B. DES JEUNES PUBLICS EXPOSÉS, MAIS LONGTEMPS SOUS LES RADARS
Parmi les effets toxiques d'internet, un aspect a été longtemps passé sous silence : son impact sur les plus jeunes. De fait, internet a été assimilé à tort à un « écran » comme un autre, au même rang que la télévision ou les plateformes de streaming. Si les dommages de ces médias ne sont pas à négliger, les dernières années et singulièrement le confinement de 2020 ont mis l'accent sur la particularité de l'usage des réseaux sociaux par des publics jeunes et loin d'être conscients des conséquences de leurs pratiques.
Or l'accès des publics les plus jeunes à internet en général est devenu une tendance lourde. Une étude de la Cnil4(*) rendue publique en janvier 2021 montre ainsi que 82 % des enfants de 10 à 14 ans indiquent consulter régulièrement internet sans leurs parents, contre 95 % pour les 15-17 ans et que 70 % des enfants de tout âge indiquent regarder seuls des vidéos sur internet.
Cette précocité des usages est rendue possible par la combinaison de plusieurs facteurs dont la pondération varie d'un cas à l'autre. On peut citer pêle-mêle :
- d'une part, le comportement des parents. Ces derniers sont eux-mêmes souvent « scotchés » à leur téléphone en présence de leurs enfants, et peuvent également, sans le vouloir, pousser eux-mêmes les jeunes enfants vers les écrans, que ce soit pour obtenir un moment de calme, ou bien parfois avec un alibi pédagogique, et ce en dépit des messages d'information désormais largement diffusés dans les écoles ;
- d'autre part, l'âge venant, les enfants sont de plus en plus influencés par leurs camarades qui disposent d'un accès, surtout via un smartphone. Selon une étude de l'association e-Enfance, 46 % des enfants de 6 à 10 ans disposent déjà de leur propre smartphone ;
- enfin, les plateformes elles-mêmes proposent des contenus addictifs auxquels les enfants sont encore plus susceptibles que les adultes de succomber, sans mettre en place des mécanismes de protection adéquats pourtant rendus obligatoires par la loi5(*).
En réalité, beaucoup de parents apparaissent comme rapidement démunis face à une technologie qui évolue très vite et devient très complexe, face à des jeunes qui, à défaut de maitriser réellement l'usage de ces outils, sont parfaitement en mesure de contourner les interdictions et autres restrictions éventuellement mises en place.
C. L'EXPLOSION DE LA FRÉQUENTATION DES RÉSEAUX SOCIAUX
Les pouvoirs publics ont à plusieurs reprises montré leur préoccupation sur la question de l'accès des plus jeunes à internet.
Le débat a notamment été porté en pleine lumière par le rapport pionnier rendu public le 22 septembre 2022 consacré à l'industrie pornographique (« Porno : l'enfer du décor »), réalisé au nom de la Délégation aux droits des femmes du Sénat par la rapporteure de la proposition de loi et ses collègues Annick Billon, Laurence Cohen et Laurence Rossignol. Il consacre de larges développements à sa consommation « massive, toxique et banalisée chez les enfants et adolescents ».
Ce sujet avait été abordé à l'article 23 de la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, adopté au Sénat à l'initiative de Marie Mercier, qui impose aux éditeurs de sites pornographiques la mise en place de mesures de contrôle de l'âge, jusqu'à présent sans succès cependant.
Pour autant, la dangerosité d'internet pour les plus jeunes ne se limite pas à l'exposition précoce à la pornographie.
En effet, et comme pour les adultes, les réseaux sociaux ont connu une progression fulgurante ces dernières années chez les plus jeunes. Ainsi :
ü la première inscription à un réseau social semble intervenir actuellement en moyenne vers 8 ans et demi, et plus du quart des 7-10 ans se rendent régulièrement sur les réseaux sociaux ;
ü plus de la moitié des enfants de 10 à 14 ans seraient présents sur au moins un réseau social ;
ü 60 % des jeunes entre 11 et 18 ans sont inscrits sur le réseau social le plus populaire du moment, TikTok. Le Sénat a d'ailleurs choisi de consacrer une commission d'enquête6(*) à l'utilisation du réseau social TikTok, son exploitation des données, sa stratégie d'influence, qui poursuit ses travaux au moment de l'examen de la présente proposition de loi (mai 2023).
Ces chiffres extrêmement élevés sont d'autant plus surprenants que les réseaux sociaux refusent dans leurs conditions générales l'inscription d'un mineur de moins de 13 ans. Par ailleurs, l'article 45 de la loi du 6 janvier 1978 proscrit, dans le cas d'un contrat, l'utilisation des données personnelles d'un mineur de moins de 15 ans sans l'accord des titulaires de l'autorité parentale7(*).
* 4 https://www.cnil.fr/fr/droits-numeriques-des-mineurs-la-cnil-publie-les-resultats-du-sondage-et-de-la-consultation-publique
* 5 Voir le commentaire de l'article 3 du présent projet de loi.
* 6 http://www.senat.fr/commission/enquete/2023_tiktok.html
* 7 Voir le commentaire de l'article 2 de la présente proposition de loi.