurité du transport maritime. »
L'amendement COM-14 est adopté.
L'intitulé de la proposition de loi est ainsi modifié.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
TABLEAU DES SORTS
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article 1er |
|||
Mme Mélanie VOGEL |
16 |
Application de l'article 1er aux seules lignes reìgulieÌres internationales entre la France et le Royaume-Uni ou les i?les anglo-normandes |
Retiré |
Mme PROCACCIA, rapporteur |
1 |
Suppression de la mention de l'avis du Conseil supérieur de la marine marchande |
Adopté |
Mme PROCACCIA, rapporteur |
2 |
Coordination relative au champ d'application des dispositions de l'article 1er |
Adopté |
Mme PROCACCIA, rapporteur |
3 |
Prise en compte de la sécurité de la navigation et de la lutte contre les pollutions marines pour déterminer par décret la durée maximale d'embarquement |
Adopté |
Mme PROCACCIA, rapporteur |
4 |
Suppression de la peine d'interdiction d'accoster dans un port français prononcée à l'encontre des navires appartenant à la compagnie fautive |
Adopté |
Mme PROCACCIA, rapporteur |
5 |
Rédactionnel |
Adopté |
Mme PROCACCIA, rapporteur |
6 |
Coordination |
Adopté |
Mme PROCACCIA, rapporteur |
7 |
Possibilité pour l'autorité administrative de prononcer un avertissement à l'employeur ou à l'armateur fautif |
Adopté |
Mme PROCACCIA, rapporteur |
8 |
Entrée en vigueur de l'article 1er le 1er janvier 2024 |
Adopté |
Article
1er bis (nouveau) |
|||
Mme PROCACCIA, rapporteur |
9 |
Suppression de l'article |
Adopté |
Article
1er ter (nouveau) |
|||
Mme PROCACCIA, rapporteur |
10 |
Suppression de l'article |
Adopté |
Article 2 |
|||
Mme PROCACCIA, rapporteur |
11 |
Extension aux gens de mer autres que les marins |
Adopté |
Mme PROCACCIA, rapporteur |
15 |
Correction d'erreurs de référence |
Adopté |
Article 3 (nouveau) |
|||
Mme PROCACCIA, rapporteur |
12 |
Suppression de l'article |
Adopté |
Article 4 (nouveau) |
|||
Mme PROCACCIA, rapporteur |
13 |
Suppression de l'article |
Adopté |
Intitulé de la proposition de loi |
|||
Mme PROCACCIA, rapporteur |
14 |
Mention du renforcement de la sécurité du transport maritime dans l'intitulé de la proposition de loi |
Adopté |